Voyage au cœur de la mobilisation anti-Ariel Henry (2)

(2ème partie)

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Il est indéniable, que les jours d’Ariel Henry sont comptés au pouvoir en Haïti. Au moment où nous écrivons la deuxième partie de cette chronique, mardi après-midi, personne ne sait où se trouve le Premier ministre.

Il n’est ni au Kenya ni aux Etats-Unis. La rumeur laissait entendre qu’il serait en France pour un soi-disant festival de Café. Mais personne ne le voit. Ce qui est certain, il n’est pas non plus en Haïti dans la mesure où les deux aéroports internationaux du pays  – Toussaint Louverture à Port-au-Prince et celui d’Hugo Chavez au Cap-Haïtien – sont surveillés comme le lait sur le feu  par la population pour empêcher l’avion qui le transporterait d’atterrir.

Même des aéroports régionaux comme Jacmel, Jérémie, et Cayes sont mis en état d’alerte par la population qui a décrété Ariel Henry « persona non grata » en Haïti. C’est dire que la mobilisation entamée il y a plus d’un mois contre le régime ne faiblit point. Comme sous la présidence de Martelly, Moïse et avant eux, Aristide, Port-au-Prince demeure le bastion de la contestation anti-Ariel Henry en même temps que la police n’hésite pas à faire un usage excessif de gaz lacrymogène, voire de tirs à balles réelles.

D’où les nombreuses victimes comptabilisées depuis le déclenchement du mouvement de contestation contre le pouvoir en place à l’exemple du journaliste Jean-Marc Jean qui a perdu un œil le 8 février 2024. Le lundi 5 février 2024, ce sont tous les quartiers de la capitale : Canapé-Vert, Solino, Bel-Air, Bourdon, Nazon, Champ de Mars, Lalue, Delmas, Delmas 32, etc. qui étaient en ébullition en faisant bruler des pneus un peu partout dans la ville en prévision du 7 février. Ce même 5 février, l’ancien Premier ministre, Claude Joseph, le chef du parti EDE (Les Engagés pour le Développement), était avec ses partisans dans les rues, notamment devant la Villa d’Accueil servant de Primature à Musseau, pour organiser un sit-in afin de demander le départ du chef de la Transition, Ariel Henry. Mais, la police qui semble avoir reçu des consignes de fermeté a été sans pitié.

Le soir même, les cadavres des 5 agents ont été inhumés dans une fosse commune après l’autorisation du Commissaire du gouvernement

Elle n’a épargné personne. Elle est  intervenue avant même que les contestataires aient eu le temps de déployer leurs banderoles. Elle faisait usage de gaz lacrymogène et tirait de partout sur les manifestants qui ont été dispersés après que l’ex-Chancelier, Claude Joseph, ait été copieusement arrosé de gaz. Idem pour le chef du parti Pitit Dessalines, Jean-Charles Moïse, le dimanche 4 et lundi 5 février. L’ancien Maire de Milot a failli laisser sa peau lors de la manifestation du lundi 5 février 2024 à Delmas et aux alentours de la Primature à Musseau. Pris sous les feux nourris de la police et des civils armés sur le parcours de la manifestation sur la Route de Delmas en direction de Pétion-Ville, l’ancien sénateur n’a eu la vie sauve que grâce à l’habileté et la vigilance de ses partisans qui l’ont vite exfiltré et conduit dans un ravin situé en contre-bas de la route où il a trouvé refuge chez les habitants de ce bidonville. Hagard et déstabilisé, le leader politique est sorti choqué et n’a pas pu terminer le parcours de la manifestation tant la police du régime faisait une démonstration de force de son équipement anti-émeute alors que l’ex-candidat à la présidence d’Haïti et la population ne faisaient que manifester dans le calme à ce moment-là.

