Ukraine: grenier et laboratoire politique du monde

La réalité à l’envers. Les Etats-Unis sont le véritable agresseur

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John Mearsheimer (à droite) et Stephen F. Cohen, deux éminents académiciens étatsuniens, spécialistes de la Russie, qui estiment que la principale menace pour les Etats-Unis est l’hystérie de russophobie qui sévit actuellement chez les politiciens et médias. Mearsheimer a écrit un article dans la très officielle revue Foreign Affairs, intitulé: "Pourquoi la crise en Ukraine est la faute de l'Occident - Les illusions libérales qui ont provoqué Putin".

(4ème partie)

Remontons, non pas 500 ans en arrière mais un bon siècle. Carroll Quigley (1910 – 1977) était historien étatsunien de l’évolution des civilisations et professeur à Harvard, Princeton et Georgetown University, où “de nombreux anciens élèves de l’École de diplomatie de Georgetown affirmaient que c’était ‘le cours le plus influent dans leurs carrières de premier cycle’”. Son sujet d’étude était le Round Table Group, ou groupe Milner, une société secrète (sur le modèle des Jésuites) de l’establishment anglo-étatsunien fondée en 1891 par Cecil Rhodes et Alfred Milner.

Le premier était un magnat britannique des mines de diamant et premier ministre de la colonie du Cap de 1890 à 1896, qui croyait fermement que les Anglo-Saxons étaient “la première race au monde”. La Rhodésie – actuellement Zimbabwe – était nommée d’après lui par les employés de sa British South Africa Company (à la manière que le roi Léopold II des Belges administrait pour son propre compte le Congo, un genre de Trump!) Tandis que le second était pur politicien britannique, également administrateur colonial en Afrique du Sud, ainsi qu’important membre du cabinet de guerre de David Lloyd George pendant la première guerre mondiale. Il s’auto-proclamait nationaliste, impérialiste et “British Race Patriot”.

les événements de 2014 en Ukraine ont fourni un beau prétexte à l’OTAN pour raffermir son encerclement de la Russie

“Quigley attribue à ce groupe un crédit primaire ou exclusif pour plusieurs événements historiques: le raid Jameson, la seconde guerre des Boers, la fondation de l’Union sud-africaine, le remplacement de l’Empire britannique par le Commonwealth des nations et de nombreuses décisions de politique étrangère britannique au XXe siècle”.

Les membres du groupe, dans des déclarations enregistrées par le New York Times en 1902, ont carrément proclamé qu’ils formaient leur société dans le but “d’absorber progressivement la richesse du monde”. “Ils n’étaient pas des promoteurs d’un gouvernement mondial mais des super-impérialistes”. Les mêmes qui actuellement dévorent la Grèce comme l’Ukraine.

ENCERCLEMENT RENFORCÉ

Retour au présent. Tout comme les attaques du 11 septembre 2001, les événements de 2014 en Ukraine ont fourni un beau prétexte à l’OTAN pour raffermir son encerclement de la Russie, soi-disant pour freiner les “ambitions expansionnistes” de celle-ci, tournant ainsi la réalité à l’envers. Depuis lors, il y a de nouveaux centres de commande dans huit États membres, tous de l’Europe de l’Est: Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie et Slovaquie, et la Pologne a offert en plus 2 milliards de dollars aux Etats-Unis pour qu’ils y stationnent des troupes en permanence. Même la Norvège a annoncé qu’elle doublerait la présence de Marines U.S. sur son territoire. Au-delà de l’Europe, le Japon a accepté en décembre 2017 d’étendre son système de défense anti-missiles avec l’aide des Etats-Unis, et la Corée du sud a annoncé à la mi-2016 pareille collaboration avec le déploiement du Terminal High Altitude Area Defense system.

La plus grande farce: faire croire que le système de dite défense anti-missiles déployée le long de la frontière russe sert à se protéger contre des missiles iraniens. Ceux-ci n’ont pas la portée nécessaire pour atteindre le coeur de l’Europe (et surtout l’Iran n’est pas assez fou que pour attaquer ses partenaires économique), tandis que la Russie – la véritable cible – est toute proche.

