Pour que la République d’Haïti triomphe de la Puissance des Ténèbres!

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Le porte-parole de la SPNH, Abelson Gros Nègre emprisonné

 « L’impérialisme, tel le chasseur de la préhistoire, tue d’abord spirituellement et culturellement l’être, avant de chercher à l’éliminer physiquement. La négation de l’histoire et des réalisations intellectuelles des peuples africains noirs est le meurtre culturel, mental, qui a déjà précédé et préparé le génocide ici et là dans le monde. » 
            (Cheikh Anta Diop, Civilisation ou Barbarie, Présence Africaine, Paris, 1981)

 

Depuis la dissolution de l’armée indigène en 1915 par la Maison Blanche, le Département d’État et le Pentagone, Haïti est devenue un État fragile et vulnérable. Elle n’a aucune possibilité de protection militaire. Aucune capacité de défense territoriale. Alors que la République Dominicaine, sa voisine, entretient une armée de 62 000 membres actifs, bien entraînée et bien équipée par les États-Unis : 33 000 soldats dans l’armée de terre, 12 000 dans la marine et 17 000 dans les forces aériennes, selon des chiffres publiés en 2019.  Elle est, pouvons-nous lire dans l’ébauche de Wikipédia, « le deuxième État en termes d’effectifs militaires des Caraïbes, après Cuba. Le pays est principalement équipé par les Américains (Étatsuniens).»  La police nationale d’Haïti se révèle incapable d’assurer la sécurité interne de la République. D’ailleurs les policiers honnêtes, fidèles et loyaux n’arrivent pas à se protéger eux-mêmes. Ils tombent ces derniers jours comme des mouches sous les balles des brigands armés, sans scrupule, qui assiègent la capitale et les zones périphériques. Les événements tragiques et regrettables, dans lesquels les cinq policiers ont été assassinés, humiliés et mutilés à Village de Dieu, ont révolté la conscience des citoyens. La direction générale de la Police nationale d’Haïti a choisi délibérément d’abandonner les cadavres des victimes aux gangsters qui agissent en toute impunité, sous les ordres du dénommé « Izo » qui règne comme Jules César ou Philippe de Macédoine sur les quartiers du Bicentenaire. 

Les policiers regroupés au sein de l’organisation clandestine, Fantôme 509, ont manifesté à plusieurs reprises dans les rues de Port-au-Prince pour exiger que les dépouilles de leurs collègues, séquestrées, mutilées et inhumées par les bandits, soient restituées à leurs familles, qui attendent dans l’anxiété et la colère. Malheureusement, le gouvernement illégitime de Jovenel Moïse, – et tout tend à le prouver –, n’est pas intéressé à entreprendre des incursions sur le « territoire » des sacripants, des coupe-jarrets, des truands, ce qui permettrait de laver l’honneur des agents du corps d’élite SWAT, sacrifiés inutilement le 12 mars 2021 à Village de Dieu. Le directeur général, Léon Charles, s’est plutôt contenté de révoquer les membres fondateurs du syndicat de la Police nationale d’Haïti (SPNH), qu’il associe sans preuve suffisante ou sans aucune preuve, semble-t-il, au groupe Fantôme 509, que les États-Unis et d’autres instances étatiques du Conseil de sécurité des Nations unies qualifient d’entreprise terroriste. Les jours de Léon Charles semblent pesés, divisés, comptés à la tête de l’institution policière qui, elle-même, est menacée de désagrégation, comme les forces armées d’Haïti héritées de François Duvalier ont explosé en 1994. Plusieurs agents de la police nationale d’Haïti font face à des poursuites judiciaires pour destruction des biens publics et privés. Un avis de recherche a été lancé contre les dirigeants principaux du syndicat de la PNH. Ces derniers n’ont pas l’intention d’obtempérer à l’oukase de Léon Charles, qu’ils estiment totalement absurde et ridicule. Avec l’ouverture de cette nouvelle brèche, la crise sociopolitique vient de franchir une autre étape de sa nature crucialisante. Les nouvelles ont rapporté l’enlèvement du porte-parole de la SPNH, Abelson Gros Nègre, par des hommes encagoulés, portant l’uniforme de la Police Nationale d’Haïti, à bord d’un véhicule sans plaque d’immatriculation. 

