Ukraine: grenier et laboratoire politique du monde

La réalité à l’envers. Les Etats-Unis sont le véritable agresseur

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425.000 km2 de terres cultivées, soit 0,7 hectare de terres arables par personne en Ukraine, comparé à 0,5 ha aux Etats-Unis, 0,15 ha en Allemagne, 0,08 ha en Chine et 0,03 ha en Egypte.

(1ère partie)

En 2014 le président démocratiquement élu Viktor Yanukovych est renversé après les longues émeutes dites de l’EuroMaidan, qualifié de coup d’Etat par des observateurs. Putin annexe alors la Crimée – à majorité russe – et soutient militairement les sécessionistes de la région du Donbass dans l’est du pays –  composée notamment des municipalités de Donestk et Luhansk – tandis que les Occidentaux s’insurgent contre ce qu’ils appellent l’agression russe.

Au nord du cap Kaliakra en Bulgarie ce sont des steppes à l’infini. Les milliers de kilomètres carrés de champs de tournesols continuent jusqu’à toucher la mer Noire. Ils commencent dès que l’on quitte Istanbul vers le nord et traverse la Thrace orientale et ensuite la Bulgarie et la Roumanie. En entrant en Ukraine le jaune s’éclate à perte de vue, ce pays étant devenu le premier producteur mondial de tournesols avec 10 millions de tonnes destinées à faire de l’huile de cuisine. Par leur couleurs et l’époque de l’année, ces relativement nouvelles cultures supplantent les traditionnelles plantations de maïs et de blé qui se maintiennent pourtant respectivement à 39 et 27 millions de tonnes, grâce à des sols “noirs”, contenant un pourcentage élevé d’humus et des nutriments essentiels tels que acide phosphorique, phosphore et ammoniac, qui faisaient de l’Ukraine le grenier de l’Union Soviétique, et maintenant du monde entier.

Mega chiffres: 425.000 km2 de terres cultivées, soit 0,7 hectare de terres arables par personne en Ukraine, comparé à 0,5 ha aux Etats-Unis, 0,15 ha en Allemagne, 0,08 ha en Chine et 0,03 ha en Egypte. Et des exploitations de 500 hectares, et même de 2.500 hectares ou plus, comparé à une taille moyenne dans l’Union Européenne de … 17 hectares.

Ces mêmes immenses étendues qui ont épuisé les invasions suédoise (début 18ème siècle), napoléonnienne (début 19ème siècle), allemande impériale (début 20ème siècle), et dernièrement nazie, chaque fois à un siècle d’intervalle. Jusqu’à présent trois quarts de siècle se sont écoulés depuis l’opération Barbarossa d’Hitler…

Du nord de la Bulgarie à l’Ukraine ce sont des champs de tournesols à l’infini, coupés de maïs et de blé, faisant de ce dernier pays le grenier du monde et anciennement de l’Union Soviétique. Photo: Alexandra Panaguli

Des sols bien irrigués, des pluies torrentielles quotidiennes ne nous ont pas quitté depuis Istanbul. A ce même cap Kaliakra, on roulait comme dans un fleuve. Nous avions laissé derrière les magnifiques, vastes forêts du massif Strandzha, autrefois 100% turques maintenant à moitié bulgares depuis la guerre des Balkans de 1912-13 quand la Turquie a perdu presque tous ses territoires européens.

A part une nourriture plus sophistiquée en Bulgarie, la cuisine – à base de blé, chou et porc – les femmes en fichu, les hommes au crane rasé, les maisons basses, les grands crucifix aux entrées de villages, les églises orthodoxes à coupole métallique brillamment colorée, les douaniers méfiants et corrompus, les mauvaises routes, le plat paysage dénudé, tout se ressemble en Roumanie, Moldavie, Transnistrie et Ukraine, ce dernier étant (avec la Crimée récemment annexée par la Russie) le plus grand pays d’Europe, avec la plus grande armée

Nous venons de passer le poste-frontière roumain-moldave. Mais après avoir roulé pendant seulement deux kilomètres nous tombons sur une autre frontière, cette fois entre la Moldavie et l’Ukraine. Deux cent cinquante kilomètres plus loin nous repassons tout aussi brièvement en Moldavie pendant 7,6 kilomètres.

