Voyage au cœur de la mobilisation anti-Ariel Henry !

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Dans la capitale, c’est au carrefour de l’aéroport, sous le viaduc ou carrefour Nazon qu’on appelle aussi Kafou rezistans, que les contestataires se donnent rendez-vous…

(Première partie)

Le chef de la Transition, Ariel Henry, est en Guyana, pour la 46e Session ordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté caribéenne (CARICOM) qui se tient du 25 au 28 février 2024. Puis, il devait se rendre, à en croire un Communiqué de la Primature, à Nairobi, Kenya pour signer l’accord autorisant ce pays et quelques autres Etats du continent africain à se déployer en Haïti dans le cadre de la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité en Haïti (MMSS). Pour lui, tout est sous contrôle. Sous contrôle ! Pas si sûr. En effet, compte tenu de ce qui s’est passé les lundi 5, mardi 6 et mercredi 7 février 2024 en Haïti, notamment à Hinche, au Cap-Haïtien, à Ouanaminthe, à Miragoâne, à Jérémie, aux Gonaïves, aux Cayes, à Petit-Goâve, à Mirebalais, sans compter à Port-au-Prince et Pétion-Ville, il est incontestable que le pouvoir ne contrôle pas vraiment le pays.

Ariel Henry, peut toujours arguer qu’il n’a pas quitté le pouvoir le 7 février comme le lui ont demandé les oppositions et une large partie de la population. Néanmoins, l’évidence est là, il n’a plus d’autorité sur personne, peut-être seulement sur ses forces de police qui tuent pour lui et brutalisent des enfants des rues. On le sait tous, depuis plusieurs semaines, un Communiqué publié dans le journal officiel Le Moniteur le mardi 23 janvier 2024, mettait en hors la loi la structure dénommée BSAP (Brigade de Sécurité des Aires Protégées) qui est le bras armé de l’ANAP (Agence Nationale des Aires Protégées), un organisme public autonome du Ministère de l’Environnement. Ce communiqué fait injonction aux agents de la BSAP non seulement de déposer les armes, mais aussi de demeurer confiner dans leurs bases ou casernes jusqu’à nouvel ordre. Or, comme nous l’avons déjà écrit, depuis le limogeage du Directeur général de l’ANAP, Jeantel Joseph, patron de la BSAP, c’est comme si le régime intérimaire avait activé un nouveau front contre sa présence à la tête du pays.

En effet, après que l’ancien chef rebelle Guy Philippe, tout frais expulsé des Etats-Unis où il a purgé une peine de six années de prison pour trafic de drogue, ait lancé le soulèvement général contre le gouvernement, précédé des appels de l’opposition qui réclamait la démission du Premier ministre Ariel Henry, ce sont les agents de la Brigade de Sécurité des Aires Protégées qui rentrent dans la danse pour réponde au mot d’ordre de la population qui veut coute que coûte renverser le régime. En réalité, cela fait déjà plus d’un mois que le pays se retrouve sens dessus dessous. Pas une grande ville haïtienne n’est épargnée par le mouvement de contestation dont l’objectif est le départ d’Ariel Henry cumulant le poste de chef de gouvernement, de ministre de l’Intérieur, de Président de la République, de Président du CSPN, etc. Mais, dans cette situation de révolte, il y a des régions qui sont plus touchées que d’autres. Le Grand Sud et le Grand Nord sont les noyaux durs de la contestation.

La ville de Jérémie, bastion des partisans de Guy Philippe où plusieurs journalistes, notamment, Wadson Pierre Richard, Wilborde Ymozan, Lemy Brutus, Stanley Belford, Samuel Auguste, Schneider Paulson ont été victimes de brutalité policière. Les habitants de la Cité d’Alexandre Dumas paient depuis le début de cette contestation, un très lourd tribut. La ville des Cayes où l’ex-Commissaire de police compte énormément de sympathisants demeure elle aussi sur les barricades depuis plus d’un mois. Le 7 février 2024, les partisans de EDE et de la plateforme Pitit Dessalines avaient envahi les rues de la ville avec des pancartes demandant le départ du Premier ministre. Le grand boulevard des Quatre-chemins a été le théâtre d’un drame, un jeune manifestant a été poignardé au cours de la manifestation et l’UDMO a fait usage de manière exagérée de gaz lacrymogène. La veille, il y a eu plusieurs blessés par balle suite à des tirs nourris des agents de l’UDMO. Rappelons que c’est dans cette ville que le militant et activiste politique Myrthil Marcelin dit Arab a été arrêté le 12 février 2024 par les agents de sécurité du Délégué du département.

