Lors de la dernière visite de l’émissaire britannique, Jonathan Powell, venu en Haïti à titre d’Envoyé spécial officieux du Président américain, Joe Biden, dans la crise haïtienne, le leader du Parti Unir-Haïti, Clarens Renois, était de la partie, tandis que, bizarrement, la Présidente du HCT, Mirlande H. Manigat était, comme on l’a dit, ignorée par cet étrange personnage.
En tout cas, outre les signataires de l’Accord du 21 décembre, Clarens Renois a été reçu par le très discret Jonathan Powell qui chercherait, selon les informations circulant à Port-au-Prince depuis cette visite, à organiser une table ronde avec l’ensemble des acteurs et secteurs de la Transition soit à la fin du mois de mars, elle a été annulée depuis, soit au cours du mois d’avril 2023. Selon Clarens Renois « Jonathan Powell est un émissaire parallèle et dans l’ombre. Il travaille depuis longtemps sur le terrain. Il n’a pas une solution idéale. Il n’a rien proposé. Il cherche une solution consensuelle » après avoir annoncé qu’il « l’Avait déjà rencontré au cours de ses multiples périples à Port-au-Prince ».
Enfin, il y a eu un entretien mouvementé entre l’ex-opposant André Michel dont le parti SDP est aujourd’hui la principale force politique qui soutient le chef de la Transition et l’« Envoyé spécial » officieux de Washington. Me André Michel qui a toujours refusé que le gouvernement soit ouvert à d’autres Accords concurrents, s’était montré assez explicite et même cohérent pour dire non au britannique dont l’un des points de sa mission est plutôt de convaincre les acteurs à accepter une cohabitation avec le « Roi Henry » et si possible intégrer l’Accord de Karibe. Me André Michel qui disait dans un premier temps n’avoir jamais entendu parler de cet émissaire mystère avait fini par admettre qu’il l’a rencontré sans pourtant révéler la teneur de leur conversation. Selon une source de Le Nouvelliste, le chef du Parti SDP, au cours de la discussion, « a brandi un exemplaire de l’Accord du 21 décembre qui, selon lui, est largement suffisant et n’a pas besoin d’être élargi. Il avait fait les mêmes déclarations lors de la visite de la délégation de la CARICOM.
Il s’agit de l’état d’esprit des signataires de l’Accord du 21 décembre » conclut cette source anonyme du quotidien de la rue du Centre. Et justement, il semble que c’est ce même état d’esprit de ce groupe qui serait à l’origine du report du Sommet que Jonathan Powell devait organiser fin mars avec tous les acteurs de la crise.
En effet, annoncé plus ou moins publiquement, ce grand rassemblement devrait être la première grande manifestation publique de l’émissaire officieux de Joe Biden en Haïti. Prévue pour les 24, 25 et 26 mars 2023 dans la capitale haïtienne, cette table ronde devrait réunir tous ceux que Jonathan Powell avait déjà rencontrés lors de ses différents voyages très discrets à Port-au-Prince. Mais, au dernier moment, un des acteurs, sinon les principaux concernés, les signataires de l’Accord du 21 décembre et le Premier ministre Ariel Henry ont fait faux bond. Or, dans le cadre de ces négociations, honnêtement, rien de concret ne peut être conclu sans l’accord de l’équipe qui détient les clés de la Primature.
Selon les informations circulant à Port-au-Prince, après que ce Sommet soit envoyé sine die et que le report ait été rendu publique, il paraît qu’une fois de plus ce sont ceux qui montent la garde autour du Premier ministre de facto, Ariel Henry, qui ont dissuadé celui-ci de participer à cette rencontre et donc contraint l’Envoyé du Président Biden de l’annuler au dernier moment en attendant qu’il rencontre à nouveau le chef de la Transition pour lui expliquer le bienfondé de ce sommet. Sauf que, le problème pour Jonathan Powell, c’est que les signataires de l’Accord de Karibe, ont une peur bleue de toutes rencontres ayant pour objectif le partage du pouvoir. Dès le début de sa mission en Haïti, le britannique était confronté à l’intransigeance de l’un des plus durs des alliés d’Ariel Henry, Me André Michel, patron du Secteur Démocratique et Populaire (SDP). L’ex-avocat du peuple refuse d’entendre parler d’un quelconque partage de pouvoir.
Or, au sein du pouvoir d’Ariel Henry, Me André Michel tient une place prépondérante dans le dispositif. C’est grâce à lui que le chef du gouvernement peut dire qu’il n’y a pas vraiment une opposition sérieuse face à son gouvernement de Transition. André Michel, en s’installant en Coordonnateur impénitent des Accords favorables au pouvoir – Accord du 11 septembre 2021 et celui du 23 décembre 2022 -, peut se targuer d’être le « pygmalion » du chef de la Transition sans qui celui-ci ne pourrait tenir face aux oppositions, notamment, les signataires de l’Accord de Montana. Dans l’échec de ce Sommet que Jonathan Powell voulait organiser avec tous les protagonistes de la crise, l’on peut dire que Me André Michel demeure cohérent dans sa position dans la mesure où il n’a jamais souhaité s’asseoir vraiment avec les signataires de l’Accord du 30 août qui, faute de pouvoir renverser Ariel Henry, auraient aimé intégrer le pouvoir à un titre ou un autre. La vérité, c’est qu’André Michel ne le souhaite pas et il fera tout ce qu’il peut pour l’empêcher.
