Ukraine: grenier et laboratoire politique du monde

La réalité à l’envers. Les Etats-Unis sont le véritable agresseur

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Le président ukrainien Petro Poroshenko à Paris avec son homologue français Macron, vassal des Etats-Unis. Malgré sa corruption et son néo-nazisme, "Il sait parfaitement bien que nous ne pouvons pas laisser l’Ukraine échouer, que nous avons beaucoup investi dans ce pays, et que l’Ukraine doit être une réussite", dixit un diplomate. "Et il abuse de cette connaissance. C'est enrageant".

(9ème et dernière partie)

À côté des parcs fleuris surplombant la mer Noire se trouvent les fameux escaliers de Potemkine – c’est là que les cosaques du tsar Nicolas II ont massacré des centaines de manifestants qui étaient venus accueillir les mutins du cuirassé. Dans la réalité le massacre a eu lieu dans les rues, mais dans son fameux film muet de 1925 “Le cuirassé Potemkine”, le metteur en scène Sergei Eisenstein a placé la tuerie sur ces 200 marches qui mènent à la mer Noire. Ces soulèvements faisaient partie de la révolution de 1905, dont la goutte d’eau a été la défaite dans la guerre russo-japonaise, et qui a été le précurseur de celle décisive de 1917.

Si on y va chronologiquement, c’étaient d’abord les escaliers de Richelieu dont la statue trône au-dessus, Armand-Emmanuel Sophie Septimanie de Vignerot du Plessis, 5ème duc de Richelieu (de la lignée du cardinal) et de Fronsac. Après avoir servi comme premier ministre de France sous Louis XVIII et ensuite dans l’armée impériale russe, c’est lui que le tsar Alexandre 1er avait nommé gouverneur d’Odessa en 1803, pourtant bien avant les escaliers terminés en 1841. Maintenant, un affreux et bon marché centre commercial et hôtel se trouvent entre le bas des escaliers et la mer, et les “selfies” vont bon train.

DES ETATS NON RECONNUS

Au retour, par contre, nous avons pu entrer dans un autre Etat non reconnu et surtout peu connu, la Transnistrie ou Pridnestrovian Moldavian Republic. Enfin, c’est un pays reconnu uniquement par l’Abkhazie, l’Artsakh et l’Ossétie du Sud, eux-mêmes des Etats non reconnus, formant tous les quatre le Commonwealth des États non reconnus ou Communauté pour la démocratie et les droits des nations. Ils ont signé la déclaration commune sur les principes d’un règlement pacifique et équitable en 2007 à Tiraspol, la capitale de la Transnistrie. Le nom de celle-ci signifie “au-delà du fleuve Dniester”, soit sa rive gauche (est) où elle forme une étroite bande coincée entre la Moldavie à l’ouest et la Russie à l’est. Avec un territoire correspondant à un dixième de la Moldavie.

En bref, il y avait les régions historiques suivantes: la Bessarabie (à l’ouest du Dniester) qui faisait partie de la Roumanie, la Transnistrie qui faisait partie de l’Ukraine, et en 1940 l’URSS a créé la République Socialiste Soviétique de Moldavie avec ces deux morceaux et Tiraspol pour capitale. Dès la dissolution de l’Union soviétique, par peur de voir sa population de langue russe devenir minoritaire, la Transnistrie a combattu son rattachement avec la Bessarabie au sein de la Moldavie pendant un conflit armé qui a duré de 1990 à 1992.

Plus d’un quart de siècle plus tard, nous en sommes toujours au statu quo. Et l’Ukraine craint maintenant que ses deux républiques rebelles, Donetsk et Lugansk, prennent le même chemin. En attendant, la Transnistrie a une monnaie nationale: les Pridnest Roubles, des statues de Lénine, le marteau et la faucille, un consulat russe (mais la Russie ne la reconnait pas non plus), un contrôle de douane (sans cachet dans le passeport), aussi bureaucratique que les autres, et des routes aussi exécrables que ses voisins ukrainien et moldave, au point qu’avec les gros chocs incessants nous y avons cassé les roulements de notre roue avant.

Le billet transnistrien de 200 pridenest rubles (un Euro = 18,75 roubles) montre la bataille de Gross-Jägersdorf de 1757 et le portrait du général russe Peter Rumyantsev-Zadunaisky qui se battait contre Frederick II de Prusse pour des territoires n’ayant rien à voir avec la Transnistrie. En tout cas, leur monnaie est plus facilement prononçable que celle de l’Ukraine qui est le hryvnia.

