Parc industriel de Caracol, chronique d’un échec annoncé !

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Le principal locataire du Parc industriel de Caracol (Pic), la multinationale sud-coréenne de textiles, Sae-A, annonçait qu’elle renonçait à l’extension de son usine sur place et envisageait même de la fermer et de se délocaliser pour la République voisine.

Début avril 2019, des informations filtraient sur la mauvaise gestion du Parc industriel de Caracol. De plus, son principal locataire, la multinationale sud-coréenne Sae-A annonçait que plutôt que d’étendre son activité, elle s’implanterait dans la République dominicaine voisine. C’est toute l’architecture et l’esprit de ce projet, qui apparaissent dès lors sous une lumière crue.

Il devait être le « Symbole de la nouvelle Haïti ». Inauguré le 22 octobre 2012, en présence de figures politiques nationales (le président haïtien d’alors Michel Martelly et son Premier ministre, Laurent Lamothe, ainsi que l’ancien président, René Préval) et internationales (Bill et Hillary Clinton, le premier comme Envoyé spécial de l’Onu, la seconde en tant que Secrétaire d’État américaine), d’hommes d’affaires, des représentants de la Banque interaméricaine de développement (Bid) et de la coopération nord-américaine (Usaid), et même d’acteurs de Hollywood (Sean Penn, Ben Stiller), ne donnait-il pas de Haïti, deux ans après le séisme, une image de start-up nation ? En tous les cas, il marquait la convergence heureuse de l’humanitaire et du business, du local et du global, du politique et du show-biz.

Une vue du parc industriel Caracol implanté sur 252 hectares, dans le Nord d’Haïti

Le Parc industriel de Caracol (Pic) devait ainsi faire de Haïti le « Taïwan des Caraïbes ». Implanté sur 252 hectares, dans le Nord du pays, bénéficiant de plus de 224 millions de dollars d’investissements, le Pic était censé constituer « un moteur pour le développement », inscrit « au cœur d’une véritable dynamique de technopole » [1] . Il devait, en cinq ans, créer 65,000 emplois [2] , et catalyser l’essor économique de la région, grâce notamment à la construction d’un port international, à la mise en place de la première zone franche agricole – à la tête de laquelle se trouvait l’actuel président, Jovenel Moïse –, et à l’édification d’un complexe hôtelier (avec terrain de golf) [3] .

Pas plus le site touristique que le port n’ont vu le jour, l’exportation de bananes par Agritrans, sur la zone franche, est à l’arrêt depuis des années, et seulement 13,000 emplois ont été créés à Caracol. Martelly, Lamothe et Moïse sont mis en cause dans le scandale PetroCaribe [4].

Enfin, début avril 2019, le principal locataire du Pic, la multinationale sud-coréenne de textiles, Sae-A, annonçait qu’elle renonçait à l’extension de son usine sur place, hypothéquant ainsi la perspective de créer 7,000 autres emplois, et envisageait même de fermer son usine et de se délocaliser pour la République dominicaine.

Chronique d’un échec annoncé

On accuse la récente proposition de loi d’augmenter de 78% le salaire minimum des ouvriers (très majoritairement ouvrières en fait) du secteur de la sous-traitance, ainsi que, plus globalement, l’instabilité du pays, paralysé plusieurs jours en février par des manifestations massives, d’être à l’origine immédiate de la décision de Sae-A [5].

Outre qu’il fait écran à d’autres facteurs, ce raisonnement témoigne de l’ordre néocolonial. Ce sont (encore) les Haïtiens et Haïtiennes qui sont responsables : s’ils acceptaient leurs salaires de misère (4.2 € par jour), aggravés par l’inflation (17%) et la dévaluation (60%) de la monnaie locale (la gourde), et s’ils ne protestaient pas (bêtement) contre la corruption, la gabegie, la vie chère et le mépris de l’élite, le pays serait plus stable pour les affaires et plus attrayant pour les investisseurs.

Mais, même sans la contestation populaire, le Pic est miné par ses propres contradictions et impasses. Sae-A est le principal employeur du pays dans le secteur de la sous-traitance, qui emploie autour de 53,000 personnes [6].

