(Première partie)
Les portes du Sommet de la CARICOM en Jamaïque sur la crise haïtienne se sont fermées le mercredi 13 juin 2023 sans qu’aucune avancée concrète n’ait été enregistrée, à part une soi-disant Déclaration conjointe qui n’en est pas une. Si c’était prévisible pour certains, il l’était moins pour d’autres. Car, avant cette grande rencontre avec la quasi-totalité des protagonistes de la Transition et de la crise politique haïtienne, il régnait une grande confusion au sein de la classe politique du pays. Ce Sommet a été une initiative de Caribbean Community (Communauté des Caraïbes), plus connue sous le nom de la CARICOM. Il devait être la prolongation de la principale rencontre ayant eu lieu à Nassau dans les Bahamas entre tous les chefs d’Etat et de gouvernement de cette institution régionale avec la participation remarquée de la Vice-Présidente des Etats-Unis d’Amérique, Kamala Harris, et le Président de la République dominicaine, Luis Abinader, invité pour l’occasion puisque le dossier haïtien le concerne au premier plan.
Ce Sommet de Kingston qui a duré trois jours, du 11 au 13 juin 2023, a été organisé officieusement par les Etats-Unis et le Canada avec l’espoir d’imposer les décisions finales de la rencontre des Bahamas aux leaders politiques haïtiens qui, en quelque sorte, ont été convoqués à la Jamaïque. D’après les organisateurs officiels du Forum – Membres de la CARICOM – ce sont les questions liées à l’organisation des élections, la bonne gouvernance, l’état de droit, le retour au calme et la stabilité politique sur le territoire qui devaient être les thèmes abordés pendant ces trois journées de dialogue. Mais, quelques semaines avant l’ouverture du Sommet, on a vécu une sorte de psychodrame politique à Port-au-Prince avec l’ensemble des ténors de la classe politique sur ce sujet. La presse a été submergée par les déclarations des dirigeants politiques de tout bord trouvant là, pour certains, une occasion de revenir au premier plan dans le paysage sociopolitique du pays.
Pour commencer, si quelques rares d’entre eux mettaient quelques réserves sur leur participation tout en acceptant l’invitation de la CARICOM, pour d’autres, c’était le voyage de leur vie dans la mesure où ils ne voyaient aucun inconvénient à aller à ce Sommet où d’après eux allait se jouer l’avenir d’Haïti. Les américains et les canadiens, tout en se cachant derrière les dirigeants de la CARICOM, voulaient frapper fort, très fort avec ce rassemblement dans la capitale jamaïcaine en invitant tout le monde ou presque, en tout cas, tous ceux qu’ils croient être d’une certaine utilité pour leurs entreprises en Haïti. Placés sous l’autorité de trois anciens Premiers ministres de la CARICOM : Kenny Anthony, Perry Christie et Bruce Golding, respectivement de Sainte-Lucie, des Bahamas et de la Jamaïque, les organisateurs n’avaient pas cherché qui, en Haïti, avait une réelle audience dans la population ni de crédibilité dans le pays. Des invitations, il y en avait pour tout le monde.
Du Premier ministre de facto, Ariel Henry, qui, dès son allocution le premier jour avait mis les points sur les I en fermant toutes les portes en déclarant « Nous ne sommes pas venus ici pour recevoir des diktats de quiconque. Nous ne sommes pas venus ici pour négocier un nouvel Accord en plus. Nous sommes là pour nous entendre entre compatriotes qui ont à cœur l’intérêt national, sur les prochaines étapes dans la marche vers la reconstruction de notre démocratie. Nous sommes entre nous, avec nos frères de la CARICOM, nous pouvons sereinement nous dire certaines vérités en face, sans nous fâcher pour autant. Certains pensent que l’exercice que nous allons faire ici est inutile et ne mènera à rien de tangible en plus, parce que nous venons de faire la même chose il y a deux semaines à Port-au-Prince et que nous ne pouvons pas continuer indéfiniment à négocier et à discuter. Mais moi, je crois que chaque fois que des Haïtiennes et des Haïtiens veulent s’asseoir pour discuter du pays, il faut toujours répondre présent ».
A Pierre Esperance du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) qui s’enthousiasmait de sa participation à la réunion de la CARICOM alors même qu’il avait boycotté celle organisée par le Haut Conseil de la Transition à Pétion-Ville quelques semaines auparavant. « Je ne peux pas refuser une invitation de la CARICOM. Nous irons à la Jamaïque à cause du comportement de la CARICOM vis-à-vis d’Haïti de 2016 à nos jours. Si l’organisation n’est pas très active en Haïti, elle ne cautionne pas l’impunité dans le pays. Nous y allons par rapport à ce que représente la CARICOM dans la région et à cause des liens historiques qui unissent ses membres avec Haïti. Ma présence ne signifie pas pour autant que je pense qu’il y aura un accord à l’issue de ces discussions politiques. Je reste très sceptique » avait souligné Pierre Esperance. Quant à l’ex-colonel Himmler Rébu du parti GREH qui croyait que quelque chose de positif devrait impérativement sortir de ce Sommet. En tout cas, ce qu’il avait déclaré à l’émission « Invité du jour » de radio Vision 2000 à trois jours de son départ. Très optimiste, le colonel espérait qu’il allait pouvoir donner son avis sur la problématique de l’insécurité et surtout faire quelques propositions sur la manière de s’en sortir. On n’oublie pas l’ex-Chancelier et Premier ministre de Jovenel Moïse, Claude Joseph, dirigeant du nouveau parti Les Engagés pour le Développement (EDE) qui regroupe presque tous les partisans et sympathisants du feu Président assassiné. Avant de s’envoler pour la Jamaïque, l’ancien éphémère chef de la Transition avait déclaré « C’est encore une belle occasion de faire part aux représentants de la région des diverses revendications de la population haïtienne. Il faut ensemble envisager une sortie de crise et sortir le pays de son marasme. La situation socio-économique est délirante, il faut redéfinir la Transition de concert avec les forces vives de la nation, la question sécuritaire ne doit pas être négligée, la sécurité, la réforme constitutionnelle, l’organisation des élections sont donc urgentes à l’heure actuelle ».