IL ETAIT UNE FOIS EN U.R.S.S.

Titrant “Quand la Russie rêvait d’Europe – Des promesses non tenues qui ont créé un sentiment d’humiliation”, le Monde diplomatique de septembre nous a rejoint en élaborant sur le même thème: “Au sortir de la guerre froide, les Russes voyaient leur avenir dans une Europe réconciliée et dotée de mécanismes de sécurité communs. En portant le glaive de l’Alliance atlantique jusqu’à leur porte, les Occidentaux ont pris le risque d’une réaction nationaliste”. L’URSS de Gorbachev souhaitait un “retour vers l’Europe”, selon les paroles du diplomate soviétique Vladimir Loukine. [Monde diplomatique, septembre 2018, page de garde] Mais dans le cadre d’une institution comprennant tous les pays européens, est ou ouest, y compris les Etats-Unis et l’URSS: la Conférence sur la sécurité et la coopération en Euope (CSCE). Face à la perspective d’un vieux continent uni qui mettrait en danger leur hégémonie mondiale, les Etats-Unis ont non seulement maintienu mais élargi l’alliance militaire occidentale qu’ils contrôlent: l’OTAN. Comme toujours, leurs vassaux européens ont docilement suivi.

IL ETAIT UNE FOIS AUX ETATS-UNIS

En 2017, des documents nouvellement déclassifiés aux Etats-Unis ont confirmé que, lors de la réunion historique du 9 février 1990 entre le ministre étatsunien des affaire étrangères sous Bush I, James Baker, et Gorbachev, à la question du premier: “Préféreriez-vous une Allemagne unifiée en dehors de l’OTAN, indépendante et sans forces étatsuniennes ou préférez-vous qu’une Allemagne unifiée soit liée à l’OTAN, avec l’assurance que la juridiction de l’OTAN ne se déplacerait pas d’un pouce par rapport à sa position actuelle?” le second avait répondu: “toute extension de la zone de l’OTAN serait inacceptable”. Leur réunion s’était terminée sans aucun accord final.

Le lendemain, c’était au tour du ministre des Affaires étrangères du chancellier allemand Helmut Kohl, Hans-Dietrich Genscher, d’aller au Kremlin rassurer son homologue soviétique, Eduard Shevardnadze: “pour nous, c’est sûr: l’OTAN ne s’étendra pas à l’Est”. Et cette fois il y a eu accord.

Comme tout en cette époque apolitique, les fameux escaliers menant à la mer Noire et symbolisant la mutinerie du cuirassé Potemkine et le premier pas de la révolution bolchevique de 1917, sont devenus une attraction touristique.
Credit: Alexandra Panaguli

Promesse clairement réitérée trois mois plus tard par le chef même de l’OTAN, Manfred Woerner, ainsi que rapportée par Putin lors de la conférence de Munich sur la politique de sécurité en 2007: “Personne ne s’en souvient même. Mais je me permettrai de rappeler à ce public ce qui a été dit. Je voudrais citer le discours du secrétaire général de l’OTAN, M. Woerner, à Bruxelles le 17 mai 1990. Il a déclaré à l’époque que: “le fait que nous soyons prêts à ne pas placer d’armées de l’OTAN hors du territoire allemand donne à l’Union soviétique une solide garantie de sécurité’. Où sont ces garanties?”

A la chute du mur de Berlin, l’Union Soviétique avait encore 380.000 soldats en Allemagne de l’Est et surtout “détenaient toujours des droits d’occupation émanant de la capitulation allemande inconditionnelle de 1945″. Gorbachev – et les nouveaux dirigeants post-communistes des pays de l’Est – cherchaient de bonne foi à créer de nouvelles institutions européennes de l’Atlantique à l’Oural, pour avoir “une Europe centrale démilitarisée servant de pont neutre entre l’Est et l’Ouest”. Les Occidentaux, eux, ne cherchaient qu’à se débarrasser des Soviétiques et à s’imposer.

Aussi, à peine James Baker avait-il posé cette question à Gorbachev le 9 février 1990 que Washington faisait marche arrière, le National Security Council de la Maison Blanche prétextant qu’ils n’étaient pas contractuellement liés, que rien n’avait été mis par écrit et que les promeses étaient celles de l’Allemagne, pas les leurs. Depuis, dit Stephen Cohen, le professeur spécialiste de la Russie à Princeton et New York University, c’est devenu“un sujet tabou” aux Etats-Unis. La vraie raison? “Ces plans auraient diminué le rôle de leader des États-Unis en Europe, tandis que le maintien de l’alliance Atlantique le maintiendrait”, explique Mary Elise Sarotte, de Harvard et de la Johns Hopkins School of Advanced International Study à Washington.