Il faut dire que les forces de l’ordre étaient sur les dents dans la mesure où on avait annoncé la venue de Guy Philippe à Port-au-Prince dans la perspective des grandes manifestations du 7 février 2024. Certes, toutes les villes de province étaient elles aussi en mouvement contre le gouvernement, notamment contre Ariel Henry. Il n’en reste pas moins, c’est une évidence, que la capitale leur a ravi la vedette le Jour-J, c’est-à-dire, le 7 février, journée à laquelle, d’après les oppositions, Ariel Henry était supposé quitter la Primature.

En effet, la semaine précédente, l’arrivée de Guy Philippe était annoncée dans la capitale. En vérité, c’est tout Port-au-Prince qui retenait son souffle. Le gouvernement se demandait comment réagir si le leader de la contestation arriverait à pénétrer l’environnement du pouvoir et prendrait la tête d’un cortège de contestataires en colère. C’était une fausse alerte.

La population a décrété Ariel Henry « persona non grata » en Haïti.

Guy Philippe, n’est pas là. Finalement, la population qui manifestait quotidiennement finit par s’en faire et s’apprêtait à se passer de la présence du chef rebelle. Certains dans la presse commençaient même à dire que l’enfant terrible de la République avait peur de venir se frotter à la police de Port-au-Prince. Le pouvoir se croit sorti d’affaires. Débarrassé de l’encombrant visiteur d’un jour. Sauf que ni les autorités ni les opposants au régime n’avaient compris qu’il s’agissait d’une stratégie de cet ancien élève de l’Académie militaire de Quito en Équateur pour arriver à Port-au-Prince sans se faire repérer par les forces de l’ordre. Surtout, Guy Philippe voulait faire de sa présence dans la capitale un événement politique et médiatique. Il voulait que ce soit le 7 février jour symbole s’il en est un pour marquer les esprits. Ainsi, il a mis au point une stratégie et le déroulé de sa venue à Port-au-Prince.

Sachant que le pouvoir fera tout pour l’empêcher de toucher le sol de la capitale, il va prendre tout le monde par surprise. Tout d’abord, il commence par réserver une place sur un vol Jérémie/P-au-P pour le 7 février 2024. Mais, comme il connaît le système et sait de quoi il est capable, dès lundi 5, en compagnie de quelques fidèles et de ses gardes du corps, il embarque incognito sur un petit bateau en direction de Port-au-Prince. Son voyage préparé dans les moindres détails, il a évité de prendre les grands navires faisant le trajet Jérémie/P-au-P où les agents du gouvernement auraient pu le reconnaître ou le découvrir et donner l’alerte. Sur ce frêle bateau, ils ont vogué durant toute la nuit pour être à l’aube à Port-au-Prince, le mardi 6 février. Arrivé dans la capitale, après quelques précautions d’usage, Guy Philippe va se faire remarquer sur les lieux du crime, à Pétion-Ville, où, près de 7 ans plus tôt, le sénateur de la Grand’Anse avait été appréhendé « kidnappé » par les agents de la DEA américaine et le BLTS haïtien sur accusation de complicité de trafic de drogue.

En effet, le mardi 6 février 2024 dans la matinée, pendant que des milliers de manifestants se préparaient à se lancer du carrefour de l’aéroport au bas Delmas, lieu de rassemblement habituel appelé Kafou rezistans, Guy Philippe paradait sur la Place Saint Pierre, à Pétion-Ville, serrant les mains des curieux et des passants qui ne revenaient pas de leur surprise. Immédiatement, la nouvelle de la présence de Guy Philippe à Pétion-Ville va faire le tour du monde sur les réseaux sociaux, notamment, dans le pays et à Port-au-Prince. Instantanément, des centaines de motards qui attentaient pour défiler à la manifestation ont pris la route vers Pétion-Ville, ce qui a semé une panique compréhensible dans la capitale et à Pétion-Ville. Mais, très vite, une folle rumeur va se rependre parmi les manifestants et à travers la République, notamment, dans la Cité : Guy Philippe est en ville ! Guy Philippe marche sur le Palais national ! Guy Philippe se rend à la Primature pour arrêter Ariel ! Tels étaient les cris entendus durant cet instant où tout paraissait figé.