Révolution ou occupation

La Mission des Nations unies pour la Stabilisation en Haïti (Minustah) a  reconnu qu’elle a échoué dans son  mandat qui consistait à remembrer l’économie haïtienne, à favoriser l’organisation d’élections présidentielles, législatives et municipales sur une base régulière, à réorganiser la police nationale, à renforcer les institutions de l’État,  à créer des conditions de stabilité sociétale, à savoir la maintenance de la paix et de la sécurité sur l’ensemble du territoire national… Mais vous et moi en sommes parvenus à la conclusion que rien de tout cela n’a été réalisé! Après ce constat d’échec flagrant, la Minustah de Sandra Honoré  a voulu céder la place à une « armée de tutelle » placée sous le commandement direct des « puissances néocoloniales »  qui siègent au sein  du Conseil de sécurité. Particulièrement les États-Unis, la France et le Canada. Néanmoins, cela ne peut se faire que dans une situation d’anarchie sociale et de désordre politique. Le Core Group est donc en train de créer les conditions de cette nouvelle forme d’invasion militaire avec l’équipe du PHTK qui a usurpé la gouvernance politique depuis décembre 2011. 

« Homme, je puis disparaître, sans voir poindre à l’horizon national l’aurore d’un jour meilleur ».

Dans son livre « L’effort dans le mal », le grand écrivain et homme politique haïtien, Joseph Anténor Firmin, écrivit : « Homme, je puis disparaître, sans voir poindre à l’horizon national l’aurore d’un jour meilleur. Cependant, même après ma mort, il faudra de deux choses l’une : ou Haïti passe sous une domination étrangère, ou elle adopte résolument les principes au nom desquels j’ai toujours lutté et combattu. Car, au XXe siècle, et dans l’hémisphère occidental, aucun peuple ne peut vive indéfiniment sous la tyrannie, dans l’injustice, l’ignorance et la misère ».

Avant les élections de novembre 2005 qui ont réinstallé René Préval au pouvoir, le major Michael T. Ward [1] des forces armées canadiennes a publié un texte dans la Revue militaire canadienne (RMC) intitulé « L’utilité de placer Haïti sous tutelle internationale ». L’auteur écrit : « L’une des solutions pour résoudre ces faiblesses serait de placer Haïti sous la tutelle des Nations-Unies. Les Nations-Unies devraient assurer la gouvernance du pays de manière à mettre en place les conditions nécessaires à l’émergence d’une culture démocratique suffisamment solide pour garantir que les rivalités politiques ne débouchent pas sur la violence. De manière générale, les tâches de l’administration onusienne devraient largement coïncider avec celles définies dans le mandat de la Minustah, mais elles devraient être directement confiées à une instance permanente et non tournante afin d’éviter les contraintes imposées par la culture et le système de gouvernance actuel. » 

  Les États hégémoniques y pensent sérieusement. L’état de sous-développement avancé dans lequel se trouve Haïti ne lui permettra pas d’échapper à ce projet officieux. À moins que les forces en présence sur la scène politique controversée choisissent la voie préconisée par la raison pure : se rassembler autour d’une table nationale de concertation et de réconciliation. Le défunt Chris Hanni, appelé le Guevara de l’Afrique du Sud, le héros anti-apartheid, l’avait fait pour son pays. Cependant, les salopards lui ont enlevé la vie le 10 avril 1993 à Boksburg. Dans le cas d’Haïti, s’asseoir, certes, mais avec qui? Pas avec les antinationaux qui – comme Gérard Latortue, Hérard Abraham, Guy Philippe, Ravix Rémissainthe, Louis Jodel Chamblain, … – travaillaient pour mener le pays à ce carrefour de perte totale d’autonomie politique et d’autodétermination économique, financière et culturelle ?  Ces « antipatriotes », en février 2004, avaient la mission de préparer le terrain pour les seigneurs de « l’Empire de la honte », qui veulent à tout prix prendre le contrôle absolu de l’appareil idéologique d’État haïtien, pour utiliser la notion philosophique de Louis Althusser. C’est bien dommage que le président Jean-Bertrand Aristide avait choisi de céder si facilement aux pressions des mercenaires financés et armés par la CIA, sans résister. Alors que le chef lavalassien avait une équipe autour de lui déterminée à se battre, disposée à affronter les pseudo-assaillants. Le 11 septembre 1973, avec la mitraillette que lui avait offerte Fidel Castro en cadeau, Salvador Allende n’a-t-il pas vendu chèrement sa peau à Augusto Pinochet supporté par les faucons des États-Unis. Parfois, il est d’une nécessité historique de savoir « Mourir pour Vivre ». Le président lavalassien pourrait bien mériter dans l’historiographie universelle une place moins grande que celle occupée par le Camarade Salvador Allende!