Il y avait ainsi eu plein de sonnettes d’alarme depuis la fin de la guerre froide jusqu’au coup d’Etat en Ukraine prédisant la réaction de la Russie si on l’approchait de trop. Très peu les ont entendues en dehors des hautes sphères du pouvoir et des milieux académiques, peu les ont comprises, surtout pas ces nouveaux acteurs et médias, personne n’y a fait attention. Mais maintenant tous parlent d’agression russe!

IL ETAIT UNE FOIS EN UKRAINE

Il y avait les militants de bonne foi, de la nouvelle génération – c’est-à-dire sans expérience politique –  idéalistes, qui croyaient vraiment lutter contre la corruption, qui espéraient le changement. Et leurs supporters dans les nouveaux médias.

Pourtant certains se méfiaient déjà, tel Mustafa Nayyem, âgé de 37 ans, un des premiers à avoir appelé à la révolte sur la place Maidan en 2013, devenu par la suite parlementaire. Il remarquait juste avant le coup: “Je n’avais pas l’impression que les gens [faisant des discours] sur la scène étaient tellement différents de Yanukovych”.

Dans Tiraspol, capitale de la Transnistrie, un des rares Etats non-reconnus au monde, coincé entre la Moldavie et l’Ukraine. Devant le parlement, une des rares statues de Lénine encore en place dans le monde. Et dans les rues, le marteau, la faucille et l’étoile rouge, avec l’inscription: Gloire au Travail. Credit: Alexandra Panaguli

Quatre ans plus tard, il se prépare avec Serhiy Leshchenko, un autre parlementaire du même âge, à fonder le premier parti depuis vingt-cinq ans en Ukraine “à avoir une base idéologique, au lieu de s’appuyer sur la personnalité d’un chef et le soutien financier d’un oligarque”. Cela prend du temps. “Le problème de la génération précédente de politiciens est leur corruption”, a déclaré Nayyem. “Notre problème est notre inexpérience – nous manquons de compétences dans beaucoup de domaines”.

(Le manque de compétence n’a pas empêché le nouveau procureur général installé sur l’insistence de Joe Biden à blanchir Mykola Zlochevsky, l’oligarche corrompu. Il n’avait aucune expérience – le parlement a même dû adopter une loi supprimant l’exigence que seule une personne ayant une formation juridique puisse occuper ce poste. Il suffisait qu’il exécute les instructions du président Poroshenko).

Inexpérience pas seulement chez les nouveaux militants. On voit la confusion qui règne dans les esprits. “Même parmi les troupes [ukrainiennes], on trouve des gens qui se battent pour des raisons complètement différentes, chacun inventant sa propre motivation. Dans beaucoup de grandes villes, il y a des pans de la population pour lesquels la guerre avec la Russie pourrait aussi bien ne pas avoir lieu: il ne semble pas que ce soit leur guerre à soutenir ou à rejeter “.

Il y a les néo-nazis bien organisés depuis longtemps, clairs et francs, qui ont exécuté le coup d’état préparé par les Etats-Unis.

Il y a les officiels ukrainiens. Et en première position, le visage de l’Ukraine à l’Ouest: Petro Poroshenko, l’homme que les Occidentaux ont installé au pouvoir. Dixit un diplomate européen à Kiev: “Il sait parfaitement bien que nous ne pouvons pas laisser l’Ukraine échouer, que nous avons beaucoup investi dans ce pays, et que l’Ukraine doit être une réussite”, a déclaré le diplomate. “Et il abuse de cette connaissance. C’est enrageant”.

Et il y a les officiels étrangers, soit se berçant d’illusions – surtout dans le cas des politiciens européens – soit – surtout dans le cas des Etats-Unis – menteurs et hypocrites. John McCain lui-même avait laissé entrevoir le risque de l’ingérence étatsunienne dans le pays qu’il a qualifié de “joyau de la couronne” pour la Russie. “Il ne fait aucun doute que l’Ukraine est d’une importance vitale pour Putin. Je pense que c’était [Henry] Kissinger, je ne suis pas sûr, qui a déclaré que la Russie, sans l’Ukraine, c’est une puissance orientale, avec l’Ukraine, c’est une puissance occidentale. C’est le début de la Russie, ici à Kiev. Putin la considère donc comme extrêmement importante et il a fait pression sur les Ukrainiens – le prix de l’énergie, les différents types d’activités. C’est très clair qu’il a fait certaines menaces. Mais je ne sais pas s’il les mettrait à exécution”.

