Chute brutale et inattendue de Garry Conille !

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Garry Conille a bel et bien été « viré » par le Coordonnateur du Conseil Présidentiel de Transition, Leslie Voltaire, et ses huit collègues.

Coup de théâtre à Port-au-Prince le vendredi 8 novembre 2024. La nouvelle est tombée comme un coup de semonce pour les Haïtiens. Le Premier ministre Garry Conille vient d’être limogé par le Conseil Présidentiel de Transition (CPT). Même les médias les plus influents et très informés demeurent prudents. Pourtant, il ne fait aucun doute, Garry Conille a bel et bien été « viré » par le Coordonnateur du Conseil Présidentiel de Transition, Leslie Voltaire, et ses huit collègues. Nous mettons au défi quiconque, fût-il le meilleur spécialiste ou observateur de la politique haïtienne, de dire qu’il s’attendait à la révocation du chef du gouvernement intérimaire à ce moment précis. Certes, le bras de fer entre les deux branches de l’Exécutif devait se terminer par un vainqueur et un vaincu. Mais, affirmer que c’est Conille qui allait boire la tasse, surtout de cette manière expéditive, relèverait de la plaisanterie. Garry Conille lui-même a été surpris.

K.O debout suite à la décision du CPT, il n’a pas pu organiser la contre-attaque auprès de ses « amis » de la Communauté internationale. C’est la deuxième fois en quinze ans que ce haut fonctionnaire de l’ONU a été victime de la vindicte des politiciens haïtiens. La première fois, c’était en 2012, sous la présidence de Michel Martelly. Ami dit-on de l’ancien Président américain Bill Clinton, il a été nommé Premier ministre après l’élection de Michel Martelly en 2011. Mais, très vite, il entre en conflit avec celui-ci sur le dossier du Fonds PetroCaribe quand il cherchait à avoir l’appui de l’Assemblée Nationale, donc  des parlementaires, contre le chef de l’État alors qu’il ne connaissait personne au Bicentenaire c’est-à-dire ni au Sénat ni à la Chambre des députés. C’est exactement ce qui lui est arrivé en 2024 avec les neuf membres du Conseil Présidentiel de Transition. Absent du pays depuis des lustres, arrivé à la Primature grâce au bon vouloir de Washington, en clair sans le soutien d’aucun vrai secteur politique à Port-au-Prince, Garry Conille pensait imposer ses vues politiques uniquement avec quelques rares personnes qui, en fait, ne faisaient que défendre leurs intérêts, pas vraiment celui de la Transition encore moins de Garry Conille.

Les trois inculpés : Smith Augustin, Louis Gérald Gilles et Emmanuel Vertilaire

Or, dans toute cette histoire, dans les deux cas, que ce soit en 2012 face à Michel Martelly que ce soit en 2024 face à une coalition de Conseillers-Président dont 3 sont formellement inculpés étant en infraction avec la justice pour cause de corruption avérée, le pauvre Garry Conille avait raison de vouloir se démarquer ou se distinguer de la politique traditionnelle de ces hommes et femmes qui n’entendent pas céder un pouce d’un pouvoir qu’ils ont hérité par pur hasard, certains diraient par effraction, compte tenu du contexte politique post-Jovenel Moïse. Mais, avant d’analyser la chute du Premier ministre Conille après seulement cinq mois jour pour jour passés à la tête du gouvernement de transition, il faudrait peut-être  souligner deux choses à propos de celui qui est à l’origine de ce coup de tonnerre politique inattendu dans cette transition dont tout le monde ou presque pensait que le désormais ex-Premier ministre allait devenir un second Gérard Latortue par rapport à la conjoncture politique et la façon dont il avait accédé à cette fonction. Il s’agit bien entendu de Leslie Voltaire.

Cadre influent et écouté du parti politique Lavalas de l’ancien Président Jean-Bertrand Aristide, Leslie Voltaire est un fidèle parmi les fidèles de l’ancien prêtre dont il est très proche. Cet architecte de formation n’est pas un premier venu dans le monde politique. Depuis l’avènement du phénomène Lavalas première version, jusqu’à son étiolement, Leslie Voltaire est de toutes les batailles aux côtés de Jean-Bertrand Aristide. Pourtant, l’homme ne s’est jamais inquiété ni pour sa vie ni pour sa carrière politique jusqu’à ce qu’il finisse par gravir les marches du Palais national à titre de membre du Conseil Présidentiel de Transition et enfin Coordonnateur ou Président de cet organe politique jouant le rôle de chef du Pouvoir exécutif en Haïti de concert avec le Premier ministre dans le cadre de la Transition. Ça, c’est pour présenter brièvement l’homme.

