Occupation étrangère, des vraies et fausses voix discordantes (2)

(2ème partie)

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De gauche à droite Joseph Lambert, Youri Latortue et Michel Martelly

Il ne fait aucun doute, après la décision du Premier ministre de facto, Ariel Henry, d’appeler à la rescousse une Force d’occupation internationale en Haïti, que cela a suscité beaucoup de remous dans la société. De nombreux acteurs politiques de la Transition et de la Société civile ont pris position pour différentes raisons. Dans un Communiqué datant du vendredi 7 octobre 2022, en dehors de l’adresse à la Nation de Fritz Alphonse Jean, les signataires de l’Accord de Montana, par le biais du Bureau de Suivi de l’Accord (BSA), se sont exprimés.

Ils qualifient de « trahison » la décision du Premier ministre de facto de demander l’envoi de militaires étrangers en Haïti. Selon ce Communiqué, « La présence d’une quelconque force étrangère n’a jamais résolu les problèmes d’aucun peuple. C’est notre police haïtienne qui doit avoir la capacité de résoudre une fois pour toutes les problèmes d’insécurité auxquels font face les Haïtiens » affirment les signataires de l’Accord de Montana.

En outre, Jacques Ted Saint-Dic, l’un des Porte-paroles de l’Accord de Montana a indiqué : « C’est par cette demande d’assistance, de solidarité aux partenaires internationaux que nous répondons fermement et solennellement NON à cet appel du gouvernement de facto au déploiement de forces armées sur l’étendue du territoire, en quantité suffisante. Cela s’appelle une occupation du territoire national. NON, pour une première raison évidente inscrite dans la Déclaration de Principe de l’Accord du 30 août 2021 dit de Montana dont je vous livre un extrait: Enfin, conformément à l’Acte de l’Indépendance d’Haïti du 1er janvier 1804, à la Charte des Nations Unies de 1945 et au Pacte international de 1966 relatifs aux droits civils et politiques qui consacrent le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, nous tenons pour intangible le droit du peuple haïtien de déterminer, de manière souveraine, la forme de son régime politique, tel que consacré par la Constitution haïtienne, basé sur les libertés fondamentales et le respect des droits humains, la paix sociale, l’équité économique, la concertation et la participation des citoyennes et citoyens aux grandes décisions engageant la vie nationale ».

D’autre part, Patrick Joseph, membre du CNT (Conseil National de Transition) une instance de l’Accord du 30 août et alliés, va dans le même sens que Jacques Ted Saint-Dic. Ce responsable milite plutôt pour une solution inter-haïtienne sans aucune intervention de militaires étrangers dans le pays tout en réclament la démission du Premier ministre de facto Ariel Henry. Selon lui, « Les forces étrangères ne feront qu’en profiter pour continuer à spolier nos ressources minières, et supporter Ariel Henry qui est de plus en plus décrié par la population », a déclaré Patrick Joseph. Pourtant, malgré cette opposition exprimée par l’intermédiaire de plusieurs dirigeants de l’Accord du 30 août, cela n’a point empêché certains leaders de cette Plateforme d’aller s’asseoir avec des officiels américains venus dans la capitale haïtienne, justement, pour discuter la forme que cette occupation étrangère pourrait prendre.

Jacques Ted Saint-Dic, l’un des Porte-paroles de l’Accord de Montana

Jacques Ted Saint-Dic, Magali Comeau Denis et Fritz Alphonse Jean ont bien rencontré le mercredi 12 octobre 2022 la délégation envoyée par la Maison blanche, composée, entre autres du lieutenant-général Andrew Croft, du Sous-Secrétaire d’Etat pour les affaires hémisphérique Brian A. Nichols ainsi que d’autres Conseillers de la Maison Blanche, du Bureau du Secrétaire à la Défense, de l’Etat-major interarmées, du Bureau des Affaires internationales et du Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs du Département d’État. Bref, tout un aéropage de hauts responsables chargés de la mise en place de l’occupation. Mais, avec les politiciens haïtiens, l’on n’est pas à une contradiction près. Puisque, d’après eux, la politique est toujours dynamique.

