Dès le lendemain de l’appel au secours du Premier ministre de facto, Ariel Henry, déclarant qu’il allait demander une assistance militaire étrangère pour résoudre la crise socio-politique et humanitaire, certaines voix au sein de la société se faisaient entendre contre cette intervention étrangère. Certes, personne ne savait encore sous quelle forme cette aide allait être matérialisée et ni quand elle allait être effective. Puisqu’il n’y avait pas encore une demande formelle auprès des instances internationales comme l’avait annoncé le chef du Pouvoir exécutif. Il fallait attendre la Résolution du Conseil des ministres en extraordinaire du jeudi 6 octobre 2022 donnant mandat au chef du gouvernement de Transition de solliciter ce recours auprès de la Communauté internationale pour qu’on soit fixé.
C’est cette Résolution dans laquelle l’on trouve la signature de l’ensemble des 18 ministres, en effet, qui a clairement donné les raisons pour lesquelles le gouvernement autorise le Premier ministre à faire cette demande :
« 1-Solliciter et obtenir des partenaires internationaux d’Haïti un support effectif par le déploiement immédiat d’une force spécialisée armée en quantité suffisante pour stopper, sur toute l’étendue du territoire, la crise humanitaire causée, entre autres, par l’insécurité résultant des actions criminelles des gangs armés et leurs commanditaires ;
2- Parvenir rapidement à un climat sécuritaire devant permettre de lutter efficacement contre le choléra, de favoriser la reprise de la distribution du carburant et de l’eau potable à travers le pays, le fonctionnement des hôpitaux, le redémarrage des activités économiques, la libre circulation des personnes et des biens et la réouverture des écoles.
3-Mettre en place une Commission interministérielle chargée de produire rapidement un document définissant l’ensemble des actions indispensables à entreprendre parallèlement en vue de rendre durables les initiatives qui seront prises. Il demeure entendu que le Premier ministre en fera rapport au Conseil des ministres ». Ce document qui sera publié dans Le Moniteur, le Journal officiel de la République, le vendredi 7 octobre 2022, est le sésame sur lequel s’appuie le locataire de la Villa d’Accueil pour motiver sa demande auprès du Secrétaire Général de l’ONU, Antonio Guterres. Mais, dès l’annonce publique de la Résolution, certains acteurs politiques et de la Société civile se sont réveillés en faisant semblant d’être surpris, voire d’être sous le choc après d’une telle décision.
Fritz Alphonse Jean a été parmi les premières personnalités politiques haïtiennes à rencontrer les Émissaires américains envoyés à Port-au-Prince le 12 octobre 2022 et n’exclut nullement une collaboration directe ou indirecte avec les futurs occupants.
Certains le font par conviction nationaliste et par patriotisme pour être du bon côté de l’histoire. Tandis que d’autres interviennent par pur opportunisme et se positionnent par calcul politique.
C’est Fritz Alphonse Jean, le Président élu de l’Accord de Montana/PEN et alliés, bien que en conflit ouvert avec le BSA (Bureau Suivi de l’Accord), l’instance chargée de mener les négociations avec le Premier ministre de facto Ariel Henry, qui est le premier à monter au créneau. Sans doute pour se laver complètement de l’accusation faisant croire qu’il chercherait à négocier discrètement avec la Communauté internationale dans le dos des signataires de l’Accord du 30 août. Trouvant une occasion, non moins inattendue, l’ancien Gouverneur de la Banque centrale haïtienne (BRH), a pris le contrepied de la décision du gouvernement de Transition en disant s’opposer à toute intervention militaire étrangère en Haïti.
Se positionnant en face du Premier ministre de facto, en guise de réponse au discours fait la veille par celui-ci, Fritz Alphonse Jean s’est présenté à la télévision dès le jeudi 6 octobre en vue d’une adresse à la Nation. Dans son allocution, le Président « élu » de l’Accord de Montana a démonté, argument à l’appui, le discours défaitiste du chef de la Primature laissant entendre que sans une intervention étrangère Haïti ne pourra sortir seule de cette situation de chaos et d’insécurité due, selon lui, aux gangs armés qui contrôlent une bonne partie du territoire. Pour Fritz Alphonse Jean, en revanche, Haïti n’a nullement besoin d’une intervention des forces étrangères sur son sol en ce 21e siècle.
Au contraire, le pays a plutôt besoin d’un grand consensus national et de bonne gouvernance afin de faire face à l’aggravation de sa situation socioéconomique et les crises politiques à répétition qui le paralysent. Fritz Alphonse Jean se dit persuadé que l’occupation étrangère apportait davantage de maux qu’elle n’en résoudrait. Il s’est basé sur les précédentes qui n’ont rien résolu dans la mesure où nous en sommes encore là à faire appel à l’international. « En 1915, la lutte pour des intérêts mesquins de tous genres a créé un véritable chaos dans le pays, ce qui a permis aux forces étrangères de fouler le sol haïtien. En 1994, après que le peuple haïtien ait résisté pendant trois années afin que le règne de la démocratie puisse s’établir définitivement dans le pays, au lieu de rester soudés pour la refondation d’Haïti, nous avons laissé nos intérêts claniques prendre le dessus et avons fait place à l’occupation de nouveau sur le territoire. En 2004, en guise de trouver un consensus national, la lutte entre certains groupes pour des intérêts claniques a encore ramené l’international sur le sol haïtien. Je veux que vous vous en souveniez. L’État est en faillite, l’insécurité, la misère, le chômage et le choléra sont toujours dans nos murs.