Manifestation à Jérémie

Ces deux métropoles – Jérémie et Les Cayes – ne cessent d’alimenter le mouvement initié par Guy Philippe depuis son retour au pays. Mais, il y a aussi le département des Nippes, plus précisément, la ville de Miragoâne, le fief du Commissaire du gouvernement (Procureur) Ernest Muscadin, rebelle aux yeux des autorités de Port-au-Prince qui n’apprécient guère sa manière de faire justice à l’encontre des gangs. Or, il a acquis auprès des Haïtiens la réputation d’être un incorruptible. De ce fait, c’est sans effort que la population de l’agglomération Miragoânaise a adhéré au mouvement de contestation engagé contre le pouvoir. Ainsi, il ne se passe pas un jour sans que cette ville ne se transforme en tribunal populaire et contestataire pour réclamer la démission du Premier ministre et ses alliés. La journée du lundi 29 janvier 2024 a été particulièrement mouvementée. Les écoles et les commerces ont été paralysés. Le Port de Miragoâne, l’un des plus actifs du pays, ne fonctionnait qu’au ralenti, tandis que les portes des établissements bancaires et autres administrations publiques et privées sont restées fermées.

La population était plus que motivée le 7 février 2024. Plusieurs milliers de manifestants ont parcouru les artères de la ville jusqu’au carrefour Desruisseaux aux cris de « Si Ariel pa ale, nap mete dife » et « Ti rès la se pou pèp la ». Les agents de la BSAP, eux aussi, avaient pris la rue comme ils le faisaient depuis des semaines. Venus de Chalon, ils ont clôturé leur manifestation du côté de Gros-Trou, sans entrer dans le centre-ville de Miragoâne à la grande déception des manifestants qui voulaient s’y rendre et entendaient porter leurs revendications devant la Délégation (Préfecture). Signalons qu’aucune institution publique et privée n’a pu fonctionner dans les Nippes. Surtout les locaux de l’ONA qui ont subi une attaque de la part des contestataires. Enfin, ce même 7 février 2024, une Conférence de presse avait été organisée par le parti EDE de l’ancien ministre des Affaires Etrangères, Claude Joseph, avec des proches de l’ancien sénateur Guy Philippe.

Arrestation du militant et activiste politique Myrthil Marcelin dit Arab

En remontant vers la capitale, les choses ne sont pas mieux. La ville de Petit-Goâve, dans la région des Palmes servant de passerelle entre l’Ouest et le Sud, devient, depuis des années déjà, le marqueur selon lequel les observateurs prennent l’ampleur d’une contestation sociopolitique contre le pouvoir de Port-au-Prince. Ainsi, la ville de Faustin Soulouque a su garder sa réputation de ville contestataire devant les villes des Gonaïves et de Saint Marc dans l’Artibonite. A Petit-Goâve, le Palais de justice et la Mairie sont incendiés, tandis que la population procède à la fermeture de la route nationale N° 2, l’unique voie d’accès conduisant vers trois départements, notamment, la Grand’Anse. Réputée pour être une des villes les plus dures en terme de mobilisation anti-gouvernementale, Petit-Goâve est et demeure l’un des fers de lance du mouvement de Guy Philippe où, d’ailleurs, le tombeur de Jean-Bertrand Aristide a proclamé le premier son intention de vouloir conduire une révolution pour mettre à bas le « système » quasi féodal qui gouverne la République depuis sa fondation. A quelques kilomètres de là, on rentre dans la ville de Grand-Goâve.

Plus timide que sa grande sœur, Grand-Goâve est pourtant sur le pied de guerre. Là aussi les barricades sont légion. C’est difficilement qu’on arrive à traverser la ville après des négociations avec les émeutiers dont les revendications ne sont pas différentes que celles du reste du pays : la démission du chef de la Transition, Ariel Henry. Enfin, la ville de Léogâne pointe son nez, c’est la grande banlieue au Sud de Port-au-Prince. Elle aussi, depuis quelques décennies, s’illustre dans les manifestations anti-gouvernementales. Léogâne a été entre 2018 et 2021 l’une des villes-clés pour l’opposition anti-Jovenel Moïse. Elle a accueilli plusieurs Congrès, rencontres et autres activités de l’opposition durant toute la présidence de Jovenel Moïse. L’on se souvient de ce grand rassemblement durant lequel on a vu certains participants armés de machettes, de coutelas et autres armes blanches se disant prêts à en découdre avec le pouvoir si le Président n’abandonnait pas le Palais national avant le 7 février 2021. En refusant d’obtempérer, bien que son mandat constitutionnel courrait jusqu’au 7 février 2022, le chef de l’Etat l’a payé de sa vie.

