Bientôt trois mois que l’accord du 11 septembre a été paraphé par un nombre conséquent de Partis et mouvances politiques à la Résidence du Premier ministre a.i Ariel Henry. On avait vu que, parmi ces organisations politiques, il y a le SDP (Secteur Démocratique et Populaire) dirigé d’une main de fer par l’avocat André Michel. En réalité, c’est cette organisation politique qui donne le ton à cet accord politique devant donner naissance à la formation d’un nouveau gouvernement de consensus dit « gouvernance apaisée et efficace ». Mais, depuis, les signataires s’impatientent et se rongent les ongles dans leur canapé. Le Premier ministre, Ariel Henry, qui sait que son pouvoir ne tient qu’à un fil ne veut prendre aucun risque. Malgré la pression de ses nouveaux amis du SDP, vent débout dans cette affaire, le locataire de la Villa d’Accueil prend son temps.
D’après son entourage, il consulte. Il vérifie. Il se renseigne sur les personnalités qui doivent intégrer ce nouveau cabinet ministériel. Mais, en vérité, l’affaire est beaucoup plus compliquée que cela. Le chef de la Primature est pris entre deux feux. D’un côté, il y a Me André Michel qui le pousse à aller vite, très vite afin de placer ses amis dans les avenues du pouvoir. De l’autre côté, il y a beaucoup de monde qui lui reprochent d’être sous l’influence d’une aile du PHTK qui tient à conserver leurs privilèges acquis du temps de Jovenel Moïse, voire de Michel Martelly. Mais, il n’y a pas que ces deux camps qui étouffent le médecin. Du côté de l’internationale, du Core Group en particulier, Ariel Henry doit faire attention pour ne pas perdre la confiance et surtout respecter l’accord secret existant entre lui et ce secteur de qui il tient les clés de la Villa d’Accueil. D’où les gymnastiques, les pirouettes et les revirements qu’on observe depuis ce 11 septembre 2021 pour la constitution du nouveau gouvernement. Pas une semaine ne passe sans que la Primature n’annonce pour éminent ce gouvernement que le neurochirurgien a du mal à accoucher.
Tantôt c’est pour deux semaines. Un autre jour, on apprend qu’il poursuit les pourparlers avec ceux n’ayant pas signé ledit accord de la Primature. Enfin, il répond : qu’il faut être patient. Mais patient jusqu’à quand ? C’est ce que veut savoir l’avocat André Michel. Finalement, mêmes certains partenaires du PM, les plus timorés, ne comprennent plus rien ou du moins si. Ils comprennent que l’héritier du pouvoir n’a pas du tout les mains libres et que de quelque part, peut-être loin d’Haïti, doivent venir les consignes qu’il attend. Comme nous, le pays a constaté que depuis des semaines, il y a un certain Daniel Foote, dont on ne sait plus s’il est toujours Envoyé spécial américain en Haïti ou s’il travaille pour son compte, qui a fait un retour remarqué dans la crise haïtienne. Il est devenu un acteur presqu’incontournable dans le dossier du futur chef de la Transition. Cet américain se place au cœur de la crise haïtienne, avec pour mission, semble-t-il, de jouer un rôle de premier plan.
En Floride, certains disent que Foote avait convoqué le camp qu’il soutient dans cette lutte pour le pouvoir à Port-au-Prince pour lui donner les consignes et lui demander de tenir bon face à Ariel Henry dont il tient à scier les arbres sous les pieds. Le PM Ariel Henry n’est pas son choix, Daniel Foote tient à le faire savoir, il ne le porte pas dans son cœur. Si pour la galerie il prône une fusion des listes en compétition, en réalité l’ex-Envoyé spécial ne tient pas à voir Ariel Henry aux commandes en Haïti. Pour Foote, il n’y a que l’Accord dit de Montana qui vaille. Même n’étant plus officiellement au service du Département d’Etat à Washington, Daniel Foote semble tenir un pouvoir qui dépasse celui de l’ambassadeur Kenneth H. Merten en Haïti. En tout cas, son influence sur les acteurs politiques haïtiens semble porter ses fruits. A chaque fois qu’il prend la parole sur le dossier haïtien, c’est pour contraindre Ariel Henry à s’asseoir sur la formation d’un gouvernement que Me André Michel attend avec impatience. La semaine du 15 nombre 2021, l’ancien Envoyé spécial était sur tous les médias à Port-au-Prince pour distiller les bonnes et mauvaises notes suivant ses préférences.
De la radio Vision 2000 au quotidien Le Nouvelliste, Daniel Lewis Foote donne le sentiment qu’il est un acteur clé de la crise et avec qui il faudra compter. S’employant à s’exprimer en créole, c’est le signe qu’il aborde le dossier en connaisseur. Il ne croit pas que Ariel Henry puisse résoudre la crise en appliquant uniquement l’accord du 11 septembre. D’après Foote, c’est la Société civile, celle qu’il avait rencontrée en Floride, qui semble avoir la meilleure solution même si, en fin diplomate, il ne l’a pas dit textuellement. En filigrane, le mieux serait que Ariel Henry se retire de la Primature. Sauf que, en Haïti, tout le monde n’est pas de cet avis et ne voit pas les choses sous cet angle. C’est le cas de Me André Michel du SDP qui non seulement commence à perdre patience avec la lenteur de son nouvel ami Ariel Henry, mais qui ne comprend pas non plus le retard pris dans la mise en place du prochain gouvernement. Pour le dirigeant du SDP, le départ prématuré du PM a.i de la Primature serait un retour en arrière dans sa trajectoire vers le pouvoir et de son combat contre le régime du PHTK.
