Il ne fait pas de doute, le processus électoral est lancé en Haïti. Les acteurs de tous les secteurs se positionnent en attendant que les choses se clarifient avec le CEP du 22 septembre ou un autre. Une chose est claire, personne ne veut être pris au dépourvu le moment venu. Pour le Président Jovenel Moïse, c’est l’objectif 2022 comme Tintin avait pour objectif Lune. Coûte que coûte, il faut qu’il y arrive et il arrivera qu’importent les conditions et la manière d’aborder l’atterrissage. Le but est d’atterrir. Après un Conseil Electoral Provisoire (CEP) monté dans la précipitation et ayant pour mission de réaliser des élections générales et un Référendum populaire pour approuver une nouvelle Constitution, le chef de l’Etat se donne aussi les moyens financiers pour atteindre ce but. Dans le nouveau budget 2020-2021, il a mis de côté le financement nécessaire de quoi répondre à cette nouvelle ambition politique pour l’année qui vient et qui sera fortement agitée.
Dans son budget prévisionnel, le gouvernement a réservé une cagnotte de plus de trois milliards de gourdes pour l’organisme électoral afin que celui-ci puisse conduire à bien ses activités électorales. Et en plus, la présidence haïtienne espère que la Communauté internationale apporterait, le moment venu, sa contribution financière comme d’habitude à ce projet qu’elle réclame tant. Surtout les Etats-Unis d’Amérique qui l’exhortent de plus en plus à réaliser ces scrutins en vue de rétablir le Parlement dans le paysage institutionnel du pays et dans ses attributions de deuxième Pouvoir aux côtés de l’Exécutif et du Judiciaire. Dans ce budget 2020-2021 qui serait l’un des plus grands de toute l’histoire d’Haïti et qui se chiffre à plus de 254 milliards 700 millions de gourdes, rien n’a été oublié en prévision de la tenue de ces joutes électorales auxquelles, apparemment, même si certains n’y croient pas du tout, d’autres au contraire s’y préparent activement. En effet, en support aux partis politiques qui seraient intéressés à prendre part à la compétition électorale dont personne ne sait quand est-ce qu’elle aura lieu, d’après ce qu’a rapporté le journal officiel Le Moniteur du samedi 3 octobre 2020, une enveloppe de cinq cent millions (500 millions) de gourdes est prévue afin de faciliter ou encourager les organisations politiques à participer dans la course électorale.
Sur ce plan, les autorités gouvernementales ont tout prévu afin d’attirer beaucoup de monde dans ce processus. Apparemment, elles ne se sont pas trompées. En tout cas, les signes sont très encourageants pour le pouvoir qui croit que le processus est bel et bien engagé. Déjà, on a constaté les signes de division qui font jour au sein de l’opposition plurielle. En Haïti, ce sont des signes avant-coureurs annonçant les prémices des joutes électorales. Les leaders politiques de l’opposition et proches du régime aussi commencent à se mettre en position. Chacun cherche la meilleure façon soit pour barrer la route à ces scrutins qui seront contestés par certains, soit pour se positionner sur la ligne de départ dans l’idée de rafler un maximum de sièges. D’une façon ou d’une autre, chacun entame cette période à sa manière. Mais c’est un moment qui ne laisse personne indifférent en Haïti tant cette période est synonyme de combines politiques, de mobilisation populaire et de tractations entre les formations politiques. Ces grandes manœuvres préfigurent les périodes de contestations et de crises pré et postélectorales dans un paysage politique déjà au bord de la saturation.
Mais tout le début d’un processus électoral dans ce pays est aussi synonyme d’une inflation de formations, partis et organisations politiques en tout genre. Si durant de longues périodes il n’y avait que les partis politiques de l’opposition et leurs chefs qui faisaient parler d’eux, dès la formation d’un nouveau CEP provisoire contesté ou de consensus, les acteurs politiques pro ou antigouvernementaux ne se privent guère pour faire entendre leur petite musique qui, sur le fond, n’est guère plus originale que les vieilles chansons que la population et les observateurs politiques ont l’habitude d’entendre depuis toujours. Ceux qui se prétendent être de nouveaux venus ne sont en fait que de vieux de la vieille qui ont déjà fait les quatre cent coups à gauche comme à droite du microcosme politique de ce pays.
