Fuyant les États-Unis de Donald Trump, les migrants haïtiens demandant asile au Canada font la une dans l’actualité aussi bien au Québec que dans les autres provinces. La grande presse, tout en affichant une certaine «compassion» à l’égard de ces compatriotes donne l’impression qu’un nombre de plus en plus incalculable et incontrôlable de migrants «surtout haïtiens» déferlent sur la frontière quotidiennement. Les journalistes de droites, démagogues, xénophobes, racistes et autres « chiens de garde » du système, ont réagi dès les premières arrivées : ces gens-là seraient des « malades », des personnes « peu qualifiées», des «profiteurs du bien-être social», etc. Rapidement toute une série de reportages sont réalisés pour montrer que ces demandeurs d’asile fuient la misère, la faim, le dénuement, et qu’on ne pourrait pas, par conséquent leur octroyé le statut de réfugié. Des reporteurs sont envoyés sur place en Haïti pour prouver que, sous Jovenel Moïse, le pays, malgré la pauvreté rampante, fait des progrès au moins sur le plan de la sécurité.
Les groupes néo-fascistes reprennent du poil à la bête et se font de plus en plus visibles et dénoncent, sans complexes, cette « invasion barbare » de la frontière. C’est une occasion rêvée pour eux de dénoncer la «lâcheté» des gouvernements libéraux de Trudeau et de Couillard.
Si la bataille juridique doit se poursuivre malgré les énormes difficultés auxquelles font face ces migrants, il est nécessaire et même impératif d’ouvrir le débat sur les causes réelles, structurelles qui poussent ces gens à quitter leur pays.
Dans les faits, comme ne le cesse de répéter ad nauseam la grande presse, ces personnes qui traversent la frontière ont très peu de chance d’obtenir le statut de réfugié puisqu’elles ne répondent pas aux critères définis par la loi canadienne. La pauvreté, la faim, l’indigence seraient les seuls mobiles pour lesquels elles laissent leur pays d’origine, non pas parce qu’elles seraient persécutées pour des raisons liées à leurs opinions politiques, leur religion ou leur orientation sexuelle.
Si la bataille juridique doit se poursuivre malgré les énormes difficultés auxquelles font face ces migrants, il est nécessaire et même impératif d’ouvrir le débat sur les causes réelles, structurelles qui poussent ces gens à quitter leur pays.
On ne peut dans le cadre de cet article analyser toutes les causes qui poussent nos compatriotes à s’expatrier, faisons toutefois remarquer que le phénomène de migration de masses des Haïtiens remontent au début du XXe siècle sous l’occupation américaine (1915-1934) où plus 300 000 paysans ont dû laisser le pays pour Cuba et la République Dominicaine. Ils seront recrutés pour la plupart dans les compagnies sucrières américaines installées dans ces deux pays.
Cette migration constitue l’un des principaux impacts de l’occupation et la domination de l’impérialisme sur Haïti.
Au début des années 1940, la Société Haïtiano-Américaine de Développement Agricole (SHADA) exproprie des milliers d’hectares de terre agricole. Un déplacement forcé de paysans en résulte. En conséquence, plusieurs vagues de migrants haïtiens investissent le territoire des pays de la Caraïbe et de l’Amérique centrale.
Au cours de la dictature des Duvalier, dans le contexte de la guerre froide, sous prétexte de lutter contre le communisme, des milliers de patriotes sont massacrés et expulsés du pays. Beaucoup de professionnels et de jeunes cadres sont contraints de fuir la terreur. Ils s’éparpillent un peu partout sur le continent africain, en Amérique du Nord et en Europe. Soulignons que les États-Unis et, plus tard, dans les années 1970, le Canada ont donné leur appui à la dictature.
En 1986, à la chute de la dictature trentenaire, un vent d’espoir souffla sur le pays. Des centaines de milliers de citoyens, jeunes, paysans, professionnel s’organisèrent pour donner une nouvelle vie à la nation. L’espoir de voir un nouveau pays s’émerger avec pour crédo la justice, la transformation sociale, la répartition des richesses devenait de plus en plus réel. Mais une fois de plus, cette expérience profondément démocratique fut fauchée par le coup d’État de 1991, au cours duquel plus trois mille personnes furent tuées et des milliers d’autres exilés. Derrière ce coup sanglant, la main de l’impérialisme étatsunien était visible.
À partir des années 1990, tout un processus de privatisation des industries nationales et de déstructuration de l’économie paysanne est mis en place. Des compagnies étrangères partagèrent ce butin national sans aucune considération pour l’avenir du pays. Mais le pillage ne s’arrêta pas là. Des zones franches se sont multipliées durant les années 2000 pour profiter au maximum d’une main-d’œuvre de plus en plus précaire à mesure que la destruction de l’économie nationale s’accentue.
Toute la lutte pour augmenter le salaire minimum vient de cette volonté de refuser cette politique de transformer les ouvrières et ouvriers haïtiens en de véritables esclaves. Encore une fois la main de l’impérialisme étatsunien était visible dans l’effort de bloquer tout effort de donner un salaire décent aux travailleuses et travailleurs.
Tout cela eut pour conséquence la dégénérescence de la société civile. Avec un taux de chômage de plus 70% de la population active, la classe laborieuse se voit condamnée à la misère la plus abjecte. Ainsi la migration parait, comme autrefois, une solution individuelle pour sauver sa peau.
Aujourd’hui, une compagnie minière canadienne s’apprête à exploiter une mine d’or localisée au Nord-Est du pays. On sait que cela se traduira par le déplacement forcé de toute une partie de la population de la région. On ne pourra s’étonner que ces nouveaux migrants viennent une fois de plus demander asile aux États-Unis et au Canada.
Et tout compte fait, ces migrants ont le droit de demander asile dans des pays comme le Canada qui profite de la misère, de l’exploitation des travailleurs et des ressources naturelles de leur pays.
La misère dans les pays dominés est le résultat de politiques économiques dictées en grande partie par les pays impérialistes en collaboration avec la bourgeoisie antinationale et l’État néocolonial. On ne peut comprendre les causes de la migration sans tenir compte de ces politiques. C’est pourquoi ces migrants sont dans les faits les déportés de l’Empire et constituent donc essentiellement des réfugiés politiques.
La conjoncture actuelle est le résultat d’un long processus historique de domination du peuple haïtien par les puissances impérialistes avec la complicité inconditionnelle des élites locales.
Mais nous savons que la lutte véritable se fera au pays même : lutte pour la transformation radicale de la société, pour la construction d’une nouvelle nation, contre l’exploitation et pour le socialisme afin que le peuple haïtien ne devienne plus les déportés de l’Empire.
C’est au prix de ce long combat que nous pouvons construire une société haïtienne égalitaire et juste. Une lutte de longue haleine qui nécessite le renforcement des organisations paysannes, des classes laborieuses urbaines et rurales, la mobilisation de tous les militants progressistes à l’échelle du pays et la solidarité des autres peuples.
Le Regroupement des Haïtiens de Montréal Contre l’Occupation d’Haïti (REHMONCO)
Pour authentification:
Renel Exentus
Ricardo Gustave
Contact : rehmoncohaiti1915@gmail.com