L’ouverture de l’année scolaire 2017-2108 sur fond de crise !

0
1330
De toute manière, avec une certaine timidité dans les rues de la capitale et de la province, les établissements scolaires ont ouvert leurs portes ce lundi 4 septembre.

La vieille tradition relative à l’ouverture des classes au début du mois d’octobre semble définitivement disparue.  Au fil des années, les parents  se sont adaptés au nouveau calendrier,  débutant en septembre, ce qui désormais  donne 10 mois de travaux scolaires au lieu de 9 mois annuellement comme autrefois.. Il y avait une raison qui expliquait le choix  d’une rentrée scolaire en octobre : la récolte de café, celle des fruits, dont certains participaient à l’engraissement du bétail et des cochons créole et autres activités rentables durant la saison estivale. La vie économique connaissait en ces temps-là une certaine ardeur. De nos jours,  les caféières sont progressivement remplacées par d’autres plantes apparemment plus rentables. Ces cochons que l’on assimilait aux banques des paysans, ont été massacrés au début des années 80 sous le règne de fer de Jean-Claude Duvalier au profit du marché américain. La raison qui prévalait pour l’ouverture d’octobre, dans une certaine mesure, ne tient plus. Le modèle économique a  été terriblement modifié sous les méfaits de la globalisation et de la mondialisation sans avoir altéré sa nature d’exploitation et de domination des masses populaires par les classes détentrices de la quasi-totalité de la richesse nationale. En toute bonne logique, l’augmentation du nombre de jours de classes est une bonne chose. Cependant…

On entend de moins en moins  de plaintes émises surtout de parents issus des classes  sociales appauvries quant à la nouvelle rentrée scolaire; mais de plus en plus de colère face aux difficultés pécuniaires qui les étranglent. La cherté de la vie a gravi une échelle indomptable sous le néolibéralisme agressif.

Les parents se disaient autrefois qu’ils n’étaient pas financièrement prêts pour l’ouverture des classes en septembre. Et aujourd’hui?

Les parents se disaient  autrefois qu’ils n’étaient pas financièrement prêts pour l’ouverture des classes en septembre.  La question que l’on se pose maintenant est: Est-ce que ces trois ou quatre semaines de plus, leur permettent d’avoir la possibilité de répondre aux exigences scolaires ? La résistance s’est-elle cassée d’elle-même ou une nouvelle adhésion s’est-elle imposée face aux sommations de l’État haïtien?

De toute manière, avec une certaine timidité dans les rues de la capitale et de la province, les établissements scolaires ont ouvert leurs portes ce lundi 4 septembre. Comme nous avons un système éducatif à au moins deux vitesses, il y a eu des écoles qui ont compté dès le premier jour leurs effectifs complets. D’autres attendront des semaines, même des mois avant d’atteindre des salles de classe pleines. Il y aura sans doute des déperditions au cours de l’année car, beaucoup de parents  se trouveront dans l”impossibilité  de couvrir tous les frais et les faux frais réclamés par la direction de ces établissements scolaires. Ce ne sont pas tous les élèves qui ont débuté l’année, qui vont la terminer.   Une situation qui tend à empirer avec l’appauvrissement progressif de la grande majorité de la situation.

Une certaine mentalité a progressivement changé depuis quelques années chez les parents des classes appauvries.

De moins en moins de parents des classes appauvries gardent volontairement leurs enfants à la maison  pour les travaux domestiques, pour ceux des champs et de petits ateliers artisanaux. Depuis quelques années, une certaine mentalité a progressivement évolué à travers le pays, contrairement à autrefois où ils  retenaient leurs progénitures soit pour s’occuper des plus petits ou comme force d’appui aux  travaux familiaux. Les filles en étaient les principales victimes. Le manque ou l’inexistence d’écoles contribuaient beaucoup à ce désintéressement apparent. Les parents de nos jours  se rendent compte, pour des raisons multiples, du dynamisme et de l’utilité de l’éducation et de l’instruction. Ils multiplient leurs efforts pour envoyer leurs enfants à l’école malgré le laxisme des gouvernements passés et présents. Les parents, dans le souci d’élever des êtres bien formés, acceptent de payer cher les études de ces derniers en choisissant parfois de les envoyer en République  Dominicaine. Ont-ils la chance de fréquenter une  université de qualité là-bas, chez nos voisins?  Le capitalisme a un noyau universel qui le caractérise partout où il évolue. C’est toujours la même chose « Selon lajan ou, selon wanga ou ».