Inauguré le 22 octobre 2012, en présence de figures politiques nationales (le président haïtien d’alors Michel Martelly et son Premier ministre, Laurent Lamothe, ainsi que l’ancien président, René Préval) et internationales (Bill et Hillary Clinton, le premier comme Envoyé spécial de l’Onu, la seconde en tant que Secrétaire d’État américaine)

Les vêtements, qu’il produit, sont exportés vers les États-Unis ; Haïti bénéficiant d’un régime économique préférentiel avec ce pays. D’ailleurs, plus de 83% de tout ce qu’Haïti exporte est constitué de textile à destination des États-Unis. Soit un marché particulièrement concentré et dépendant. D’autant plus dépendant que près de 70% de tout ce qu’Haïti consomme est importé. Or, la sous-traitance accroit toujours plus l’enclavement d’une économie, sans lien avec les circuits locaux, orientée vers le marché nord-américain, et qui tourne le dos aux besoins de la population [7].

À ce déséquilibre structurel et à l’abandon de la construction d’un nouveau port international, pourtant jugé indispensable pour faciliter l’exportation des produits du Pic, vient, en effet, s’ajouter une série de défaillances internes. Le Pic dépend, en effet, de la Société nationale des parcs industriels (Sonapi), sous la tutelle du Ministère du commerce et de l’industrie (Mci).

Or, la gestion de celui-ci serait désastreuse, faute de moyens, de capacités, d’honnêteté et de volonté politique. La gestion des déchets, de l’eau et des transports poserait le plus de problèmes [8]. Sans compter le manque ou le mauvais état des infrastructures de communication (routes et ports) [9].

Si tout cela n’était pas suffisant, l’approvisionnement du Pic en électricité est déficient et coûteux [10]. Ces difficultés, ainsi que l’annonce de Sae-A qu’elle ne poursuivrait pas son expansion, ont poussé la Bid à suspendre le dernier versement de 41 millions de dollars du projet, approuvé en décembre 2015.

Conclusions

L’association du patronat (Adih) ainsi que plusieurs multinationales asiatiques brandissent maintenant la menace de la délocalisation. Mais, comme on l’a montré, le « coût » salarial n’est qu’une des raisons – et pas la principale – de cette désaffection. Encore convient-il de le resituer dans la stratégie d’ensemble. SAe-A n’a fourni que deux tiers des emplois qu’elle promettait. Qui plus est, des emplois non qualifiés, précaires et mal payés, qui ne permettent aucun « décollage » ni à titre individuel ni au niveau de l’économie locale [11]. Surtout, l’emploi, au nom duquel est « vendu » ce type de projets, ne constitue jamais un objectif. Au contraire même, il représente la principale variable d’ajustement, le premier facteur à sacrifier.

Construit sur une zone agricole fertile, où la biodiversité est fragile, reproduisant le même modèle de développement des zones franches, présenté comme un exemple emblématique de la reconstruction du pays, le Pic a, d’emblée, posé problème et été contesté.

Sept ans plus tard, est-ce déjà à son oraison funèbre à laquelle on assiste ? Mais, même si Sae-A ne délocalise pas complètement son activité, les annonces de ces dernières semaines démontrent la dépendance envers celle-ci. Et le piège que constitue la sous-traitance, en réduisant Haïti au rôle de pourvoyeur de main d’œuvre en quantité et à bas prix, d’exportateur de matières premières, et d’importateur d’à peu près tout.

Désespérant ? Ce qui est désespérant, c’est de reproduire les mêmes politiques, qui échouent depuis 40 ans, de miser sur les mêmes acteurs, et de confisquer doublement la liberté du peuple haïtien, en ne lui laissant le choix qu’entre néolibéralisme et humanitaire ; choix qui, de toute façon, se réduit au fur et à mesure que les deux s’allient et se confondent.

Ce qui est désespérant, c’est cette fausse fatalité, qui se nourrit des leçons non tirées et des promesses non tenues. Et c’est aussi pour cela, pour renverser cette désespérance que des dizaines de milliers de Haïtiens et Haïtiennes sont descendus dans les rues de Port-au-Prince ces derniers mois.

