Jeunesse de mon pays,
Vous êtes des citoyens. Vous avez des droits, mais aussi des devoirs. Donc, je vous écris aujourd’hui, pas pour vous demander de me faire justice ou de venger mon sang qui a été injustement versé au Pont Rouge, mais pour vous intimer l’ordre de prendre en main votre destin. «Nous avons osé être libres, osons l’être par nous-mêmes et pour nous- mêmes…. Effrayons tous ceux qui seraient tentés de ravir notre liberté. »
Effectivement, cela fait deux cent quatorze ans, depuis que je vous ai quitté malgré moi. Depuis ce tragique et départ forcé du 17 octobre 1806, du panthéon ou veille encore mon âme rebelle et farouche, comme un père responsable je n’ai jamais cessé de penser à vous. J’ai appris que les fils et petits-fils des colons que j’ai chassés sont retournés au pays et ceci avec plus d’arrogance. Qui a donné l’occasion ou l’autorisation à ces “ progénitures de vipères” de rentrer et de rester dans mon pays, jusqu’a même s’arroger le droit de désigner qui doit vous diriger. Comment en sommes-nous arrivés là ? D’un pays indépendant en 1804, en pays sous tutelle. D’une nation de titans en une nation de lilliputiens. D’un peuple incarnant le génie de la race à une nation humiliée dans la globalisation contemporaine.
La justice sociale, la souveraineté, la défense nationale constituaient effectivement les grandes lignes stratégiques de mon action politique.
Jeunesse de mon pays, vous n’êtes pas sans savoir qu’après 1804, l’Indépendance était fragile et précaire. Pour empêcher toute idée de reconquête du territoire par la France ou une autre quelconque puissance colonisatrice, et mettre en cause notre indépendance, malgré l’isolement et le sabotage de mon administration par l’international, dans mon effort pour consolider les acquis de 1804, j’avais posé des actes remarquables et pris des mesures géniales en matière de politique intérieure et extérieure. La justice sociale, la souveraineté, la défense nationale constituaient effectivement les grandes lignes stratégiques de mon action politique.
Plus de deux cents ans après l’épopée historique de Vertières, j’ai aussi appris que mon pays fait face à de grands problèmes structurels et conjoncturels. Les collabos de la classe politique et ceux des affaires vous ont entraînés dans la misère la plus abjecte. Filles et fils d’Haïti, je vous écris aujourd’hui, pour vous dire que je me range autour de vous dans votre lutte pour redonner à la nation sa souveraineté et nous permettre de renouer avec notre vocation de peuple libre et historique. Car, sous aucun prétexte, je ne tolérerai pas qu’un petit groupe de personnes qui forme la classe dominante et qui détient toutes les richesses du pays continue à vous exploiter. Je rappelle à ces colons du temps moderne que l’épopée de 1804 de l’armée indigène n’a pas été seulement l’œuvre des officiers et sous-officiers mulâtres, mais aussi l’effort des vaillants soldats issus de la classe majoritaire esclavagiste.
Pendant longtemps, j’ai souffert de ce mauvais traitement, mais s’ils continuent dans leurs sales besognes à détruire cet héritage sacré qu’est la nation, jusqu’à forcer ces fils et ces filles à aller se faire humilier à l’extérieur, moi, Papa Dessalines, je m’assurerai que ces malfrats obtiennent le châtiment qui leur convient. Car, je me suis battu pour qu’Haïti, après l’indépendance, ne soit pas une colonie sans les colons. Je voulais que tous, quelle que soit leur ascendance, aient pleinement droit à l’héritage légué par les ancêtres.
Filles et fils d’Haïti, j’ai appris aujourd’hui que les terres sont dévastées et les productions agricoles sabotées. Comme conséquence, la survie alimentaire des Haïtiens dépend du voisin dominicain. Alors que, dans le temps, notre agriculture était capable de répondre à nos besoins fondamentaux. Comment en sommes-nous arrivés là ? Moi, Papa Dessalines, je déclare que cet ordre de choses ne va plus durer.
Toute ma vie, j’étais un grand rassembleur. Je n’avais pas seulement prêché l’unité entre tous les haïtiens, mais j’avais aussi œuvré pour que cette union soit répandue nationalement. Donc, mes enfants, je vous écris pour que vous cessiez de vous déchirer entre vous. Quant à tous ceux-là qui, de par leur statut d’anciens libres, de collabos et de colons du temps moderne, se considèrent eux-mêmes comme étant des privilégiés et qui veulent accaparer tous les biens du pays, « Prenez garde à vous, nègres et mulâtres, vous avez tous combattu contre les blancs; les biens que nous avons tous acquis en versant notre sang appartiennent à nous ; j’entends qu’ils soient partagés avec équité….. Il n’y a qu’un seul noble, c’est moi ! » Il n’y a qu’un seul noble aujourd’hui, c’est le peuple haïtien dans sa lutte pour la liberté, la dignité et la justice sociale.
Après cette adresse à vous jeunesse de mon pays en ce 214e anniversaire de mon assassinat, si les fossoyeurs de la nation ne se repentent pas, c’est qu’ils sont des hommes et des femmes sans vergogne et sans la moindre dignité humaine. Que les vrais fils et les vraies filles de la patrie se rangent autour de l’idéal dessalinien pour reconstruire Haïti !