Ukraine: grenier et laboratoire politique du monde

La réalité à l’envers. Les Etats-Unis sont le véritable agresseur.

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Les oligarches au pouvoir. Rinat Akhmetov (à droite, descendant les escaliers), le 216e homme le plus riche du monde, accusé de crime organisé mais toujours blanchi par de grands avocats, ancien membre du parlement, ami de Paul Manafort et du président renversé Yanukovich. Serhiy Taruta (à gauche, tenant une enveloppe), valant 3 milliards de dollars, nommé gouverneur de la province de Donetsk.

(7ème partie)

Il y a pire hypocrisie. Le propriétaire – via une société-écran fictive (shell company) dans les îles Vierges britanniques – de ces 23 millions de dollars momentanément gelés à Londres était l’oligarche ukrainien, Mykola Zlochevsky (parfois épelé Nicolay Slotschewskyj), ex-ministre pour la protection de l’environnement, ex-ministre de l’écologie et des ressource naturelles, ex-secrétaire adjoint du Conseil national de sécurité et de défense de l’Ukraine. Mais également ex-accusé d’avoir détourné des millions de dollars. Après un exil de trois ans, le cas a été clos en Ukraine en novembre 2016 après que l’acte d’accusation ait été changé de “enrichissement illicite” à “évasion fiscale” avec la “pleine coopération entre le bureau du procureur général et les avocats de Burisma”, sa compagnie et le plus grand producteur de gaz du pays, et qu’il ait soi-disant payé 180 million de  Hryvnia, soit un cinquième de la somme dans le compte bancaire londonien.

Daria Kaleniuk, la directrice du Bureau national anticorruption ukrainien, estime que “cette ‘coopération totale’ pourrait en fait être un accord de coulisse illégal. ‘Les procédures menées par le bureau du procureur général n’étaient pas simplement closes – elles ont été intentionnellement bâclées’”. On aurait vu Zlochevsky dîner précédemment à Vienne avec Ihor Kononenko, un parlementaire et proche associé du président Poroshenko.

Joe Biden avait promis à deux reprises d’apporter des preuves de la corruption présumée de Shokin, mais pas un seul fait de corruption n’a été fourni.

Nous avons la clé de cette affaire fournie par son auteur même, Joe Biden, vice-président sous Obama à l’époque du coup d’état. Lors d’une longue présentation au Council of Foreign Relations à Washington en janvier dernier, celui-ci raconte fièrement sa “12e ou 13e visite à Kiev” au cours de laquelle il a convaincu Poroshenko et son premier ministre Arseny Yatsenyuk de limoger le procureur général, Viktor Shokin, un homme fort qui visait les collaborateurs du président renversé et qui menait donc l’enquête sur Zlochevsky. En jeu se trouvait un prêt d’un milliard de dollars accordé par les Etats-Unis à l’Ukraine. Dixit Biden: “Je les ai regardés et j’ai dit: Je pars dans six heures. Si le procureur n’est pas renvoyé, vous n’obtiendrez pas l’argent. Eh bien, ce fils de pute, il s’est fait virer”.

Un haut officiel de la Maison Blanche avait déjà dit cela au moment des faits, en été 2016, au journaliste Joshua Yaffa du New Yorker, mais avec plus de précision: “Biden téléphonait à Porochenko toutes les quelques semaines leur disant clairement que: ‘Vous pouvez satisfaire toutes les autres conditions sans faute aucune, mais tant que vous ne remplacerez pas ce type, vous n’obtiendrez pas cet argent’”.

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Pourquoi un tel acharnement? Il est temps de rappeler que Hunter Biden, le fils du vice-président étatsunien de l’époque du coup d’Etat, sous Obama, était au conseil d’administration de cette compagnie de gas, Burisma Holdings, dont le président, soit dit en passant, est un ancien banquier d’investissement de Morgan Stanley, Alan Apter, et dont le propriétaire était ce Zlochevsky inculpé par le procureur général Viktor Shokin.

Shokin a été remplacé par Yuri Lutsenko au poste de procureur général – sans formation juridique mais ami du président Poroshenko – lequel a réduit les accusations contre Zlochevsky à une simple évasion fiscale, et dès novembre 2016, ainsi que mentionné, le cas a été clos.

La source de l’agence de presse Front News International dans le bureau du procureur général a rapporté que Joe Biden avait promis à deux reprises d’apporter des preuves de la corruption présumée de Shokin, ce qui aurait servi à révoquer le procureur général, mais pas un seul fait de corruption n’a été fourni.