Pour faire les 300 kilomètres entre Galati en Roumanie et Odessa dans l’Ukraine voisine, il faut ainsi passer par quatre doubles contrôles douaniers car la route principale passe par de minuscules bouts de territoire moldave – et pas n’importe lesquels: avec entrées et sorties dans l’ordinateur de chaque pays, interrogatoires (première fois en Ukraine/Moldavie? où allez-vous? la voiture est à vous? n’avez-vous rien à déclarer? cigarettes, alcool? etc etc), vérification du numéro de chassis et fouille des bagages – de plus nous étions tombés sur un des nombreux bus de jeunes vacanciers ukrainiens, il fallait en moyenne une heure pour chaque contrôle, tout cela en dépit des dits progrès technologiques.

Poste frontière entre la Moldavie et l’Ukraine. La route principale entre les deux villes ukrainiennes d’Odessa et de Izmail passe par 7 kilomètres de territoire moldave. Héritage de conflits historiques mais également témoignage de l’homogénéité anthropologique et politique de toute la région. Photo: Alexandra Panaguli

Le surréalisme ne se limite pas aux frontières. Alors que Tulcea (Roumanie) et Izmail (Ukraine) se font face à une vingtaine de kilomètres de part et d’autre du delta du Danube (à un endroit, la distance entre les routes y menant n’est que de trois kilomètres), il faut faire un détour de 172 kilomètres pour passer de l’une à l’autre, prendre un ferry pour traverser le Danube et de plus, traverser ces deux kilomètres de pays tiers (Moldavie), soit deux passages de frontière.

Au retour, pour aller d’Odessa en Ukraine à Chisinau, capitale de la Moldavie voisine (180 km), il nous faudra faire un détour de 71 km par des routes secondaires (et encombrées) et le petit poste de Starokozache pour éviter de passer par le territoire de cette Transnistrie qui n’est pas reconnu par la Moldavie.

Surréalisme également dans les populations. La première ville que nous rencontrons en Ukraine, sur la rive gauche du Danube, Izmaïl, nous rappelle l’immense étendue que couvrait l’empire ottoman du 15ème au 19ème siècles et la complexe histoire de toute la région. Son nom vient du Grand Vizir Izmail, l’équivalent de premier ministre, lequel avait son quartier-général dans cette ville lors des nombreuses guerres ottomano-russes. En fait la ville existait déjà en Grèce antique au 4ème siècle av. J.-C. sous le nom d’Antiophilas, avant de devenir byzantine, puis s’équiper au 12ème siècle d’une forteresse bâtie par des marchands gênois.

Vers la fin du 14ème la région a commencé à être connue sous le nom de Bessarabie, peut-être du nom de la dynastie régnante de Vallachie, le terme gothiquo-allemand Walh signifiant “non-Germain”, soit les peuples de parler roman (comme également les Wallons belges, Gallois (Wales) et Cornouailles (Cornwall) britanniques). En 1484 elle est tombée avec tout le reste de l’empire byzantin aux mains des Ottomans. Il a fallu quatre siècles avant qu’elle ne soit reconquise à plusieurs reprises par la Russie et la Roumanie. Une complexe histoire avec pour résultat qu’on y trouve aujourd’hui 75 nationalités… Donetsk, elle, à l’autre bout du pays, en compte 130. Toute cette région aux confins de l’Europe a vu bien des peuples la traverser en allant vers l’ouest, et parfois s’y installer

Nous avions pu voir les descendants de la population musulmane d’Ismaïl qui avaient trouvé refuge à Babadag (“Montagne du Père” en turc), bourgade maintenant située en Roumanie, à une cinquantaine de kilomètres au sud du delta du Danube. Incidemment, on trouve également dans cette ville l’un des plus grands et des plus modernes champs de tir d’entraînement en Europe, utilisés par l’armée étatsunienne depuis que la Roumanie a rejoint l’OTAN.