Notes

[1] Frédéric Thomas, « Haïti is open for business », 4 décembre 2012, RTBF info, https://www.rtbf.be/info/opinions/detail_haiti-is-open-for-business?id=7886561.

[2] Il faut dire que Martelly n’était pas avare en promesse ; en novembre 2011, il avait promis de créer 500,000 emplois en trois ans. En réalité, il n’est pas sûr que les quelques milliers d’emplois créés compensent ceux qui ont été perdus du fait de choix de politiques économiques néfastes. Robenson Geffrard, « Forum des investissements.

Martelly promet 500 000 emplois sur trois ans », Le Nouvelliste, 29 novembre 2011, https://lenouvelliste.com/article/99827/martelly-promet-500-000-emplois-sur-trois-ans.

[3] GJV info, Bulletin d’information n°12, mars 2012, http://www.groupejeanvorbe.com/bultin%20mensuel%20Mars/entreprises.html. Le complexe hôtelier devait recevoir « ses premiers clients » en 2013…

[4] Le fiasco de la construction d’un nouveau port international tient en partie du manque d’expertise d’Usaid, qui pilotait le projet. CEPR, « A Failure Foretold : Usaid’s Plans to Build a Port in Northern Haiti », 8 mai 2014, http://cepr.net/blogs/haiti-relief-and-reconstruction-watch/a-failure-foretold-usaids-plans-to-build-a-port-in-northern-haiti. Sur Agritrans, lire Frédéric Thomas, Haïti : agrobusiness et politiques publiques, décembre 2018, https://www.cetri.be/Haiti-agrobusiness-et-politiques. Sur le scandale PetroCaribe, lire la série de trois articles que nous lui avons consacrée, « Haïti, le scandale du siècle », https://www.cetri.be/Haiti-le-scandale-du-siecle-1-le.

[5] Todo en el Punto, « S&H Global : decide cerrar sus operaciones en haití para venir a R.D., donde producirá 20,000 empleos », 4 avril 2019, http://www.todoenelpunto.com/sh-global-decide-cerrar-sus-operaciones-en-haiti-para-venir-a-r-d-donde-producira-20000-empleos/. Sur les mobilisations de 2018-2019 en Haïti, lire Frédéric Thomas, « Haïti, le scandale du siècle (3) : le sens de la révolte », Cetri, 25 février 2019, https://www.cetri.be/Haiti-le-scandale-du-siecle-3-le.

[6] Association des industries d’Haïti (Adih), Adih news, décembre 2018, volume 5, http://www.adih.ht/newsletterdec18.pdf.

[7] Martine Isaac, « La sous-traitance ne peut servir de moteur à la croissance économique d’Haïti ! », Le Nouvelliste, 3 avril 2019, https://lenouvelliste.com/article/200072/la-sous-traitance-ne-peut-servir-de-moteur-a-la-croissance-economique-dhaiti.

[8] Roberson Alphonse, « Gestion désastreuse du parc industriel de Caracol, la Sonapi sur la sellette… », Le Nouvelliste, 3 avril 2019, https://lenouvelliste.com/article/200038/gestion-desastreuse-du-parc-industriel-de-caracol-la-sonapi-sur-la-selette. À noter que les chiffres avancés par la Sonapi sont faux ou fantaisistes, et qu’elle n’a plus remis de rapport sur l’activité du Pic depuis fin 2017.

[9] Hervé Délima, « S&H global arrête son projet d’extension en Haïti au profit de la République dominicaine », Le National, 9 avril 2019, http://lenational.org/post_free.php?elif=1_CONTENUE/actualitees&rebmun=5126. S&H global étant la succursale haïtienne de Sae-A.

[10] Voir le rapport d’audit d’Usaid quant au projet de fourniture et de modernisation de l’électricité : Office of inspector general, Audit report, Misjudged Demand, Stalled Reforms, and Deficient Oversight Impeded USAID/Haiti’s Sustainable Electricity Goals, 13 novembre 2018, https://oig.usaid.gov/sites/default/files/2018-11/9-521-19-001-P.pdf.

[11] Frédéric Thomas, « Haïti, l’imposture humanitaire », Monde diplomatique, novembre 2016.

CETRI 11 avril 2019

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