Référendum constitutionnel, chronique d’un malentendu !

(3e partie)

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 La ligne de défense des autorités gouvernementales sur le référendum est que : la Communauté internationale n’est pas hostile au référendum mais elle reste à l’écart du processus demeurant un acte de souveraineté d’un Etat. En tout cas, c’est exactement ce que pense le nouveau Premier ministre intérimaire Dr Claude Joseph qui, le jeudi 29 avril 2021, indique dans les médias que « La Communauté internationale n’a pas à supporter ou pas le référendum. N’oublions pas que le référendum est un acte de souveraineté ». Avant de déclarer dans une interview le 29 avril 2021 au quotidien Le Nouvelliste « Nous sommes d’accord qu’aujourd’hui une Constitution doit passer une série de tests. Ce sont des tests démocratiques, universels qu’une Constitution doit passer. C’est là la préoccupation qu’il y a au niveau de l’Internationale que nous sommes en train d’apprécier et nous y travaillons. 

 Ce n’est pas une Constitution qui va donner un pouvoir illimité à l’un des trois Pouvoirs. Comme vous le savez, c’est un avant-projet d’une Constitution. Les différents secteurs réagissent. Je peux toutefois vous dire que nous mettons le cap sur le référendum. 90 % des personnes consultées via trois sondages disent qu’elles ont besoin d’une autre constitution ». Le chef du gouvernement intérimaire, Claude Joseph, voulait répondre à diverses interventions du Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) et du Core Group qui s’inquiètent du cavalier seul du Président Jovenel Moïse sur le référendum en expliquant le 26 avril 2021 qu’« À ce stade, le processus n’est pas suffisamment inclusif, participatif ou transparent. L’appropriation nationale du projet de Constitution exige l’engagement d’un éventail plus large des acteurs politiques, sociétaux, y compris les groupes de femmes et de religieux dans tout le pays. Une telle réforme devrait se dérouler sur la base d’une large consultation qui implique l’ensemble des forces vives de la nation ». Ce référendum n’est pas à un paradoxe près. 

 Sans parler de la position très ambiguë de la Communauté internationale vis-à-vis de la témérité du Président Jovenel Moïse de réaliser son référendum le 27 juin si la situation sanitaire du pays le permet avec la pandémie du Covid-19 qui s’aggrave de jour en jour. Alors que certains organismes de l’ONU, entre autres le BINUH (Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti), ne cessent de prendre des positions tendant à faire croire à l’opinion publique qu’ils ne soutiennent point le référendum en donnant de faux espoirs à l’opposition. D’un autre côté, madame Helen La Lim, Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, et cheffe du BINUH en Haïti participe en compagnie des autorités haïtiennes à toutes les rencontres et réunions relatives au processus référendaire. D’autre part, ce sont d’autres entités des Nations Unies, précisément le PNUD, UNOPS, etc; qui font tourner la machine financière et technique de ce même scrutin, voire tout le processus pour les élections générales à travers un accord signé avec le gouvernement haïtien pour l’envoi à Port-au-Prince de spécialistes ou experts en matière électorale et pour la gestion de plusieurs millions de dollars américains déposés par l’Etat haïtien dans ce qu’on appelle le Basket Fund.

 D’après la Présidente du Conseil Electoral Provisoire (CEP), Me Guylande Mésadieu, l’organisme électoral aura à mobiliser 125 millions de dollars pour la réalisation de l’ensemble des élections prévues durant l’année 2021. Tous les fonds déjà décaissés pour le référendum ont été effectués par les agences de l’ONU. Bref, les critiques de la Communauté internationale ne peuvent que perdre les oppositions qui ne savent plus si leurs critiques sont entendues au-delà des rives d’Haïti. En même temps, Mathias Pierre laisse entendre que ce sont les mêmes infrastructures, matériels techniques et logistiques mises en place pour le référendum  par le CEP à travers PNUD et UNOPS qui seront utilisés pour les élections générales prévues en septembre. Il y aura seulement un renforcement sur le plan des ressources humaines et logistiques là où cela s’avérerait nécessaire. 

« Les référendums n’ont jamais apporté de bonnes choses à Haïti, sinon la dictature ».