Tandis qu’au même moment, les flots d’images d’un Guy Philippe souriant et calme sur les réseaux sociaux continuaient d’indisposer les membres du gouvernement dont certains, par précaution, se mettaient déjà à couvert, selon certaines sources proches du pouvoir. Pour être sûr que c’est bien de lui dont il s’agissait sur les vidéos qui circulaient dans les réseaux sociaux, le quotidien Le Nouvelliste, par éthique professionnelle, contacte l’ancien leader de la lutte armée de 2004, pour authentification.

Guy Philippe, confirme, en effet, qu’il est bien en chair et en os dans la capitale pour accompagner la population dans sa lutte contre le régime « J’avais promis à la population que je serai à Port-au-Prince avant le 7 février. Je n’ai jamais menti à mon peuple. Je suis là pour la manifestation du 7 février » déclare-t-il fièrement et rassuré. Ainsi, Guy Philippe a pu tenir parole en venant jusqu’à la capitale porter son crédo de révolution qu’il tente de vendre à la population depuis son expulsion des Etats-Unis. La présence du natif de Pestel à Port-au-Prince allait égayer et raviver les contestataires de tout le pays, notamment ceux de la région métropolitaine de Port-au-Prince qui ont fait une démonstration de force le mercredi 7 février 2024 mais sans Guy Philippe, pour raison de sécurité disait-il dans les médias le lendemain.

Partout à Delmas, à Pétion-Ville, la foule criait son ras-le-bol contre le gouvernement et particulièrement contre Ariel Henry et Me André Michel. Celui-ci semblait, à ce moment-là, se terrer dans une villa quelque part à Pétion-Ville ou à Debussy, voire dans un grand hôtel de la Place d’après certaines sources. Mais, c’est à Pétion-Ville justement qu’on allait déplorer plus de victimes. Et c’est le jour aussi où la Brigade de Sécurité des Aires Protégées (BSAP) compte les premiers morts dans ses rangs. Tout a commencé très tôt avec un contingent d’agents de cette structure d’Etat qui manifestait sur la route de Delmas et de Pétion-Ville accompagné des milliers de manifestants aux cris de « vive BSAP, abas la police » sur tout le parcours. Ce manège a duré une bonne partie de la journée. Sauf qu’au moment de rentrer dans leur base du côté de Kenscoff, sur la route de Thomassin, soudain la police nationale a décidé d’intervenir sans raison apparente.

Lorsque des UDMO, (policiers d’une unité spécialisée), ont sommé un Pick-up blanc portant les initiales BSAP et transportant un groupe d’agents de s’arrêter, ces derniers n’ont pas réagi et naïvement ont même crié : ne tirez pas, BSAP et la police sont frères. Mais, il semble que ces policiers n’étaient pas de cet avis. En une fraction de seconde, ils ont ouvert le feu tuant sous une pluie de projectiles, officiellement, 5 agents de la BSAP et ont mis aux arrêts 3 autres. Les victimes se nomment : Mackendy Veillard, Dorvil Jean Fontange, Zéphyrin Daniel, Clersain Thomas et Chrisner Désir. Une action qui a occasionné une panique générale dans la zone de Laboule 10, ce d’autant plus que Guy Philippe, selon ses propres déclarations dans la presse, dans un autre véhicule quelques mètres plus loin, suivait le cortège des agents BSAP qui ont été tués. Il dit assister à toute l’opération et que c’est lui qui était visé par cette attaque car le pouvoir avait des informations selon lesquelles il faisait partie du cortège. Ce sont les agents de l’UDMO de Pétion-Ville qui sont à l’origine de cette opération, sans doute orchestrée par le Président du CSPN qui n’est autre que le Premier ministre Ariel Henry et par le Directeur général de la PNH, Frantz Elbe.

Guy Philippe embarque incognito sur un petit bateau en direction de Port-au-Prince, évitant de prendre les grands navires faisant le trajet Jérémie/P-au-P où les agents du gouvernement auraient pu le découvrir et donner l’alerte.

