Mais où est passé le CEP promis par Ariel Henry ?

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Le renvoi du CEP de Jovenel Moïse a été tellement apprécié des anciennes oppositions que le nouveau chef du pouvoir exécutif pensait que la formation d’un nouvel organisme électoral n’aurait été qu’une simple formalité.

Dès la prise de fonction en juillet 2021 du Premier ministre a.i Ariel Henry, suite au Tweet de madame Helen La Lime, chef du Core Group en Haïti, l’idée de former un nouveau Conseil Electoral Provisoire (CEP) en lieu et place de celui mis en place par le feu Président Jovenel Moïse était arrêtée par les signataires de l’Accord du 11 septembre. D’ailleurs, cette clause fait partie intégrante dudit Accord grandement inspiré par les radicaux du Secteur Démocratique et Populaire (SDP) dirigé par Me André Michel. Pour bien marquer la rupture avec l’ère Jovenel Moïse et donner confiance à ses nouveaux alliés, l’une des premières décisions d’Ariel Henry a été de mettre fin de manière peu élégante au service du CEP dit du 22 septembre. Cette décision avait été prise dans le but d’assurer le soutien de tous ceux qui s’étaient ligués contre le Président de la République avant son assassinat et qui ne voulaient pas entendre parler d’élections sous les auspices de l’ancien régime.

Les signataires de l’Accord de Musseau avaient applaudi des deux mains ce geste hautement symbolique et politique marquant, en effet, la rupture entre les deux équipes : la nouvelle et l’ancienne. Le renvoi du CEP de Jovenel Moïse a été tellement apprécié des anciennes oppositions que le nouveau chef du pouvoir exécutif pensait que la formation d’un nouvel organisme électoral n’aurait été qu’une simple formalité. Surtout qu’à ce moment-là, les autres Accords, notamment celui du 30 août, tâtonnaient encore et ne savaient pas très bien ce qu’ils voulaient. En clair, les signataires du Montana peaufinaient leur stratégie vis-à-vis du nouveau pouvoir avec l’espoir qu’ils allaient le chasser pour prendre sa place. Du côté du Premier ministre et ses nouveaux alliés et soutiens, sans aucune appréhension, on ouvre la voie à la formation d’un nouveau CEP. L’équipe de la Primature qui n’avait pas pris l’ampleur de la fracture sociale et politique du pays en s’appuyant seulement sur l’anti-Jovenel qui serait majoritaire dans la société se mettait donc en quête de personnalités devant former ce qui constitue, en Haïti, la boussole politique : le Conseil Electoral Provisoire.

Le Premier ministre Ariel Henry et ses alliés lors de la signature de l’accord Musseau le 11 septembre 2021

Sans tarder, elle lance des invitations à tour de bras auprès de différentes organisations politiques susceptibles de fournir des membres. Le Premier ministre et ses Conseillers étaient tellement sûrs d’eux qu’ils faisaient la fine bouche, allant même à écarter certaines organisations de la Société civile traditionnellement grande pourvoyeuse de membres au CEP.

Sauf qu’entretemps, le phénomène de l’insécurité a tout bonnement envahi le pays. Les groupes et bandes armés occupent systématiquement et de manière coordonnée la quasi-totalité de la région de Port-au-Prince et ses banlieues. Les kidnappings ne sont plus des actes sporadiques mais entrent dans une stratégie pour asphyxier le pays et, de fait, deviennent pour les médias des faits divers tant que c’est la population toute entière qui en est victime. Les principales organisations de la Société civile sollicitée par le pouvoir sont elles-mêmes la proie de ce climat d’insécurité tous azimuts rendant presque impossible toute participation des citoyens à la vie de la Cité.

Et comme il fallait s’y attendre, cette atmosphère délétère pousse vite les leaders, partis et organisations politiques à avoir une autre lecture, un nouveau positionnement par rapport à la conjoncture. Résultat, presqu’à l’unanimité, tous les partis politiques, mêmes ceux qui étaient vent débout pour l’organisation des élections au plus vite se sont vu contraints d’appeler le Premier ministre à la prudence. Ils vont même demander à celui-ci de surseoir à cette idée de constituer un organisme électoral dans ce contexte sociopolitique tendu. Avec moult arguments, la majorité des organisations politiques et leurs dirigeants se prononcent contre et s’opposent à ce qu’ils considèrent comme une aberration l’idée même de former un CEP dans ce climat d’insécurité voire penser organiser des scrutins auxquels personne ne pense. Quant aux organisations de la Société civile contactées par le gouvernement et qui ont eu le temps de désigner leurs représentants pour le CEP post-Jovenel, elles se rebiffent toutes.

Prises sous la pression de l’opinion publique et malgré l’assurance obtenue de la part du pouvoir, elles ont dû décliner une à une leur participation tout en justifiant leur refus de cautionner ce qu’elles considèrent comme un acte irresponsable le fait de vouloir monter un CEP dans ce contexte où tout le monde a peur de s’aventurer dans les rues de la capitale et de sa région. Certaines organisations sociopolitiques ne voulant fermer complètement la porte au Premier ministre, préfèrent ajourner les décisions en disant oui pour leur participation et acceptent de désigner des représentants mais préfèrent attendre que la situation soit moins tendue et un climat politique plus serein pour faire connaître leur choix ou donner publiquement le nom de leurs délégués au gouvernement. D’autres pourtant ne tiennent pas compte de l’enfer dans lequel vit la population. Leurs dirigeants ont bel et bien répondu favorable à la demande du Premier ministre et lui ont même envoyé les noms de leurs représentants. Ce qui, au final, n’a servi à rien.

