L’héritage révolutionnaire de Malcolm X

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Malcolm X

A l’occasion du 95ème anniversaire de la naissance de Malcolm X (le 19 mai), nous reproduisons ci-dessous un article, qui avait d’abord été publié sous forme de brochure par la Ligue des jeunes communistes des États-Unis (YCL) dans les années 1990.

Cet article revient sur les évolutions de pensée et sur l’héritage du militant révolutionnaire afro-américain.

Malcolm X, né Malcolm Little le 19 mai 1925, a été assassiné le 21 février 1965 et enterré sous le nom d’El-Hajj Malik El-Shabazz. Il est la figure la plus remarquable de la tradition nationaliste afro-américaine et l’une des figures les plus importantes de toute la lutte pour la démocratie et la libération des Noirs. À bien des égards, son héritage définit le nationalisme révolutionnaire afro-américain d’aujourd’hui. Pour des dizaines de millions de personnes dans le monde, le nom de Malcolm X est associé à la cause de la libération des Afro-Américains, de la solidarité anti-impérialiste et du socialisme. Sa vie et son héritage sont liés à la lutte contre l’oppression, l’exploitation, le colonialisme et le racisme.

Malcolm était d’une honnêteté farouche. Son génie résidait dans le fait qu’il avait saisi la vérité selon laquelle le potentiel révolutionnaire inhérent à la lutte pour la libération des Noirs ne pouvait se réaliser que grâce à la solidarité de toute l’humanité opprimée et exploitée. La solidarité représentait pour lui une assistance mutuelle entre des forces combattant un ennemi commun. Cette reconnaissance le plaçait sur un plan politique plus élevé que le nationalisme libéral et petit-bourgeois de Marcus Garvey et de son premier professeur et mentor Elijah Muhammad.

L’essence révolutionnaire de son nationalisme le différenciait également du nationalisme culturel qui a prévalu aux États-Unis après son assassinat, comme l’ont illustré le poète Amiri Baraka ou l’universitaire Ron Karenga. La plupart des nationalistes culturels ont en effet détourné son héritage et l’ont vidé de sa racine révolutionnaire. Pour Malcolm, le nationalisme était l’idéologie et le mécanisme de la lutte révolutionnaire, alors que pour le nationalisme culturel, il devient une justification pour se retirer de la lutte.

La pensée de Malcolm

Sa pensée devint son arme la plus puissante et celle que les ennemis de la liberté noire craignaient le plus. Il développa soigneusement les outils de la logique et de la rhétorique afin de pénétrer et de démolir le mensonge de la suprématie blanche. Bien qu’il fût un maître en logique et en rhétorique, il estimait que l’histoire, en tant que science, était la mieux à même, comme il le disait, de récompenser toute recherche.

Malcolm, cependant, s’intéressait surtout à l’histoire des luttes révolutionnaires et à la vie des révolutionnaires. Il a tiré des leçons de la Révolution américaine, citant souvent Patrick Henry qui, au mépris du colonialisme britannique, a dit : “Donnez-moi la liberté ou donnez-moi la mort”. Pourtant, ce sont finalement les révolutions russe, chinoise et cubaine ainsi que les révolutions anticoloniales en Afrique et en Asie qui l’ont attiré. Il admirait la pureté et l’altruisme de dirigeants comme Ho Chi Minh, Che Guevara, Fidel Castro, Gamal Abdul Nasser, Kwame Nkrumah et Amilcar Cabral. Il a aussi tenté de comprendre les méthodes de guérilla comme moyen d’autodéfense et de libération d’un peuple opprimé.

Malcolm n’était pour autant pas un révolutionnaire de salon. Son courage monumental provenait de sa conscience que la solution à l’oppression raciale se trouvait dans les luttes des masses afro-américaines. C’est pourquoi il a insisté à maintes reprises sur le fait que la lutte devait se poursuivre “par tous les moyens nécessaires”. Il chérissait profondément la liberté et enseignait aux autres à l’apprécier comme le principe politique le plus élevé. Selon lui, la liberté, la justice et l’égalité l’emportaient sur tous les autres principes et ne devaient pas être compromises. En tant que représentant national et porte-parole de Nation of Islam, il a associé les principes de liberté et d’égalité à la terre et au territoire et a donc appelé à ce que cinq États du Sud soient reconnues en tant que nation noire. Il en viendrait plus tard à reconnaître que dans le contexte américain, la liberté et l’égalité n’étaient véritablement réalisables que sur les bases d’un changement révolutionnaire du système économique, provoqué par une alliance des classes et des peuples exploités. Il a donc reconnu la nécessité du bulletin de vote et de la balle (ballot and bullet), de la réforme et de la révolution, le tout dans la poursuite de la liberté et de l’égalité.