L’enlèvement cynique de l’ex-président Jean Bertrand Aristide le 29 févier 2004 –  encouragé par des médias locaux sans conviction idéologique, sans formation politique, sans capacité d’analyses des grands faits de l’histoire universelle, et avec la connivence des groupements politiques hostiles à la lutte des masses –  n’a-t-il pas agrandi les brèches de basculement de la société haïtienne dans le désordre politique, l’anarchie sociale et l’ingouvernabilité? Il s’agit des trois principaux facteurs qui précipitent un pays du haut des falaises de l’occupation étrangère. Car les forces démoniaques n’attendent que ces occasions alléchantes pour poser leurs griffes sur les richesses naturelles des populations du Sud. Il ne faut pas surtout croire que nos propos crèchent dans la planque d’une démarche visant à dédouaner le lavalassisme. « Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu », affirment les Écritures. 

Ils disent que nous ne sommes pas des êtres humains

Des historiens anti-esclavagistes – comme Claude Ribbe – ont comparé les monstruosités commises par le napoléonisme à Saint-Domingue avec celles que l’humanité reproche au nazisme durant la seconde guerre mondiale. Certains essayistes pensent même que le mode de traitement que le cruel Rochambeau réservait aux Africains esclavagés servait d’inspiration à l’invention des chambres à gaz d’Adolphe Hitler. L’économiste Lesly Péan a abordé les atrocités que nous évoquons dans un texte publié le mardi 12 novembre 2013 sous le titre « Haïti-Histoire : De Vertières à ce jour en passant par le Pont Rouge. » Lesly Péan a repris lui-même Beaubrun Ardouin que nous citons en exemple : « Rochambeau les fit embarquer sur un navire de guerre; on les plaça dans la cale en fermant hermétiquement les écoutilles, après y avoir allumé du souffre. Ces malheureux furent asphyxiés et leurs cadavres jetés ensuite dans la mer. C’est à ce barbare qu’on doit imputer ce genre de mort, qu’il inventa dans sa rage d’extermination et qui fut employé si souvent dans son gouvernement [2]. »   

Le porte-parole de la SPNH, Abelson Gros Nègre emprisonné

Certains « ingrats » peureux voudraient que nous taisions les « hauts faits d’armes » qui ont creusé la fondation de la patrie. Que nous cessions aussi de notifier à l’opinion mondiale les sentiments de cruauté et de tribulation qui sous-tendent l’époque coloniale. Au contraire, nous avons pour devoir de perpétuer la mémoire de l’histoire, de tenir en éveil la « conscience » des générations actuelles et futures. En présence d’un ressortissant espagnol, français ou anglais, il faut que l’Haïtien garde dans son esprit qu’il se trouve en face d’un individu dont le trisaïeul a acquis la quadruple et triste réputation de voleur, d’usurpateur, d’assassin et de violeur : un être infâme, quelqu’un qui participa à l’ « entreprise anti-humanitaire » la plus abjecte, la plus monstrueuse que l’univers ait supportée.   

Lorsque Lénine ordonna l’exécution du Tsar Nicolas II, qui avait affamé son peuple, emprisonné et assassiné des militants des droits civils et politiques, qui s’aventurerait, sans risque de se faire contredire, à déclarer que ce geste patriotique n’eut aucun rapport avec les notions fondamentales de la « démocratie »? Au nom de l’anticommunisme primaire, les Pinochet, les Duvalier, les Trujillo, les Somoza ont obtenu « carte blanche » des puissances occidentales pour remplir les cimetières de cadavres des combattants de la liberté.  Mais quand le peuple réagit, venge les « grandes injustices » exercées contre lui, incendie les demeures luxueuses des exploiteurs, détruit les biens matériels des bourreaux, lapide les répresseurs sadiques et farouches, tels que les Jacques Gracia, Luc Désir, Franck Romain, Albert Pierre alias Ti Boule, Jean Valmé, il est accusé de «sauvagerie » et d’« incivilité ».  Comment des néo-duvaliéristes endurcis peuvent-ils s’arroger le droit d’utiliser le langage constitutionnel, alors que leur « président skyzophrène » a aboli la Chambre du sénat, interdit le fonctionnement des partis politiques, muselé la presse, prohibé la lecture des livres qui traitent du système idéologique de gauche…?   

