Vous avez dit immondice…

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Deux à trois siècles plus tard, « l'immondice humaine » apparaissait sous une autre forme: la traite des Noirs.

« Certains jours, j’ai rêvé d’une gomme à effacer l’immondice humaine »
Louis Aragon

Oui, il a dit: immondice, et moi aussi j’ai dit: immondice. D’autant que je me sens de connivence, je me sens en harmonie, d’intelligence, en complicité avec le poète. Bien avant moi, il avait rêvé d’un moyen ingénieux, concret, simple, catégorique, positif, expéditif, définitif qui l’aiderait à débarrasser l’espèce humaine, au sens le plus moral, le plus humaniste du terme, d’immondices, de déchets, de fumier, d’ordures, de détritus, de margouillis qui, à titre individuel ou institutionnel, brident les aspirations de l’humanité à accéder à un palier d’authentique, fraternelle internationalité, de partage raisonnablement équitable des biens communs, de mieux se comprendre, de bien vivre, de mieux vivre.

Le poète devait sans doute penser à ce ramassis de richissimes familles de banquiers et d’industriels qui gouvernent la France, l’Europe, l’Amérique, les pays du tiers-monde dont l’argent et le pouvoir leur dégoulinent par les narines. Nous croyons que du même coup il faisait aussi allusion à ces femmes et hommes tout puissants des temps anciens qui avaient droit de vie et mort sur leurs sujets, au gré de leurs caprices, au gré de leur humeur du moment.

Tels les empereurs romains qui décidaient, du pouce, si un gladiateur vaincu, gisant au sol dans son sang, au terme d’un combat, devait être achevé ou non par le vainqueur. Or, la plupart de ces combattants étaient des prisonniers de guerre ou des esclaves dont la vie ne valait que pour participer dans les jeux d’amphithéâtre, à des fins de spectacles; se livrer à des duels funéraires devant les tombes des défunts pour les honorer; satisfaire les ambitions de nobles romains qui à l’occasion pouvaient transformer des enterrements en de véritables campagnes électorales.

Quelle gomme effacera jamais, et à jamais, le souvenir terrifiant des Croisades, ces expéditions militaires organisées par l’Église pour la délivrance de Jérusalem, ville sainte pour les chrétiens, qui était alors aux mains des musulmans. Elles étaient prêchées soit par le pape, soit par une autorité spirituelle, soit encore par un souverain comme Frédéric Barberousse, empereur d’Allemagne qui mourut noyé dans une rivière, en 1190, pendant la troisième croisade commencée en 1189. Avant même le départ des douze mille croisés sous la conduite de Pierre l’Ermite, lors de la première croisade, des bandes zélées s’acharnaient sur les Juifs de Rhénanie, soudain devenus des “assassins du Christ”. Ils  passèrent à l’infinitif quelque douze mille d’entre eux.

À leur arrivée en Terre sainte, les croisés se livrent à des pillages et à des violences (Louis Bréhier). C’est le cas lors de la prise de Maara, une ville importante sur la route menant à Damas. “Pendant trois jours, ils passèrent les gens au fil de l’épée”, rapporte l’historien arabe Ibn Al Athir. Plus terrifiant encore furent les actes de cannibalisme rapportés par deux chroniqueurs francs, Raoul de Caen et Albert d’Aix: “Les nôtres faisaient bouillir des païens adultes dans les marmites, ils fixaient les enfants sur des broches et les dévoraient grillés.”

On peut se rappeler qu’il y eut  plusieurs croisades. Elles donnèrent lieu à des succès et à des revers de part et d’autre, avec leur lot de pertes de vies humaines. Ainsi, lors de la deuxième croisade, les armées franques et germaniques réunirent plus de 200 000 croisés, en grande partie de pauvres hères “qui se sont croisés pour se faire pardonner leurs péchés et assurer leur salut dans la vie éternelle”.     Francs et Germaniques se brouillèrent éventuellement. Face à l’ennemi, ils fuirent, abandonnant les non-combattants qui se firent écraser au fur et à mesure. À ce moment de l’expédition, les trois quarts des effectifs partis d’Europe avaient péri. La neuvième et dernière croisade (1271-1272) fut menée par le prince Édouard d’Angleterre, futur Édouard Ier et n’aboutit à aucun succès pour les croisés.