L’appareil scolaire ou appareil idéologique d’État dominant.

Malheureusement, bon nombre de ces citoyens   face à l’avenir de leurs enfants, sont coincés sous le joug d’énormes forces contraires à leur attente et à leur bonne volonté. Tout d’abord,  l’État haïtien  a toujours tout mis en œuvre pour offrir à l’oligarchie rétrograde et aux pays impérialistes  une école qui répond à leurs besoins et non aux intérêts de la nation. Louis Althusser nous a aidés à comprendre ce jeu du système. Il a écrit: « Nous croyons donc avoir de fortes raisons de penser que, derrière les jeux de son Appareil Idéologique d’État politique, qui occupait le devant de la scène, ce que la bourgeoisie a mis en place comme son appareil idéologique d’État no 1, donc dominant, c’est l’appareil scolaire, qui, a, en fait, remplacé dans ses fonctions l’ancien appareil idéologique d’État dominant, à savoir l’Église. On peut même ajouter : le couple École-Famille a remplacé le couple Église-famille ».[i]

Le nombre d’établissements publics a augmenté. Que faire de la qualité de l’enseignement?

Tout récemment, les écoles publiques primaires et secondaires se comptaient sur les doigts dans les grandes agglomérations urbaines. Les écoles rurales qui dépendaient non du ministère de l’Éducation nationale, mais de celui du ministère de l’Agriculture souffraient du même déficit, ce qui, en plus de leur quasi inexistence, chassait presque exclusivement du système la classe des petits paysans tout en la stigmatisant.

Aujourd’hui, nous vivons une massification  de l’éducation qui fait partie du même projet antipopulaire. Si l’État haïtien a réellement augmenté le nombre de salles de classe, il ne le fait pas de façon proportionnelle aux nouvelles demandes ni dans une optique de redresser la barre de manière qualitative. Le secteur privé contrôle à plus de 80% le système scolaire.  Cependant, gare à nous de ne pas nous méprendre du fait  de cette inéquation entre le public et le privé en nous disant que dans ce domaine le poids idéologique de l’État est faible. Althusser en s’inspirant de Gramsci nous a ainsi éclairés: «  La distinction du public et du privé est une distinction intérieure au droit bourgeois, et valable dans les domaines (subordonnés) où le droit bourgeois exerce ses ‘’pouvoirs’’. Le domaine de l’État lui échappe car il est « au-delà du Droit »: l’État, qui est l’État de la classe dominante, n’est ni public, ni privé, il est au contraire la condition de toutes distinctions entre public et privé. Disons la même chose en partant cette fois de nos appareils idéologiques d’État. Peu importe si les institutions qui les réalisent sont  « publiques » ou « privées ». Ce qui importe c’est leur fonctionnement ».[ii]

Dans la même optique en faveur des classes possédantes, par vagues successives, des équipes du ministère de l’Éducation nationale amaigrissent le curriculum de l’enseignement avec des modifications peu idoines à notre réalité. La complicité de l’État haïtien est évidente en favorisant une baisse relative du niveau de l’enseignement à l’échelle nationale. Relative, disons-nous, parce que parallèlement aux établissements mal lotis, ceux de référence tiennent bien le courant.  Les classes dirigeantes ont installé  dans tout le processus éducationnel une première passoire pour retenir quelques jeunes issus des masses populaires, pour les intégrer dans le système. Elles cachent leur dessein sous le fallacieux concept  sociologique de ”promotion sociale”, et elles donnent la grande majorité des autres en pâture aux classes dominantes.  Il est important de signaler que chaque régime gouvernemental tout en respectant les règles du jeu, tend à laisser son empreinte.  La dictature de François Duvalier a esquissé au début des années 60  une nouvelle tactique pernicieuse en expulsant ou en terrorisant un grand nombre de professeurs qualifiés des sections primaire, secondaire et universitaire. Le Canada et certains pays francophones africains en furent les plus grands bénéficiaires. La lourde chute de notre curriculum scolaire qui a dérapé en ce triste moment de notre histoire, paraît ne plus obéir à aucun frein malgré les efforts de quelques organisations étudiantes et de quelques syndicats vigilants.

