Les maires humiliés : quand Jovenel Moise méprise les maires efficaces!

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Il y a quelques jours, une rencontre avec Jovenel Moïse dans son fief de Zanglais (section communale de Saint Louis du Sud), excluant les habitants des autres quartiers, du centre ville, notamment, de surcroit le Maire Luc Edwin Céïde.

Qui sont ces citoyens de la République qui, malgré leur légitimité, ont été renvoyés sans ménagement par le pouvoir Exécutif en 2015 ? Qui sont ces citoyens de la République qui ont été forcés de renoncer aux projets qu’ils réalisaient au bénéfice de leurs concitoyens ? Qui sont ces citoyens de la République qui ont été accusés de corrompus, ont renforcé l’existence des écuries d’Augias, au sein de leur administration ? Qui sont ces citoyens de la république, qui pour avoir bravé la magnificence du pouvoir mickiste ont été tout simplement remplacés par ce que celui-ci appelait joliment les « agents intérimaires » ? Qui sont ces citoyens de la République  éclipsés par un décret présidentiel, chassés par des députés en connivence directe avec l’Exécutif, qui outrepassaient leurs attributions, réglaient leurs comptes avec les maires rétifs à leur toute-puissance ? Qui sont ces élus que Jovenel Moïse choisit de magnifier, d’humilier, de tancer, sanctionner à l’aune de sa conception clientéliste du pouvoir politique ? Qui sont ces élus que le jeune président haïtien décide d’humilier, les ignorant à toutes les phases de son « programme caravane du changement » (réflexion, conception, application) ? Ce sont les maires d’Haïti.

Pour autant, ces maires, ayant le statut d’élus, disposant des mêmes pouvoirs et « appartenant à l’univers distinctif des représentants  de l’univers politique », ayant reçu la même onction du président de la République, la même procédure de sacralisation, celle de la légitimité du suffrage universel, sont les victimes d’une politique du mépris. Elle se définit comme un ensemble de dispositions envisagées par le pouvoir mickiste.

Les Maires sont soumis autant que l’Exécutif, le législatif les mêmes pressions, sinon davantage : les maires sont au cœur des populations, ils sont les mieux placés pour comprendre les souffrances de leurs concitoyens, leur trouver des mots les plus réconfortants. Les maires sont des élus de terrain, proches de leurs concitoyens partageant leurs privations, leurs souffrances et cherchant avec eux des solutions à leurs difficultés au quotidien, à la différence des députés, qui visitent leurs circonscriptions nuitamment, ou se cachent derrière les vitres teintées de leurs grosses cylindrées, rutilantes qui crachent leurs fumées méprisantes à destination des électeurs déçus, détestés par ceux qui prétendent incarner les espérances d’une population aux abois. Ces maires  sont les mal-aimés des populations, n’ayant aucune ressource disponible, pour nourrir le clientélisme partisan des députés, des sénateurs qui ont accès aux provisions alimentaires, aux matériaux de construction, aux motocyclettes. Les attentes des populations à répondre, les ordonnances médicales à  remplir, les funérailles, les baptêmes, les frais de scolarité, les places à obtenir au lycée…installent les maires au cœur d’un processus de fabrication des modalités de la débrouille et de la survie. Ils font preuve d’une grande ingéniosité : offrir aux citoyens une gestion des cas les plus hétérogènes.

Le Commandant Luc Edwin Céïde, (à droite) ancien haut cadre de l’armée et de la police nationale, frotté à la culture des écoles de formation les plus prestigieuses aux Etats-Unis, socialisant avec un paysan de sa localité

L’exemple le plus intéressant est celui de Saint Louis du Sud où son maire, le Commandant Luc Edwin Céïde, ancien haut cadre de l’armée et de la police nationale, frotté à la culture des écoles de formation  les plus prestigieuses aux Etats-Unis, en Europe et en Amérique latine, tente de révolutionner l’action politique sur le plan local. Il s’est montré très efficace lors du cyclone Matthew où avec sa débrouillardise, il a pu venir en aide aux populations sinistrées, leur apporter couverture, kits alimentaires, semences et matériaux pour la reconstruction des écoles endommagées. De plus, il engage une politique de reconnaissance des potentialités touristiques de Saint Louis du Sud et de ses huit sections communales, construit des infrastructures de valorisation des forts historiques des Anglais et du Fort des Oliviers, dynamise, structure, entraine. Et pour retisser des liens des citoyens avec la politique locale, Commandant Séïde, comme il s’ affectionne à ce titre, mène un combat, avec panache et courage, contrairement à ses prédécesseurs, sur les fronts de la rente, de la prédation et de la corruption, souvent entretenues par les autorités de Port-au-Prince qui distribuent chèques et subsides pour des cérémonies fictives et des projets imaginaires au détriment des populations de Saint Louis du Sud. Pourtant, le député de la circonscription, absent souvent dans les moments d’angoisse, taciturne au Parlement, a organisé, il y a quelques jours, une rencontre avec Jovenel Moïse dans son fief de Zanglais (section communale de Saint Louis du Sud), excluant les habitants des autres quartiers, du centre ville, notamment, de surcroit le Maire. C’est une prime de J. Moïse qui n’encourage pas le principal acteur du développement local, délégitime et dépossède le Maire, installe le député, par procuration dans son rôle de sous-fifre de la « politique ». Cette attitude présidentielle est une insulte non seulement au digne Représentant de Saint Louis du Sud, mais un signal adressé à tous les autres Maires de la république.