Il y a aussi le Communiqué très remarqué du Parti Unir /Haïti de l’ancien journaliste Clarens Renois. En effet, dans un texte rendu public le dimanche 9 octobre 2022, le Président de ce parti s’est montré très catégorique et résolument contre toute présence étrangère sur le sol haïtien. Dans ce Communiqué très argumenté, Clarens Renois dit récuser toute légitimité au gouvernement pour prendre une telle décision. Selon lui, le chef de la Transition n’a ni les qualités ni le titre pour s’arroger le droit d’une telle infamie. Il soupçonne aussi de complicité la Communauté internationale avec les autorités haïtiennes pour arriver à une telle gravité dans la crise. « Nous récusons l’autorité du Dr Ariel Henry qui officie comme Premier ministre de fait » pour demander l’envoi d’une force internationale dans notre pays. M. Henry n’a ni titre ni qualité pour engager la Nation dans une telle aventure dangereuse à l’issue imprévisible. C’est une gifle au peuple haïtien et une souillure à l’histoire de la Première République noire indépendante du monde.

L’expérience des différentes expéditions militaires et Missions internationales déployées en Haïti ces dernières décennies a démontré que rien de durable ne peut résulter de ces formes d’intervention. N’est-ce pas le Secrétaire Général de l’OEA qui a récemment avoué l’échec de la Communauté internationale en Haïti ? Sous couvert d’une crise humanitaire, hélas bien réelle, mais préparée et provoquée pour justifier l’injustifiable et d’une insécurité terrifiante entretenue et tolérée en donnant l’onction à la fédération des groupes armés, voilà notre pays encore à la veille d’une nouvelle forme de mise sous tutelle. Parce que nous serions incapables de nous prendre en charge » a dénoncé le Parti Unir/Haïti dans son Communiqué.  L’on ne négligera non plus la position et la voix d’une Institution officielle qui s’est exprimée. Il s’agit du Tiers du Sénat de la République encore en fonction.

En opposition depuis le début de la Transition avec le Premier ministre de facto, Ariel Henry, le Président du Sénat, Joseph Lambert, ne se cache jamais pour exprimer son hostilité politique vis-à-vis du régime. Après plusieurs tentatives manquées pour destituer le chef du gouvernement de Transition pour prendre sa place, le sénateur du département du Sud-Est a pris un peu de recul tout en observant de près le lent effondrement du pouvoir et la perte du contrôle du pays par le Premier ministre de facto. La Résolution du 6 octobre prise en Conseil des Ministres autorisant celui-ci à solliciter de l’International l’envoi en Haïti d’une « Force armée de sécurité » a donné l’occasion au Président du Sénat de refaire surface. « Non à toute occupation ou invasion, oui à l’assistance technique et logistique à la PNH. Personnellement, je suis contre toute invasion ou occupation du territoire par des forces étrangères. Je veux continuer à prôner l’idée de disposer d’une assistance logistique et opérationnelle armée en appui à la PNH et aux FADH. Le temps d’acquérir l’expertise nécessaire pour se prendre en charge elles-mêmes » a déclaré le Président du Sénat.

Le chaos général qu’a suscité le mouvement de contestation populaire contre le régime et faisant corps aux réactions de ceux qui qualifient de « haute trahison » l’appel à l’occupation étrangère a poussé le Sénat en général à sortir de la léthargie dans laquelle les dix sénateurs étaient entrés. Ils ont repris du service sous l’autorité de leur Président pour dire que le Premier ministre de facto n’a pas le droit de s’attribuer de telles autorités. D’après leur propre Résolution datée du dimanche 9 octobre 2022, les dix sénateurs demandent donc au locataire de la Primature de surseoir immédiatement à l’exécution de la Résolution du 7 octobre 2022. « L’Assemblée des Sénateurs a proposé et voté la résolution suivante : Article 1. – L’Assemblée des Sénateurs demande au Premier Ministre de fait Ariel HENRY de surseoir immédiatement à l’exécution de la résolution du 7 octobre 2022. Article 2. – L’Assemblée des Sénateurs demande aux forces politiques, économiques et sociales, d’accorder le bénéfice de l’urgence aux discussions en cours afin de dégager un consensus suffisant pour une sortie durable de crise.