Deuxièmement, on voulait revenir sur la décision, la volonté et le courage de Leslie Voltaire qui a osé frapper ainsi quelqu’un qu’on pouvait imaginer intouchable. Garry Conille, traîne derrière lui une réputation, apparemment fausse au vu des circonstances, de l’homme de la Communauté internationale envoyé en Haïti avec pour mission, d’autres diraient Cahier de charge, de rétablir l’ordre, organiser les élections générales et mettre fin à la transition, sorte de Gérard Latortue incarné venu de la diaspora pour exécuter les ordres de Washington et de ses alliés. Or, comme nous le disons plus haut, par deux fois, il a mordu la poussière à Port-au-Prince en laissant le pouvoir de manière calamiteuse et lamentable sans qu’aucun de ses soi-disant amis ne lève le petit doigt pour venir à son secours.

C’est une leçon dont les dirigeants de ce pays, en tout cas, ceux qui le prétendent, doivent s’emparer pour faire ce qu’ils ont à faire pour sortir Haïti et le peuple haïtien du pétrin dans lequel ils se trouvent.  On l’a toujours dit et écrit mille fois, avec volonté et courage, si les dirigeants haïtiens veulent que les choses changent, ils peuvent le faire sans que les soi-disant maîtres de la Communauté internationale ne se  mettent de travers pour les en empêcher surtout si les décisions à prendre ne mettent nullement en péril les intérêts immédiats desdits patrons. Certes, la Communauté internationale a tous les défauts, mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, elle n’a jamais demandé à quiconque ailleurs ou en Haïti de ne pas prendre des décisions allant dans le sens d’améliorer le sort des populations qui sont dans le besoin, voire de donner une autre image au pays.

Garry Conille et Leslie Voltaire

Depuis l’humiliation devant la Représentation brésilienne de l’ONU à New York, la décision et la volonté affichées par Leslie Voltaire de mettre de l’ordre au sein du gouvernement conduit par Garry Conille et surtout d’harmoniser les relations entre le ministère des Affaires Étrangères, la Primature et la présidence n’était un secret pour personne en Haïti et naturellement ni pour Département d’État, la Maison Blanche, l’ambassade US en Haïti, sans oublier dans une moindre mesure pour les responsables de l’ONU. Notre analyse est loin d’être un soutien à la décision du CPT de limoger Garry Conille. Elle s’inscrit dans le cadre permettant à certains, même étant opposants ou partisans invétérés d’un camp, de comprendre qu’on ne peut pas réussir un projet commun quand l’un ou l’autre des partenaires violent sciemment et délibérément les règles du jeu ou du contrat en agissant sans aucun respect vis-à-vis de l’autre sous prétexte qu’il ait le soutien des uns ou l’appui des autres.

Tout le monde, en tout cas, tous les observateurs de la politique haïtienne, avaient assisté sidérés ou peut-être perplexes du comportement de la ministre des Affaires Étrangères, Dominique Dupuy, une femme talentueuse et compétente, qui s’est laissée manipuler pour ne pas dire piéger par Garry Conille depuis sa nomination à la tête de la Chancellerie et surtout de ce qui s’était passé à New York lors de la 79e Assemblée générale annuelle de l’organisation des Nations-Unies en septembre dernier. Il faut avoir le courage de dire que le traitement accordé aux deux Conseillers-Président, notamment à Leslie Voltaire par le Premier ministre Conille et la ministre Dupuy qui ne faisait qu’exécuter les ordres, était insupportable et inadmissible pour des dirigeants occupant le poste le plus élevé de la République.

Personne ne nous fera croire que madame Dominique Dupuy avait agi de la sorte de son propre chef, bien qu’en tant que chef de la diplomatie haïtienne, elle a sa part de responsabilité dans le traitement qui a été fait aux deux membres du CPT : le Président en exercice à ce moment, Edgard Leblanc Fils et celui qui n’était pas encore son successeur, Leslie Voltaire. Certes, il y avait déjà des étincelles dans l’air. Mais, il faut reconnaître que c’est à la suite de cet épisode que la tension était montée d’un cran suivi d’autres comportements, déclarations et de cas de refus d’obtempérer ou d’obéir que cela a abouti à ce clash final du vendredi 8 novembre 2024. On peut dire tout ce qu’on veut de Leslie Voltaire, de son adhésion à l’idéologie Lavalas, de sa fidélité à son mentor de Tabarre, de sa complicité avec les trois inculpés : Smith Augustin, Emmanuel Vertilaire et Louis Gérald Gilles dans l’affaire de la BNC, sur un plan, sur un plan seulement, personne ne peut lui reprocher d’être ni un lâche ni qu’il a pris Garry Conille et son gouvernement par surprise. On l’oublie peut-être, et certains avaient même rigolé quand il disait depuis New-York que des têtes vont tomber après ce qui s’était passé à la Délégation permanente du Brésil. Or, à ce moment, suivant le calendrier de l’Accord du 3 avril 2024, il n’était pas en position de décider du remplacement du locataire de la Primature ni même de la cheffe de la Chancellerie. Certainement, à son retour à Port-au-Prince, il s’est concerté avec les autres Conseillers Présidentiels et naturellement avec Edgard Leblanc Fils qui, le moins que l’on puisse dire, n’a marqué son passage à la tête du CPT par aucun acte ou action que l’histoire retiendra, sinon que sa faiblesse devant le Premier ministre Garry Conille, son indécision face aux trois Conseillers impliqués dans l’affaire de la corruption de la BNC et son immobilisme devant l’immense défi que doit accomplir cette instance inédite dans l’histoire politique d’Haïti.