 Sur un autre point, Max Delices, le Directeur général exécutif du Conseil Electoral Provisoire a de son côté informé que des séances de formation pour les membres des structures déconcentrées ont été organisées dans les 11 juridictions électorales du pays du 27 au 29 mars 2021 en vue de familiariser ces membres aux aspects techniques et aux outils technologiques entre autres coordonnées GPS et à l’évaluation des Centres de vote. En plus, l’institution électorale a même recruté par concours près de 500 personnes, 477 pour être exact en vue de renforcer l’effectif du CEP et de faire tourner cette lourde machine que demeure l’organisation d’une élection nationale. Enfin, Hubert Jean, Porte-parole du CEP a annoncé dans le cadre des rencontres hebdomadaires avec la presse sur le référendum que l’Office National d’Identification (ONI) a déjà remis la liste des registres électoraux pour l’ensemble des départements. Selon lui tout est fin près.  Pour le moment, le seul vrai bémol dans cette machine qui semble bien huilée, c’est le manque de grands débats publics autour du projet de la nouvelle Constitution qui devrait être soumis au référendum le 27 juin. 

 L’ex-Premier ministre, Joseph Jouthe, lui-même, l’a reconnu : il faudra plus de débats avant l’organisation de ce référendum disait-il. Ainsi, l’ancien chef du gouvernement avait chargé son ministre chargé des Questions électorales et des Relations avec les Partis politiques, Mathias Pierre, de prendre toutes dispositions utiles et nécessaires en vue de parvenir à une vaste mobilisation de la population autour du projet de la Constitution et par ricochet le référendum constitutionnel. Sauf que, l’opposition s’oppose de manière énergique et efficace à ces débats publics. Partout, à Port-au-Prince et dans les régions, elle arrive à faire échec à toutes tentatives de rencontres publiques entre la population et les autorités électorales et les rédacteurs de la Constitution, membres du CCI. Que ce soit à Anse-A-Veaux dans les Nippes, à Jacmel dans le Sud-Est ou à Hinche dans le Centre, le référendum a du plomb dans l’aile dans la mesure où le gouvernement n’arrive pas à tenir une réunion sur le sujet. Mais  le Président Jovenel Moïse ne s’avoue pas vaincu d’avance. Outre les recommandations de la Primature, il y a les initiatives venues du côté de la présidence haïtienne. 

 Ainsi, Guichard Doré, l’un des principaux Conseillers du chef de l’Etat, a initié depuis le 6 avril 2021 sur le compte Facebook de la présidence, une sorte de monologue avec la population qu’il baptise « Cheche konnen sou pwojè konstitisyon ». Une causerie à laquelle il compte bien convaincre les sceptiques, les indécis et les plus récalcitrants du bien-fondé de la nouvelle Constitution et si possible les encourager à se rendre aux « Urnes » pour le référendum du 27 juin. Durant son émission, il explique que la création le 28 octobre 2020 du CCI (Comité Consultatif Indépendant) par le Président Jovenel Moïse, chargé du Projet de la nouvelle Constitution, est le résultant de l’échec de la 50e législature dans sa tentative de reforme constitutionnelle. Selon Guichard Doré, la nouvelle Constitution doit prendre en considération trois points fondamentaux de la société haïtienne d’aujourd’hui à savoir : l’évolution sociologique, institutionnelle et économique. 

 Pourtant, divers Secteurs organisés du pays entre autres la Conférence Episcopale d’Haïti (CEH) église catholique s’est exprimée contre la tenue du référendum en demandant aux autorités de : « Renoncer au projet du référendum serait donc la sage décision de l’heure. Évitez, nous vous en conjurons, que le pays connaisse encore des jours sombres et même pires que ceux que nous connaissons présentement ». Après c’est la Conférence des Pasteurs haïtiens église protestante  qui, de son côté, conteste le référendum. Dans une note de presse publiée le 31 mai 2021, les pasteurs le font savoir au pouvoir en protestant contre « la volonté exprimée par des individus dépourvus de titre, de qualité et de légitimité pour changer la Constitution de 1987 et la remplacer par un document antidémocratique édicté par des groupes d’intérêts apatrides et anti-haïtiens ». Des personnalités aussi et non des moindres contestent le référendum constitutionnel qui semble arrivé à grands pas. Sans parler de l’opposant historique à une nouvelle Constitution, Dr Georges Michel, qui croit que « Les référendums n’ont jamais apporté de bonnes choses à Haïti, sinon la dictature ». 