Après ce carnage, la police a saisi le véhicule dans lequel ces agents de la BSAP protégeaient  dans la matinée la population qui manifestait contre le régime. Au cours de cette opération meurtrière, non seulement ce véhicule a été saisi mais une motocyclette appartenant également à la BSAP et transportant d’autres agents a fait l’objet de confiscation. Tous ces matériels ont été ramenés au Commissariat de Pétion-Ville sous les quolibets des manifestants en colère. Le soir même, les cadavres des 5 agents ont été inhumés dans une fosse commune après l’autorisation du Commissaire du gouvernement, après qu’il ait été informé par le Commissaire de police de Pétion-Ville que 5 bandits ont été tués dans des affrontements avec les forces de l’ordre, sans jamais faire mention qu’il s’agissait de cinq agents de la BSAP. Signalons que le lendemain, l’OPC (Office de Protection du Citoyen) a fait sortir une note de presse dans laquelle il dit réclamer une « Enquête approfondie sur les circonstances de la mort violente des cinq agents de la Brigade de Sécurité des Aires Protégées à Laboule 10 le mercredi 7 février 2024 dans des circonstances qui demeurent troublantes ».

On n’oublie pas non plus la prise de position de l’Association des Militaires d’Haïti (AMH) qui met en garde le gouvernement après cet incident durant lequel 5 agents BSAP ont perdu la vie. Selon une note de presse, l’association dit « (…) À titre de rappel, l’actuel Commandant en Chef des FAd’H, certains Officiers du Haut Commandement Militaire et tous les militaires démobilisés de la BSAP sont membres de l’Association Militaire d’Haïti. Quelques 500 membres non militaires de la BSAP ont été formés par l’AMH et cette liste a été acheminée au Grand Quartier General et au Ministère de la Défense pour leur éventuelle incorporation dans l’Armée. Un affrontement entre FADH et BSAP est un affrontement entre des frères d’armes de la même Association Militaire d’Haïti. 

 Ainsi, le Dr. Ariel Henry est invité à tout mettre sur la table, d’abord pour empêcher un affrontement fratricide à 2 niveaux entre BSAP et FADH, affrontement auquel il ne survivrait certainement pas, ensuite passer les instructions nécessaires pour que la BSAP soit transférée sans délai sous le commandement des FADH. (…) Enfin, l’Association Militaire invite tous les acteurs politiques au dépassement qui sied à leur statut d’élites et met en garde contre toute infiltration ou instrumentalisation de la BSAP dans des actions de provocation avec les FADH et la PNH (…) ». 

Enfin, il y a la déclaration du Syndicat national de la police nationale d’Haïti (SYNAPOHA) qui, par la voix de son Coordonnateur général, Lionel Lazarre, a appelé les policiers à la prudence et leur demande d’éviter la manipulation de la part des politiciens. Lionel Lazarre dit être conscient des vives critiques dont fait l’objet la police après l’attaque qui a causé la mort des 5 agents de la BSAP mais aussi d’autres victimes au sein de la population, notamment, près d’une dizaine de journalistes qui ne faisaient que leur travail. Prenant la parole le jeudi 8 février 2024 sur radio Magik9, le responsable syndical appelle les policiers à se ressaisir :

« Au niveau du Synapoha, nous sommes touchés par les critiques contre la PNH. Nous comprenons les préoccupations et les frustrations exprimées par la population par rapport à ce qui se dessine. Cependant, la PNH doit exercer sa fonction dans les limites de la loi. Les dérives doivent être corrigées. La PNH ne doit pas donner l’impression d’être efficace dans le contrôle des manifestations et faible dans d’autres domaines ou pire, donner l’impression qu’elle protège un pouvoir au lieu d’accompagner la population. Aujourd’hui, la PNH doit être au service de tous » a déclaré Lionel Lazarre, Coordonnateur du Syndicat national de la police nationale d’Haïti. Il faut dire que, durant cette journée, on a enregistré un nombre incalculable d’échauffourées entre la police et la population à travers le pays.

(A suivre)

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