Référendum constitutionnel, chronique d’un malentendu !

(4e partie)

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Après le Président du Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK), donc un proche du Président de la République Jovenel Moïse, c’est au tour d’un Conseiller très écouté du Palais national qui ne mâche point ses mots sur le référendum qu’il croit ne pas être opportun. Ce Conseiller n’est autre que l’influent Gabriel Fortuné, ancien parlementaire et ancien Maire des Cayes. Celui-ci estime que ce référendum n’est pas d’actualité. Selon ce proche du pouvoir, « La priorité de la population c’est la sécurité. Le référendum est suicidaire pour l’avenir du pays. Il est impossible de réaliser le référendum le 27 juin (reporté depuis par les autorités électorales pour raison sanitaire dû à la pandémie du Covid-19). Les conditions ne sont pas réunies aujourd’hui pour doter le pays d’une nouvelle Constitution. 

 Le référendum n’est pas possible. Il n’y a pas d’accord politique sur le dossier. On doit se mettre d’accord avant de changer la Constitution » martèle-t-il le 20 avril 2021 sur radio Vision 2000. Comme son ami Joseph Lambert, Gabriel Fortuné affirme que le « Président Jovenel Moïse est tout seul dans son référendum ». D’autre part, son ancien camarade au Sénat de la République, l’original et la grande gueule Jean Hector Anacacis, a enfoncé le clou sur la non opportunité du référendum voire de la reforme constitutionnelle. Selon le Coordonnateur du parti LAPEH, la Constitution doit être l’affaire de tous sans exception. Dans une note de presse, il affirme que « Cela ne doit pas être l’affaire d’un petit groupe. Il nous faut une entente nationale pour une nouvelle Constitution capable de refonder la Nation afin de satisfaire les revendications de la population » écrit l’ex-élu du département du Sud-Est. A en croire Jean Hector Anacacis, ce référendum sonnera le glas du Président Jovenel Moïse au Palais national puisqu’il occasionnera sa chute. 

 Très alarmiste, l’ex-sénateur promet un chamboulement ce jour-là : «  Referandòm sa a pap fèt e referandòm sa a se li ki pral voye l ale. Jou sa a ap gen yon deblozay nan peyi sa a, se dat sa a yo pral wè pèp ayisyen an » pronostique le patron du parti politique LAPEH. Une posture tout de même contestée par le nouveau chef de la Primature, Dr Claude Joseph, qui lui a répondu «  Les élections ne sont pas assujetties à une question d’accord politique. C’est la responsabilité du gouvernement d’organiser les élections. Nous autres au niveau du gouvernement, nous avons donné tous les supports au CEP pour organiser les élections. Le registre électoral est fermé avec plus de 4.5 millions de personnes enregistrées. Le processus électoral marche à grands pas. Le Président a toujours dit que pour lui, le dialogue est permanent, que les hésitations et les réticences sont dans l’autre camp » a-t-il confié dans la presse le jeudi 29 avril 2021. Mais, les opposants à ce référendum continuent d’avancer leurs propres arguments selon lesquels le Président Jovenel Moïse devrait abandonner ou s’asseoir sur le processus. Tel est le cas de Joseph Lambert, Président des dix sénateurs encore en fonction. En effet, selon le Président du Sénat de la République, «  La transition aura bel et bien lieu. Il faudra plusieurs mois pour enregistrer les 2.4 millions d’électeurs restants. 