D’après l’ancien Constituant : « En regardant le projet de Jovenel Moïse, on peut voir clairement la dictature. Il a éliminé le Sénat de la République, annulé la Chambre des députés. Il s’est donné une clause d’impunité où le Président peut tuer des millions de gens, voler des millions de dollars, violer des droits humains. On ne peut pas accepter ça du Président Moïse ; le peuple haïtien a travaillé dur pour obtenir la Constitution, pour sortir de la dictature. Lui, il a dit que c’est une nouvelle Constitution, qu’il peut organiser le référendum constituant. Moi, je dis qu’il ne peut pas parce que l’article 283-4 de la Constitution l’interdit. On  peut changer une partie de la Constitution mais pas l’intégralité » avance Georges Michel sur radio Magik 9 le lundi 5 avril 2021. Il y a aussi l’ancien Premier ministre de Jean-Bertrand Aristide, Robert Malval. Celui-ci, après vingt-cinq ans de silence, sort de sa réserve pour prendre position sur la conjoncture politique du pays. Dans une lettre ouverte adressée au Président Jovenel Moïse en date du 11 avril 2021, Robert Malval supplie le chef de l’Etat d’abandonner son projet de référendum constitutionnel qui, d’après lui, mènerait Haïti à une catastrophe. 

 L’ex-Premier ministre insiste pour dire « Vouloir organiser un référendum ayant pour objet de faire valider par le vote populaire une nouvelle Constitution, faite sur mesure, qui serait en soi l’acte fondateur d’une nouvelle République, entraînerait notre pays plus encore dans le gouffre dont vous semblez mal mesurer les profondeurs. Vous n’avez pas la compétence, au-delà de la légalité, pour le faire aboutir. En vous obstinant dans cette démarche, contraire à la raison, pour ne pas dire insensée, vous risquez de dire un jour, en paraphrasant Mirabeau, “j’ai emporté avec moi les lambeaux de la Patrie” » écrit Robert Malval qui met en garde sur le devenir d’Haïti. « Il n’est pas trop tard pour renoncer à cet aventurisme, d’où ne peuvent sortir que des germes de mort menaçant l’existence même de notre pays » s’alarme-t-il. 

 D’autres, comme Ericq Pierre, économiste à la Banque mondiale et plusieurs fois Premier ministre pressenti, sont eux aussi sorti de leur silence pour donner leur avis sur le référendum en cours de préparation. Celui qui n’a jamais pu accéder au poste de chef de gouvernement malgré sa désignation effective en 2008 par le feu Président René Préval, propose qu’on ne parle plus de référendum constitutionnel. Il suggère à la place que les opposants au processus parlent de préférence de : « Référendum Croupion » en faisant allusion au gouvernement éphémère de 1957 qu’on appela : Collège Croupion. 

Lors de cette interview, celui qui dirige le Parti du Président semble prendre clairement ses distances avec ce référendum de la discorde qui tient tant à cœur Jovenel Moïse.

 En tout état de cause, pour Ericq Pierre, ce référendum Croupion ne devrait pas avoir lieu. Puisque, « il n’y a rien de constitutionnel dans ce que veulent le Président de facto et ses acolytes ». Dans cette curée contre le référendum et la nouvelle Constitution, comment oublier la sortie sans équivoque de Liné Balthazar, le chef du Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK) dont le locataire du Palais national est issu. Dans un entretien accordé le 16 avril 2021 à des médias de la capitale, Liné Balthazar n’a pas été avec le dos de la cuillère pour mettre à mal le projet de reforme constitutionnelle du Président Jovenel Moïse « Le mandat du Président Jovenel Moïse n’est pas d’organiser un référendum pour modifier la Constitution. Son mandat est de s’assurer du fonctionnement régulier des institutions sous l’empire de la Constitution de 1987. Il a l’obligation de transmettre le pouvoir à un Président élu le 7 février 2022 et de restaurer le Parlement. 

 C’est cette feuille de route que je lui aurais recommandée. Ils ont à peine le temps pour organiser une élection entre aujourd’hui jusqu’au 7 février 2022 » avance le patron du PHTK. Lors de cette interview, celui qui dirige le Parti du Président semble prendre clairement ses distances avec ce référendum de la discorde qui tient tant à cœur Jovenel Moïse. Liné Balthazar énumère les raisons pour lesquelles il voterait contre la Constitution  si le référendum avait lieu ces jours-ci : « Trois raisons expliqueraient ce choix. Sur le plan technique et logistique cela aurait été un fiasco. De plus, il n’y a pas de consensus. Le PHTK n’a pas besoin d’une Constitution en faveur d’un groupe au détriment d’un autre. 

Par ailleurs, le texte proposé est une reproduction d’un modèle autoritaire de la Constitution de 1935 de Sténio Vincent. Dans l’ADN du PHTK, il n’existe aucune velléité dictatoriale et autoritaire » explique le numéro Un du Parti Haïtien Tèt Kale.  (A suivre)

 

C.C

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