La mer Noire est une cible de choix et l’OTAN a créé une nouvelle force multinationale de plusieurs centaines de soldats en Roumanie, tandis que l’armée étatsunienne ajoutait une brigade blindée aux deux déjà installées dans la région, cela dans le cadre de l’Initiative européenne de rassurance…

En Ukraine même, après qu’Obama ait envoyé des conseillers militaires et de l’équipement, les États-Unis ont commencé cette année à vendre des armes défensives avancées, y compris des missiles antichars Javelin, pour aider à contrer les insurgés du Donbass soutenus par la Russie.

“Lorsque les dirigeants russes voient l’ingénierie sociale occidentale en Ukraine, ils craignent que leur pays ne soit la cible suivante. Et de telles craintes ne sont certainement pas sans fondement”, dit le professeur Mearsheim dans Foreign Affairs. Surtout quand on pense que des intellectuels comme Zbigniew Brzezinski, conseiller de sécurité nationale sous Jimmy Carter, parlent de diviser la Russie en trois parties afin de l’affaiblir: Russie européenne, république de Sibérie et république extrême-Orientale. Et des “nouveaux” stratèges issus de l’EuroMaidan comme Dmytro Sinchenko et son organisation, Ukrainian Initiative «Statesmen Movement» envisagent, dans un article intitulé «En attendant la troisième guerre mondiale: comment le monde va changer», de revigorer la Organization for Democracy and Economic Development pro-étatsunienne, composée des Georgie, Ukraine, Azerbaijan et Moldavie (GUAM), l’incorporer à l’OTAN et lancer une offensive contre la Russie, déclenchant une 3ème guerre mondiale…

Parlant de délire et d’encerclement de la Russie, mentionnons aussi le bouclier antimissile européen envisagé dès 2002 sous le prétexte grotesque de protéger l’Europe contre … l’Iran! Obama avait confirmé la nécessité de protéger “les Etats-Unis et l’Europe d’un missile balistique iranien armé d’une ogive nucléaire”. Le lieu devait être un endroit entre la Pologne à l’ouest et la Roumanie à l’est où on vient de l’installer, en mars 2016, près du village de Deveselu. La frontière occidentale de l’Iran est à 2.500 km de Vienne à vol de missile. Celle de la Russie à 1.200 km. Les Etats-Unis sont à minimum 9.000 km. Seul le “petit” Soumar (7 mètres de long) peut atteindre 2.500 km. La portée de la plupart (15 mètres de long) ne dépasse pas la Grèce, soit 2.000 km. Mille kilomètres séparent l’Iran d’Israël.

Outre la difficulté technique pour l’Iran d’envoyer un missile jusqu’en Europe centrale (ils sont destinés à la défense de l’Iran contre son très hostile et menaçant voisin israélien), plus généralement, “Le scénario de l’Iran attaquant une alliance militaire nucléaire avec des missiles conventionnels, et même l’idée auparavant plus convaincante de le faire avec un missile à tête nucléaire, sont basés sur l’hypothèse que les dirigeants du pays sont complètement fous”. Commentaires de Tytti Erästö, une chercheuse ancienne membre de la Harvard Kennedy School et du Ploughshares Fund, une fondation anti-nucléaire à Washington, publiés dans le cadre de l’European Leadership Network think-tank european basé à Londres à la tête duquel se trouve Sir Adam Thomson, un ancien représentant permanent de l’Angleterre à l’OTAN.

En bref, “le système est inspiré ‘plus par la théologie que par le bon sens’”, a dit au cours de débats du Congrès étatsunien, Steven Karl Pifer, membre du Brookings Institution’s Center on the United States and Europe, un think tank libéral, et ancien ambassadeur en Ukraine (1998-2000).

Parlant de l’Iran – sujet de pleine actualité – les Etats-Unis, propulsés par les Israéliens, essaient la même tactique avec ce pays: le présenter comme étant offensif. Mais, en plus des récentes attaques occidentales contre l’Afghanistan et l’Irak, ses voisins immédiats, les Iraniens sont douloureusement conscients de l’histoire où l’Angleterre, à nouveau, a joué un rôle très négatif: a) avec la Anglo-Persian Oil Company qui avait obtenu un contrat d’exploitation pétrolière extrêmement défavorable à l’Iran pendant un demi-siècle, b) en s’impliquant dans le coup d’état de 1921 qui a installé Reza Shah au pouvoir, père de celui renversé par les mullahs, c) son service secret M16 organisant l’ ‘Operation Boot’ avec le concours de la CIA (‘Operation Ajax’) un autre coup d’état en 1953 renversant le premier ministre démocratiquement élu Mohammad Mosaddegh justement parce que celui-ci avait nationalisé le pétrole. Est-ce alors étonnant si ce pays cherche avant tout à s’équiper pour se défendre?! Comme l’a dit un lecteur: “On ne peut qualifier l’Iran d’agresseur quand il répond à l’agression étatsunienne”.