Même si pour la plupart ils ne sont jamais élus ou n’ont jamais affronté les suffrages universels, ces acteurs qui sortent du bois les uns après autres ont un point commun : ils entendent jouer un rôle de premier plan dans le futur d’Haïti et surtout se positionner pour le moment des négociations soit avec le pouvoir en place soit avec ceux qui aspirent et qui ont de réelle chance d’accéder aux responsabilités publiques. A chaque échéance électorale, on assiste au même exercice. C’est une histoire qui se répète à l’envi et invariablement au même moment. Ce sont ces manœuvres politiciennes qui, en vérité, donnent le top départ d’un processus électoral en Haïti. Quel que soit le régime en place, les dirigeants connaissent ce rituel. Ils ne s’inquiètent guère des rodomontades de certains leaders politiques qui s’obstinent à contester l’organisme électoral en place. Ils ne se doutent pas un instant que, dès que le processus sera déclenché, tous ou presque seront de la partie.
En tout cas, ils trouveront du monde, beaucoup de monde même, le moment opportun pour démarrer la machine électorale. Surtout, il y a l’appât du gain non négligeable qui a fait son apparition il y a peu dans le processus électoral haïtien. Ces millions de gourdes mis à la disposition des Partis et Plateformes politiques qui s’engagent à concourir aux joutes électorales annoncées. Toujours et quelles que soient les circonstances, il y a pléthore de chefs de partis attirés par ce don financier mis à leur disposition par l’Etat qui, en réalité, ne servent qu’à enrichir les propriétaires de partis éphémères qui n’existent que le temps du processus électoral. Il suffit de consulter les journaux de l’époque ou certains ouvrages sur l’histoire des élections lors de ces conjonctures pour comprendre que l’explosion des partis politiques à laquelle on assiste ces temps-ci en Haïti n’a rien de nouveau. Ni d’extraordinaire ni de surprenant. Quand on fait le compte des organisations ou partis politiques existant aujourd’hui en Haïti et qui ont une reconnaissance légale et dûment enregistrés aux ministères des Affaires Sociales et de la Justice, on en dénombre au moins 160 à 170.
C’est dire que le paysage politique haïtien est plus que saturé. Pourtant, la semaine dernière, le ciel d’Haïti a vu arriver un nombre impressionnant de nouvelles formations politiques dans la perspective forcément des nouveaux scrutins qui s’annoncent l’année prochaine. Ces partis politiques, pour la plupart des groupuscules portés sur les fonts baptismaux par des anciens parlementaires ou même élus encore en fonction, n’ont qu’un but, même si pour le moment leurs chefs refusent d’assumer les raisons pour lesquelles ils ont décidé de créer leur propre mouvement politique alors qu’ils sont tous issus et déjà membres d’un parti. Ce but est de participer aux élections générales avec le CEP du 22 septembre qui, le moins que l’on puisse dire, ne sait même pas s’il survivra le temps de lancer la machine électorale ou si ces Conseillers électoraux seront sacrifiés sur l’autel des Pourparlers et des négociations secrètes entre le pouvoir, l’opposition et la Communauté internationale.
Car, aussi curieux que cela puisse paraître, pratiquement un mois après son investiture au Palais national, le CEP du 22 septembre n’a toujours pas été installé dans ses locaux. Seulement, on apprend au dernier moment qu’un Bureau a été constitué ayant pour Présidente Guylande Mésadieu. Cette nouvelle Présidente du CEP sera accompagnée par Esperancia César, Vice-Présidente ; Josette Macillon, Secrétaire générale et comme Trésorier Guy Roméus. Or même avec l’ouverture de l’année judiciaire à la Cour de cassation, séance à laquelle le chef de l’État qui cherche toujours une entente avec la plus haute instance judiciaire haïtienne a assisté en sa qualité de Président de la République comme le veut la tradition, il n’y a toujours pas de date pour cette fameuse séance de cérémonie de prestation de serment. Un vrai handicap pour le pouvoir ! Un contretemps pour l’organisme électoral. Pourtant, il est difficile d’énumérer le nombre exact des partis politiques qui ont pris naissance ou qui ont été ressuscités durant la dernière semaine du mois de septembre 2020 et la première semaine du mois d’octobre 2020. Mêmes les observateurs politiques attentifs et curieux des choses publiques ont été surpris et stupéfaits de découvrir l’existence de ces groupuscules qui éclosent simultanément dans le pays.
