Top 10 des mensonges sur la révolution bolchevique

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De gauche à droite Léon Trotsky, Joseph Staline et Vladimir Ilitch dit Lénine

3ème partie

 

 

  1. Trotsky a massacré les marins de Kronstadt

La rébellion de Kronstadt, en mars 1921, est une des critiques principales des anarchistes envers la révolution bolchevique. Malheureusement, ceux qui crient « KRONSTADT » à tort et à travers ont rarement pris le temps d’étudier les véritables événements de la révolte. La réalité est que Kronstadt fut une malheureuse tragédie, mais certainement pas un exemple du comportement autoritaire des bolcheviks ennemis de la démocratie.

Le nom de Kronstadt mérite à juste titre une place d’honneur dans les annales de la révolution d’Octobre. Les marins de la forteresse gardant le port de Petrograd étaient parmi les combattants les plus radicaux et les plus dévoués de 1917. Néanmoins, les marins de 1921 n’étaient pas ceux de 1917. Les héros du début de la révolution avaient été les premiers volontaires lors de la guerre civile, et beaucoup étaient morts ou avaient été mutés au cours du conflit. En 1921, les marins de Kronstadt étaient majoritairement des fils de paysans.

Pour gagner la guerre civile, les soviets avaient adopté la politique du « communisme de guerre ». Elle consistait notamment en une réquisition de céréales sur les paysans pour nourrir les troupes au front et les ouvriers des usines d’armement dans les villes. Dans les premiers temps, les paysans ont consenti à ce sacrifice, sachant que le gouvernement soviétique les protégeait du retour des grands propriétaires terriens. Mais, à mesure que la guerre avançait, les dynamiques économiques ont fini par prendre le pas sur les sympathies politiques. Les paysans ont commencé à réclamer le rétablissement de la liberté du commerce pour les céréales, et cela était la principale revendication des fils de paysans de Kronstadt. Quelques anarchistes étaient présents et des résolutions d’inspiration anarchistes ont été adoptées, mais la question centrale demeurait la liberté du commerce.

L’État ouvrier a commencé à négocier avec les rebelles à la fin de l’hiver. Malheureusement, la fonte de la glace autour de l’île forçait à agir rapidement. En effet, si cela était arrivé, cela signifiait l’abandon du contrôle de la navigation du port de Petrograd à la forteresse révoltée. Kronstadt aurait pu littéralement affamer la capitale prolétarienne en pleine guerre civile. Ne rien faire face à une telle perspective aurait été criminel et le gouvernement soviétique a été forcé d’organiser un assaut pour reprendre le contrôle de l’île.

La triste réalité est que la révolte de Kronstadt, et la répression qui s’ensuivit, sont des tragédies de la guerre civile. Des négociations plus longues auraient pu l’éviter, mais les bolcheviks n’avaient pas le choix. La malveillance de nos adversaires fait porter la « faute » de cette tragédie à Léon Trotsky. Tous les prétextes sont bons, aux yeux de la bourgeoisie libérale, pour salir le drapeau sans taches de Trotsky et de l’Opposition de gauche au stalinisme. Trotsky a ensuite souligné qu’il n’avait personnellement rien eu à voir avec la reprise de l’île, mais qu’en tant que dirigeant de l’Armée rouge, il était évidemment politiquement en accord avec la nécessité des mesures prises par ses camarades sur le terrain.

Quelles qu’aient pu être les intentions des marins révoltés pris isolément, leur attitude aurait conduit directement à la prise de l’île, et de la ville, par les armées blanches stationnées en Finlande. Il faut noter que, dans les mois suivants Kronstadt, les bolcheviks ont réalisé que le communisme de guerre avait atteint ses limites, et ont adopté la Nouvelle Politique Economique (NEP). L’élément central de celle-ci était la liberté du commerce des céréales. Les Bolcheviks s’étaient auparavant opposés à cette mesure, car ils comprenaient que cela favoriserait les paysans riches (les « koulaks »). Cela ne fait que rendre tout cet épisode plus tragique encore. Néanmoins, tout cela n’a pas empêché les anarchistes de s’opposer à la NEP, alors que la liberté du commerce était au centre des revendications de Kronstadt! Les anarchistes n’ont jamais été réputés pour leur cohérence.

