Depuis une vingtaine d’année en Haïti, on assiste à une migration interne continue des gens de la campagne vers les centres villes. Leurs déplacements est la résultante de multiples facteurs, citons entre autres: l’absence quasi-totale des services sociaux de base nécessaires à l’épanouissement physique, social et spirituel de l’être (éducation, santé, eau potable, loisir, etc.) ; la perte des espaces cultivables sous l’effet de l’érosion, conséquence directe du déboisement.
Perçu en tant que manque, certains penseurs ont tendance à voir dans celui-ci d’une part, (l’absence de volonté ou manque de moyens des gouvernants), et d’autre part, dans-celui-là (l’exode) une menace à la planification, gestion, et au développement socio-économique des villes. Ce présent article en effet nous invite à une autre réflexion en vue de comprendre cette réalité à partir d’une autre perspective. Entendons-nous par exode rural le fait qu’un groupe de personnes laisse un espace non-urbain à la recherche de meilleures conditions de vie, sans se préoccuper du devenir de leurs terres, bétails, familles, bref, de leurs richesses matérielles et spirituelles pour venir habiter en ville ?
En fait, une ville ne s’est pas construite ni au hasard, ni par accident de l’histoire. C’est donc un projet politique conçu, élaboré, réalisé par les élites d’une société dans le but de résoudre un ou des problèmes politiques. En Haïti par contre, nos élites sont pour la plupart héritières de villes historiquement construites pour les besoins de la colonisation : transiter les produits vers la Métropole. Au fil du temps, cette vision française de la ville en Haïti a eu comme conséquences négatives la mise à l’écart de tous projets à long terme de réaménagement, d’assainissement et d’extension urbaine. Car si l’histoire nous a fait naître ici, on n’y demeure pourtant pas pour longtemps. Sommes-nous tous des nomades ?
A l’opposé, les milieux ruraux en Haïti se développent historiquement contre les pratiques socio-économiques urbaines ; l’esclavage, la grande plantation, le racisme, l’exploitation, l’abus de pouvoir, le Christianisme, le banditisme, etc. Cette opposition ville-campagne en Haïti se cristallise dans le discours, les mœurs de tous les haïtiens, ainsi que dans les documents officiels émis par l’Etat, lui-même contrôlé par les élites urbaines. C’est pourquoi il existe dans ce pays des haïtiens/citadins et des haïtiens/paysans.
L’exode massif des gens issus des milieux ruraux vers les centres-villes est la conséquence d’une violence symbolique exercé par l’Etat pour priver ces esclaves/marrons, devenus paysans, des services sociaux de base. C’est une sanction historique ; de l’attractivité des villes sur l’esprit des gens car le centre attire les personnes de par sa physionomie, sa structure et ces modes de vie ; d’une pression constante exercée par la ville afin de rendre disponible une main-d’œuvre à bon marché pour son développement économique, d’où l’apparition des bidonvilles et quartiers-précaires (sources de main-d’œuvre pour la production économique, la criminalité organisée et la prostitution).
Ces deux groupes sociaux historiquement ne cohabitant pas, par la force des rapports sociaux tels qu’ils existent depuis 1806, cela va donner libre cours, encore une fois, aux observateurs internationaux (les capitalistes) l’opportunité de forcer cette cohabitation selon les normes de la division internationale et régionale du travail. Il s’agit pour ainsi dire de décourager les paysans par tous les moyens (politiques, économiques, scientifiques, biologiques, culturels) à vivre en milieu rural pour les transformer en braceros travaillant dans les champs de canne à Cuba (autrefois) et en République dominicaine, d’exploiter leur force de travail dans les usines à travers tout le pays particulièrement à Port-au-Prince ; à migrer potentiellement au Brésil, au Chiliou ailleurs. Donc, cette réflexion nous amène à comprendre que l’exode rural en Haïti relève à la fois d’un refus des paysans, les jeunes surtout, de continuer à vivre à l’écart des services sociaux de base, et aussi d’un besoin provoqué par la ville à travers les dynamiques socio-économiques de l’ère moderne pour accroitre son développement.
Firson PIERRE mémorant en sociologie FASCH/UEH.