Vraie fausse reprise de dialogue entre Accord de Montana et Ariel Henry !

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Magali Comeau Denis et Ariel Henry

Au moment où personne ne s’y attendait, une rencontre « surprise » a eu lieu le mercredi 11 mai 2022 entre deux membres influents de la Transition s’agissant du Premier ministre a.i, Ariel Henry, et Magali Comeau Denis de l’Accord de Montana. La République tout entière croyait qu’enfin les dirigeants politiques de ce pays devenaient raisonnables. Devant la gravité de la situation sociopolitique depuis l’assassinat du Président Jovenel Moïse, il était temps que les différents protagonistes de la Transition reprennent langue, histoire de statuer sur le devenir du pays qui, comme l’a qualifié l’ex-Président dominicain, Leonel Fernandez : « Haïti n’est plus un Etat failli, mais un pays en dislocation compte tenu qu’il n’existe aucune autorité ni dirigeant. » Trois mois déjà depuis que le contact était interrompu entre la Primature et Montana. Trois mois déjà qu’ils ne s’étaient plus rencontrés après la brouille et le malentendu qui s’étaient transformés en psychodrame.

Le Premier ministre Ariel Henry, chef de l’Accord du 11 septembre, s’était retranché dans un mutisme donnant diverses interprétations vu que le pays continue de sombrer de plus en plus dans une sorte d’anarchie sociale où seuls les gangs font la loi. Malgré l’effort apparent du Directeur général a. i de la police nationale, Frantz Elbé, pour contrecarrer les bandes armées qui font du kidnapping un acte ordinaire dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, la situation demeure plus qu’inquiétante. Mêmes les hôpitaux sont obligés, en guise de protestation et contestation, de fermer leurs portes face à la recrudescence des cas d’enlèvement de médecins. Or, devant ces actes d’extrême gravité, le chef de la Transition garde un silence donnant à penser qu’il a jeté l’éponge. L’annonce donc d’une reprise de dialogue avec ses adversaires avait suscité l’espoir et prenait tout son sens, ce qui est logique. Quant aux signataires de l’Accord du 30 août, eux aussi, pensait-on, avaient vu la nécessité de se rapprocher de celui qui détient, qu’on le veuille ou non, la totalité des pouvoirs de décisions politiques et institutionnelles en Haïti depuis pratiquement une année.

Depuis leur spectaculaire montée des marches sous les projecteurs avec « l’élection » de deux personnalités devant diriger la Transition de rupture : Fritz Alphonse Jean (Président) et Stevens Benoit (Premier ministre), silencieux et parfois brouillon, tout le monde ou presque avait oublié cette entité et ses deux « élus » qui eux non plus n’avaient plus fait parler d’eux. Disparus des débats, les signataires de Montana et leurs élus avaient laissé le champ libre au pouvoir de facto qui, malheureusement, faute d’avoir des solutions à proposer au drame que traverse le pays, s’était contenté de faire le mort. Même la guerre des gangs du nord de la capitale et le blocage de la commune de la Croix-des-Bouquets durant plusieurs semaines n’avaient pas plus bousculé les habitudes des autorités et principalement leur chef, Ariel Henry, préférant envoyer ses sympathies au gouvernement cubain suite à l’explosion d’un hôtel en plein centre de la Havane faisant des dizaines de victimes. Certes, ce geste de solidarité à l’égard d’un peuple frère est à considérer et même souhaité.

Mais, il faut reconnaître que le Premier ministre a.i avait manqué à ses devoirs de solidarité nationale envers ses propres compatriotes pris entre deux feux dans la plaine du Cul-de-Sac en gardant le silence devant les tueries qui ont eu lieu à quelques encablures de la capitale. D’ailleurs, selon certains, c’est peut-être pour réparer cet oubli ou erreur qu’il avait pris lui-même l’initiative d’appeler Magali Comeau Denis, l’une des dirigeantes de l’Accord du 30 août, pour voir de quelle façon ils pourraient reprendre les négociations politiques sur la crise post-Jovenel Moïse. Ainsi, trois mois après le double échec des pourparlers, le pays avait appris par surprise que le locataire de la Villa d’Accueil s’était entretenu durant plus de trois heures d’horloge avec Magali Comeau Denis, dans la nuit du mercredi 11 mai 2022. Très peu de gens et de membres de l’Accord étaient au courant de cette rencontre surprise entre le chef du gouvernement et une responsable dudit Accord.

Cette rencontre devait en quelque sorte servir à préparer les modalités pour une seconde vraie discussion sur la Transition. Dès le lendemain jeudi 12 mai, l’un des porte-paroles de l’Accord du 30 août, Jacques Ted St-Dic, a vendu la mèche sur radio magik9 en déclarant : « Le Dr Ariel Henry a jugé nécessaire de rencontrer un membre du Bureau de Suivi de l’Accord de Montana, Mme Magali Comeau Denis. Il avait sollicité la rencontre et Mme Denis l’a reçu chez elle. La conversation a duré près de trois heures. C’était une conversation pour la reprise formelle des contacts en vue de discuter. C’était un déblayage de la situation, une compréhension commune de la réalité et ce qui peut être fait.» D’après Jacques Ted St-Dic qui lui était dans la confidence, cette rencontre uniquement entre le Premier ministre et Magali Comeau Denis a été décidée d’un commun accord et tout s’est passé dans la résidence de madame Comeau Denis. Dans la foulée, le porte-parole de l’Accord de Montana et membre du Bureau de Suivi de l’Accord (BSA) avait annoncé une seconde rencontre, toujours en tête-à-tête, entre les deux responsables.