 Si l’on met des bouchées doubles et si on y met plus de moyens, on aura besoin de 7 mois environ, soit en novembre prochain. Il faudra ensuite 4 mois environ pour que le CEP prépare les listes électorales. Comment le Président peut-il penser organiser trois consultations populaires en une année » ?  se demande Joseph Lambert. Dans un entretien avec une radio de la capitale, le sénateur du département du Sud-Est, a relaté sa rencontre avec le chef de l’Etat le 19 avril 2021 sur la crise politique et sur le processus référendaire « Je lui ai dit qu’il n’existe que deux options. Il peut rester en mode « adelante » vers le référendum. Sans le support de la Communauté internationale, de ses alliés notoires. Il n’aura pas non plus le support de toutes les tendances de l’opposition. La deuxième option est le compromis et le consensus minimal entre les forces politiques et les forces organisées » a relaté le Président du Sénat, une façon de marquer son opposition au référendum. Et de conclure : « En tant que démocrate, je suis pour les élections. Je soutiens aussi une réforme constitutionnelle. 

« Je crois fondamentalement qu’il faut réviser le texte. Il y avait un travail réalisé par l’ex-député Jerry Tardieu qui jouit de beaucoup de légitimité. J’ai dit au Président qu’il ne pourra pas y avoir de référendum constitutionnel le 27 juin. Cette consultation populaire est techniquement compromise et non inclusive car 2.5 millions d’électeurs ne sont pas encore enregistrés par l’ONI ». D’autre part, dans une rencontre dans son fief du Sud-Est, à Jacmel, le Président du Sénat avance « On ne peut pas parler d’organisation de référendum. Jovenel Moïse est seul dans ce projet. Personne ne le supporte. Il prend cette voie tout seul. En mode adelante. Il va devoir assumer les retombées catastrophiques de son entêtement ». 

L’histoire haïtienne ou l’histoire étrangère nous révèlent que le référendum, malheureusement, peut faciliter, peut créer l’antichambre à l’autoritarisme et à la dictature.

 Sans tarder, le Président Jovenel Moïse, sans se douter qu’il allait devoir revenir sur cette date compte tenu de la grave crise sanitaire du Coronavirus qui sévit dans le pays lui a répondu du tac-au-tac. Le samedi 1er mai 2021 dans le Nord-Est, lors de l’inauguration du barrage Marion, l’élu du PHTK en a profité pour donner rendez-vous à la population « Notre rendez-vous est fixé au dimanche 27 juin 2021 pour le référendum afin de doter le pays d’une nouvelle Constitution. » Avant de réaffirmer ce qu’il a déjà dit à maintes occasions à propos de son mandat « Je pouvais décider de dire à la population que je veux bénéficier des prescrits de la nouvelle Constitution pour être candidat à nouveau. Mais je dis non. Je respecte la loi et la Constitution de 1987 » a-t-il martelé. Naturellement, il y a la position de la constitutionnaliste et chef politique de l’opposition, Mirlande Hippolyte Manigat qui, bien évidemment, s’oppose à ce référendum. 

 Pour l’ancienne Secrétaire générale du RDNP, le parti du feu Professeur Leslie F. Manigat, le référendum n’a jamais été synonyme de démocratie, « Il faut bien reconnaitre que le référendum populaire n’est pas synonyme de démocratie. L’histoire haïtienne ou l’histoire étrangère nous révèlent que le référendum, malheureusement, peut faciliter, peut créer l’antichambre à l’autoritarisme et à la dictature. Or, autoritarisme et dictature ne peuvent pas être constitutionalisés » argumente-elle. D’après madame Manigat, « C’est absolument impossible de demander à la population de préparer une Constitution de 200 articles. C’est inimaginable et ce n’est pas logique. C’est contraire, d’ailleurs, à l’idée qui sous-tend l’initiative, à savoir privilégier la parole du peuple », dit la constitutionnaliste. Bref, de l’ancien ministre de la justice, Me Bernard Gousse, au professeur de droit, Blair Chéry, sans oublier Me Josué Pierre Louis lui aussi ancien ministre de la justice de Michel Martelly, tous se disent opposés au référendum constitutionnel initié par le locataire du Palais national en vue de remplacer la Constitution de 1987 qui, selon lui, est source d’instabilisation politique et institutionnelle depuis plus de trois décennies. 