Si la Russie ne réagissait vraiment pas, c’était tant mieux, et l’Occident recrutait un pion de plus: l’Ukraine. Si la Russie réagissait, elle devenait pariah. C’était un coup de poker gagnant-gagnant pour les Etats-Unis. Ils ont utilisé l’Ukraine pour marquer un point contre la Russie. Au détriment de celle-là, qu’ils ont laissé en ruine. Comme avec Chypre écartelée depuis 1974 en une zone grecque officielle et une zone turque non-reconnue, par les manigances britanniques et étatsuniennes, toujours sans solution au conflit 45 ans plus tard. 4,5 ans après l’EuroMaidan il n’y a toujours pas de solution en Ukraine.

Pourtant, cette manoeuvre étatsunienne comporte des risques pour eux aussi. “Le conservatisme oligarchique et le nationalisme de Vladimir Putin n’ont peut-être pas beaucoup de preneurs, mais le contrepoids de la Russie à l’expansion impériale étatsunienne est le bienvenu, de la Chine au Brésil”, dit l’Anglais Seumas Milne.

Quant aux autres, rira bien qui rira le dernier. A la fin de sa critique, l’Anglais d’origine ukrainienne, Pomerantsev, dit: “Plutôt que coincée entre le passé ‘soviétique’ et le futur ‘européen’, l’Ukraine est notre crise commune, contemporaine, mise en relief – le pays où les problèmes de l’Occident sont à présent le plus évidents, à la surface, comme un drame de vie ou de mort”, avec “des drapeaux néo-nazis flottants à côté des drapeaux de l’Union européenne dans les rues de Kiev”, soit l’émergence et la progression du fascisme.

“La composition idéologique de la place Maidan en Ukraine reflétait l’Europe. C’est pourquoi tant d’Occidentaux se sont détournés de ce miroir avec horreur “.

C’est en ce sens que l’histoire contemporaine de l’Ukraine est importante pour nous tous.

IL ETAIT UNE FOIS DANS LE MONDE

Le pays qui détient la monnaie internationale – ou monnaie de réserve – est le véritable dirigeant du monde. Il peut s’endetter à très bas prix et avoir un déficit budgétaire beaucoup plus important que n’importe quel autre pays. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale et les fameux accords de Bretton Woods, la principale monnaie de réserve est le dollar étatsunien.

Saddam Hussein voulait rompre avec le pétrodollar, il a été abattu sous le prétexte (faux) qu’il détenait des armes de destruction massive. Kadhafi militait pour une monnaie internationale remplaçant le dollar étatsunien – ainsi qu’une alliance afro-latinoaméricaine pour contrer l’OTAN – il a été abattu avec la participation de l’OTAN sous le prétexte d’aide au printemps arabe. Deuxième monnaie de réserve, l’Euro est sous attaque d’une propagande constante de la part de Londres et des Etat-Unis pour le discréditer et lui enlever la confiance (facteur crucial) du monde financier. Le Français Dominique Strauss-Kahn (DSK) cherchait à obtenir le soutien de l’Allemagne pour remplacer le dollar étatsunien par une nouvelle monnaie internationale, tel qu’il l’avait annoncé début février 2011 quand il était directeur du fameux Fonds Monétaire International. Le 15 mai de la même année, douze jours avant le 37ème sommet du G8 en France, il était arrêté pour avoir soi-disant assailli sexuellement une femme de ménage dans un hôtel new-yorkais. L’affaire a été classée par faute de preuves, mais entretemps DSK avait été torpillé et liquidé du champs politique, et ses idées avec lui. (Incidemment, il avait assisté à un dîner au cours duquel les directeurs des grosses banques étatsunienne avaient admis que le gouvernement “devrait réglementer davantage, parce que nous sommes trop gourmands, nous ne pouvons pas l’éviter”.)

Selon le professeur français Aymeric Chauprade, un théoricien des relations internationales, “Plus considérable encore que le 11 septembre 2011 […] c’est l’accession au pouvoir du président Putin, en mai 2000, qui a été le retournement de l’histoire le plus considérable depuis l’effondrement soviétique”. Il a signalé l’émergence d’un monde multipolaire. Un énorme défi à la position (encore) dominante des Etats-Unis. Putin est donc le dernier en date homme à abattre, sous prétexte de défendre l’Ukraine.

Fin

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