Occupation américaine d’Haïti, 1915-1934 : Faits saillants

0
3594
Le premier président sous l’occupation, Sudre Dartiguenave est nommé président d’Haïti par les Américains.

Que représente l’occupation américaine dans l’histoire haïtienne ? Quelle est sa signification historique ? Quelles que soient les réponses que l’on donne à ces questions, il est évident que l’objectif essentiel de cette occupation était de transformer structurellement l’État haïtien,  de le rendre dépendant et soumis aux intérêts américains. Et cela pendant et après l’occupation. Cette occupation comporte donc un programme à long terme, celui de faire rentrer le pays dans la sphère de la domination américaine (dans la périphérie américaine, comme le dirait Samir Amin, comme d’ailleurs ce fut le cas pour plusieurs pays de l’Amérique centrale et des Caraïbes, le Nicaragua, Cuba, la République Dominicaine, etc.)

Pour mémoire, voici quelques faits saillants qui ont marqué l’occupation militaire américaine d’Haïti de 1915 à 1934.

  1. Le 17 décembre 1914 : des marines américains du bateau de guerre le Machias débarquent furtivement dans la capitale haïtienne et s’emparent de 500 000 dollars (en réserve d’or) de la Banque Nationale et propriété de l’État haïtien. Ce montant fut transféré à la National City Bank. Les protestations du gouvernement haïtien n’ont eu aucun résultat.
  2. Le 28 juillet 1915 : après plusieurs tentatives de négociations infructueuses de prendre le contrôle des douanes du pays (principales sources financières), 400 marines débarquent en Haïti. C’est le début de l’occupation. Les marines attaquent les points stratégiques de Port-au-Prince. Les soldats du premier poste attaqués résistent. Les officiers Joseph Pierre, Édouard François, Pierre Sully sont remarqués pour leur héroïsme. Pour justifier l’occupation, le gouvernement américain dit vouloir mettre de l’ordre dans le pays
  3. Le 11 août 1915 : Sudre Dartiguenave est nommé président d’Haïti par les Américains. Dartiguenave promet aux Américains «qu’Haïti peut accepter n’importe quel traité avec les États-Unis. Il pourrait leur garantir le Môle Saint-Nicolas et leur reconnait le droit d’intervenir dans les affaires internes du pays pour sauvegarder l’ordre et contrôler les douanes.»
  4. Le 14 août 1915 : le gouvernement américain impose une Convention à la Chambre des députés. Les termes de cette Convention sont si humiliants pour le pays qu’ils provoquent une violente polémique au sein même des députés. Cette convention prévoit, entre autres, le contrôle des douanes et des finances d’Haïti.
  5. Le 12 juin 1918, : une nouvelle Constitution écrite par le futur président américain, Franklin Delano Roosevelt (FDR), fut imposée au pays. Cette Constitution donne droit de propriété immobilière aux étrangers, en violation de la loi qui interdit formellement, depuis Dessalines, à tout étranger de posséder des propriétés en Haïti.
  6. Le 10 avril 1922 : fatigué par l’humiliation constante dont il fut l’objet, Dartigunave refusa une proposition de l’occupant américain de contrôler le système éducatif haïtien. Il fut remplacé par Louis Borno. Ce dernier donna sa collaboration inconditionnelle aux Américains.
  7. Durant les années 1920 : des milliers de carreaux de terre sont accaparés par les compagnies américaines. Des dizaines de milliers de paysans devenus sans terre sont contraints de travailler pour ces compagnies. Ils reçoivent un salaire de misère qui leur permet à peine de se nourrir. Plusieurs de ces paysans sont également obligés militairement de faire la corvée, un travail de construction de route de pénétration pour les compagnies. Ils reçoivent comme compensation de la nourriture.
  8. Au cours de cette période : des dizaines de milliers de paysans haïtiens quittent le pays. Ils immigrent surtout à Cuba. Certains le font clandestinement en allant chercher du travail. Plusieurs sont encouragés à s’expatrier par les Américains. Ils sont recrutés par des compagnies sucrières américaines localisées à Cuba.

La résistance armée

Un des premiers chefs rebelles, Ismaël Codio, se révolte avec ses troupes dans les montagnes du Sud. En janvier 1916, ils attaquent Port-au-Prince et mettent le feu au bureau d’un chef américain. Codio est capturé quelque temps après, cependant même en prison, il organise des révoltes et démoralise l’administration. Au cours de l’année, Codio est libéré de prison par ces partisans. La tension monte et les Américains doivent faire appel à des troupes venant de Guantanamo.

Codio est capturé à Fonds Parisien où les Américains s’empressent de le fusiller ainsi que ses partisans.