  1. Le bolchevisme mène inévitablement à la dictature stalinienne

Pas une goutte d’encre n’a été épargnée dans les efforts pour prouver que le bolchevisme conduit inévitablement au stalinisme et à la dictature. Il n’y a pas de plus grande calomnie contre les combattants de 1917 que cela : les identifier à ceux qui les ont trahis, les ont emprisonnés et exécutés. Une rivière de sang sépare le bolchevisme du stalinisme. En 1942, la presque totalité des membres du comité central bolchevik de 1917 étaient morts, pour la plupart de la main de Staline. Si le stalinisme était la continuation logique du parti de Lénine, pourquoi cela aurait-il été nécessaire? Personne n’a été en mesure de répondre à cette question élémentaire.

Les origines du stalinisme n’ont rien à voir avec un soi-disant péché originel du léninisme. Le parti bolchevik de 1917 reposait non seulement sur la démocratie politique, mais aussi économique. Le contrôle démocratique des travailleurs sur la production était uni à la démocratie directe des soviets. Cela est bien plus démocratique que ce qui existe sous le capitalisme, dans lequel la démocratie est déformée par la corruption et le charcutage électoral, et où règne la dictature absolue des patrons dans l’entreprise.

Malheureusement, la Russie tsariste souffrait d’un niveau d’éducation incroyablement bas. 90% des Russes étaient des paysans, et le taux d’alphabétisation était inférieur à 30%. Dans cette situation, le jeune État ouvrier avait dû s’appuyer sur les vieux bureaucrates de l’époque tsariste pour que la société continue de fonctionner. C’était acceptable dans les premiers temps, de 1917 à 1921, quand les travailleurs exerçaient un contrôle sévère sur les bureaucrates privilégiés. Mais après quatre ans de guerre mondiale et trois ans de guerre civile, les ouvriers étaient épuisés. Les éléments les plus dévoués de la classe ouvrière avaient été les premiers à se porter volontaires pour le front, et beaucoup de ces anonymes héros prolétariens avaient péri au combat.

Bien qu’elle soit sortie formellement victorieuse de la guerre civile, l’économie soviétique avait été brisée par le blocus et les armées étrangères. La plupart des travailleurs voulaient juste rentrer chez eux et revoir leurs familles. Dans ce contexte, les bureaucrates tsaristes ont commencé à s’émanciper du contrôle des ouvriers. Ils ont commencé à écarter les ouvriers du pouvoir et peu à peu supprimé les éléments de contrôle démocratique et de responsabilité.

Staline était l’homme qui représentait cette clique bureaucratique. Figure secondaire en 1917, il avait gravi les échelons au sein de l’appareil de l’État où la corruption devenait de plus en plus arrogante à mesure que les ouvriers sombraient dans la passivité. Les travailleurs exprimant leurs demandes aux fonctionnaires se voyaient ainsi répondre : « En quelle année vous croyez-vous? 1918? ». Le dernier combat de Lénine fut de s’allier avec Trotsky contre cette dégénérescence bureaucratique et contre Staline en particulier. Lénine disait à propos de la machine étatique : « La voiture n’obéit pas : un homme est bien assis au volant, qui semble la diriger, mais la voiture ne roule pas dans la direction voulue; elle va où la pousse une autre force – force illégale, force illicite, force venant d’on ne sait où –, où la poussent les spéculateurs, ou peut-être les capitalistes privés, ou peut-être les uns et les autres […] »

Dans un autre discours, il répétait : « Nous appelons nôtre un appareil qui, de fait, nous est encore foncièrement étranger et représente un salmigondis de survivances bourgeoises et tsaristes, qu’il nous était absolument impossible de transformer en cinq ans faute d’avoir l’aide des autres pays et alors que prédominaient les préoccupations militaires et la lutte contre la famine. […] Il n’est pas douteux que les ouvriers soviétiques et soviétisés, qui sont en proportion infime, se noient dans cet océan de la racaille grand-russe chauvine, comme une mouche dans du lait. »