Article 3. – L’Assemblée des Sénateurs demande au Protecteur du Citoyen de requérir l’expertise des principales organisations qui travaillent dans le secteur des droits humains en vue d’obtenir dès maintenant des couloirs humanitaires qui garantissent la sortie du carburant des terminaux. Article 4. – L’Assemblée des Sénateurs demande au Premier Ministre de fait Ariel HENRY d’accorder un sursis à la mise en œuvre des nouveaux prix du carburant à la pompe pour soulager les petites bourses et les plus démunis. Article 5. – La présente résolution sera soumise à l’Exécutif aux fins de promulgation et de publication au Journal Officiel de la République Le Moniteur ».

Outre le Président du Sénat n’ayant pas droit au vote mais qui a approuvé la démarche, à l’exception du sénateur du Nord-Ouest, Kedlaire Augustin, qui n’a pas paraphé la Résolution, tous les autres l’ont approuvé. Il s’agit des sénateurs : de l’Artibonite, Garcia DELVA, des Nippes Denis CADEAU, de l’Ouest  Paul Patrice DUMONT, de la Grand ‘Anse Jean Rigaud BELIZAIRE, du Centre Rony CELESTIN, du Nord-Est Wanique PIERRE, du Nord Jean Marie Ralph FETHIERE et celui du Sud Pierre François SILDOR. Selon le Tiers du Sénat, cette Résolution signée par les 19 Ministres du gouvernement « viole la Constitution de 1987 ». En l’occurrence, les dix sénateurs préconisent aux acteurs des différentes entités de la Transition de relancer le processus des pourparlers.

« L’Assemblée des sénateurs demande aux forces politiques, économiques et sociales, d’accorder le bénéfice de l’urgence aux discussions en cours afin de dégager un consensus suffisant pour une sortie durable de crise » écrit le Tiers sénat dans sa Résolution. Signalons que, bizarrement, la seule institution encore en place malgré son dysfonctionnement, le Sénat de la République, n’a pas été invitée à rencontrer la délégation américaine conduite par Brian A. Nichols sur la question de l’occupation. Même à titre individuel, le sénateur Joseph Lambert, Président de la noble Assemblée, n’a pas eu l’honneur d’une invitation de l’ambassade américaine à Port-au-Prince. Il faut croire que Jo Lambert n’est pas en odeur de sainteté auprès de Washington ni du Core Group de Mme Helen La Lime. Et pour cause, il est l’un des rares hommes politiques en Haïti avec son ex-homologue, l’ancien sénateur Youri Latortue, le chef du Parti AAA (Atibonit An Aksyon,  à être publiquement  et officiellement accusé par les gouvernements américain et canadien  de trafic de drogue et ayant des liens avec des chefs de gangs dans le pays.

Les visas de ces deux personnalités publiques ont été, entre autres, d’ailleurs annulés. « Les sanctions visent deux personnes : le Président du Sénat, Joseph Lambert, et l’ancien Président du Sénat, Youri Latortue. Les nouvelles mesures imposeront une interdiction de transactions à ces personnes, ce qui aura pour effet de geler tout avoir qu’elles peuvent détenir au Canada. Le Canada a des raisons de croire que ces personnes utilisent leur statut d’ancien ou d’actuel titulaire d’une charge publique pour protéger et permettre les activités illégales de gangs criminels armés, notamment par le blanchiment d’argent et d’autres actes de corruption (…) Joseph Lambert et Youri Latortue ont abusé de leurs positions officielles pour mener le trafic de la drogue et ont permis à d’autres criminels et réseaux de transporter plus facilement de la drogue dans la région (…) » ont déclaré dans deux communiqués distincts,  la Ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly et le Sous-secrétaire d’Etat américain du Trésor en charge des affaires relatives au terrorisme et au renseignement financier, Brian E. Nelson.

(A suivre)

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