PARTENAIRES NEO-NAZI UKRAINIENS ET ÉTATSUNIENS

A l’entrée de la taverne Kompot où nous avons mangé les petits poissons de la mer Noire, en plein centre d’Odessa, montaient la garde deux malabars encagoulés et en uniforme militaire, portant chacun une énorme mitraillette, dont une camouflée sous une toile militaire. Un mafieux quelconque devait se trouver parmi les clients de ce lieu à la mode.

En s’adressant à la foule à Kiev lors de l’EuroMaidan de 2013-14, McCain avait à ses côtés Oleh Tyahnybok, le dirigeant du parti néo-fasciste All-Ukrainian Union Svoboda.

Ou peut-être un officiel, tel Vitali Klitschko, le maire de Kiev et supporter du président Poroshenko, mais aussi boxeur professionnel, ayant reçu en 2016 le titre de Eternal World Heavyweight Champion, décerné aux boxeurs dominants qui ont été invaincus en tant que champions, bref un allié naturel des Etats-Unis. Il était un des pions mentionnés par l’Assistant Secretary of State Victoria Nuland, lors d’une conversation téléphonique rendue publique avec leur ambassadeur en Ukraine, Geoffrey Pyatt où ils envisageaient la composition du “nouveau” gouvernement ukrainien quelques jours avant le renversement du président élu Yanukovych.

Cette même Nuland, chargée de l’Ukraine, avait estimé en décembre 2013, en pleines émeutes devant culminer au coup, que “les Etats-Unis avaient investi plus de 5 milliards de dollars depuis 1991 pour aider l’Ukraine à réaliser ‘l’avenir qu’elle mérite’”, ce à travers le NED, National Endowment for Democracy, un organisme soit-disant destiné à promouvoir la démocratie (lire: un régime au goût de Washington) financé par le Congrès des Etats-Unis via l’Agence d’information des États-Unis (USIA). Jusqu’au coup d’Etat de 2014 le NED avait financé 60 projets en Ukraine en faveur de l’opposition, et son président, Carl Gershman, avait appelé ce pays “le plus gros prix”, rapporte le professeur Mearsheimer dans Foreign Affairs.

Nuland a même participé à des manifestations anti-gouvernementales, en compagnie de l’ambassadeur étatsunien Pyatt ainsi que rien moins que le sénateur républicain John McCain qui a été jusqu’à adresser la foule à Kiev le 15 décembre 2013. Imaginons un haut officiel russe adressant des rallies électoraux aux Etats-Unis ou ailleurs!

Le discours était typique, à la fois sans fond et comportant des mots-clé, déjà attentivement choisis et utilisés par Nuland. “Ceci vous concerne, personne d’autre. C’est l’avenir que vous voulez pour votre pays. C’est l’avenir que vous méritez. Un avenir en Europe. Un avenir de paix, de bonnes relations avec tous vos voisins. Le monde libre est avec vous. L’Amérique est avec vous. Je suis avec vous! Et le destin que vous cherchez se trouve en Europe. L’Ukraine rendra l’Europe meilleure et l’Europe rendra l’Ukraine meilleure”.

L’avenir que vous voulez. Un avenir de paix. Le monde libre – language typique. Et la foule de chanter en anglais: Thank you, Thank you, Thank you!

Réaction d’auditeurs sur YouTube.
HatefulHermit: pourquoi John Mccain dit-il aux Ukrainiens d’aller en Europe ??
mikel1967: J’aimerais que mcain rampe dans une petite cage, quelque part sombre et tranquille, lui et Kerry ne parlent plus pour nous les américains, leurs coups de gueule sont pour les corporate banquiers/gangsters
J B: tellement sans-gêne
Bob Sykes: Pas besoin de fabriquer des ingérences étrangères ici, n’est-ce pas?
YouneS West: Les Américains …, toujours à la recherche de leurs intérêts au nom du chaos des autres nations. Qui êtes-vous John Mccain pour faire aux Ukrainiens un tel discours, c’est immoral.

Après le renversement de Yanukovych, l’ambassadeur étatsunien Pyatt a dit que c’était “un jour qui figurera dans les livres d’histoire”.