Juste avant de céder la place à l’administration Trump, en janvier 2017, Joe Biden est allé une dernière fois à Kiev soi-disant pour une visite d’adieu, mais, dit le parlementaire Pavlo Rizanenko du bloc du président Poroshenko, surtout pour s’assurer que la société de son fils et celle de Zlochevsky – Burisma – était lavée de tout soupçon d’illégalité. Dixit Vadim Rabinovich, un autre parlementaire: “C’est très douteux que Joe Biden soit venu [à Kiev] pour discuter de problèmes mondiaux. ‘Biden est membre de l’équipe qui vient de perdre les élections. Il lui reste une semaine. Quelles nouvelles un tel politicien perdant peut-il nous apporter?”

Donc nous avons le père qui a fait sans doute une vingtaine de visites en Ukraine – délégué par Obama qui n’y a jamais mis les pieds – poussant à une campagne anti-corruption, et le fils qui est dans une compagnie ukrainienne accusée de corruption, lui-même avec un passé douteux: renvoyé de la Marine de guerre étatsunienne pour usage de cocaïne, impliqué dans une hedge fund poursuivie en justice, travail de lobbyiste.

Comme l’a dit l’ex-ministre de l’économie, Aivaras Abromavicius, “un réformateur de quarante ans qui avait travaillé dans le capital-investissement à Kiev et avait rejoint le gouvernement après Maidan, un des fonctionnaires les plus réputés du gouvernement ayant réalisé un certain nombre de réformes importantes: lorsqu’il est arrivé au gouvernement, il s’attendait à la résistance des chefs d’entreprise et des employés des ministères de niveau intermédiaire, mais pas des membres du cercle du président. ‘Le principal obstacle à la réforme vient des personnes qui nous ont embauchés pour faire ce travail’, a-t-il déclaré”. Pareil pour les souteneurs étrangers.

En 2016, “Son Altesse Sérénissime” le prince Albert II de Monaco fondait le Energy Security Forum, sur la sécurité énergétique de l’Europe et l’Ukraine, avec Mykola Zlochevsky, un oligarche ukrainien recherché pour corruption.

L’hypocrisie ne s’arrête pas là. Près d’un an avant que le cas soit clos, alors qu’il était toujours fugitif de la justice ukrainienne, “Son altesse sérénissime” le prince Albert II de Monaco fondait avec Zlochevsky le Energy Security Forum pour discuter de la sécurité énergétique de l’Europe et l’Ukraine et promouvoir des sources d’énergie alternatives. Le sujet du forum de 2018 était: ‘‘Sécurité énergétique pour l’avenir: une pensée révolutionnaire’’… “Les photographies [du premier forum, le 2 juin 2016 à Monte Carlo] montrent un Hunter Biden posant avec divers ex-politiciens à la retraite, vêtu d’un costume bleu jumelé à des chaussures marron très polies. Zlochevsky était bronzé et en pleine forme dans une chemise à col ouvert, tandis qu’un prince Albert habillé plus formellement plaçait une main pleine de sollicitude sur son dos”.

Le Bureau national anticorruption ukrainien a ré-ouvert en février dernier une enquête sur des abus au ministère de l’écologie et des ressource naturelles quand Zlochevsky était à sa tête.

Grosse hypocrisie: le fils du vice-président des Etats-Unis et le prince de Monaco, partenaires d’un politicien ukrainien recherché par la justice pour corruption….

Faut-il préciser que les partisans de l’EuroMaidan sont déçus?!

Les oligarches au pouvoir

Qui dit corruption dit gros argent dit oligarches. Nous avons ce Rinat Akhmetov, le 216e homme le plus riche du monde, avec une valeur nette estimée à 6,5 milliards de dollars (2015), accusé de crime organisé mais toujours blanchi par de grands avocats, propriétaire du club de football Shakhtar Donetsk, ancien membre du parlement, ami de Paul Manafort et du président renversé Yanukovich.

En 2004, dans le rachat douteux – annulé par le gouvernement suivant – d’une sidérurgie où ils avaient fait 4 milliards de profit illégal, Akhmetov était le partenaire de Viktor Pinchuk beau-fils du président de l’époque Leonid Kuchma. Pinchuk, lui, est 1250ème sur la liste des personnes les plus riches du monde, avec une fortune de 1,44 milliard de dollars. Il est propriétaire d’usines à tubes, de roues et d’acier, de quatre chaînes de télévision et d’une feuille de choux, également ex-membre du parlement ukrainien.

En 2015, Pinchuk a intenté une action civile de 2 milliards de dollars contre les oligarques ukrainiens Ihor Kolomoyskyi et Gennadiy Bogolyubov devant la Haute Cour de justice de Londres au sujet d’une société minière ukrainienne, incluant meurtre et corruption. L’année suivante un accord non divulgué a été conclu juste avant le début du procès.