Une chose unit toutes ces régions et populations couvrant les anciens territoires perses et ottomans: les salades.

Autre vestige ottoman, le village de Beştepe (“Cinq Collines” en turc), situé au centre de l’immense delta du Danube. Même Odessa, ville pleinement ukrainienne sur la mer Noire, possède une très belle mosquée, Al-Salam, originalement construite au 13ème siècle par les Tatars, un peuple venant de Mongolie et descendant par alliance de Gengis Khan. Ceux-ci s’étaient installés sur un port peut-être autrefois utilisé par les anciens grecs de Histria (la ville “au bord du Danube”) plus au sud, un parmi les nombreux comptoirs commerciaux existant le long de la mer Noire dès le 6ème siècle avant notre ère.

Une chose unit toutes ces régions et populations couvrant les anciens territoires perses et ottomans: les salades. Que ce soit à Odessa, à Sofia, à Istanbul, à Damascus, à Shiraz, soit 4.000 kilomètres et cinq pays plus loin, la traditionnelle comprend des tomates, concombres et poivrons coupés en petits morceaux, parfois recouverts de fromage râpé. Sinon, les plats diffèrent bien que souvent les noms soient pareils: güveç ou giouvetsi pour un ragoût de boeuf cuit au pot-au-feu, et bien sûr les, kofta (Inde), kōfta (persan), kufta (Moyen-Orient), köfte (turc), kefte (grec), qofte (Albanie), soit des boulettes de viande.

Ainsi, à Sofia, un Bulgare nous avait recommandé un plat “local”, le Странджанки Гюведже, strandjanki giouvetsi, un pot au feu dit de Strandzha (le massif précité) mais rencontré partout sur ces territoires. A Odessa nous avons mangé les petits poissons “locaux” de la mer Noire au Kompot, une taverne jolimment décorée avec des bocaux de compote. Et dans une taverne-boutique bessarabienne, bien décorée en sous-sol, goûté du vin local et des amuse-gueules intéressants, tous de cette région historique de Bessarabie, actuellement divisée entre l’Ukraine et la Moldavie.

SURRÉALISME POLITIQUE

C’est là que j’ai acheté le numéro 13 de la Odessa Review. On y présente le roman “The War Artist” de Maxim Butchenko, un Ukrainien qui a travaillé pendant 30 ans dans les mines du Donbass – cette région fortement industrialisée et prolétarisée de l’est, fort éloignée de la capitale et actuellement occupée par la Russie – avant de devenir journaliste à Kiev.

“En bas dans la mine, c’est la même chose que d’être sur le front dans une guerre. Si vous n’êtes pas tué, vous êtes estropié”, lui-même ayant échappé quelques fois à des explosions avant de devenir écrivain. Et il donne cette vue romantique basée sur son expérience: “La cause de toutes les guerres est la créativité insatisfaite. Quand une personne ressent le besoin de créer quelque chose, mais n’a pas la possibilité de le faire, elle commence à détruire quelque chose “.

Dans la même revue, le journaliste David Patrikarakos estime, lui, que la guerre est “la pratique de la politique”. Les Russes pourraient facilement vaincre les Ukrainiens, tout comme les Israéliens le Hamas, mais leurs buts ne sont pas militaires mais de faire passer un message: “Le gouvernement ukrainien est fasciste et veut persécuter les Ukrainiens de souche russe” (ce qui est très probable, voyant leur passé). L’Etat juif: “Nous sommes un pays démocratique sous attaque terroriste”. Le Hamas: “Nous sommes un peuple opprimé massacré par l’occupant”

Et le message passe via les médias sociaux. Patrikarakos vient d’écrire, “La guerre en 140 caractères: comment les médias sociaux redéfinissent le conflit au XXIe siècle”

Et il ajoute: “[Ces conflits] sont devenus presqu’un spectacle”. Un des derniers ouvrages (pessimistes) de l’écrivain et homme politique péruvien et prix nobel de littérature, Mario Vargas Llosa, est “La civilización del espectáculo”, où il dit que nous vivons dans un type de société qui privilégie surtout le spectacle et le divertissement.