En politique, il faut marcher, quand la conjecture l’inspire, jusqu’au bout. Si les États-Unis, le Canada, la France, l’Allemagne, l’Organisation des Nations unies ont pu ressusciter en si peu de temps le « macoutisme duvaliérien » du tombeau de l’horreur et de la terreur, jusqu’à pouvoir le transporter sur les vestiges du palais national, c’est parce que le peuple haïtien leur a laissé la chance de retrouver le chemin du cimetière où l’insurrection du 7 février 1986 était censée l’inhumer, en tant que « système politique ». Adolphe Hitler n’a pas de sépulcre connu. Aucun fanatique ne peut aller se recueillir sur la fosse du dictateur assassin.  

Après les événements fastes du 7 février 1986, les « taureaux duvaliéristes », comme Louis Gonzague Edner Day, – le fils du préfet tortionnaire – ne devraient pas se promener avec les cornes levées dans la cité. Cette démocratie qu’ont imposée Barack Obama, François Hollande, Angela Merkel à la Nation haïtienne dépasse les bornes. La misère, ou mieux encore, l’appauvrissement d’un peuple ne lui enlève pas sa « Dignité ».   Mais eux disent que les parias, dont une bonne partie traînent dans les grandes métropoles de l’univers, se défoncent dans les usines de sous-traitance nord-américaine, grattent les fonds des chaudrons dans les restaurants huppés de New York, lavent des autobus à Paris, cueillent des tomates et des oranges en Floride, se fatiguent derrière le volant d’un taxi  à Montréal, se prostituent et se droguent dans les bars de striptease de Miami,  n’ont aucun droit. Ils regardent encore les descendants des esclaves africains avec leurs yeux racistes et haineux de « colons ». Les « blancs » apportent sans remord le sida, distribuent le choléra, propagent la prostitution mâle et femelle, perpètrent le viol sur le territoire national. Ils n’ont même pas la décence de reconnaître leurs crimes et de s’excuser. Et quand Ban ki moon l’a fait pour le choléra, la tardivité du geste ne recèle-t-elle pas l’indifférence et le mépris des innombrables victimes, de leurs familles et de l’État haïtien? Et le pauvre président de facto, Jocelerme Privert, qui ne cessait de répéter stupidement en parlant des Nations unies : « Notre organisation… » Depuis quand cette institution internationale pourrie se préoccupait-elle des problèmes qui concernent les pays défavorisés? Les Nations Unies servent d’abord les intérêts « intra-extra-environnementaux » des superpuissances. Celles-ci possèdent tout pour imposer leur volonté dictatoriale aux peuples du Sud. Elles jouissent d’une plénipotentiarité étonnante. Mais leurs « bras invaincus » sont-ils pour autant « invincibles »? Chaque État, chaque être humain possède son talon d’Achille. Rome, après le temps des conquêtes florissantes et glorieuses, avait fini par sombrer dans la décadence. Et l’Église, comme vous le savez, devint l’unique institution détentrice de la suprématie en matière de philosophie sociale et d’endoctrinement politique.  Anastasio Somoza croisa un jour sur sa route un révolutionnaire répondant au nom de Daniel Ortega qui mit fin au spectacle de désolation dans lequel étaient entraînées les masses nicaraguayennes contre leur gré. Peut-être que la fable de Jean de La Fontaine, Le lion et le moucheron, se « rematérialisera » sur la terre épopéenne de la République d’Haïti. 

Le défunt professeur Marcel Gibert est considéré comme un « révolutionnaire de la pensée politique moderne dans l’espace social haïtien. » Nous l’avons interviewé à l’émission Ces mots qui dérangent, peu avant son décès. Marcel Gilbert, prophétisant sur la conjoncture sociale, politique et économique difficile, affirmait : « Les grandes puissances continuent encore à exploiter le pays. Elles ont planifié une privatisation des entreprises publiques. Elles réalisent la privatisation sans rencontrer de résistance. Cela leur permet de contrôler davantage le pays.  Aujourd’hui, les lavalassiens qui ont cédé au chantage du Fond monétaire international, de la Banque mondiale, sont embarrassés. La grande puissance en question travaille déja à les diviser.  Constamment, il faut déplacer le démon. Il faut le déplacer quelque part de visible, car si vous ne le faites pas, le peuple national haïtien va découvrir que le véritable responsable caché derrière ses déboires est en général une grande puissance. Et il faudra à ce moment-là contrer les agissements de cette grande puissance. Le combat d’un peuple national ne peut être mené et gagné que par l’ensemble des catégories sociales qui sont victimes de l’injustice politique, économique et financière. » 