 D’ailleurs, pour Me Josué Pierre-Louis qui ne trouve rien de bien dans ce projet, « La Constitution est hors sujet par rapport au mandat qui a été assigné au Comité Consultatif Indépendant (CCI) pour l’élaboration de la nouvelle Constitution. Il n’y a pas du génie, de l’équilibre dans cette Constitution; elle n’est pas intelligente, elle est archaïque », avance l’ancien Secrétaire général de la Primature sous l’Administration de Michel Martelly. En concluant que « Tout régime présidentiel fort débouche sur la dictature. Une Constitution doit répondre aux besoins de la nation. Qu’on ait l’impression que dans le texte il y a une revanche contre des institutions qui se sont dressées en contre-pouvoir ». Mais, tous ces cris semblent faire écho dans un désert. Ce sont des chants de cygnes qui n’effraient point le pouvoir et ses exécutants. Le Comité Consultatif Indépendant (CCI) dont la responsabilité est de présenter un travail fini poursuit ses consultations. Là aussi, malgré le peu d’intérêt de l’opposition et d’une partie de la population pour ce projet constitutionnel, continue de présenter le document aux acteurs sociopolitiques et internationaux tout en continuant d’apporter corrections et ajouts dans le texte toujours en cours d’élaboration. Depuis des mois, l’ancien Président provisoire de la République, Boniface Alexandre, l’ex-général des FAD’H, Hérard Abraham et le sociologue, Louis Nau Pierre, les trois membres du CCI parcourent le pays en organisant séminaires, colloques, table-rondes relatifs au projet constitutionnel. 

 Ces trois Mousquetaires tentent à coup d’arguments de convaincre surtout les acteurs des institutions, organisations et la Société civile organisée à comprendre les bien-fondés de cette nouvelle Charte fondamentale. Bien que certaines rencontres soient perturbées dans certaines villes du pays lors des débats publics, le Comité Consultatif Indépendant et le Premier ministre par intérim, Claude Joseph ont lancé conjointement une série de débats participatifs  sur la nouvelle Constitution le mercredi 12 mai 2021.  Selon le chef de la Primature, « Dans chaque crise, il y a une opportunité. L’opportunité que nous pouvons profiter de la crise actuelle c’est de changer la Constitution ». D’un autre côté, le ministre Chargé des questions électorales, Mathias Pierre, a indiqué qu’il ne faut pas laisser cette corvée à la prochaine législature. « Attendre la 51e législature pour prendre une nouvelle chance, c’est lâcher l’avenir de tout un peuple à l’aventure » soutient-il. Enfin, pour le Président du CCI, Me Boniface Alexandre, la Constitution de 1987 est caduque. 

 D’après l’ancien Président de la Cour de cassation et ex-Président provisoire de la République : « Elle est inutilisable. Depuis au départ, elle n’était pas bonne ». Les membres du CCI poussent des organisations publiques et privées à organiser elles-mêmes des rencontres sur le projet afin de porter la population à adhérer à leur démarche qui n’est pas l’exercice le plus facile pour eux. Ainsi, de l’ULCC (Unité de Lutte Contre la Corruption) à l’ATD (Association Touristique d’Haïti) en passant par l’OPC (Office de la Protection du Citoyen) ou l’UCREF (Unité Centrale de Renseignements Financiers), les débats se font entre les spécialistes et dans les organisations professionnelles. Tandis que la présidence de la République, pour sa part, mobilise les agences gouvernementales, les pouvoirs centraux et locaux (Maires, Casec et Asec) dans la campagne afin de vendre sa nouvelle Constitution et par la même occasion le référendum populaire. En tout cas, rien ne semble oublié afin de porter la population totalement indifférente à ce qui se passe à l’heure actuelle sur le plan politique à s’intéresser à la campagne pour le référendum. 

lequel des deux camps réussira à convaincre cette population déjà en proie à des problèmes quotidiens et submergée par des difficultés de toute nature?