20 octobre 2016, Bruxelles, Belgique, quartier-général de l’OTAN, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg reçoit le président de l’Ukraine, Petro Poroshenko, une de leur nombreuses rencontres. En resserrant son étreinte autour de l’Ukraine, l’OTAN a provoqué la réaction de la Russie, une crise internationale qui dure depuis 2014.

En cela les guerres n’échappent pas à la tendance. Grâce à la télévision, et les jeux sur internet, la guerre est devenue un divertissement, un dérivatif à l’ennui. On peut tranquillement assister au massacre de peuples en étant confortablement assis dans son canapé, grignotant des cacahuètes ou sirotant du porto, simplement que, maintenant, comme le dit aussi Patrikarakos, on voit tout

“En temps réel et plus en détail que jamais”.

Dans “Le spectateur impatient”, paru dans le Monde diplomatique de ce mois de juillet, Gérard Mordillat, écrivain et cinéaste, parle de l’emprise de l’image et de la rapidité: “Ainsi la violence qui s’exprime dans nombre de films (et dans les jeux vidéo) [et surtout dans la réalité, ajouterai-je] devient-elle un artefact de cette violence, une coquetterie décorative où le sang gicle, où les coups pleuvent en feu d’artifice sans que la douleur, la souffrance, l’horreur coupent l’appétit du spectateur”.

Celui-ci “perd tout recul” et est “ébloui par l’image”. “Quant aux dialogues (ou aux discours), les plus courts sont les meilleurs, et la ‘petite phrase’, le tweet, le slogan prospèrent”, “Fini les pauses, les temps morts, la réflexion sur et au travail. Au nom de la sainte productivité, l’homme ou la femme à la tâche ne doit pas lever le nez de la journée, de même qu’il ne doit pas quitter l’écran des yeux”. Et il parle des grands films d’avant, “Ces films-là, qui nous apprennent à voir, à entendre, qui suscitent notre regard, travaillent le temps et l’espace sans jamais chercher à nous vendre des savonnettes, disparaissent des écrans”. Il conclut: “Ce spectateur impatient est une création des publicitaires”

Toujours dans cette même Odessa Review, Stuart Linder, un avocat étatsunien cette fois (basé à Kiev, travaillant pour Humanitarian and Human Rights NGO Rights to Protection), estime que, dans le cas des réfugiés de la région conflictuelle de Donbass, “Parfois, il semble que ce soit la politique du gouvernement [ukrainien] qui blesse le plus les PDI [les réfugiés internes] et les personnes affectées par le conflit. Une politique qui semble parfois motivée par l’animosité envers les personnes originaires du territoire qui constitue maintenant la NGCA [zones non contrôlées par le gouvernement] “, autrement dit venant des régions de Donetsk et Luhansk. Et il donne l’exemple du gouvernement ukrainien refusant de donner des pensions (entre 60 et 100 dollars étatsuniens par mois) à un demi-million de réfugiés ayant pourtant fui ces zones.

le Donbass a vu naître deux nouveaux “Etats” révoltés contre l’Ukraine: la Luhansk People’s Republic ainsi que la Donetsk People’s Republic

En effet, le Donbass a vu naître deux nouveaux “Etats” révoltés contre l’Ukraine: la Luhansk People’s Republic ainsi que la Donetsk People’s Republic, non reconnus par la communauté internationale. À Odessa nous sommes à 700 km de cette région orientale du Donbass en plein conflit militaire avec la Russie, et seulement 300 km de la Crimée, annexée en 2014 par Putin, apparemment assez pro-russe (cette partie, on n’en parle presque plus). Mais à Odessa rien ne rappelle la guerre, la ville est remplie de cafés occidentalisés, musique, décorations, marques, slogans, et seuls de beaux vieux bâtiments et de nombreuses cours intérieures délabrées marquent le passé, même les vieilles voitures sont surpassées par les jeeps Mercedes, BMW, Land Rover, Toyota, Jaguar même.