Il y en a pour tous les goûts. De toutes les tendances. Et de toutes les couleurs. Ils se disent de gauche, de droite, centriste, dessalinien et même duvaliériste. Il y en a tellement qu’il fallait faire un choix et bien ajuster son agenda pour pouvoir suivre leur naissance. Du Plateau Central à Hinche, chef lieu du département du centre, c’est l’ex-sénateur Willot Joseph, proche du PHTK, qui a présenté ce qu’il prénomme « Egzanp Nasyonal » (Exemple National). Selon Willot Joseph, ce nouveau parti créé le 24 septembre 2020 est déjà un phénomène national tant qu’il s’étend sur tout le pays « Nous sommes partout sur le territoire, sauf dans le département du Sud-Est. Nous sommes de gauche. Nous irons aux prochaines élections seuls ou au sein d’un regroupement de partis ». À Pétion-Ville, c’est dans le cadre sélect des jardins de Tara’s que l’ancien député et homme d’affaires Jerry Tardieu a fait une démonstration de force, de couleur et d’organisation en lançant le parti politique « En Avant » (Mouvement Pour Changer Haïti Ensemble).
Ce nom nous rappelle celui d’un certain Emmanuel Macron en France avec son mouvement « En Marche » qui deviendra, après son élection à la présidence de la République française, « La République En Marche ». En tout cas, d’après Jerry Tardieu, l’initiateur à la Chambre des députés du projet d’amendement de la Constitution et nouveau leader politique c’est « Parce que la majorité de la population ne se retrouve pas forcément dans l’offre politique actuelle et qu’il y avait nécessité de créer un nouvel outil politique pour donner à la majorité silencieuse « une voie » et « une voix », nous lançons « En avant » ! Notre devise : Mouvement pour changer Haïti Ensemble. C’est un mouvement inclusif et moderne qui veut rassembler les Haïtiens autour d’un projet national de modernité et de progrès ». Très axé sur la diaspora, « En Avant » a déjà des branches aux Etats-Unis d’Amérique, en France et au Canada selon son Coordonnateur Jerry Tardieu. Ensuite, c’était le tour de l’ex-parlementaire Antoine Rodon Bien-Aimé de présenter son organisation politique « Antant Nasyonal » (Entente Nationale) dans le département du Centre. Cet ex-député de Cerca-Cavajal est un ancien allié du PHTK après son passage au parti VERITE.
On n’oublie point le groupuscule de l’ex-sénateur Jean Renel Sénatus alias Zo Kiki qui a lancé « Lòd Demokratik » (L’Ordre Démocratique) à Port-au-Prince. Rappelons que cet ancien élu de Thomazeau dans le département de l’Ouest vient du Mouvement politique dénommé « LIDE » (Ligue Dessalinienne) que dirige l’ex-Maire des Cayes, Gabriel Fortuné, Conseiller politique du Président Jovenel Moïse. D’après Zo Kiki, Lòd Nasyonal n’est pas nouveau dans le pays puisque selon lui : « Nous sommes Lòd demokratik, un parti qui s’est implanté dans le paysage politique haïtien depuis le 17 avril 2019. Il veut prioriser un leadership capable, honnête, non cupide et amoureux de la patrie. Des hommes porteurs d’une vision certaine et sérieuse pour la famille, la justice, la sécurité et la bonne gouvernance. Il nous a été difficile de trouver nos valeurs ailleurs, nous nous sommes joints pour dire non, nous n’allons pas laisser la politique aux incapables et à ceux qui devraient être en prison. « Lòd demokratik » croit à l’alternance politique mais non pas à une alternance qui pourrait empirer notre situation de peuple et nous conduire à la guerre civile.