Par la décision de procéder purement et simplement au renvoi du chef du gouvernement, ce qui correspond au limogeage de l’ensemble du gouvernement, suite au refus caractérisé du Premier ministre de procéder, en accord avec le CPT, à un remaniement ministériel pour harmoniser le pouvoir exécutif, Leslie Voltaire applique ce qu’on apprend en première année de science politique, la différence entre – Pouvoir et Autorité -. Ici il a fait preuve d’autorité sachant qu’il détient aussi le pouvoir. Tandis que Garry Conille ne dispose lui que du pouvoir face au CPT qui a l’autorité de le désigner et de le démettre en absence naturellement de la Constitution. D’ailleurs, par cet acte inattendu d’autorité, les Conseillers-Président ont apporté une certaine clarification entre les deux instances exécutives de la Transition : la présidence qui veille sur la bonne marche des institutions et l’Etat, en tout cas ce qui en reste, assurée par le CPT et la Primature assurant, elle, la gestion des affaires publiques à travers un cabinet ministériel sous l’autorité d’un Premier ministre.

Malheureusement, Garry Conille confondait les deux fonctions ou voulait s’emparer des deux. Leslie Voltaire voulait marquer le coup, ce qu’il a fait et c’est une bonne chose pour comprendre qui fait quoi et qui est responsable de quoi dans cette Transition. Une certaine cacophonie régnait au sein de l’État depuis l’arrivée de Garry Conille et du CPT. On ne savait pas très bien qui était la véritable autorité et qui devait conduire la Transition. Avec cette décision, maintenant le pays sait, comme on dit en Haïti, qui est le « Chef », qui est le patron. Cela devrait permettre une fluidité dans les décisions au plus haut sommet de l’État que ce soit pour coordonner la politique sécuritaire avec les différentes forces de sécurité : police nationale et l’armée d’Haïti, mais aussi la mise en place des organismes prévus dans les accords qui ont permis la création du CPT et la nomination d’un Premier ministre. Depuis la chute de Ariel Henry, Haïti ne parlait plus d’une seule voix sur le plan international, c’était préjudiciable pour le pays et très inconfortable même pour les partenaires qui ne savaient plus à qui s’adresser sur les requêtes venues de Port-au-Prince.

Bien entendu, rien ne dit que cela tiendra et que le CPT réussira son pari ni arrivera au terme de son mandat prévu au 7 février 2026. L’Épée de Damoclès qui est suspendu sur la tête de cette instance avec les trois Conseillers empêtrés dans l’affaire de corruption et qui ont permis tout de même à Leslie Voltaire de porter le coup fatal à Garry Conille, celui qui avait apporté le dossier à l’ULCC, dont ils juraient de faire la peau, demeure problématique pour toute réussite de la Transition. Si le nouveau Président du CPT a pu trancher dans le vif, il faut souligner que les trois Conseillers Présidents ont été pour beaucoup et sans eux cette opération « place nette » n’aurait pas été possible. Car, l’intérêt pour les « trois Frères » est de tout faire pour garder leurs privilèges et surtout de rester le plus longtemps possible à leur poste au sein d’un CPT qui perd tout son crédit tant que ces « trois larrons » conservent leurs prérogatives en tant que membres du CPT.

On l’a constaté, si personne non partisane n’a pleuré la chute de Garry Conille ni à l’étranger ni en Haïti, en revanche, le fait que Leslie Voltaire ait eu l’accord de ces inculpés pour agir a soulevé quelques critiques de la part de certains pour dire que le CPT cherche, à travers cette mise à pied, à protéger les trois Conseillers sous le coup d’une inculpation pour corruption. Bref, le départ du Premier ministre de la Primature pourrait être un coup d’épée dans l’eau dans la mesure où l’écartement de Conille risque de ne rien apporter de nouveau. Les slogans « tous coupables », « tous voleurs » n’ont jamais été si populaires depuis la révocation de celui qui rêvait peut-être de jouer un grand rôle dans la résolution de la crise sociopolitique haïtienne depuis ces cinquante dernières années.

Dr Garry Conille est parti sous le chapeau de roue comme il était arrivé d’ailleurs : sous une pluie de projectiles des groupes armés rendant l’aéroport Toussaint Louverture impraticable avec sa fermeture jusqu’à nouvel ordre après que deux aéronefs de deux compagnies américaines ont été touchés, sans oublier le lancement d’un nouvel épisode de « pays lock » comme pour le départ de son prédécesseur Dr Ariel Henry en février 2024. Il laisse derrière lui Haïti au même point qu’il l’avait trouvé sinon pire puisque les gangs ont augmenté considérablement leurs acquis par de nouvelles conquêtes. En clair, la République a perdu de nouveaux territoires. Que de temps perdu !

C.C

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