Marcel Gilbert évoquait subtilement les conditions subjectives et objectives de matérialisation d’un mouvement de lutte révolutionnaire. Les propos du professeur renvoient aussi à la nécessité incontournable de cette prise de conscience collective pour penser, dresser et imposer le plan de l’édifice du changement. C’est à partir de ce carrefour névralgique que se posent les problèmes et les conséquences liés au phénomène de l’analphabétisme observé dans les zones urbaines défavorisées et les sections rurales négligées.  Ces populations pauvres qui accusent un grave déficit en matière d’éducation et d’instruction ne comprennent pas toujours les avantages sociaux, politiques et économiques qu’ils peuvent tirer de l’aboutissement triomphal d’un combat pour la désaliénation des libertés collectives et individuelles qui se rattachent aux principes imprescriptibles des droits naturels accentués dans les études philosophiques de Johannes Althusius [3] appelé le père de la souveraineté populaire. Les masses ont besoin de préparation idéologique pour être en mesure d’épouser véritablement une « cause » de changement social et politique. Ernesto Guevara a échoué en Bolivie parce que les paysans qu’il défendait sont allés eux-mêmes le dénoncer aux autorités militaires, par peur de représailles. 

Le banditisme s’est institutionnalisé à Port-au-Prince.

L’état de « misérabilité extrême » dans lequel est plongée la République d’Haïti fait reculer considérablement les tentatives d’aménagement d’un champ de combat politique d’avant-garde. L’internationale néocoloniale a miné la capacité de résistance des masses, en les assujettissant à une situation de précarité existentielle de plus en plus désespérante. Les couches de la société haïtienne touchées par la misère ne pensent pas à se révolter, mais plutôt à fuir. Et tout autant qu’il existera un « ailleurs » en opposition à cet « ici » dégueulasse, elles ne changeront pas de comportement. Le salut passe aujourd’hui par le Brésil, l’Argentine, le Chili, le Mexique, pour aboutir finalement aux portes inexpugnables des États-Unis.  Ceux-là qui choisissent l’option de s’en aller ne reviendront pas. D’ailleurs, ils savent qu’il existe dans chaque coin de rue un mystérieux «Izo » qui les attend avec un fusil mitrailleur M60 pour faire exploser leur cervelle. Tout ceci fait partie du complot des impérialistes contre la Nation. Il serait difficile pour la Minustah de prouver qu’elle ne soit pas effectivement en mesure d’aider la police nationale à élucider le phénomène du banditisme qui étrangle surtout les riverains de Port-au-Prince. Remarquez qu’aucun fonctionnaire de l’ambassade états-unienne n’est venu expliquer de façon plausible comment un sale tueur à gage qui portait le sobriquet de « Tèt kale » avait-t-il pu décrocher sans difficulté un visa pour se rendre aux États-Unis avec sa petite copine? Alors que de paisibles citoyens, des étudiants et même des politiques honnêtes échouent à ce niveau. Le consulat général des États-Unis enlève les visas des passeports des « militants engagés » qui défendent les intérêts des pauvres, pour les redistribuer aux voyous de la pègre de Grand Ravine, financée par les Organisations non gouvernementales (ONG), les Groupuscules politiques corrompus (GPC), et le petit lot de « commerçants minables du bord de mer » (CMBM) qui se rangent derrière Jovenel Moïse, la marionnette du PHTK, et qui préparent  le retour des premiers « charognards » au palais national.  

Un État banditocratique

Nous craignons que l’histoire, dans sa marche lente et précise, ne vienne demain établir une quelconque relation entre la Minustah, la Minujusth,  le Binuh et la prolifération des gangs armés dans les milieux bidonvillisés et populeux. Ce ne serait pas souhaitable pour cette « organisation » de façade qui, de complicité avec la France, a laissé massacrer environ 1 million de Tutsis au Rwanda, du 7 avril 1994 à juillet de la même année. Il faut noter que les enquêteurs policiers refusent de rendre publiques les révélations faites par les bandits appréhendés. Les procès-verbaux dressés dans le cadre des interrogatoires menés par la police ne reflètent pas l’ « authenticité des témoignages confessionnels » recueillis des individus impliqués dans les meurtres qui endeuillent les familles. Le contenu de ces documents douteux se place loin de la réalité. 