André Michel est persuadé aujourd’hui qu’Ariel Henry n’a jamais été au PHTK ni proche de ses actions.
Car André Michel est persuadé aujourd’hui qu’Ariel Henry n’a jamais été au PHTK ni proche de ses actions. Alors même qu’à la nomination de celui-ci par le feu Président Jovenel Moïse, il voyait en lui la continuité du régime et du système PHTKiste. Allons donc comprendre! Le problème, et pour beaucoup d’observateurs, vient de la contradiction dans la position et l’attitude de chef du SDP vis-à-vis du PM qui, sans doute, est à l’origine de la non application de l’accord dit de la Primature. Pour d’autres, c’est même le seul vrai problème du retard dans l’arrivée du nouveau cabinet ministériel. En effet, dans les discours de l’avocat, il ne cesse de dire qu’il ne veut pas de gouvernement à prédominance PHTK, mais, en même temps, il apporte un soutien sans borne à un Premier ministre quasiment issu de cette formation politique, en tout cas très proche. Nul ne doute que Me André Michel connaît le parcours politique de Ariel Henry qui fut déjà ministre sous la présidence de l’homme le plus contesté par André Michel qu’est Michel Martelly.
Adulé par l’homme de loi depuis l’assassinat du Président Jovenel Moïse, cela peut même paraître suspect dans la mesure où, pour André Michel, Ariel Henry est aujourd’hui le seul capable de conduire la Transition jusqu’à son terme. Dans le pays, plus d’un s’étonne que c’est André Michel, le plus radical parmi les radicaux des ex-oppositions qui se fait, dorénavant, l’avocat de l’impossible avec Ariel Henry comme client irréprochable. Pas grand monde ne comprend cette attitude qui tente, justement, de faire passer le PHTkiste Ariel Henry parmi les justes contre les méchants PHTK de Michel Martelly.
Certains s’interrogent sur ce brusque repositionnement de Me André Michel vis-à-vis de l’ancien ministre des Affaires Sociales et du Travail (2015-2016) de Michel Martelly et membre du Parti INITE qui a toujours été un allié du PHTK au sein des Administrations Jovenel Moïse et Martelly. Ce changement radical de position du patron du SDP soulève de plus en plus de questions sur les relations de ces deux hommes qui, hier encore, ne partageaient rien en commun sur le plan politique et soudain devenus si proches que c’est le radical André Michel qui tente de blanchir Ariel Henry de sa collaboration de longue date avec l’équipe du PHTK tout en voulant exclure tous les membres de ce parti d’un gouvernement qui serait conduit par l’ancien ministre.
Il y a de quoi faire perdre son latin. Bizarrement, le plus prudent dans l’affaire c’est Ariel Henry qui préfère prendre son temps non pas pour écouter un André Michel qui a dit que sa patience à des limites, mais pour ne pas décevoir le Core Group et aussi ne pas froisser ses amis de toujours du PHTK, en l’occurrence Michel Martelly qui n’a pas dit son dernier mot et Liné Balthazar, le Président du parti, qui a pris une part active dans l’accord du 11 septembre dont André Michel était l’un des grands manitous. Un vrai casse-tête pour le PM qui doit à la fois prendre en compte les demandes réitérées et les menaces de son nouvel allié SDP et principalement André Michel qui lui demande d’aller vite : « Il est venu le moment pour le Premier ministre de mettre sur pied ce gouvernement parce que celui qui est au pouvoir actuellement est incapable de gérer le moindre dossier, comme le cas de la crise du carburant.
Ce changement radical de position du patron du SDP soulève de plus en plus de questions
Voilà pourquoi, nous autres au niveau du SDP, nous demandons au Premier ministre Ariel Henry de procéder rapidement à la formation du gouvernement », a avancé l’avocat. Mais aussi à écouter et satisfaire la volonté d’une part de Washington qui le presse à former un gouvernement inclusif et d’autre part donner satisfaction à Daniel Foote dont il ne sait pas pour qui travaille celui-ci qui veut sa tête absolument. C’est pourquoi, à chaque fois que Me André Michel monte au créneau sur ce dossier, Ariel Henry lui explique les raisons pour lesquelles il doit prendre le temps nécessaire : « Ce retard est dû au fait qu’on doit prendre le temps de dialoguer avec les acteurs non signataires du texte pour trouver une application inclusive de l’accord ; de telle sorte que des partis politiques ou des acteurs n’ayant pas signé l’accord ne soient exclus du processus de la formation du gouvernement ou encore du Conseil électoral provisoire » a expliqué calmement le chef de la Primature qui, on le comprend, est sur la défensive et même agacé parfois de la pression, voire des ultimatums de son seul vrai allié aujourd’hui dans ce combat pour rester à la Villa d’Accueil. Quant aux autres acteurs signataires, partis politiques et personnalités, on ne les entend presque pas, sinon jamais.
Sans doute, ils essaient de comprendre l’attitude très offensive et la présence très remarquée de Daniel Foote qui semble avoir une mission très spéciale et beaucoup plus importante après avoir officiellement démissionné en tant qu’Envoyé spécial américain en Haïti. Dans cette histoire de Transition post-Jovenel, vaut mieux être prudent avec Washington, on ne sait jamais.
C.C