Sous Ariel Henry, Premier ministre de fait, Léogâne a repris du service, certes, moins guerrière mais non moins active dans la lutte pour le renversement du chef de la Transition. Si les leaders de l’opposition n’ont rien organisé de conséquent pour le moment dans la Cité de la reine Anacaona, n’empêche que plusieurs manifestations ont déjà eu lieu dans cette ville si proche mais si loin de la capitale. De Léogâne à Port-au-Prince, il n’y a qu’une grande ligne droite en traversant Carrefour, la ville de feu Eric Jean-Baptiste de Père Eternel Loto, Secrétaire général du RDNP, victime de l’insécurité, assassiné par un gang sous le contrôle, dit-on, d’un chef de l’ex-opposition aujourd’hui au pouvoir. Mais, pour y arriver, il faut s’armer de patience et surtout de courage. Cardiaque s’abstenir ! Et pour cause. Il y a le fameux Rond-point de Mariani, occupé depuis peu par des gangs qui rivalisent d’efforts et de stratégies pour s’approprier plus de territoires que le gouvernement leur livre ou tout au moins abandonne. Ce sont ces fameux « Territoires perdus » de la République auxquels la ministre de la justice, Émmelie Prophète-Milcé, faisait allusion.

Dans ce nœud stratégique, trois solutions s’offrent aux automobilistes et voyageurs : (1) s’acquitter d’un droit de passage aux gangs contrôlant ce territoire, (2) se faire exécuter sur le champ pour refus d’obtempérer, (3) tenter un passage en force avec la garantie de se faire tuer quelques mètres plus loin pour  désobéissance aux lois de ces malfaiteurs. En quittant ce poste de péage géré par les criminels, après les formalités requises, l’on pénètre à Carrefour, banlieue autrefois paisible. Aujourd’hui, devant l’indifférence des autorités centrales au sort de la population, celle-ci aussi monte au créneau et réclame la démission du régime de Transition. Au moment même où on manifeste contre l’insécurité et la vie chère, le départ du Premier ministre vient se greffer dans les revendications. A Carrefour, en effet, il devient difficile, voire risquer de s’aventurer dans le rare, très rare transport collectif faisant le trajet Carrefour/Centre-Ville de Port-au-Prince ou même jusqu’à Portail Léogâne.

Si en risquant sa vie on y parvient péniblement, l’on est vite rattrapé par le mouvement de contestation qui traverse le pays depuis plus d’un mois. Port-au-Prince, cette mégalopole qui a hiberné durant deux ans se réveille brutalement aux cris et aux appels des anciens et nouveaux leaders de l’opposition. Il y a ceux qui ont rejoint dès le premier jour Ariel Henry à la publication du fameux Tweet du Core Group le nommant ou confirmant Premier ministre en lieu et place de Claude Joseph. Ensuite, ceux donnant suite aux divers Accords, notamment, – Musseau et 21 décembre 2022 – qui ont intégré le régime de Transition. Si depuis, des historiques à l’instar de Me André Michel, Marjorie Michel, du SDP, la Fusion de Edmonde Supplice Beauzile, d’INITE et une branche de PHTK, gardent leur soutien au Premier ministre, tel n’est pas le cas pour d’autres. Jean-Charles Moïse de Pitit Dessalines, Liné Balthazar de PHTK ont pris leur distance et comptent bien montrer la sortie de la Primature à un Ariel Henry s’accrochant au pouvoir comme s’il avait reçu un mandat qu’il compte bien défendre à l’exemple de ses prédécesseurs.

Dans la capitale, c’est au carrefour de l’aéroport, sous le viaduc ou carrefour Nazon qu’on appelle aussi Kafou rezistans, que les contestataires se donnent rendez-vous à chaque fois qu’ils comptent se mobiliser contre les gouvernements en place. Depuis que les chefs de l’opposition, quasiment tous, ont fait du 7 février 2024 la date à laquelle Ariel Henry devait quitter le pouvoir, ce lieu symbolique ne désemplit pas. Ce carrefour est un nœud névralgique de Delmas et de Port-au-Prince même en cette période d’insécurité galopante où les gangs ne sont pas loin. Ce quartier de Delmas 17 est animé quasiment en continu de jour comme de nuit. Alors, jour après jour, semaine après semaine, les rassemblements anti-gouvernementaux se succèdent et ne faiblissent point. Partis de carrefour Nazon, les manifestants prennent la direction de Pétion-Ville. Parfois, arrivés à la jonction de Delmas 60, selon l’itinéraire choisi ou autorisé, ils prennent soit la direction de Delmas 60 pour arriver devant la Villa d’Accueil à Musseau où siège désormais la Primature et ensuite la route de Bourdon pour se rendre au Champ de Mars dans les parages du Palais national.

Ou alors, soit de la route de Delmas, ils poursuivent jusqu’au centre de Pétion-Ville avant de faire demi-tour en passant par l’avenue Panaméricaine ou la route de Bourdon jusqu’au Centre-Ville de Port-au-Prince avec forcément une escale devant les bureaux du Premier ministre à Musseau. La capitale, malgré l’insécurité, est le centre de la contestation où l’on enregistre le plus de dégâts matériels et de victimes. Car, les forces de l’ordre, en dépit de tout, continue d’assurer la protection des bâtiments administratifs et la sécurité des membres du gouvernement et des hauts fonctionnaires de l’Etat. (A suivre)

 

C.C

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