Dans son testament politique, qui fut dissimulé après sa mort, Lénine avait engagé une véritable bataille contre Staline. Le 24 décembre 1922, il écrivait ainsi : « Le camarade Staline en devenant secrétaire général a concentré un pouvoir immense entre ses mains et je ne suis pas sûr qu’il sache toujours en user avec suffisamment de prudence. »

Onze jours plus tard, il ajoutait les mots suivants : « Staline est trop brutal, et ce défaut, pleinement supportable dans les relations entre nous, communistes, devient intolérable dans la fonction de secrétaire général. C’est pourquoi je propose aux camarades de réfléchir au moyen de déplacer Staline de ce poste et de nommer à sa place un homme qui, sous tous les rapports, se distingue de Staline par une supériorité – c’est-à-dire qu’il est plus patient, plus loyal, plus poli et plus attentionné envers les camarades, moins capricieux, etc. »

Ces extraits à eux seuls suffisent à montrer que Lénine s’opposait à la bureaucratie en général et à Staline en particulier.

Les anarchistes imputent le stalinisme au soi-disant centralisme démocratique. C’est là un argument étrangement constitutionnaliste, selon lequel il suffirait d’organiser les réunions d’une façon correcte pour que les gens deviennent bons les uns envers les autres.

Le centralisme démocratique est la seule véritable démocratie active. Ses principes de base sont une totale liberté dans la discussion et une totale unité dans l’action. C’est la démocratie qu’on retrouve lors d’une grève : tous les travailleurs sont libres de discuter de l’intérêt et de la nécessité de faire grève en assemblée générale, puis un vote est mené. Si, par exemple, 70% d’entre eux votent pour la grève, alors 100% des salariés de l’entreprise doivent se retrouver sur les piquets de grève, sans quoi aucune grève ne réussirait jamais. Les droits de la minorité sont protégés, mais la décision de la majorité fixe la ligne à suivre.

Dans l’opposition au centralisme démocratique, on retrouve le concept du « pur » anarchisme, où personne n’est lié par les décisions démocratiques et où les groupes se divisent au premier obstacle. On a vu une telle paralysie dans le mouvement Occupy. À l’inverse, on trouve le centralisme bureaucratique du Stalinisme, où il n’y a pas de liberté de discussion et où les droits des minorités sont bafoués. Là encore, le stalinisme s’oppose diamétralement au bolchevisme.

Ironiquement, de nombreuses organisations anarchistes sans « dirigeants » fonctionnent en réalité d’une façon semblable au centralisme bureaucratique. En l’absence de dirigeants élus et responsables, les décisions sont prises par des dirigeants informels, qui ne sont ni élus, ni responsables : bien souvent celui qui parle le plus fort et qui coupe la parole aux autres. Les décisions sont toujours prises, mais personne n’a le droit démocratique de les contester.

« Mais, les bolcheviks ont interdit les partis d’opposition! » s’offusqueront d’une même voix nos amis libéraux et anarchistes. Cela n’avait jamais été dans les intentions de l’État ouvrier. Malheureusement, tous les partis d’opposition au sein des soviets ont fini par passer du côté des armées blanches ou par organiser des attentats contre les travailleurs. Aucune société démocratique n’autoriserait des organisations qui recourent au terrorisme à s’asseoir au parlement pour y voter les lois. On peut imaginer ce qu’il se passerait si Al-Qaeda essayait de présenter un candidat au parlement britannique ou au poste de gouverneur de New York.

Les marxistes défendent la démocratie multipartite, mais quiconque prend les armes ou pose des bombes contre la volonté démocratique du peuple perdra vite ses droits démocratiques – comme dans toute société démocratique. L’Opposition de gauche menée par Trotsky, les véritables héritiers du bolchevisme, étaient les défenseurs les plus acharnés des droits démocratiques. Ils furent par conséquent les premiers à être déportés en Sibérie, tandis que Trotsky fut assassiné par un assassin stalinien. Ces opposants au stalinisme sont commodément oubliés par les ennemis de la révolution russe. Il faut souligner qu’à l’époque de la lutte entre l’opposition de gauche et la bureaucratie stalinienne, entre la démocratie ouvrière internationale et le « socialisme dans un seul pays », les sympathies des impérialistes penchaient d’une façon écrasante du côté du « pragmatique » Staline.

