« Un ouvrier qui travaille pendant 8 heures pour moins que 5 dollars, c’est un esclave rémunéré »

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Des travailleurs haïtiens dans une usine d’assemblages à Port-au-Prince. Ils ne gagnent pas assez pour manger et payer leur loyer.

Depuis mi-janvier 2022, plusieurs milliers d’ouvriers et ouvrières manifestent dans les rues de Port-au-Prince pour exiger l’augmentation du salaire minimum à 1500 gourdes (14,56 dollars), des accompagnements sociaux et de meilleures conditions de travail dans les industries de sous-traitance dans lesquelles travaillent environ 57 mille personnes.

Après au moins quatre manifestations intenses, le Premier ministre de facto Dr Ariel Henry Ariel a décidé de faire passer leur salaire minimum de 500 gourdes (4,85 dollars) à 685 gourdes (6,65 dollars). Une décision qualifiée de provocation par les syndicalistes qui réclament 1 500 gourdes (14, 56 dollars).

Le dirigeant syndical Dominique St-Éloi du CNOHA lors d’une récente manifestation ouvrière à Port-au-Prince.
Photo: Milo Milfort

Ce qui a soulevé les colères des ouvriers qui ont organisé la semaine dernière deux grands mouvements de protestations soldés par la mort d’un photojournaliste et faisant plusieurs blessés. Ceci, à un moment où le pays fait face à une aggravation de la crise sociopolitique et économique des mois après l’assassinat crapuleux du président Jovenel Moise dans sa résidence privée dans les hauteurs de la capitale.

Des revendications légitimes 

« Vu avec les mobilisations pour exiger un ajustement du salaire minimum, l’État haïtien avec la complicité des patrons empêche qu’on augmente le salaire », a dit Dominique St-Eloi, coordonnateur du Central national des ouvriers haïtiens (CNOHA) qui dit mener un combat intense contre le système d’exploitation de la classe ouvrière en Haïti.

Après 3 années sans ajustement salarial, les prix des produits de première nécessité et celui des circuits de transport ont augmenté, rappelle-t-il. « Nous réclamons 1500 gourdes avec des accompagnements sociaux. Les patrons et les autorités traitent durement les ouvriers. Ils condamnent les ouvriers avec un salaire depuis des années, sans l’ajuster », a dénoncé St-Eloi, soutenant qu’actuellement, le taux d’inflation est de 24.6 %.

Selon Jean Eddy Lucien, professeur à l’Université d’État d’Haïti, quand on regarde le salaire des ouvriers, c’est une question « véritablement compliquée » par rapport à ce qu’ils reçoivent pour le travail qu’ils font. « Quand on considère le secteur textile en Haïti, les investisseurs viennent, c’est parce qu’ils sont certainement attirés par le salaire minimum », dit-il. Le chercheur prend en exemple, un ouvrier aux États-Unis qui gagne 15 dollars l’heure – pour 8 heures cela fait 120 dollars.

Alors que les Haïtiens reçoivent moins que 5 dollars l’heure. Si on fait la division, vous pouvez voir combien d’ouvriers haïtiens, ils peuvent payer avec le salaire d’une seule personne. « Un ouvrier qui travaille pendant 8 heures pour moins que 5 dollars (comme c’est le cas en Haïti) — c’est un esclave rémunéré. Le mouvement des ouvriers, c’est un autre réveil dans le mouvement social haïtien. Un milieu révolutionnaire », a déclaré Lucien, rappelant que la lutte des travailleurs c’est le moteur de l’histoire. « C’est eux qui peuvent changer l’histoire », assure le chercheur.

Travailler uniquement pour la nourriture 

« Un ouvrier ne peut pas vivre avec 685 gourdes que le Premier ministre Ariel Henry vient de donner aux ouvriers », soutient St-Eloi, détaillant de la sorte, le salaire de 500 gourdes des ouvriers et ouvrières : 200 gourdes pour le transport, 150 gourdes pour la nourriture et 100 gourdes pour le jus le matin. À midi, il mange beaucoup plus — donc achète un plat de nourriture coûtent entre 200 et 300 gourdes – ajouté à un jus de 100 gourdes.

« Il ne faut pas oublier que l’ouvrier habite une maison, dispose d’une famille et à des frais scolaires à payer chaque mois », souligne-t-il, révélant que des ouvriers souffrent de tuberculose et de ulcère d’estomac du fait de ne pas manger assez. « Des ouvriers résistent à ne pas manger le matin. Ils prennent uniquement un morceau de manioc ou uniquement un pain avec du beurre d’arachide avec lesquels ils passent toute la journée », a fait savoir le syndicaliste St-Eloi.

« Cela veut dire que l’ouvrier travaille uniquement pour pouvoir manger. Donc, il n’a pas de vie sociale ou vie culturelle », regrette Jean Eddy Lucien, historien et géographe. « Le milieu des travailleurs, c’est le milieu le plus révolutionnaire. Ils ne s’agissent pas seulement de revendications locales — mais qui dépassent également les frontières. Les capitalistes fonctionnent en réseau », a insisté le professeur très intéressé aux mouvements sociaux et luttes des classes en Haïti.

Répression de la lutte ouvrière en Haïti 

St-Eloi dénonce les actes de violences policières qui répriment avec balles réelles et gaz lacrymogènes les protestations des ouvriers et ouvrières. Il critique les patrons qui retiennent l’argent d’assurance sur les ouvriers, mais ne les paient pas aux compagnies et institutions. Ce qui privent les ouvriers de soins médicaux que leur cas nécessite la majorité des fois.  « Nous demandons à tout le monde d’apporter leur support aux ouvriers haïtiens qui mènent une bataille fondamentale. Un combat qui selon la Constitution leur donne le droit de manifester, afin de défendre leur droit et leur intérêt », a-t-il dit, qualifiant le mouvement de « bataille de classe ».

Jean Eddy Lucien, professeur des universités, rappelle que pour maximiser leur profit dans le secteur de la sous-traitance, les investisseurs exigent des conditions comme le bas salaire et le non-paiement des taxes. « Il faut qu’ils aient un pouvoir empêchant aux gens — s’ils se soulèvent — que la réaction soit rapide. Il faut qu’il y ait une police très répressive », dit-il, dénonçant une certaine presse au service des patrons qui essaient de créer de la confusion.

« Une des conditions, il faut qu’il ait la stabilité. Et cette stabilité passe par la répression ». C’est pour cela dans toutes les zones où il y a des capitaux étrangers investis, que ce soit à Caracol et le CODEVI ou à Port-au-Prince, vous voyez qu’il y a un contrôle des territoires par la police. « La police est plus répressive envers les ouvriers qu’avec tout autre groupe social », avance le professeur, rappelant qu’il n’existe pas une police en soi, mais plutôt une police qui est là pour défendre telle classe.

« Que ce soit le gouvernement, que ce soit la police, ils sont des instruments entre les mains de la bourgeoisie nationale et internationale », dit-il, affirmant que le gouvernement et la police prennent position pour les patrons. « Cette protestation permet aux mouvements sociaux qui étaient au ralenti de prendre son envol ».

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