Le rôle de l’État consiste à savoir d’où viennent les armes et les munitions qui sont sur le territoire national. L’État devrait savoir qui les importe », a déclaré le Président « élu » de l’Accord de Montana qui se démarque clairement de la décision du régime de faire appel au déploiement d’une « Force spécialisée armée en Haïti ». Néanmoins, à aucun moment, celui qui a été parmi les premières personnalités politiques haïtiennes à rencontrer les Émissaires américains, entre autres, Brian A. Nichols, Secrétaire d’Etat adjoint et Andrew Croft lieutenant-général et Commandant militaire du SOUTHCOM envoyés à Port-au-Prince le 12 octobre 2022 par Washington dans le cadre de cette demande d’occupation, n’exclut nullement une collaboration directe ou indirecte avec les futurs occupants. D’ailleurs, aux dernières nouvelles, l’élu de l’Accord de Montana est toujours disposé et disponible pour devenir le Président de la République durant la Transition avec ou sans le Premier ministre de facto Ariel Henry, avec ou sans occupation étrangère.
Bref, sa réplique au discours d’Ariel Henry appelant à la venue d’une « Force spécialisée armée en Haïti » n’est qu’une question de stratégie politique au cas où il n’aurait pas été retenu par Washington pour jouer le rôle du Président Sudre Dartiguenave (1915-1922), premier Président haïtien sous la première occupation américaine. Outre Fritz Alphonse Jean qui a pris position en sa qualité de Président « élu » de l’Accord de Montana, l’ancien sénateur de l’Artibonite, Youri Latortue, qui est aussi membre de PEN (Protocole d’Entente Nationale) allié de Montana, s’est lui aussi exprimé sur la conjoncture en donnant son avis à propos de l’appel à l’occupation étrangère. En Conférence de presse le lundi 10 octobre 2022, plusieurs dirigeants du Protocole d’Entente Nationale (PEN), Youri Latortue et Marie-Denise Claude, entre autres, ont dit leur hostilité à cette initiative de Ariel Henry de solliciter de la Communauté internationale des militaires étrangers pour l’aider à faire face à l’insécurité et l’épidémie de choléra qui s’abattent sur le pays.
Pour l’ancien Président de l’Assemblée Nationale, les Haïtiens ne doivent rien attendre de ce déploiement de forces étrangères. Les dirigeants haïtiens devraient mieux équiper nos forces de sécurité en encadrant davantage la police nationale et les Forces armées d’Haïti. Sinon « Toutes les fois que nous aurons commis l’erreur de ne pas renforcer notre système de sécurité dans le pays, c’est bien la crise multidimensionnelle dans laquelle on se trouve qui sera ajournée. Les interventions militaires viendront avec la formule de résolution du climat sécuritaire de façade. Nous avons besoin d’une assistance d’experts et d’équipements. Nous n’avons pas besoin des forces étrangères sur le territoire national. Ces interventions étrangères ne se font jamais sans intérêts » a conclu l’ex-Président du Sénat. Enchaînant dans la même veine, pour l’ancienne ministre à la Condition féminine et aux Droits des Femmes, Marie Denise Claude, elle aussi du PEN, il ne fait aucun doute sur cette intervention, il ne sortira pas grand chose de bien pour le pays.
« Il revient aux Haïtiens de prendre en main leur destin » dit celle qui croit que « Chaque citoyen haïtien doit savoir que les blancs ne peuvent absolument rien faire pour nous. C’est à nous de prendre notre destin en main afin de sortir du marasme socio-économique et politique qui nous guette. Ariel Henry veut juste consolider son pouvoir rien de plus ». Enfin, selon les dirigeants du PEN présents à cette Conférence de presse, « Cette intervention étrangère va nous enfoncer encore plus dans cette crise multisectorielle ». D’autres voix de l’opposition au Premier ministre de facto Ariel Henry ont exprimé leur désaccord avec ce choix de militaires étrangers en Haïti. Ainsi, pour le Porte-parole du Parti politique Rasin Kan Pèp la , le professeur Camille Chalmers, tout ce qui se passe depuis quelque temps dans le pays n’est rien d’autre qu’une mise en scène de la bourgeoisie et des oligarques de service, une façon de pouvoir évoquer la nécessité de cette intervention étrangère pour une nouvelle occupation du pays. D’après Camille Chalmers : « Ils l’ont fait bien avant 1915. En 2004, la Communauté internationale s’était mise du côté de Guy Philippe pour créer le chaos et passer sa colère contre la présidence de Jean Bertrand Aristide. Aujourd’hui encore, ils sont à l’œuvre et créent le grand banditisme avec les gangs pour démontrer à la population que la présence des soldats serait une nécessité pour le pays » a avancé le dirigeant du parti Rasin Kan Pèp la.
Selon le professeur Camille Chalmers, c’est une erreur de penser qu’une intervention étrangère pourra apporter le bien-être et le bonheur pour le peuple. Pour lui, « Les relations qui existent entre Haïti et les grandes puissances du continent est une relation de colonialisme. Puisque ces impérialistes ne font que profiter des ressources économiques, minières et diplomatiques d’Haïti ». Bref, ce professeur de sociologie accuse les dirigeants haïtiens, la bourgeoisie et la Communauté internationale de perpétuer la crise afin d’atteindre leur objectif de toujours qui est : l’occupation d’Haïti.
(À suivre)