Il y avait aussi l’ex-parlementaire Jerry Tardieu, Coordonnateur du parti En Avant qui, dès l’annonce du Forum, avait confirmé sa participation chez nos voisins jamaïcains : « Quel que soit le pays, ou l’endroit où doit se faire un dialogue inter-haïtien organisé dans les règles de l’art, EN AVANT répondra présent, pour autant que nous ayons l’assurance que le facilitateur est impartial et qu’il s’agisse d’un vrai dialogue, inclusif, structuré, planifié, souverain, organisé selon un protocole républicain, avec un agenda clair préalablement accepté par les partis et une méthodologie qui mette la crise haïtienne au cœur des débats », avait indiqué Jerry Tardieu au quotidien Le Nouvelliste en date du 25 mai 2023. Jacques Ted Saint-Dic, l’un des porte-drapeaux de l’Accord du Montana, était bien entendu de la partie avec d’autres camarades de l’Accord du Montana, telles que Magali Comeau Denis et Ginette Chérubin.
A leur retour du pays du fondateur de la musique reggae, Bob Marley, la délégation de l’Accord du 30 août a donné une Conférence de presse pour expliquer les raisons de la participation de Montana à ce Sommet. Magali Comeau Denis et Ted Saint-Dic étaient chargés pour cette mission. Dans les locaux du RNDDH, le vendredi 16 juin 2023, lors de cette Conférence, Magali Comeau Denis a répondu au Premier ministre Ariel Henry qui leur a reproché de se précipiter à la Jamaïque, alors même qu’ils ont boudé l’invitation de la HCT quelques jours auparavant.
Avant même d’expliquer pourquoi ils ont accepté d’aller à Kingston, Magali Comeau Denis est d’emblée revenue sur leur absence à la réunion du HCT. « On n’a pas reçu d’invitation ni du gouvernement ni du Haut Conseil de la Transition pour participer au forum dialogue politique sur la sécurité, les réformes constitutionnelles et électorales, la bonne gouvernance et les mesures économiques et sociales. On met au défi quiconque de prouver l’invitation faite à l’Accord Montana», lançait-elle avant de laisser la parole à Jacques Ted Saint-Dic, porte parole du BSA (Bureau de Suivi de l’Accord) de Montana. En effet, Ted Saint-Dic explique que les signataires de Montana n’ont jamais refusé de dialoguer avec qui que ce soit s’agissant de la crise haïtienne.
Puisque, d’après lui, la rencontre proposée par la CARICOM entrait dans les objectifs de Montana, il n’y avait aucune raison de la refuser. Ainsi, il a expliqué les raisons de leur participation à ce Forum en compagnie de la quasi-totalité des acteurs haïtiens de la Transition. « Nous avons dit oui à cette invitation pour nous solidariser avec ce pays de la région qui porte en commun avec nous les blessures de la traite, la déportation, l’esclavage. Nous avons dit oui aussi parce que nous portons en commun l’exigence de la réparation pour ce crime abominable. De plus, en commun, aujourd’hui, nous portons la calamité de l’insécurité et de la violence engendrée par la prolifération des armes et des munitions d’origine étasunienne qui génèrent là-bas la prospérité et ici la mort. Par-dessus tout, on a dit oui parce que tout simplement, cette initiative est en concordance avec ce que nous avons initié, il y a maintenant 2 ans et 4 mois, en février, à la Commission pour la recherche d’une solution haïtienne à la crise.
Nous n’avons cessé de solliciter les négociations politiques, nous rencontrons régulièrement la majorité des compatriotes qui étaient à Kingston; nous avons toujours répondu présent à toutes les invitations à dialoguer, avec ou sans facilitateur, nous répondrons favorablement partout, chaque fois qu’il s’agira de discuter de la crise haïtienne, dans toutes ses dimensions, avec sérieux et respect » avait déclaré Jacques Ted Saint-Dic, membre très influent de l’Accord du 30 août. Lors du Sommet, l’équipe de Montana qui n’a jamais baissé pavillon pour un Exécutif bicéphale, a plaidé, en compagnie d’autres opposants au Premier ministre Ariel Henry et ses alliés du Secteur Démocratique et Populaire (SDP), pour une ouverture du HCT (Haut Conseil de la Transition). (A suivre)
C.C