Dans la même période, des mouvements de révolte spontanés ont lieu dans le Sud, dans l’Ouest et dans le Nord. Les quartiers populaires de Port-au-Prince se révoltent également. Face à cette situation, l’occupant effectue de véritables massacres. Pour les Américains, c’est une première campagne de «pacification», mais en réalité, comme l’écrit Dantès Belgarde, «ce fut une campagne de terreur et de massacre». C’est ainsi que se termine la première guerre des cacos.

Les rebelles dispersés et disséminés dans les montagnes trouvent un nouveau chef : Charlemagne Péralte.

Péralte non seulement fonde une organisation militaire beaucoup mieux structurée, tous les cacos le reconnaissent comme le leader, mais il donne une orientation politique et idéologique à la lutte. Il signe tous les documents qu’il publie de la façon suivante : «Chef de l’armée révolutionnaire luttant contre les Américains sur la terre haïtienne.»

L’objectif de la guerre est donc bien défini. Le but final est l’expulsion de l’occupant et le recouvrement de la souveraineté nationale. Cette ligne clairement définie sert de ciment entre  les combattants et leur chef.

Le 11 octobre 1916, Charlemagne accompagné de ses frères Saül et Saint-Rémy ainsi que 60 hommes attaquent la maison du commandant de Hinche. L’attaque tourne court, il est arrêté et condamné à 5 ans de prison.

Incarcéré, il continue de prêcher la résistance et le recours aux armes pour libérer le pays.

Le 3 septembre 1917, il réussit à convaincre la sentinelle de garde de fuir avec lui dans les montagnes pour déclencher la lutte.

Une fois dans les montagnes, Péralte réorganise son armée. Il nomme des généraux et crée un véritable état-major. Chaque localité a un chef. Il prend le Nord sous son autorité personnelle, Benoit Batraville contrôle le Plateau Central. De nombreux paysans font preuve de capacité de stratèges et de chefs. Citons par exemple : Estraville, Olivier, Ectraville, Papillon, Adhémar, etc.

Enraciné dans le peuple, le mouvement développe une méthode de combat qui réussit à tromper l’ennemi : «les tambours envoyaient des messages à des centaines de kilomètres…les madans saras servaient d’agents actifs de propagande et de liaison, etc.»

Péralte «continua la merveilleuse tradition de tous ceux qui prirent les armes contre les colons espagnols, anglais ou français…Son talent révolutionnaire, politique et militaire lui permit de comprendre et mettre en pratique quelques-unes des lois de la guerre révolutionnaire qui furent plus tard systématisées par des théoriciens tels que Mao Tsé-Toung et Che Guevara : mobilité constante, union étroite avec le peuple, attaque surprise et retrait stratégique rapide, etc.»

La guérilla de Charlemagne dura presque trois ans. Ses tactiques étaient tellement efficaces que les Américains ont dû avoir recours à deux traîtres pour l’assassiner, Jean-Baptiste Conzé et Edmond François.

Dans l’objectif de terroriser la population, les Américains exposent publiquement le cadavre de Charlemagne. Mais ce dernier jouit d’une telle vénération que les Américains jugent nécessaire de lui donner une sépulture simulée dans cinq endroits différents pour empêcher que son tombeau ne devienne un lieu de pèlerinage pour de futurs cacos.

Peu de temps après la mort de Péralte, Benoit Batraville prend la tête de la rébellion. Il fut également assassiné par traîtrise le 19 mai 1920. Son cadavre est exposé également publiquement.

D’après l’estimation de l’historienne Suzy Castor, le nombre de victimes de cette guerre s’élève à 11 000 morts.

Les Marines américains sont arrivés en Haïti en juillet 1915 et y sont restés dix-neuf ans

Avec l’échec de la guérilla des cacos, la lutte contre l’occupation prend d’autres formes: des grèves, des manifestations éclatèrent un peu partout. Parmi ces grèves, celle de Damiens, organisée par les étudiants, occupe une place importante.

À l’entrée de la ville des Cayes, à Marchaterre, des paysans voulant rejoindre une grève organisée dans la ville sont massacrés par des militaires américains. 22 paysans sont tués et 51 blessés.

Ces deux incidents survenus en 1929 contribuent à augmenter encore plus les tensions sociales qui étaient déjà très élevées.

Les Américains quittent le pays en 1934, non sans avoir institué l’armée d’Haïti qui servira comme gardienne de leurs intérêts en Haïti.

Le mouvement nationaliste petit-bourgeois qui prend le pouvoir en 1934 en la personne de Sténio Vincent se décompose rapidement, comme l’observe Jacques Roumain. Les nouvelles structures de l’État, héritages de l’occupation, servent de base pour la continuation de l’exploitation économique du pays par les compagnies américaines. Commence alors l’ère de la domination néocoloniale américaine sur Haïti qui dure jusqu’à maintenant.

 

Alain Saint-Victor

NB : toutes les données historiques sont tirées du livre de Suzy Castor : L’occupation américaine d’Haïti, Éditions CRESFED, 1987, 317p.

 

HTML tutorial

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here