La jeunesse de Malcolm

Malcolm a connu dès son enfance la violence du racisme. Son père, un ministre baptiste et fervent partisan du leader nationaliste Marcus Garvey, a été lynché par le Ku Klux Klan. Il a vu sa mère lutter pour lui fournir, ainsi qu’à ses frères et sœurs, de la nourriture, des vêtements et un abri. Elle a fini par être terrassée par le terrible fardeau de la pauvreté et du racisme, confinée dans un établissement de santé mentale pendant de nombreuses années.

Après cela, Malcolm s’est pratiquement élevé tout seul. Son premier combat personnel contre l’oppression raciste s’est déroulé dans les écoles de Mason, dans le Michigan. Il a rejeté l’endoctrinement raciste de l’éducation américaine. Plutôt que d’y être soumis, il a ensuite quitté l’école pour trouver lui-même sa voie dans le monde.

Sa route l’emmenant vers Boston, il a pris le pseudonyme et le visage de “Detroit Red”. La rue, les clubs, les escrocs, les prostituées et les trafiquants de drogue, les musiciens et les danseurs sont devenus ses professeurs. Malcolm est devenu l’un d’entre eux. Il a appris de leurs forces et de leurs faiblesses. Mais plus encore, il a commencé à entrevoir quelque chose de leur potentiel et de leur humanité non réalisés. Malcolm, ne voyant aucun moyen de sortir de l’oppression de la vie de ghetto, est devenu en tous points lui-aussi un frère de rue, totalement engagé dans la vie au jour le jour et dans le crime.

Malcolm a rencontré le révolutionnaire cubain Fidel Castro (à gauche) en 1960 à Harlem

À l’aube de la vingtaine, il a été reconnu coupable de vol et condamné à dix ans de prison. Alors qu’il était derrière les barreaux, son frère aîné, un disciple de l’honorable Elijah Muhammad, a écrit à Malcolm pour lui parler des enseignements du “Messager d’Allah”, qui affirmait que l’Islam était la “religion naturelle de l’homme noir”. Malcolm a alors appris à lire et à mémoriser pratiquement le dictionnaire en entier afin de comprendre les enseignements de Nation of Islam. Il s’est converti à l’islam en prison. Après sa libération, il a rejoint la mosquée de Detroit et en 1954 est devenu le ministre en chef de la mosquée de Harlem.

A Harlem s’élève le révolutionnaire

À Harlem, la mecque intellectuelle et culturelle de la vie noire, Malcolm est entré en contact avec toute l’étendue et la complexité des différents courants de la pensée noire. Il a appris, débattu et lutté avec les multiples plates-formes du nationalisme révolutionnaire et culturel, de la politique électorale, du socialisme et du communisme.

Des étudiants africains et asiatiques, des peintres, des artistes et différents ouvrages sont devenus ses compagnons de route et ont commencé à façonner son esprit et à développer son génie unique. Il est devenu un véritable intellectuel, capable de s’imposer avec le meilleur que les universités de la bourgeoisie blanche pouvaient produire. Il n’avait aucune pitié pour les intellectuels et les universitaires partisans du racisme et du colonialisme ou de leurs théories. Il était devenu, enfin, un intellectuel révolutionnaire.

Les courants culturels, politiques et intellectuels existant à Harlem ont interagi en lui avec les enseignements de la Nation de l’Islam. Inévitablement, il a alors dépassé les limites des doctrines de Nation of Islam, mais il n’a néanmoins jamais nié leur impact positif sur le sentiment d’estime de soi, d’amour-propre et d’identité africaine des Noirs, qui constituent la plus importante contribution d’Elijah Muhammad à la lutte de l’Amérique noire.

De plus, Nation of Islam s’adressait à la classe sociale que Malcolm connaissait le mieux, à savoir les couches les plus pauvres et les plus démunies de la population active afro-américaine. Les enseignements d’Elijah Muhammad sur la fierté raciale ont aidé les plus opprimés à rassembler leurs forces et leur ont donné une structure organisée pour le faire.