Soit dit en passant, entre eux, les officiels étatsuniens utilisent un autre vocabulaire. Dans cette même conversation téléphonique enregistrée puis rendue publique avec l’ambassadeur Pyatt, l’Assistant Secretary of State Nuland avait dit “Fuck the European Union”. Même langage crasse que les néo-nazis et que le président Franklin D. Roosevelt qui avait dit in 1939, à propos du dictateur nicaraguayen de triste mémoire que “Somoza may be a son of a bitch, but he’s our son of a bitch”. Qui se ressemble s’assemble.

Dans son bouquin ‘Promise Me, Dad: A Year of Hope, Hardship and Purpose’ publié en 2017, Biden affirme qu’“il a dû diriger presque chaque étape de l’administration de Porochenko après l’arrivée au pouvoir de celui-ci” et qu’il “téléphonait à Poroshenko et Yatsenyuk presque chaque semaine” pendant des mois.

Cependant, l’Ukraine était loin d’être le seul pays soumis à la pression de Washington à cette époque. Au cours d’une longue présentation au Council of Foreign Relations à Washington, en janvier dernier, Biden a révélé que l’administration éatsunienne “avait passé tellement de temps au téléphone à s’assurer que tout le monde, de [l’ex-président François] Hollande, à [l’ex-premier ministre italien Matteo] Renzi ne renierait pas les sanctions contre la Russie”.

“L’Europe avait d’abord cherché à éviter la campagne de sanctions contre Moscou, a déclaré l’ancien vice-président étatsunien. Il a également ajouté que la chancelière allemande Angela Merkel était presque le seul leader européen important qui “était assez fort pour … rester aux côtés” des Etats-Unis sur cette question, même si elle “ne l’aimait pas” et n’a soutenu Washington “qu’à contrecœur”.

Le nouveau président ukrainien, Petro Poroshenko, lui, “est identifié dans les documents du Département d’État comme étant un informateur pour les États-Unis depuis 2006. Les documents le décrivent comme «notre ‘insider’ ukrainien Petro Poroshenko». Les documents du Département d’État signalent également que Poroshenko est «entaché d’allégations de corruption crédibles”.

Le président Petro Poroshenko avec le maire de Kiev Vitali Klitschko, un champion mondial de boxe, et un des pions de l’Assistant Secretary of State Victoria Nuland, en envisageant la composition du “nouveau” gouvernement ukrainien.

Natalia A. Jaresko, elle, est carrément Etatsunienne, de parents ukrainiens. Elle a été faite citoyenne de l’Ukraine par le président le jour même où celui-ci la nommait ministre des finances. Auparavant elle était même une officielle du département d’Etat des Etats-Unis. Elle a également géré un hedge fund basé en Ukraine mais créé aux États-Unis, accusé de délit d’initié (insider trading). Ainsi qu’un fonds de la CIA qui soutenait les mouvements «pro-démocratie» et a blanchi une grande partie des 5 milliards de dollars dépensés par les États-Unis pour soutenir les manifestations de l’EuroMaidan qui ont mené au coup d’état de Kiev en février 2014.

N’oublions pas Hunter Biden, le fils du vice-président de l’époque, sous Obama, Joe Biden. Ainsi qu’un proche du secrétaire d’Etat John Kerry, Devon Archer, conseiller de la campagne présidentielle de Kerry en 2004, co-président de son Comité des finances nationales et administrateur du bureau de la famille Heinz. Ces deux larrons ont été nommés au conseil d’administration du principal producteur de gaz ukrainien, Burisma Holdings, au lendemain des événements de 2014 – alors que le père Biden circulait dans la région pour sevrer l’Ukraine des sources d’énergie russes. Deux ans plus tard, ils ont été rejoints par Joseph Cofer Black, le directeur du Centre anti-terroriste de la CIA (1999-2002) sous l’administration de George W. Bush et ambassadeur pour le contre-terrorisme (2002-2004), “un type est susceptible d’avoir beaucoup de contacts utiles à Washington.

“Le Washington Post était particulièrement accablant: la nomination du fils du vice-président dans le conseil d’administration d’une compagnie pétrolière ukrainienne semble au mieux népotiste, au pire criminelle», a-t-il écrit peu après la nomination de Hunter Biden. “On doit se demander combien le salaire doit être élevé pour mettre en péril le soft power étatsunien comme cela. Assez gros, doit-on penser”.

(À suivre)

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