Tout le pays se tourne vers l’Europe. À l’occasion du sommet Ukraine-Europe de ce 9 juillet à Bruxelles suivi du sommet de l’OTAN et de la réunion à Helsinki entre Putin et Trump, le président ukrainien, Petro Poroshenko, a écrit dans le Financial Times (il aurait pu choisir une publication sans rapport avec le Brexit): “Ma mission dans la vie est de réaliser le destin de l’Ukraine en tant que membre de la famille européenne”, mentionnant entre autres, “Mon ambition est donc de traduire les aspirations européennes de l’Ukraine en des alliances plus profondes avec l’Union européenne, en commençant par le marché numérique, la coopération douanière”.

En fait, c’est le contraire qui nous frappait dans ce périple et pas seulement aux frontières, “Et dire que ces pays sont en Europe!” Ces têtes rasées (la vaste majorité) me mettaient mal à l’aise par leur ressemblance à des néo-nazis, et rappelaient que ces pays – Hongrie, Croatie, Ukraine – ont fameusement aidé Hitler, massacrant, respectivement, leurs Juifs, leurs Serbes, leurs Polonais, et tous trois leurs gitans.

La même Odessa Review présente une critique de la pièce théâtrale “The Trials of John Demjanjuk: A Holocaust Cabaret”, de 2004 du Juif-Canadien Jonathan Garfinkel qui tente de mettre une figure humaine – en l’occurrence cet Ukrainien-NordAméricain gardien de camp de concentration – derrière les massacres. Après avoir provoqué un scandale à Kiev, la pièce commence par tourner les projecteurs vers le public sur les paroles d’un acteur: “Y a-t-il des criminels nazis âgés dans l’auditorium qui aimeraient intervenir et avouer leurs crimes?”

Ivan Demjanjuk: le tristement célèbre Ukrainien naturalisé citoyen des Etats-Unis, présumé coupable d’atrocités contre 28.000 victimes juives dans le camp de concentration où il était gardien.

Les supporters de ces émeutes dites de l’EuroMaidan admettent que des éléments d’extrême-droite y étaient actifs, mais se mettent sur la défensive: “L’extrême-droite est également présente, mais si la révolution veut vraiment être démocratique, ne devrait-elle pas contenir toutes les parties de la société, même les plus écoeurantes?” Propos fort simplistes de Peter Pomerantsev, journaliste anglais.

Présentant le livre “The Ukrainian Night: An Intimate History of Revolution” de Marci Shore, prof d’histoire intellectuelle  à Yale, Pomerantsev dit que ces jeunes “révolutionnaires” reprochaient à Yanukovych son manque d’idéalisme et sa corruption, “‘Prodazhnost’ l’idée que tout le monde est à vendre”. Nous allons vite voir de quoi il en retourne.

OTAN ET FMI: PILLER L’UKRAINE

Tout cela commence à ressembler à du verbiage, de bonne ou mauvaise foi, qui masque, en tout cas, une vaste stratégie sous-jacente. David Patrikarakos est basé à Londres où il a étudié à Oxford. Il écrit pour le Daily Beast et Politico, mais également pour le New York Times, Financial Times, et Wall Street Journal, et, en ce qui nous concerne, dans la Odessa Review. Celle-ci se dit: A Journal for the New Ukraine.

Peter Pomerantsev, autre contributeur de cette même revue, est né à Kiev mais a suivi ses parents en Allemagne et puis Londres dans les années 70 quand son père, poète et radiophoniste, a été accusé de propagande anti-soviétique avant de travailler pour la BBC. Pomerantsev a écrit pour le Atlantic Monthly, Newsweek, ainsi que le Financial Times. Il qualifie le régime de Vladimir Putin de “dictature post-moderniste”. Il participe à un projet d’étude sur la désinformation (Arena) à la London School of Economics, et, comme Patrikarakos, se spécialise sur l’utilisation des médias social à des fins politiques.