La fable selon laquelle le bolchevisme mènerait inévitablement au stalinisme est une conception purement abstraite. Elle n’explique pas pourquoi la Révolution russe et l’Internationale Communiste ont dégénéré. Elle ignore l’arriération de la Russie tsariste, la guerre civile, le blocus et l’invasion de 21 armées étrangères, l’échec de la révolution à s’étendre dans les pays capitalistes avancés, et l’isolement qui s’en est suivi pour la Russie soviétique. Il n’y avait rien d’inéluctable dans les conditions dans lesquelles se sont retrouvés les travailleurs et les opprimés de Russie. Les libéraux, les réformistes et les anarchistes, qui perpétuent ce mensonge, semblent croire que la « bureaucratie » serait une sorte de tare génétique de l’espèce humaine plutôt que le produit de relations sociales. La bureaucratie est le résultat inévitable de la pénurie. La guerre civile et le faible niveau technique hérité du tsarisme ont garanti que le jeune État ouvrier aurait plus que son lot de pénuries.

Il y a deux façons de gérer la pénurie. Les capitalistes le font en augmentant les prix, pour réserver les denrées rares aux riches, mais cette méthode est incompatible avec le socialisme. Quand il y a une pénurie dans une société socialiste, la seule option, c’est la file d’attente et le rationnement. La seule façon pour qu’une queue reste ordonnée, et que les plus forts ne prennent pas les autres pour prendre leur place, c’est de faire surveiller la distribution par un gendarme. Mais le gendarme lui-même doit recevoir son dû, sans quoi il ne maintiendra jamais l’ordre. C’est là la base économique de la bureaucratie.

C’est pourquoi un niveau technique avancé est nécessaire à l’établissement du véritable socialisme. Si la révolution allemande de 1918-1923 avait triomphé, non seulement la bureaucratie de Staline n’aurait jamais usurpé le pouvoir des travailleurs russes, mais un processus irrésistible de révolution mondiale se serait mis en marche. La technique de pointe allemande alliée aux matières premières et à l’agriculture de l’ancien empire tsariste aurait montré ce qu’une économie socialiste démocratiquement planifiée peut réellement accomplir.

Une révolution dans un pays capitaliste avancé, comme le Canada, la Grande-Bretagne, la France ou les États-Unis, ne ferait pas face aux mêmes difficultés que l’URSS. Ces pays n’ont pas le bas niveau de culture de la Russie de 1917, ils disposent au contraire de millions de travailleurs diplômés qui sont privés d’emplois. Ces pays ne connaissent ni les pénuries de masse ni l’arriération technique, mais abritent au contraire quantité d’usines à l’arrêt et d’entreprises assises sur des milliards de dollars d’argent non-investi et improductif.

Aujourd’hui, l’immense majorité des pays du monde a une population majoritairement urbaine et salariée. Avant 1945, la plupart des pays étaient largement agricoles. Les niveaux d’éducation et d’alphabétisation sont beaucoup plus hauts aujourd’hui. Quant aux fonctionnaires, hormis dans les plus hauts échelons, ils ne se sont plus privilégiés comme ils l’étaient en 1917. Ce sont des travailleurs en col blanc comme les autres, souvent syndiqués, et prompts à se mettre en grève. Ces travailleurs seront plus qu’enthousiastes à l’idée de mettre leur expérience au service du bien commun, plutôt que de piller la société comme le faisaient les bureaucrates tsaristes/staliniens.

Lénine avait énoncé quatre conditions à l’établissement d’une démocratie ouvrière : l’élection et la révocabilité de tous les dirigeants, leur paiement au salaire moyen d’un travailleur qualifié, la rotation de toutes les tâches bureaucratiques, et la suppression de toute armée permanente qui puisse être utilisée contre la population. L’arriération du pays a empêché l’application de ces conditions en URSS, mais une révolution moderne n’aurait aucun problème à les mettre en pratique. Comme le disait Lénine, quand tout le monde est un bureaucrate, personne n’est un bureaucrate. Le stalinisme n’est pas inévitable.

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 La Riposte socialiste 9 Juillet 2021

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