Des centaines de milliers de vies ont été détruites par la faute d’individus ambitieux retranchés derrière des motivations religieuses, alors que finalement il s’agissait de conquérir de nouvelles terres, tisser des liens commerciaux durables avec le Levant, éliminer l’Empire byzantin, rival commercial des Vénitiens et des Génois, et s’approprier d’immenses richesses. En définitive, c’est la bourgeoisie occidentale qui a gagné les croisades. Peu importe qui allait gouverner Constantinople et peu importait les baratins des papes. À quoi bon tout ce sang versé, toutes ces souffrances horribles dont  “l’immondice humaine” franque a été responsable ?

Deux à trois siècles plus tard, “l’immondice humaine” apparaissait sous une autre forme: la traite des Noirs. Déportés, des Noirs africains étaient vendus comme esclaves dans les pays esclavagistes. Le commerce existait d’ailleurs dès le Moyen Âge avec les réseaux transsahariens dont les chargements étaient destinés à l’Afrique du Nord et au Moyen Orient. Au XVIème apparut un nouveau réseau destiné à l’Amérique : la traite transatlantique. À elle seule, cette dernière aurait été responsable de la déportation d’environ 11 millions d’Africains vers l’Amérique. On ne pouvait compter les souffrances physiques, atroces, et les humiliations, plurielles, tant pendant la traversée de l’Atlantique que durant les travaux éreintants imposés sur les plantations dans les Amériques et les Antilles.

Cinq siècles après la dernière croisade, “l’immondice humaine” allait se manifester à travers la fameuse “Guerre de Sept Ans” (1756-1763), conflit majeur intéressant, puisque les puissances de l’heure y étaient mêlées et elle se déroulait sur plusieurs continents et théâtres d’opérations, en Europe, en Amérique du Nord et en Inde. Elle tourna finalement à l’avantage de l’empire britannique et de la Prusse, et elle fit disparaître presque entièrement le premier espace colonial français. Et à quel prix? 500 000 à 800 000 civils tués, 990 000 à 1 300 000 morts au total. Sale “immondice humaine”!

L’immonde “bête humaine” mord encore à belles dents, fait couler le sang d’innocentes victimes et sème le deuil à profusion particulièrement dans les pays du Moyen-Orient.

Un grand saut à travers l’histoire nous mène à la Grande Guerre, la Première Guerre mondiale. L’année 1916 est celle des grandes offensives de Verdun et de la Somme qui se soldent par des milliers de morts, dans des conditions atroces, sans donner de résultats.  À  la faveur de la révolution d’octobre 1917, Lénine arrête la participation russe. Alors, en mars 1918, les Boches s’enhardissent. Ils bombardent Paris. Le général Foch redresse la situation, d’autant que les Américains sont arrivés et ont prêté main forte. C’est l’armistice le 11 novembre 1918.

Ce sont aussi 11 millions de morts pendant quatre ans d’un conflit généralisé, de nombreuses régions du nord de la France transformées en champs de ruines, les États européens entrant dans la paix avec des dettes énormes contractées pour l’essentiel avec les États-Unis. Ces derniers apparaissent comme les grands vainqueurs du conflit quoique leurs soldats n’y aient pris part que de façon marginale.

En définitive, l’historien Jacques R Pauwels a raison d’affirmer que la guerre de 1914-1918 est “la suite meurtrière de la lutte entre ceux d’en haut et ceux d’en bas commencée dès 1789”. L’auteur de 1914-1918: la grande guerre des classes, établit que les grandes puissances mondiales, ensemble d’«immondices humaines» voulaient depuis longtemps cette guerre pour s’approprier colonies et autres richesses et en profiter pour écraser une fois pour toutes les idées révolutionnaires qui gagnaient de plus en plus toute l’Europe, particulièrement celles qui firent triompher la révolution bolchevique d’octobre 1917.

Ah! Si seulement Aragon avait pu trouver cette gomme à effacer “l’immondice humaine”, la “bête humaine”, on n’aurait pas eu les atrocités de la Guerre d’Indochine, conflit armé qui s’est étendu de 1946 à 1954 en Indochine française avec l’aide matérielle et logistique des Américains. Elle opposa l’armée coloniale française au Vietminh, mouvement indépendantiste d’obédience communiste solidement structuré. Elle se solda par la défaite de la France après la débâcle de Dien Bien Phu. Au total, plus de 500 000 victimes et d’immenses souffrances à mettre sur le compte de la rapacité de “l’immondice humaine” à vouloir opprimer les “races inférieures” pour s’approprier leurs richesses.

Aragon est mort le 24 décembre 1982 sans avoir jamais vu son rêve se réaliser. Mais les hommes et femmes de progrès n’ont pas arrêté de rêver, car “l’immondice humaine” n’a jamais lâché prise. L’immonde “bête humaine” mord encore à belles dents, fait couler le sang d’innocentes victimes et sème le deuil à profusion particulièrement dans les pays du Moyen-Orient..