Malcolm rompt avec Nation of Islam

Le fait que Nation of Islam n’ait considéré que la dimension raciale de l’oppression des Noirs, est finalement entré en conflit avec l’approfondissement de la conscience politique de Malcolm. Ses voyages au Ghana, en Égypte et en Arabie Saoudite l’ont convaincu que l’oppression raciale et l’oppression de classe étaient inséparables. La classe des banquiers et des industriels milliardaires, conclut-il, a tiré des milliards de profits du colonialisme et du racisme.

Il a vu que le racisme et le capitalisme étaient des jumeaux inséparables. Malcolm a compris que les blancs aussi étaient victimes, mais pas de la même manière, de ce système. Il a également rencontré Ahmed Ben Bella et d’autres dirigeants de la révolution algérienne qui semblaient blancs, mais qui étaient néanmoins des révolutionnaires.

Cet héritage de Malcolm X doit être étudié et développé

Il a de plus en plus été amené à considérer la possibilité et la nécessité d’une unité révolutionnaire multiraciale. À La Mecque, en Arabie Saoudite, il a rencontré des musulmans de toutes les races et a compris que l’Islam n’était pas seulement la religion de l’homme noir. Sa conversion à un islam plus orthodoxe s’est produite en même temps qu’il s’éloignait de la doctrine du séparatisme racial. Ces expériences et son engagement farouche pour la vérité l’ont amené à reconnaître une distinction catégorique entre les blancs et le racisme blanc, entre les blancs ordinaires, dont la plupart sont influencés par le racisme, et les capitalistes qui en sont les principaux bénéficiaires.

À cet égard, dans un discours prononcé en 1964, il a déclaré : « Nous vivons une période de révolution et la révolte des Noirs américains fait partie de la rébellion contre l’oppression et le colonialisme qui caractérise cette époque… Il est incorrect de classer la révolte des Noirs comme un simple conflit racial entre Noirs et Blancs, ou comme un problème purement américain. Nous assistons plutôt aujourd’hui à une rébellion globale des opprimés contre l’oppresseur, des exploités contre l’exploiteur. La révolution noire n’est pas une révolte raciale ».

En disant cela, il s’est empressé d’ajouter que l’unité raciale ne peut être fondée sur la doctrine longtemps prêchée et vide de sens de la “fraternité” qui préserve la suprématie blanche. L’unité ne peut réellement se produire que lorsque les Blancs assument par dessus tout leur responsabilité révolutionnaire et leur obligation de classe de combattre le racisme des capitalistes blancs.

Sa rupture en 1964 avec Nation of Islam et sa création des Mosquées Musulmanes Inc. et de l’Organisation pour l’Unité Afro-Américaine lui ont donné une nouvelle orientation.

C’est également à cette époque que Malcolm et Martin Luther King, Jr. ont commencé à se rapprocher l’un de l’autre. Leur unité, si elle avait eu la possibilité de se développer pleinement, aurait pu conduire à une unité plus profonde de la communauté afro-américaine et au renforcement de la lutte multiforme pour la paix, la liberté et la justice. C’est également à cette époque que Malcolm a rencontré Paul Robeson lors des funérailles de la grande dramaturge Lorraine Hansberry.

L’héritage de Malcolm

C’est au moment même où Malcolm avait atteint de nouveaux sommets de conscience révolutionnaire que sa vie et le développement de sa pensée ont été interrompus. L’historien John Henrik Clarke soutient qu’il a été assassiné par le même cartel international invisible du pouvoir et de la finance qui avait tué Patrice Lumumba.

« Le pouvoir pour la défense de la liberté », proclamait Malcolm, “est plus grand que le pouvoir pour la tyrannie et l’oppression, parce que le pouvoir, le vrai pouvoir, vient de la conviction, qui produit l’action, l’action sans compromis. Il produit également l’insurrection contre l’oppression. C’est la seule façon de mettre fin à l’oppression – par le pouvoir”.

Cet héritage de Malcolm X doit être étudié et développé. Un examen critique de l’ensemble de sa contribution ne peut manquer de prendre acte de l’évolution de ses idées. Malcolm à la fin de sa vie était une personne politiquement et idéologiquement très différente de celle qu’il était au début.

Le caractère révolutionnaire de l’héritage de Malcolm s’est tourné vers la nécessité d’une lutte démocratique de masse comme condition préalable à une révolution économique et sociale fondamentale contre le système qui engendre l’oppression. Les jeunes militants d’aujourd’hui pourront-ils y parvenir à leur tour ?

Solidarité International, 20 Mai 2020

 

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