Pour le chef du SDP, seul compte aujourd’hui l’Accord du 21 décembre qu’il estime être la sphère autour de laquelle les autres doivent ou peuvent venir s’agglomérer s’ils le veulent ou s’ils le souhaitent. Plusieurs sources laissent entendre que c’est lui, André Michel, qui a fait obstacle au projet de Jonathan Powell. Presque tous les interlocuteurs de l’anglais soulignent l’influence du patron du SDP dans les entretiens ou discussions ayant eu lieu avec les différents envoyés spéciaux de la Maison Blanche dans sa recherche de consensus entre les protagonistes de la Transition. Pour expliquer ce premier échec de ce mystérieux émissaire de Joe Biden à Port-au-Prince, certains indiquent que « Le processus est bloqué parce que le gouvernement n’est pas trop enclin à y participer. Le régime Henry estime que l’Accord du 21 décembre est suffisant. Les alliés du Premier ministre Ariel Henry avaient accepté de prendre part aux discussions mais ont quitté la table prématurément. Ils pensent que tout le monde devrait les rejoindre. Cet Accord est un point de départ.
Toutes les autres parties ont accepté qu’il s’agit d’un point de départ qu’il faut améliorer et élargir. Cependant, le pouvoir et ses alliés ne sont pas de cet avis. Ils craignent qu’une ouverture ne soit pas synonyme de partage de postes. Certains sont très accrochés aux portefeuilles ministériels qu’ils détiennent » avance la plupart des acteurs et Secteurs qui restent très favorables à l’organisation de ce grand Forum par Jonathan Powell. Même si d’autres évoquent le télescopage des dates entre la visite du Président américain Joe Biden au Canada chez le Premier ministre Justin Trudeau et celles initialement indiquées pour la rencontre inter-haïtienne, il n’en demeure pas moins que le véritable « trouble-fête » de cette histoire s’appelle André Michel que certains commencent à considérer comme le Vice-Premier ministre de la Transition. Radical et intransigeant comme il l’a été dans l’opposition sous la présidence du défunt Président Jovenel Moïse, Me André Michel continue de paraître comme étant le véritable chef du gouvernement derrière un Ariel Henry qui sait que sans le SDP il est perdu, surtout qu’il vient de perdre celle qui l’avait fait « Roi » Mme. Helen La Lime, cheffe du BINUH (Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti) et du Core Group remplacée depuis peu à Port-au-Prince par Mme. Maria Isabel Salvador.
le pouvoir et ses alliés craignent qu’une ouverture ne soit pas synonyme de partage de postes.
Jusqu’à preuve du contraire, au sein du pouvoir de Transition, après Ariel Henry, c’est Me André Michel qui porte tous les dossiers relatifs à tous pourparlers entre les autres Secteurs. D’ailleurs, concernant le premier camouflet infligé à Jonathan Powell en Haïti, voici ce qu’a avancé l’homme fort du moment quand on lui demande si ses amis de l’Accord de Karibe étaient partants pour une rencontre avec tous les autres acteurs sous le patronage de Jonathan Powell : « A ma connaissance, l’Accord du 21 décembre n’a pas été touché ou n’est pas encore touché par cet événement. Peut-être que c’est reporté pour une autre date. Nous attendons l’invitation. Nous n’avons pas de problème avec le processus de dialogue. Au niveau du 21 décembre, nous n’accordons de l’importance qu’à deux points : la poursuite du dialogue et l’ouverture avec les autres groupes qui n’ont pas signé le consensus du 21 décembre ; l’implémentation de ce consensus ».
Une réponse un peu ironique d’André Michel dans laquelle il a profité pour souligner aussi l’état d’esprit de l’équipe du pouvoir à propos d’un éventuel partage du pouvoir. En tout cas, après avoir accepté qu’il soit identifié comme un des émissaires du gouvernement américain dans la crise haïtienne, l’ancien chef de cabinet du Premier ministre Tony Blair, ne peut plus rester dans l’ombre et est donc tenu de s’adresser à l’opinion publique haïtienne afin de l’informer de l’avancée des négociations ou des pourparlers même s’il vient d’essuyer son premier échec dans ce dossier. Souhaitons seulement que là où ses prédécesseurs ont échoué à ramener les acteurs haïtiens sur une même table de négociation, lui, venu d’un pays moins impliqué dans la politique de destruction d’Haïti, arrivera à convaincre les acteurs haïtiens et le gouvernement des Etats-Unis de la nécessité de mettre en place un projet politique inclusif capable d’apporter la stabilité politique en Haïti en vue de lancer le développement économique du pays, seul capable de consolider la société autour d’un socle commun qu’est le vivre ensemble.
(Fin)