Le banditisme s’est institutionnalisé à Port-au-Prince. Les adolescents et les jeunes adultes exposés aux conséquences fâcheuses de l’inculture et du chômage chronique louent leurs bras et leur sadicité aux mafiosi locaux et étrangers qui profitent largement de la faiblesse du système de sécurité politique, législative et judiciaire. L’armée ayant été dissoute, les membres des gangs des quartiers de promiscuité sociale ont remplacé les militaires qui agissaient dans l’ombre sur le terrain de la criminalité institutionnelle, dont la plupart astiquaient les bottes du colonel Jean-Claude Paul affecté aux casernes Dessalines. L’équipe du Parti haïtien tèt kale (PHTK) est revenue au pouvoir avec Jovenel Moïse, dans le but d’aider aussi la Minustah à cacher les squelettes de l’horreur qu’elle garde craintivement dans ses armoires. 

Du 30 septembre 1991 à aujourd’hui, les « États mafieux », qui ont concocté le putsch sanglant contre le pouvoir aristidien, ont commis en Haïti des atrocités inimaginables et des abominations inconcevables. Et nous aurions pu remonter jusqu’à février 1986. Les États-Unis, la France et le Canada font payer aux masses urbaines et rurales l’exploit monumental qu’elles ont réalisé en chassant l’équipe des Duvalier et des Bennett. L’ex-président Prosper Avril n’est-il pas un produit corrompu d’une certaine « mafia politique » internationale? Nous avons déjà rappelé que c’est sous le gouvernement de facto de ce « général » délinquant  – aussi rusé que le renard de La Fontaine et plus féroce que le loup de Gubbio apprivoisé par Saint-François d’Assise –  que les « escrocs militaires » ont monté le vaste réseau de vol qualifié, de viol collectif et d’assassinat qui est solidement implanté dans  les régions départementales du pays. Plus particulièrement dans l’Ouest. Les gendarmes de Prosper Avril, de Daniel Narcisse et du sergent analphabète Hébreu volaient, pillaient, violaient, tuaient au vu et au su des missions diplomatiques et de la nonciature apostolique. Il avait fallu encore une fois la mobilisation des masses populaires pour stopper les élans terrorisants de cet « Attila, le fléau de Dieu ». Prosper Avril, sans nul doute, passera dans l’histoire comme étant le « père de l’État banditocratique » qui détruit la Nation haïtienne. 

Ahmadou Kourouma explique dans son roman « En attendant le vote des bêtes sauvages » : « La politique est comme la chasse, on entre en politique comme on entre dans l’association des chasseurs. La grande brousse ou opère le chasseur est vaste, inhumaine et impitoyable comme l’espace, le monde politique [4]. » 

En Haïti, nous constatons avec regret que le chômage et la misère poursuivent l’œuvre dégradante d’atrophier le cerveau, d’enlaidir l’esprit et de ralentir l’intelligence des « universitaires déclassés ». Ces tristes individus ne se rendent même pas compte qu’ils se promènent dans la laideur de leur âme, dans la honte de leur orgueil et dans la nudité de leur conscience. Ils sont devenus, pour ainsi dire, des « sous-hommes » et des « sous-femmes » méconnaissables, au service du néocolonialisme et de la bourgeoisie compradore.

Il n’est aisé pour quiconque, disons-nous, de tracer une ligne de trajectoire prévisionnelle en rapport au devenir de l’être haïtien. En particulier. L’espèce est menacée. Comme les animaux de la préhistoire. Comment cette Nation amputée de ses jambes, – d’abord par 29 ans de dictature politique, et ensuite par 35 années de transition politique chaotique et désordonnée –, arrivera-t-elle à se relever pour se remettre finalement à avancer droit devant elle, en direction du « Rêve » porté par ses ancêtres légendaires? La République d’Haïti tourne comme une toupie dans le cercle des turbulences dissipatives. Elle est en train de couler dans le fleuve de la cruauté, de la corruption, de la nullité, de la médiocrité, de l’incompétence, de l’irresponsabilité, de l’immobilisme des opportunistes de tous bords, de tous côtés, qui ont investi la scène politique après le 7 février 1986. Il faut la remonter avant qu’elle perde le dernier souffle qui fait encore battre faiblement son pouls. 

 

Robert Lodimus

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Notes et références

[1] Michael T. Ward, L’utilité de placer Haïti sous tutelle internationale, article publié dans Revue Militaire Canada (RMC).
[2] Extrait de Beaubrun Ardouin repris par Lesly Péan dans sa série : Haïti-Histoire : De Vertières à ce jour en passant par le Pont Rouge.
[3] Johanne Althusius, La politique, exposée de façon méthodique, et illustrée par des exemples sacrés et profanes…
[4] Ahmadou Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages, Éd. Seuil, 1998. 

 

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