Ariel Henry a dissous le CEP que Jovenel Moïse avait formé le 22 septembre 2020. Il n’a pas pu remplacer les neuf membres.

Puisque, depuis l’arrivée de Ariel Henry à la tête de la Transition le 20 juillet 2021, il est à sa deuxième tentative pour voir s’il peut former ce CEP. Pratiquement, chaque jour, tout au moins, à chaque fois qu’il en a l’occasion, le locataire de la Primature annonce que le CEP est pour bientôt. Mais, prudent, à chaque fois et face à l’opposition d’un grand nombre d’acteurs politiques et de la Société civile qui le conseillent de trouver d’abord un consensus avec les autres Accords sur un sujet aussi clivant, il fait marche arrière. Ces entités multiformes lancent des mises en garde. Elles se placent comme des lanceurs d’alerte pour ne pas laisser la Primature se précipiter dans une action qui ne servirait à rien sans l’approbation et le consentement d’une large majorité des acteurs sociopolitiques dans le cadre de la Transition. Or, mis sous pression par la Communauté internationale, Ariel Henry a tenté de passer en force, c’est-à-dire, qu’il veut monter le CEP coûte que coûte sans l’assentiment de l’ensemble des protagonistes qui ne cessent de lui demander de donner de préférence priorité à la lutte contre les groupes armés afin de rendre la vie plus vivable dans la région métropolitaine avant de penser à un CEP qui n’aurait aucun avenir.

En fait, ce ne serait pas tant le CEP qui pose problème mais bien la suite une fois qu’il est installé. Une installation, d’ailleurs, restant très problématique dans la mesure où il faut impérativement que ces membres, une fois nommés, passent ou prêtent serment devant les juges de la Cour de cassation. Or, là aussi, le Premier ministre a un gros problème. Il ne parvient pas à convaincre toute la corporation des magistrats sur la nécessité de combler le vide au sein de l’appareil judiciaire. Ariel Henry a toutes les peines du monde à poursuivre le processus entamé depuis longtemps de remplacement des juges en fin mandat. A chaque tentative, il butte sur l’opposition de l’Association Nationale des Magistrats Haïtiens (ANAMAH), le Conseil de l’Ordre des Avocats de Port-au-Prince ou la Fédération des Barreaux Haïtiens (FBH) pour des raisons constitutionnelles. Certains pensent que même si Ariel Henry arrive à passer en force en installant un CEP, comme l’avait fait le défunt Président Jovenel Moïse, lui aussi fera face à ce problème d’inconstitutionnalité.

Mais le plus grand défi pour le chef de la Transition demeure incontestablement, l’organisation des élections qui est la seule raison d’être d’un CEP. Or, c’est exactement ce que redoutent tous ceux qui s’opposent à la mise en place du CEP aujourd’hui. Ces opposants ne peuvent imaginer que le seul but de ce CEP est de remplacer celui qui a été renvoyé par Ariel Henry en guise de garantie à la plupart des signataires de l’Accord du 11 septembre. Ils partent du principe que s’il y a un CEP, c’est justement pour lancer un processus électoral qu’ils estiment être mort-né dans cette circonstance. Certes, la France, les Etats-Unis, le Canada et les autres partenaires de hauts niveaux d’Haïti ne rêvent que d’élections afin de raccourcir les délais de la Transition selon les conclusions de la réunion virtuelle du 21 avril 2022. Sauf qu’ils n’ont pas pris en compte le rejet de cette idée par une grande partie de la classe politique du pays.

Ce n’est certainement pas l’envie qui manque à Ariel Henry d’aller vers les élections, histoire de satisfaire les désidératas de ses protecteurs. Mais, la réalité est devant lui. Mêmes ses plus proches alliés s’y opposent, d’où sa crainte de former un CEP sans l’aval ni de ses amis ni de ses opposants. Une décision qui serait lourde de conséquence avec, à l’arrivée, un organisme électoral contesté dès le départ, comme à l’ordinaire dirons-nous, et un processus électoral qui engendrera sans l’ombre d’un doute, une nouvelle crise politique dans une Transition que personne, en vérité, ne contrôle. Ce n’est pas pour rien qu’il hésite après deux tentatives manquées de se lancer dans une troisième sans être certain qu’il réussira à coup sûr. Dans le cercle restreint des Conseillers qu’il écoute, on peine à le retenir. Mais, un ministre influent et puissant n’hésite pas à lâcher : « Si c’est pour se faire ridiculiser une nouvelle fois par Montana cela ne vaut même pas la peine d’essayer ». En tout cas, à travers ce psychodrame qu’est devenue cette affaire de Conseil Electoral Provisoire entre le Premier ministre a.i Ariel Henry et pratiquement tous les acteurs de la Transition, c’est l’avenir même du pays qui se joue. Car personne ne sait ce qui adviendra si vraiment celui qui fait office de chef du pouvoir exécutif depuis l’assassinat du Président ne parvient pas à juguler l’insécurité qui sévit dans le pays, à monter un CEP de consensus afin d’organiser des élections inclusives et reconnues par toutes les entités. Ce dont nous sommes sûrs, la Transition post-Jovenel Moïs ne durera pas cinq ans avec Dr Ariel Henry en exécutant en chef.

 

C.C

 

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