Bohdana Kostiuk, encore une nouvelle journaliste de Kiev, est correspondante à la Radio Free Europe/Radio Liberty, une radio basée à Washington, visant l’Europe de l’Est, l’Asie centrale et le Moyen-Orient, fondée en 1949 comme source de propagande anti-communiste par le National Committee for a Free Europe. Sa politique de diffusion était établie à l’origine avec le concours de la CIA et du département d’Etat. Jusqu’en 1995 son quartier-général se trouvait à Munich, le plus près possible de l’Europe de l’Est, avant de déménager à Prague en république Tchèque après la chute de l’URSS.

Kostiuk répercute l’idée, selon elle fort répandue parmi les “experts” ukrainiens, que la Russie pourrait attaquer le sud de l’Ukraine à partie de la Transnistrie, un Etat pro-russe non reconnu entre la Moldavie et l’Ukraine, où elle a des troupes stationnées.

Le but du coup est de mettre les bases militaires de l’OTAN à la frontière de l’Ukraine avec la Russie…

Tous construisent l’image que la Russie est l’agresseur dans le cas, entre autres, de l’Ukraine, et abondent aux vues du nouveau président. “Le ‘Monde Russe’ transforme tout ce qu’il touche en ruine et en désolation. Regardez l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud, la Transnistrie, le Donbass occupé et la Crimée occupée. Selon la doctrine responsable du ‘Monde Russe’, toute l’Europe doit ressembler à Kaliningrad et Donetsk occupée», a dit Poroshenko à la conférence sur la sécurité à Munich en février 2018.

Pour Paul Craig Roberts, ces journalistes de la nouvelle génération ainsi que “les manifestants idéalistes sincères qui sont descendus dans la rue sans être payés [lors de l’EuroMaidan] sont des dupes crédules au service d’un complot pour détruire leur pays”.

Roberts n’était rien moins que secrétaire-adjoint au Trésor des États-Unis pour la politique économique sous le président Reagan en 1981, connu pour être le plus zélé partisan de l’économie de l’offre – soit baisser les impôts et déréguler – avant d’écrire pour le Wall Street Journal, Business Week et Harper’s Magazine. Il était également professeur William E. Simon Chair en économie politique à la Georgetown University, par où passent ceux désireux d’avoir un poste au gouvernement étatsunien. Finalement, il était membre du Cato Institute et de la Hoover Institution, think tank des plus traditionnels, comptant, parmi beaucoup d’autres membres passés, George Shultz, Condoleezza Rice et l’actuel ministre de la défense sous Trump, le général James Mattis.

Dans son article “Le pillage de l’Ukraine par l’Occident a commencé”, publié peu après le renversement du président Yanukovych en février 2014, Roberts écrit: “Le but du coup est de mettre les bases militaires de l’OTAN à la frontière de l’Ukraine avec la Russie et d’imposer un programme d’austérité du FMI qui sert de couverture aux intérêts financiers occidentaux pour piller le pays”.

Barack Obama en discussion avec Viktor Yanukovych lors du sommet sur la sécurité nucléaire à Séoul en 2012. Les Etats-Unis essayaient d’attirer le président ukrainien dans leur camp, avant de le renverser quand il a préféré la Russie.

“Le prêt du FMI apporte de nouvelles conditions et impose une austérité au peuple ukrainien pour que le gouvernement ukrainien puisse rassembler l’argent nécessaire pour rembourser le FMI”. C’est une copie conforme de ce qui se passe en Grèce depuis 2009, sauf que là, c’est la rapacité et l’incompétence des dirigeants qui ont mis l’argent en poche en hypothéquant le pays et le livrant à la merci de l’encore plus avide finance internationale.