Entre 1994 et 2005, Pinchuk a fait des dons de 10 à 25 millions de dollars à la Fondation Clinton. En 2011 il était invité – privilège de ceux ayant fait des dons d’un demi à un million de dollars à la fondation – aux festivités célébrant le 65ème anniversaire de Bill Clinton à Hollywood avec la participation des chanteurs Elton John (ami de Pinchuk), Stevie de Fleetwood Mac, Lady Gaga et Bono. Il a ensuite été invité chez Hillary Clinton quand elle était secrétaire d’Etat. Et en 2013, Pinchuk et Tony Blair ont présenté le discours de celle-ci à la conférence du palais de Livadia, l’ancienne résidence du tsar Romanov et celle où les accords de Yalta ont été signés à la fin de la deuxième guerre mondiale. Hillary Clinton y poussait à l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne; étaient présents son mari, Paul Krugman, Shimon Peres, Dominique Strauss-Kahn, Larry Summers et d’autres dirigeants politiques et d’affaires. En 2015, Pinchuk a fait un don de 150 000 dollars à la Fondation Donald Trump en contre-partie de l’apparition du futur président étatsunien dans une vidéo à Kiev.

Ihor Kolomoyskyi était l’un des deux oligarches attaqués en justice par Pinchuk, le plus riche après lui avec 1,36 milliards de dollars (tous les chiffres sont de 2015), nommé gouverneur de la province de Dnipropetrovsk juste après le coup d’état. Depuis 2010 il vit, par prudence, dans un appartement donnant sur le lac de Genève d’où il dirige son empire. En 2015, il est entré en conflit direct avec le nouveau président Petro Poroshenko au sujet d’intérêts politiques et financiers. “La seule différence entre Poroshenko et Yanukovych, dit-il, est “une bonne éducation, un bon anglais et un manque de casier judiciaire”. Tout le reste est le même: “C’est le même sang, la même chair réincarnée. Si Yanukovych était un dictateur lumpen, Poroshenko est l’usurpateur instruit, l’esclave de son pouvoir absolu, avide de pouvoir absolu”. Pareil dédain pour Yulia Tymoshenko, leader de la Révolution orange, la première femme Premier ministre et plusieurs fois candidate à la présidence… et elle-même une oligarche ayant amassé sa fortune en pillant les ressources naturelles: “Personne n’a sa touche populiste ni sa soif de pouvoir”.

La source du conflit est le style de Kolomoyskyi qui avait mis sur pied des bataillons après le coup de 2014 contre les séparatistes et dont il s’est servi comme milices privées pour imposer par la force ses décisions dans ses entreprises. Maintenant il dit au président: “Continuez à me cibler et vous affronterez un combat plus large que vous pourriez ne pas gagner”. Plus qu’une menace de ce type qui se dit avoir grandi dans la rue.

Pareil style houleux au parlement. En avril 2010, lors de la ratification de l’extension du traité accordant la base navale de Crimée à la Russie, avec 236 votes sur 450 en faveur, les parlementaires en sont venus aux mains et le président du parlement a dû faire son discours sous la protection de parapluies tenus par ses aides contre les œufs jetés par l’opposition.

Quand la question de la décentralisation et l’amnistie pour l’est du pays – toutes deux promises par le président à ses partenaires occidentaux – a été discutée au parlement le 31 août 2015, des grenades ont été lancées et quatre gardes nationaux ont perdu la vie. Le 11 décembre de la même année, quand le premier ministre Arseny Yatsenyuk a annoncé que le gouvernement n’avait pas le pouvoir de poursuivre en justice les affaires de corruption, un représentant du bloc politique du  président Poroshenko l’a physiquement fait descendre du podium. Une bataille à coup de poings s’en est suivie entre les parlementaires.

Des batailles à coup de poings ne sont pas rares au parlement ukrainien ou entre politiciens, comme en août 2016, quand un groupe de procureurs a arrêté deux enquêteurs chargés de lutter contre la corruption, les battant et visant leurs yeux avec un couteau.

Le même mois, lors d’une réunion du Conseil national des réformes, Mikheil Saakashvili, l’ancien président géorgien amené en Ukraine pour s’attaquer à la corruption, a crié au ministre de l’intérieur, le fameux Arsen Avakov: “Vous êtes un voleur et vous irez en prison”. “Vous êtes un trou de cul et sortez de mon pays!”, a répondu Avakov, jetant un grand verre d’eau dans sa direction. “Réduit au rôle de spectateur, Petro Poroshenko, président de l’Ukraine et l’homme qui a nommé Saakashvili, l’ancien président de Géorgie, en tant que gouverneur d’Odessa, avait des raisons de se tenir la tête entre les mains”.