Ces élections telles que programmées ne conduiront le pays qu’en enfer. Il est temps de démarrer avec la construction de notre pays, nous avons perdu trop de temps » a déclaré Jean Renel Sénatus. Toujours dans la course des partis, il y a celui de Déus Déroneth, ancien député de Marigot, qui arrive avec une organisation répondant au nom de « Elan Démocratique » (EDEM) ; il y a aussi le « Nouveau Parti pour la Renaissance d’Haïti » (Nou PAREH) de Léon Ronsard Saint-Cyr ancien Secrétaire d’Etat à la Sécurité publique sous la présidence de Jovenel Moïse il n’y a pas longtemps ; auxquels il faudra ajouter la formation politique « Alliance pour une Société sans Exclusion » (ASE) dirigée par l’ancien Président de la Chambre des députés Cholzer Chancy ex-parlementaire d’Ennery dans l’Artibonite et ancien bras droit de Youry Latortue le leader de AAA parti l’Artibonite An Aksyon aujourd’hui un parti d’opposition membre du Secteur Démocratique et Populaire (SDP).
Dans cette longue liste des nouveaux partis, il ne faut pas oublier AYA (Ayiti Anvan (Haïti avant) créé le dimanche 4 octobre 2020 par le chanteur et sénateur en fonction Garcia Delva. Il est le Coordonnateur national et dans cette tâche, l’élu de Marchand-Dessalines sera secondé par l’ex-député Joseph Nickson Pierre-Louis. Enfin, on ferme la boucle avec deux autres mouvements qui se situent entre association et parti politique. La première est une sorte d’Organisation Populaire (OP) qui s’appelle « Matris pèp la » dont le concepteur est l’ancien sénateur et musicien Antonio Cheramy dit Don Kato. Si pour le moment cette organisation n’a pas encore de titre de parti politique, on prend le pari qu’elle le deviendra rapidement par le temps qui court bien que son leader s’en défend.
Le second se nomme « Groupe des anciens Parlementaires pour l’équilibre politique en Haïti » rien que son nom est déjà tout un programme. Cette nouvelle structure politique regroupe, selon ses fondateurs, des ex-députés : Jean Willer Jean, Jean Wilson Hyppolite et Prince Cyprien et au moins trente huit (38) ancien députés. D’après eux, le « Groupe des anciens Parlementaires pour l’équilibre politique en Haïti » se veut un organisme politique qui entend « jouer un rôle à mi-match dans la protection des valeurs et les institutions démocratique ». Tandis que d’autres partis politiques, à l’instar du MTV Ayiti (Mouvement Troisième Voie Haïti) de l’entrepreneur Dr Réginald Boulos apparu depuis au moins une année, essaient de trouver leur place sur un espace qui le moins que l’on puisse dire est déjà nettement embouteillé par un trop plein d’organisations à caractère politique sans vraiment de réelle vision pour un vrai changement de société.
Comme tout le monde peut le constater, les organisations, mouvements, partis et bientôt Plateformes politiques pullulent déjà sur le territoire en prévision, certainement, des élections à venir. Or, jamais un processus électoral n’aura été si mal engagé entre le pouvoir en place et l’opposition officielle qui jure qu’elle ne prendra pas part à ce qu’elle qualifie déjà de mascarade et que même le parti PHTK du Président Jovenel Moïse croit qu’il s’agit d’élections « yon grenn soulye ». En attendant, l’Administration américaine continue de mettre la pression sur le Président Haïtien pour l’organisation des élections alors que la France, à travers son ambassadeur, croit que les conditions ne sont pas réunies pour de telles joutes. Chacun cherche ses intérêts et chacun avance ses pions. Pendant ce temps, le peuple haïtien reste indifférent aux recommandations et aux lamentations des uns et des autres dans la mesure où il est jusqu’à présent le grand perdant de ces farces.
C.C