Elle devait se dérouler dans une semaine exactement, soit le dimanche 15 mai 2022, cette fois pour fixer les modalités de la reprise proprement dite des négociations entre l’Accord dite de Musseau et celui de Montana. Mais, on sentait que cette rencontre quasi intime chez Magali Comeau Denis n’allait pas laisser de grands souvenirs dans les mémoires, bien qu’il ait été annoncé qu’une autre rencontre devait être programmée dans moins de huit jours avec les deux protagonistes. En effet, toujours sur radio Magik9 ce jeudi 12 mai, quand on demandait à Ted St-Dic s’il y a des conditions pour une reprise effective des pourparlers, lui qui est aussi membre du Bureau de Suivi de l’Accord (BSA) de Montana, laissait entendre que pour qu’il y ait de négociations, il faut que : « Les principes d’éthique et de moralité que nous autres de l’Accord de Montana nous prônons dans la vie politique demandent à chaque partenaire politique qui dirige le pays ou qui aspire à diriger le pays de clarifier les questions de justice. C’est nécessaire (… ).» Cette petite phrase était passée inaperçue tant certains se réjouissaient de cette soi-disant relance de négociations.

Or, cette affaire de la justice est depuis le premier jour de l’échec des pourparlers de la Primature le nœud du problème entre Ariel Henry dont le nom apparaît dans le dossier de l’assassinat du Président Jovenel Moïse pour ses liens étroits avec un des suspects numéro Un du dossier, Joseph Felix Badio. Depuis toujours, et cela fait partie des conditions posées par les signataires du 30 août, le Premier ministre a.i doit clarifier sa situation auprès de la justice avant toute reprise de négociation. Certains observateurs qui suivent le déroulement de la Transition étaient prudents et sceptiques quand ils avaient entendu Ted St-Dic évoquer cette probabilité pour toute reprise de dialogue avec le chef du pouvoir exécutif. Tout le monde, Jacques Ted St-Dic en premier, sait pertinemment que Ariel Henry a toujours refusé de s’exprimer sur la question devant les juges en charge du dossier de l’assassinat. En remettant sur le tapis cette histoire de justice comme l’une des conditions pour que le dialogue soit repris entre les deux parties, c’était tout simplement signer un énième échec dans la tentative de reprise du dialogue.

Pourtant, malgré ce mauvais signal envoyé à la Primature, non seulement Magali Comeau Denis avait maintenu sur son agenda la date de la seconde rencontre, toujours chez elle, mais curieusement Ariel Henry tenait lui aussi à faire une dernière tentative afin de voir s’il pouvait déminer un peu plus le terrain. Sur les conseils des membres influents de l’Accord du 11 septembre, Ariel Henry s’est bien rendu une nouvelle fois, toujours dans le plus grand secret, à la résidence de la Dame en noire, à savoir l’influente signataire de l’Accord de Montana qui, selon certains, était en fait, en Mission spéciale pour une branche de la Communauté internationale. Alors même que le Core Group, embarrassé avec son soldat Ariel, cherche par tous les moyens à le sortir du pétrin. Après l’échec, on peut le dire sans risque de se tromper, de la tentative de monter un Comité de médiation, dont la mission aurait été de convaincre l’ensemble des acteurs de s’asseoir ensemble, certains commençaient à se poser des questions.

Quand d’autres observateurs soupçonnent ces initiatives croisées de Ariel Henry et de Magali Comeau Denis d’être influencées par le Core Group qui tente de travailler au corps, individuellement, certains membres très influents des deux Accords, sans surprise donc, le dimanche 15 mai 2022, la rencontre entre les deux parties, tout au moins entre Ariel Henry et Magali Comeau Denis, a bel et bien eu lieu comme prévu. Durant cette fameuse rencontre dont on ne connaît pas les teneurs, on avait appris néanmoins qu’un document contenant les modalités et la marche à suivre en vue de la reprise des négociations avait bien été remis au leader de l’Accord de Musseau. A charge pour lui et son équipe de modifier les points qui leur semble non négociables ou tout simplement d’accepter telles quelles les propositions de Montana. Parmi ces points proposés, on relève : les lieux de rencontres ; la durée des négociations ; la composition des deux délégations ; l’agenda des négociations ; la présence d’éventuels observateurs ; et il ne devrait plus avoir de rencontres privées chez Magali Comeau Denis de même qu’il ne devrait pas avoir de rencontres à la résidence officielle du Premier ministre. Bref, toute une panoplie de propositions à laquelle le chef du gouvernement devrait se soumettre ou apporter quelques ajouts.

C’était prévu aussi que les signataires de l’Accord du 30 août se donnent une quinzaine de jours pour trouver un consensus entre eux afin de poursuivre le processus du dialogue avec leur interlocuteur. « Selon le calendrier proposé, on se donne 15 jours pour arriver à un accord. Nous sommes prêts, nous attendons le signal de Monsieur Ariel Henry » disait Jacques Ted St-Dic le 16 mai, au lendemain de la deuxième rencontre en tête à tête entre Ariel Henry et la représentante de l’Accord du 30 août. Sauf que depuis, la montagne n’a accouché que d’une souris. Ariel Henry n’a pas accepté les conditions de ses interlocuteurs et les signataires de Montana se résolvent à constater une nouvelle fois l’échec d’un dialogue n’ayant jamais existé entre les deux parties. Les deux tête-à-tête se sont soldés encore par un dialogue de sourds puisque les contrepropositions que la Primature a envoyées aux membres du Bureau de Suivi de l’Accord (BSA) sont en exactes oppositions avec celles proposées par celui-ci. Un feuilleton qu’on continuera à suivre forcément.

C.C

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