On l’a vu lors de l’invasion de l’Irak, en mars 2003, sous des prétextes mensongers, par la puissance états-unienne qui se voulait revancharde. La Coalition militaire en Irak chargée d’assurer le “bon fonctionnement” du pays après l’achèvement officiel des combats le 1er mai 2003 aura duré huit ans et neuf mois. Le bilan des pertes irakiennes est lourd: 162 000 personnes tuées, de mars 2003 au départ des derniers GI’s, selon un bilan par l’Iraq Body Count. En octobre 2006, la revue médicale The Lancet, pour sa part, estimait le nombre des décès irakiens imputables à la guerre à 655 000.

Et on ne pourra jamais passer sous silence, voire oublier les nombreuses, douloureuses et désastreuses retombées sociales et culturelles d’un immense gâchis créé par l’esprit de rapinerie, de piraterie, de filouterie, de flibusterie, de truanderie, de dappiyanperie, de brigandage, de la part de “l’immondice humaine” : centres historiques détruits par les bombardements ; pillages débridés dont celui du Musée national d’Irak; 10 000 femmes enlevées ou victimes de la traite pour l’esclavage, la prostitution ou la rançon, de 2003 à 2005, selon un rapport du Minority Rights Group International  ; 3 000 femmes yézidies vendues par l’État islamique; 14 000 femmes tuées lors du conflit. N’est-ce pas moralement immonde?

Comment ne pas mentionner les impacts psychologiques de la guerre d’Irak? Le magazine Raids, dans son numéro de janvier 2008, relaye une étude de The Journal of the American Medical Association relative aux conséquences psychiques ou psychologiques du conflit chez 88 235 soldats américains engagés dans la guerre entre 2005 et 2006,  dont la moitié était des réservistes.

Selon l’étude, les réservistes sont deux fois plus nombreux à manifester des troubles de Stress post-traumatique dans leur ménage ou leur activité professionnelle. Beaucoup de vétérans sont laissés à eux-mêmes une fois rendus à la vie civile. Il n’y a pas de véritable politique de suivi et d’assistance. 25% des sans-abri sont d’anciens militaires. N’empêche, “l’immondice humaine”, par la bouche tant des représentants du camp démocrate que ceux du camp républicain veut faire croire tout le contraire. Quelle cruauté, quelle méchanceté, quelle insensibilité, quelle inhumanité, quelle férocité, et quelle audacité chez l’immonde bête humaine.

Sous tous les cieux sévit “l’immondice humaine”. Chez nous, on l’a vu, en 2010, littéralement dans sa plus vile et vulgaire expression, avec un président qui nous a été largué en pleine nuit par une zobop de femme, lors d’une opération chanpwellarde qui privilégia l’immondicité sur la moralité, la probité, la dignité, l’honnêteté, l’honorabilité, la respectabilité. Sauf pour la vulgarité, “l’immondice humaine” a repris du service depuis février 2017 avec un individu inculpé gouvernant le pays depuis quelque neuf mois, entouré d’une meute de chen anraje qui s’emplissent les poches, encouragés dans le vice par un parlement largement composé de fripouilles et arnouilles, malfrats et scélérats, racailles et canailles, gredins et vauriens.

Comme vous avez bien parlé, cher Aragon! Comme vous l’avez bien exprimé! Vous nous avez laissé les yeux de la vérité, les mains de l’amitié. Et même si “le temps de rêver est bien court”, en votre nom, nous donnerons “un nom meilleur aux merveilles du jour”, nous inventerons “à nouveau le vent tape-joue / Le vent tapageur”. Aux “immondices humaines”, nous disons: “Vous ne perdez rien pour attendre / Il y aura des sinistres sur mer cette nuit”, cette nuit, et d’autres nuits, quand la foule impatiente gagnera les rues, armée de flambeaux pour “un éclairage à perte de vue” de la route qui mène à l’homme nouveau.

Sources d’information:

  1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Croisades
  2.   L’Histoire des Croisades. L’Internaute.
  3. 1756-1763. La guerre de Sept Ans. Herodote.net
  4. La Traite négrière Atlantique et l’Esclavage colonial http://memorial.nantes.fr/la-traite-negriere-atlantique-et-l-esclavage-colonial/ . Mémorial de l’abolition de l’esclavage.
  5. Dure, dure, la vie de vétérans américains, journalmetro.com
  6. https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27Indochine
  7. Louis Aragon. Poésie française.fr

26 novembre 2017

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