En août 2016, “des agents du Parquet ont fait une descente dans le Bureau national anticorruption sous un quelconque prétexte, et une semaine plus tard un groupe de procureurs a arrêté deux enquêteurs chargés de lutter contre la corruption, les battant et visant leurs yeux avec un couteau”.

Si déjà le parlement, la classe politique et le gouvernement n’arrivent pas à fonctionner sans conflit, comment le pays entier le pourrait-il?

Clôturons la liste en mentionnant encore trois oligarches importants: Dmytro Firtash en exil à Vienne, extradité aux Etats-Unis pour pots-de-vin donnés en Inde, et Serhiy Kurchenko réfugié à Moscou où chaque jour 18 gardes de sécurité armés le transportent dans cinq voitures de son domicile à son bureau central de Moscou, dont un véhicule bloqueur de signal de téléphone portable avec une portée de 200 mètres et une ambulance avec médecin.

Viktor Pinchuk est 1250ème sur la liste des personnes les plus riches du monde, avec une fortune de 1,44 milliard de dollars.

Pavel Fuchs a également sa base à Moscou mais il n’est pas (encore) recherché. Pourtant “Fuchs a fait des affaires avec un certain nombre de personnes impliquées dans des scandales de fraude”. Lui-même se décrit: “Quand j’étais jeune, je battais les gens”. Les Panama Papers révèlent plus de 250 sociétés internationales ayant des liens avec Fuchs, notamment un milliardaire indien, un sénateur nigérian, des milliardaires malaisiens, une société pharmaceutique cubaine et des sociétés minières en Tanzanie. “En 2016, Newsweek citait un ancien cadre de Trump qui affirmait que l’organisation de celui-ci conservait des liens étroits avec Fuchs. Il a également été photographié avec le conseiller en cybersécurité de Trump, Rudy Giuliani”.

Appeles au secours, les oligarches corrompent le système

Tous ces oligarches ont en commun d’avoir fait leur fortune dans le chaos économique et le vide juridique qui a suivi la chute de l’Union soviétique, se jetant sur les meilleures sidérurgies et usines de charbon, minerais, gaz, vendues pour une bouchée de pain. “Bien que moins connus que leurs homologues russes, les milliardaires ukrainiens détiennent une plus grande part de la richesse de leur pays que leurs homologues russes. La richesse de seulement une douzaine d’oligarques ukrainiens représente environ un cinquième du PIB du pays”.

D’autres sources estiment qu’en 2013, “les actifs des cinquante personnes les plus riches de l’Ukraine représentent plus de quarante-cinq pour cent du PIB du pays, contre moins de vingt pour cent en Russie (et moins de dix pour cent aux États-Unis)”.

“Même après la révolution orange de 2004-2005 – qui a éclaté lors de résultats électoraux déclarés frauduleux – “le phénomène oligarchique n’a connu que peu de transformations […] les principaux clans oligarchiques de l’époque de Kuchma [président de 1994 à 2005] ont bénéficié d’une reconnaissance officielle de leur puissance économique et de leur rôle dans l’économie nationale. Nombre d’entre eux ont ensuite obtenu de nouvelles fonctions politiques électives ou exécutives, leur permettant de promouvoir leurs intérêts corporatistes et de garantir les conditions favorables au développement de leurs groupes”.

Au lendemain du coup d’état le nouveau gouvernement a continué à nommer des oligarches aux postes de responsabilités car, premièrement ceux-ci étaient estimés par la population pour les progrès économiques réalisés dans le pays depuis l’indépendance en 1991, dit Adam Swain, géographe économique à l’Université de Nottingham et chercheur sur le terrain à Donetsk depuis plus de 20 ans. De plus, “Ici les gens respectent le pouvoir”, ajoute le journaliste local Denis Tkachenko.

Deuxièmement les oligarches avaient des biens et des enjeux dans les régions séparatistes de l’est, et étaient par conséquent des plus motivés pour y ramener la stabilité, et éviter de perdre ces régions au profit de la Russie dans laquelle ces oligarches auraient vite été écrasés par leurs bien plus puissants homologues russes.

Un bel exemple est Serhiy Taruta, fondateur de l’Union industrielle du Donbas et parmi les plus riches hommes au monde avec près de 3 milliards de dollars en 2008 selon Forbes. Début mars 2014, juste après le coup d’état, il a été nommé gouverneur de la province de Donetsk. Dans son cas, cela n’a pas duré longtemps car les séparatistes se sont emparés de la ville et l’ont déclarée république autonome. Le gouvernement central a remplacé Taruta par un gouverneur militaire.

(A suivre)

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