En fait, Michel Chossudovsky, professeur d’économie à l’université d’Ottawa dit que “Les réformes prévues pour l’Ukraine seront bien plus dévastatrices” que le Greece Model Austerity Package. Et il détaille: Pavlo Sheremeto, le nouveau ministre du Développement économique et du Commerce a appelé dès sa nomination à la «déréglementation, totale et à tous les niveaux», comprenant l’élimination pure et simple des subventions sur le carburant, l’énergie et les aliments de base. Associée à la privatisation était la procédure de “scission” – qui a été imposée à la Corée du Sud en vertu de l’accord de sauvetage du FMI de décembre 1997 et a nécessité le morcellement de plusieurs “chaebols” (conglomérats d’affaires) puissants en petites entreprises, dont beaucoup ont été repris par les États-Unis, l’UE et le Japon”.

Roberts, lui, répond à une question fascinante: “Malgré les preuves sans équivoque qu’un pays après l’autre est pillé par l’Occident, les gouvernements des pays endettés continuent de souscrire aux programmes du FMI. Pourquoi les gouvernements continuent-ils à accepter le pillage de leurs populations par l’étranger? La seule réponse est qu’ils sont achetés. La corruption qui s’abat sur l’Ukraine fera paraître l’ancien régime comme honnête”.

L’OTAN TOUCHE LA RUSSIE

La stratégie occidentale est plus globale, ajoute-t-il parlant de l’OTAN. Il a discuté de ce point en septembre 2014, au Radio Show de Rob Kall, avec Noam Chomsky, autrefois qualifié par le New York Times d’“intellectuel le plus important en vie aujourd’hui”.

Dixit Chomsky: “À ce stade, nous menaçons les intérêts stratégiques fondamentaux de tout gouvernement russe – on ne peut blâmer Putin – ce serait n’importe quel gouvernement russe… ils seraient profondément préoccupés par l’expansion étatsunienne de l’OTAN, qui est une alliance militaire hostile, tout contre leur centre stratégique”.

Ditto de la part de Seumas Milne, fils d’un ancien directeur de la BBC, lui-même ex-journaliste à The Guardian et The Economist, directeur exécutif de la stratégie et des communications du Parti travailliste sous la direction de Jeremy Corbyn: “La tentative de faire basculer Kiev dans le camp occidental en évinçant un dirigeant élu rendait le conflit certain. Cela pourrait être une menace pour nous tous”. “Cette crise a été déclenchée par la tentative de l’Occident d’attirer résolument l’Ukraine dans sa structure d’orbite et de défense, via un accord d’association explicitement anti-Moscou”.

Le métropolite Lazare de Simferopol célèbre, à Sevastopol en Crimée en 2013, les 1025 ans de la christianisation de la région en la présence des présidents ukrainien Viktor Yanukovych et russe Vladimir Putin. La religion orthodoxe est fort présente tant en Ukraine qu’en Russie.

Un autre important membre de l’establishment étatsunien abonde dans le même sens. Quand le Sénat étatsunien avait approuvé le premier cycle d’expansion de l’OTAN en 1998, son bien connu diplomate George Kennan, ancien ambassadeur étatsunien à Moscou et à Belgrade, avait alors dit lors d’une interview au New York Times (à l’âge de 94 ans): “Je pense que les Russes vont réagir de manière assez négative et cela affectera leurs politiques […] Je pense que c’est une erreur tragique. Il n’y avait aucune raison pour cela. Personne ne menaçait personne”.

“Cette expansion ferait retourner les Pères Fondateurs de ce pays dans leurs tombes. Nous nous sommes engagés à protéger toute une série de pays, même si nous n’avons ni les ressources ni l’intention de le faire sérieusement. [L’expansion de l’OTAN] était simplement une décision à la légère d’un Sénat qui n’a aucun intérêt réel dans les affaires étrangères”.