 Le ministre Mathias Pierre, chargé des Questions électorales et des Relations avec les Partis politiques auprès du Premier ministre, a même indiqué que sur 253 partis politiques existant officiellement en Haïti, plus d’une centaine avaient eu des séances de travail avec les officiels du CEP sur le processus électoral et se disent prêts à participer aux différents scrutins prévus pour cette année. Toujours, d’après le ministre, il existe aussi une cellule de sécurité formée de responsables des Forces Armées d’Haïti (FAD’H), de la Police nationale et d’autres entités sur la sécurité dont la mission serait de gérer la sécurité durant tout le processus électoral jusqu’à la fermeture des bureaux de vote. D’autre part, le Premier ministre intérimaire, Dr Claude Joseph, en tant que Président du CSPN (Conseil Supérieur de la Police Nationale) a eu une grande rencontre avec l’ensemble des Directeurs départementaux de la police nationale en présence du Directeur général de l’institution, Léon Charles, le lundi 10 mai 2021 à la Primature au sujet de la sécurité durant les semaines précédant le référendum et les élections générales. 

 Plusieurs Conseilleurs électoraux aussi bien que le ministre de la Justice et de la Sécurité publique, y compris celui de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales ont pris part à cette rencontre au sommet. A l’issue de cette réunion où, selon les participants, plusieurs points relatifs à la sécurité du référendum et les autres élections ont été abordés, le chef du gouvernement par intérim s’est adressé à la presse en ce sens : « On ne peut pas réaliser ces deux chantiers sans l’apport de la PNH. C’est un plaisir de voir à quel point la police est mobilisée. Nous avons débattu des questions sécuritaires. On a parlé de la situation des Centres de vote. Il y en a qui se situent dans des zones qui ne sont pas à risque (zone verte), dans des zones où il peut y avoir des problèmes mais qui peuvent être résolus par la PNH (zone jaune) et des Centres dans les zones rouges. 

 La PNH et le CEP travaillent pour sécuriser tous les Centres de vote afin de permettre aux citoyens de s’exprimer librement » a-t-il déclaré. On a appris qu’un document sur la sécurité générale des élections élaboré par les dix (10) Directions départementales de la PNH a été présenté par le Commandant en chef de la police nationale lors de cette rencontre de haut niveau. Selon Dr Claude Joseph, « Ce document est un condensé de dix (10) plans présentés par les différents Directeurs départementaux de la PNH. Je suis certain que la population aura la possibilité de s’exprimer en toute sécurité » se réjouit à l’avance le locataire de la Villa d’Accueil dont le bail a été reconduit le vendredi 14 Mai 2021 pour une période intérimaire en attendant qu’un accord politique puisse être trouvé en vue de la formation d’un gouvernement d’union nationale. Une option loin d’être acquise pour le chef de l’Etat. 

En tout cas, si les électrices et électeurs pourraient cocher la case de couleur verte pour le OUI ou celle de couleur blanche pour le NON à la  question : « Approuvez-vous le projet de cette Constitution ?/ Eske w dakò ak pwojè Konstitisyon sa a » ? C’est l’inscription qui est inscrite sur le bulletin de vote du référendum populaire qui sera organisé à une date restant à confirmer après son ajournement pour crise sanitaire. La grande question que tous les observateurs ne cessent de se poser depuis le lancement du processus pour le référendum constitutionnel est celle-ci : lequel des deux camps réussira à convaincre cette population déjà en proie à des problèmes quotidiens et submergée par des difficultés de toute nature?  Est-ce l’opposition plurielle ou le pouvoir en place ? Réponse le jour du référendum si d’ici là les protagonistes n’arrivent à trouver un accord qui permettra de modifier l’ensemble du processus électoral avec un nouveau Conseil Electoral Provisoire et pourquoi pas un nouveau chef de gouvernement.  (Fin)

 

C.C

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