Il ne fait pas de doute, la République d’Haïti est un livre d’histoire vivante qui ne se referme jamais. L’on n’est plus dans le « bis repetita » ! Non plus dans un éternel recommencement comme aiment le répéter les historiens ou les sociologues. L’histoire d’Haïti, surtout politique, se défile en continu sous les yeux des vivants comme une pellicule d’un film dramatique sans fin. Le scénario ne varie et ne dévie point. Il est intense, effrayant et inquiétant, mais surtout les spectateurs savent d’avance que cela se terminera mal. Il y aura toujours des morts pour le clap final. Plus d’un siècle après, les Haïtiens suivent avec constance le fil rouge. La trame d’un jeu dangereux risquant de leur faire perdre leur dignité, leur identité et surtout d’être les citoyens de la Première République Noire de l’humanité, leur indépendance ce qui fait leur fierté.
Puisque, à force de subir par intermittence due à des aléas politiques successifs une occupation étrangère, le pays court le risque de perdre définitivement sa souveraineté. Le film qui se joue au cours de ce mois d’octobre 2022 est le cheminement exact de ce qu’attendaient les acteurs de la scène sociopolitique haïtienne. En clair, les élites d’Haïti. C’est la réplique dans sa proportion exacte des évènements qui se sont déroulés au cours des années 1914, 1915.
Rassurez-vous, on ne va pas rejouer le match ou refaire l’histoire de ce siècle passé. Certes, la ressemblance est évidente pour vous. Ce serait aussi trop vous infantiliser comme si en tant qu’Haïtiens vous n’êtes pas en mesure de comprendre ce qui n’est, en fait, qu’un jeu de cons. Néanmoins, la similitude des démarches, du comportement et même des discours des uns et des autres des acteurs sociopolitiques du moment afin d’aboutir à ces résultats ne peuvent que vous surprendre et vous interpeller. C’est un processus minutieusement préparé qui est au point de s’appliquer. C’est plus que surprenant.
D’autres pleureront des larmes de crocodiles sur cette nouvelle présence des « marines » foulant et souillant pour la énième fois cette terre de liberté.
Les acteurs de tous bords, de toutes catégories et d’origines sociales différentes ont contribué à ce qui était devenu inéluctable pour la terre de Jean-Jacques Dessalines : le débarquement imminent pour une énième fois de soldats étrangers. Quelle ignominie ! Prenons en quelques mots quelques ingrédients qui ont donné corps à ce geste dont les conséquences pour l’identité haïtienne demeurent encore inconnues. Certains peuvent applaudir des deux mains ce retour de manière officielle des « Blancs » en conquérants sur le sol sacré par nos Pères fondateurs. D’autres pleureront sans doute des larmes de crocodiles sur cette nouvelle présence des « marines » foulant et souillant pour la énième fois cette terre de liberté. Qu’importe le positionnement des uns et des autres en cette conjoncture, l’histoire retiendra que ce sont les Haïtiens eux-mêmes qui ont créé les conditions pour une telle abomination, cet énième sacrilège. Après avoir organisé la débandade, de manière réfléchie, sain de corps et d’esprit, ils ont sollicité de manière formelle et par écrit (Journal officiel) l’intervention étrangère dans leur pays souverain.
Certes, les historiens de demain, comme pour la première occupation en 1915, tenteront de faire la part des choses entre les nationalistes et les antinationaux. Ils dissocieront les pro-occupations, les collabos et les résistants sans oublier, naturellement, ceux qui dénonceront par le biais de différents modèles de littératures, genre : les « blancs débarquent » histoire de tenter de sauver l’honneur de l’âme haïtienne. Mais, l’on connaît tous la conclusion et la finalité de cette guéguerre entre les pro et les contre occupation : les gens diront, ils y ont tous contribué. Bref, le mal est fait. Comment sommes-nous arrivés à cet appel pathétique du Premier ministre de facto, le Dr Ariel Henry, ce mercredi 5 octobre 2022 ? Cette honte nationale, mais selon certains inévitable compte tenu de la dramatisation de la situation et de la détérioration des conditions de vie de tout un peuple.
Pourquoi les élites économiques et la classe politique haïtienne toute entière ont-elles favorisé cette mise à mort de toute une Nation alors même qu’elles sont censées être le guide qui devrait éclairer les pas de leurs concitoyens ? En vérité, pour comprendre et surtout essayer d’avoir une bribe de réponse à ces questions, il faut remonter à l’origine de la naissance d’une part des élites économiques de ce pays et d’autres part connaître d’où vient cette classe politique qui, d’ailleurs, forme une symbiose fusionnelle avec cette entité économique au demeurant son bras armé au sens propre comme au figuré. Sans remonter sur les causes de l’assassinat du Libérateur Jean-Jacques Dessalines, mais restant indispensable pour comprendre la tragédie de ce peuple face à ses élites, on aperçoit rapidement que tout a commencé ce jour-là. Ce jour du 17 octobre 1806, ce jour de la malédiction sans rédemption. Le sacrilège suprême contre le Père, ses enfants et la Nation.