Au lieu de prendre des mesures adéquates pour requinquer le système, les dirigeants eux-mêmes se plaignent de l’existence effrénée des écoles péjorativement dénommées ”écoles borlettes”. On assiste à une expansion de ces établissements qui, à travers la République, participent à nourrir cette force contraire au bien-être social et civique des masses populaires. Des Facultés ou même de prétendues universités dites aussi « borlettes » abritées dans des maisons familiales pullulent aussi dans tous les quartiers de Port-au-Prince et  dans les villes de province. Les responsables du système de par leur comportement,  font accroire qu’il s’agirait d’un phénomène en dehors de leur portée.  Pourtant, c’est toujours dans le même esprit d’adapter le système au besoin des classes dominantes aux niveaux local et international pour offrir à ces dernières cette main-d’œuvre béatement qualifiée à bon marché.

De nos jours, ce sont de plus en plus de ces cadres grandis au cours de cette période de désintégration des valeurs éthiques, morales et intellectuelles à côté de gens réellement qualifiés qui coiffent les administrations publiques et privées. Le système politique dominant est expert en recrutant ses membres. Il sait comment positionner chacun de chaque classe et chaque catégorie sociale à sa place suivant ses nécessités.  Nous devons toujours nous rappeler le pourquoi de cette école à vitesse multiple. Une fois encore nous recourons à Althusser pour dénoncer le plan des classes dirigeantes: « Chaque masse qui tombe en route est pratiquement pourvue de l’idéologie qui convient au rôle qu’elle doit remplir dans la société de classe: rôle d’exploité (‘’ à conscience professionnelle’’, ‘’ morale’’, ‘’ civique ‘’, ‘’ nationale’’, et apolitique hautement développée’’) ; rôle d’agent de l’exploitation (savoir commander et parler aux ouvriers: ‘’les relations humaines’’, d’agents de la répression (savoir commander et se faire obéir ‘’sans discuter ou savoir manier la démagogie de la rhétorique des dirigeants politiques) ou des professionnels de l’idéologie… »

Le scandale qui vient d’éclater à propos de la surfacturation des kits scolaires qui a entraîné comme bouc émissaire la révocation du ministre des Affaire sociales,  est un épiphénomène parmi tous les scandales connus ou cachés sous le boisseau, qui émaillent la classe politique haïtienne. Est-ce parce que cet ultime détournement s’est ébruité qu’on parle de crise du système scolaire? En vérité cette classe politique est en pleine adéquation avec les valeurs inhérentes au capitalisme.

L’alternative à cette dégradation ne saurait venir de ce statu quo:” Il n’est pas étonnant, a écrit Paulo Freire, alors, que dans cette vision ‘’bancaire’’ de l’éducation, les hommes soient considérés comme des êtres d’adaptation, d’ajustement. Plus les élèves s’emploient à archiver les  ‘’dépôts’’ qui leur sont remis, moins ils développeront en eux la conscience critique qui permettrait leur insertion dans le monde comme agents de transformation, comme sujet  « Dans la mesure où cette vision ’’bancaire’’ annule le pouvoir créateur des élèves ou le réduit au minimum, en favorisant leur côté primaire au lieu de développer leur sens critique, elle sert les intérêts des oppresseurs ». [iii] Pour déboucher sur une école qui correspond aux besoins du pays et de la grande majorité populaire,  il faut un changement profond qui abandonne cette politique qui livre  aux requins capitalistes et aux grands dons la classe des travailleurs.  Le changement profond, c’est la révolution. Celle-ci se fera longtemps attendre sans une unification des forces progressistes.

 

Marc- Arthur Fils-Aimé

9  septembre 2017

[i]      Louis Althusser: Editions sociales. P.106

[ii]     L. Althusser .ibidem.P.97

[iii]    Paulo Freire: Pédagogie des opprimés. Petite collection Maspéro.P.53

 

 

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here