Ni même l’intention de réellement défendre ces nouveaux membres. “L’OTAN s’est élargie dans le passé parce que les libéraux supposaient que l’alliance n’aurait jamais à honorer ses nouveaux engagements de sécurité”. “Le summum de la stupidité” estime le professeur Mearsheimer, notant que l’Occident n’est pas intervenu militairement pour soutenir l’Ukraine lors de l’annexation de la Crimée de 2014 par la Russie. En fait, alors que Bush père et fils y avait été une fois chacun et Clinton quatre fois, Obama qui était président en 2014, n’a jamais été en Ukraine. “C’était la première administration dont le président n’a jamais mis le pied sur le sol ukrainien. En deux termes, c’était tout à fait inattendu, de ne pas montrer de soutien au pays dans le besoin et d’avoir la dernière visite à où? Grèce?”, se plaint Vadym Prystaiko, le vice-ministre des affaires étrangères.

quelle serait la réaction des Etats-Unis d’Amérique si la Russie faisait un traité de sécurité avec le Mexique, et envisageait des exercices militaires sur le territoire de celui-ci?

Les Etats-Unis ne veulent pas aller trop loin car ils ont besoin du concours de celle-ci pour des problèmes stratégiques: avec l’Afghanistan, l’Iran, la Syrie, la Chine. L’Ukraine ne sert qu’à dresser l’opinion publique contre la Russie, faisant paraître celle-ci comme un Etat paria et Putin comme un nouveau Hitler. “Un exercice cynique d’intimidation [saber-rattling] contre la Russie avec peu d’intérêt manifeste pour la démocratie libérale”.

John J. Mearsheimer est encore une autre personnalité étatsunienne: professeur à l’université de Chicago depuis 1982 après avoir passé une dizaine d’année dans la U.S. Air Force et la fameuse United States Military Academy à West Point, et membre de la American Academy of Arts and Sciences avec plein de prix. Il était opposé à la guerre contre l’Irak en 2003, opposé à la dénucléarisation de l’Ukraine en 1994 (parce que cela laisserait le pays vulnérable à la Russie) et auteur de l’ouvrage “The Israel Lobby and U.S. Foreign Policy”.

Quelques mois après les événements de 2014 il a écrit dans Foreign Affairs, le magazine du très officiel Council on Foreign Relations, un article intitulé: “Pourquoi la crise en Ukraine est la faute de l’Occident – Les illusions libérales qui ont provoqué Poutine”. “Washington n’aime peut-être pas la position de Moscou, mais il devrait comprendre la logique derrière cela. C’est le fondement de la géopolitique: les grandes puissances sont toujours sensible aux menaces potentielles près de leur propre territoire. Après tout, les États-Unis ne tolèrent pas que les grandes puissances lointaines déploient des forces militaires dans l’hémisphère occidental, et beaucoup moins sur ses frontières. Imaginez l’indignation à Washington si la Chine mettait sur pied une imposante alliance militaire et essayait d’y inclure le Canada et le Mexique”.

Il ne faut pas être intellectuel pour imaginer quelle serait la réaction des Etats-Unis d’Amérique si la Russie faisait un traité de sécurité avec le Mexique, et envisageait des exercices militaires sur le territoire de celui-ci!

Déjà en avril 2008, lors du sommet de l’OTAN à Bucarest (en Roumanie, un pays de l’Est), les Etats-Unis (et la Pologne) voulaient offrir un “plan d’assistance” de l’OTAN à la Géorgie et l’Ukraine – deux pays tout contre la frontière russe et sur la mer Noire – mais l’Angleterre, l’Allemagne et la France les avaient bloqués disant que “ce serait “une offense inutile” à la Russie”. A la fin du sommet, le 4 avril, Putin avait confirmé que l’élargissement de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie “serait considéré en Russie comme une menace directe à la sécurité de notre pays”. A l’époque les Européens étaient plus réalistes, ou moins hypocrites. Depuis, les Etats-Unis ont entrainé leurs “alliés” vers le conflit.

Dès le mois suivant, mai 2008, l’Union Européenne annonçait son Initiative de partenariat oriental, un programme visant à intégrer les pays de l’Est restants, soit Arménie, Azerbaijan, Belarus, Géorgie, Moldavie, et… Ukraine dans l’économie de l’UE. Aux yeux de la Russie, “l’expansion de l’UE est un piège pour amener l’expansion de l’OTAN”, dit Mearsheimer. C’est pour avoir refusé un tel programme européen que Yanukovych a été renversé.

(A suivre)

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