En créant deux mondes parallèles dans un seul Etat, sur une seule terre, les élites socioéconomiques d’Haïti ont définitivement fait table rase de l’idée d’un vivre ensemble entre les riches et les pauvres, voire entre les Blancs et les Noirs, comme l’avait imaginé, souhaité, voulu le Père de la Nation. Les années 1914-1915 ont été un rappel de piqûre à la masse, aux plus défavorisés, au plus grand nombre, aux vrais filles et fils de la Nation qui avaient malheureusement oublié trop vite cette parenthèse historique un siècle plus tôt. L’appel de la honte du chef de gouvernement intérimaire Ariel Henry, encouragé, soutenu par ses alliés politiques, dont la plupart était hier encore de grands « défenseurs » du peuple, se comportent aujourd’hui en néo-colons. Cet appel au secours rentre en réalité dans la même stratégie et conception que font les pionniers de cette classe aveuglée préférant vivre sous la domination d’une entité extérieure au lieu d’accepter une réalité dont ils ne pourront jamais se défaire dans la mesure où ils font partie intégrante de cet ensemble que constitue la République. Les masses haïtiennes sont de ce pays.
Que les élites dominantes le veuillent ou pas, elles font partie du paysage, la terre d’Haïti qui est le socle commun de l’ensemble de ses habitants. C’est ce qu’on appelle le patrimoine immatériel. Qu’ils soient riches ou pauvres, ils y sont pour toujours. Ainsi, il faut que les uns et les autres s’accordent à trouver ce qui les différencie et ce qui les unit afin que chacun trouve sa place mais surtout sa part de ce bien commun. Personne n’a le monopole de la richesse du pays. Tant que le partage demeure un mot abstrait ou impossible, le risque de soulèvement et de pillages, de l’insécurité « pays lock » demeurera grand, voire inévitable. Logique pour ne pas dire compréhensible.
Tout le monde a compris que la situation s’est vite détériorée avec l’annonce d’une augmentation des prix de produits pétroliers. Un produit de première nécessité sur lequel la bourgeoisie et les oligarques de service, donc la minorité agissante, s’enrichissent sans aucune contrepartie vis-à-vis de la population, voire l’Etat, disons le plus grand nombre. C’est cette décision antisociale du gouvernement, sous la pression de la plupart des institutions financières internationales, en l’occurrence, le FMI (Front Monétaire International), qui a mis le feu aux poudres.
Mettre cette révolte populaire instantanée sur le compte uniquement des bandes armées ou des gangs pour faire appel à une « Force armée spécialisée » pour essayer de contenir la colère de la population tout en niant ou tenter de faire passer en perte et profit ses revendications légitimes est une contrevérité. Cette décision antinationale ne peut s’apparenter qu’à une prise de position partisane en faveur d’une minorité, d’une caste, d’un groupe d’oligarques qui n’ont jamais imaginé que le peuple aussi a droit à la vie et le droit de vivre autrement que dans les conditions infrahumaines où on l’enferme depuis la fondation de cette Nation. Recourir à la force étrangère non pas pour améliorer les conditions de vie de la population mais uniquement dans le but précis de sauvegarder les acquis et les richesses de la classe minoritaire dominante relève d’un cynisme et d’une politique néo-colonialiste, néo-impérialiste dont la philosophie politique prend sa source dans l’exploitation économique et intellectuelle de la classe dominée.
Lorsque le Premier ministre de facto est apparu à la télévision le 5 octobre 2022 pour dire qu’il va demander de l’aide à la Communauté internationale, il s’agissait d’une mise en scène.
Lorsque le Premier ministre de facto est apparu à la télévision le mercredi 5 octobre 2022 dans la soirée pour dire qu’il va demander de l’aide à la Communauté internationale, il s’agissait, en vérité, d’une mise en scène. On le sait tous, tout était déjà acté, arrangé à l’avance avec ce qu’il appelle les « amis d’Haïti ». Jamais un dirigeant haïtien de nos jours n’allait de son propre chef à la télévision faire une telle demande si, auparavant, il n’avait pas le feu vert de ses amis de la Communauté internationale, autrement dit de Washington et du Core Group qui lui dictent tout depuis sa nomination à la tête du pays par Mme. Helen La Lime, cheffe du Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH).
Tout ce que fait et entreprit Ariel Henry dans le cadre de son travail à la Primature en tant que chef du Pouvoir exécutif haïtien depuis l’assassinat du Président Jovenel Moïse est cautionné par son chef de tutelle qu’est la Représentante spéciale du Secrétaire Général de l’ONU à Port-au-Prince. Dans cette demande officielle des dirigeants haïtiens au gouvernement américain d’envoyer des « DI » en Haïti, le pauvre docteur n’a fait que jouer le mauvais rôle. Tout simplement, Washington se dédouane en prenant la couverture d’une demande à l’aide officielle auprès de la Communauté internationale pour déployer au grand jour sa puissance. Vu le contexte international, vu ce qui se passe dans l’Est de l’Europe avec le conflit Russo-ukrainien, l’on se doutait que l’Administration de Joe Biden n’allait pas intervenir militairement dans un autre pays souverain sans son accord.
Alors même qu’elle déverse des milliards de dollars et des tonnes d’armes et de munitions sur le gouvernement ukrainien afin de mener une guerre par procuration avec la Russie de Vladimir Poutine. Personne n’est dupe. Cette nouvelle occupation d’Haïti que l’ONU et l’OEA estiment être un Etat failli est un long processus arrivant aujourd’hui à son point culminant. Selon eux, toutes les conditions sont donc réunies pour agir. Il ne manquait que la parole officielle de Port-au-Prince. En effet, d’après le gouvernement haïtien, la bourgeoisie économique haïtienne, l’élite intellectuelle et tous les oligarques en général : le temps de l’occupation d’Haïti est venu.
C.C