Notre caméléon s’est présenté comme candidat au Sénat pour faire échec au candidat du PHTK, le parti dont il est redevable…

Et dans le cas de Saint Louis du Sud, l’attitude de M. Moïse est d’autant plus critiquable que le député de la circonscription a exercé un mandat antérieur à titre de député de Cavaillon et de Saint Louis du Sud, qui a été générateur de gains importants. N’a-t-il pas engrangé la « modique » somme de 20.000.000 de gourdes  tous les ans pour les deux communes ; ce qui est estimé à plus de 80.000.000 de gourdes, sans compter les subsides d’autres sources souterraines ! Jovenel Moïse, au nom d’on ne sait quelle solidarité « pktékiste », distribue des récompenses à celui qui l’a rejoint, non pas par conviction, mais in extremis, pour se racheter. Aux termes des dernières  élections jugées frauduleuses par les observateurs, aux termes de l’élimination de nombreux bureaux de vote à Zanglais, quatrième section communale de Saint Louis du Sud, avec la complicité du CEP, évidemment, l’élu que Jovenel Moïse béatifie aujourd’hui, obtient un second mandat. Mais le président ignore, par naïveté ou par excès de connivence, que notre caméléon s’est présenté comme candidat au sénat pour faire échec au candidat du PHTK, le parti dont il est redevable pour l’avoir remis en selle. Cette fois, les électeurs ont tranché. Sans fard. Rideau. Un tel palmarès mériterait un prix des sages d’Oslo, ce qui traduirait une incompréhension des difficultés des maires.

Or, exercer la fonction de maires est un métier difficile. Le terme métier peut être impropre. Ceux qui l’ont exercé, une fois, abandonnent et ne reviennent plus. Par dégoût. Par impuissance. Par solitude. Alors que c’est l’activité politique la plus noble : déterminer les voies et moyens pour améliorer les conditions de vie de leurs concitoyens. L’autre face de ce métier : c’est que toutes les facettes  ne sont pas « identiques », toutes les communes n’ont pas les mêmes moyens, les mêmes ressources. Mais malgré ces différences, les maires ont un « socle commun ». Ils ont tous appris le métier « sur le tas », forcés d’unir « des savoirs et savoir-faire difficilement formalisables, sortes de  bricolages qui dépassent les clivages apparents ». Et en retour, peu de considérations.

Le constat le plus accablant, mais pertinent, est formulé par Fleurimond Kerns : « Ni leurs administrés ni leur ville. Personne ne les prend au sérieux, ni la population ni les autorités publiques…Ne disposant d’aucun pouvoir économique ni de pouvoir politique, être maire en Haïti se résume à un titre quasi honorifique sans grandeur ni honneur aux yeux de la société. » (L’état de la nation, Hibiscus Rouge, 2015 p.97). Cette description nous montre qu’il s’agit d’une politique du mépris, réactualisée, ré-enracinée par Jovenel Moïse. Paradoxe. Comment un président de la République, originaire de la province, qui engage une politique de communication intense autour de la place des citoyens des périphéries puisse visiter une ville et s’abstient de rencontrer son maire qui, dans le contexte de Saint Louis du Sud, souligné antérieurement, a besoin plus que jamais du soutien du président de la République. C’est de la politique à la petite semaine qui rend hommage à ses tribus, ses bandes, qui traduit la faible carapace de celui qui s’est affublé le titre de « nèg bannan nan » C’est un soutien à l’impunité, à l’anarchie, comme c’est le cas d’un présumé assassin interpellé à Cherettes, il y a peu, mais relâché suite à l’intervention du député. On peut alors douter de la sincérité de Jovenel Moïse : sa proximité avec les masses paysannes n’est que mensonge, c’est plutôt l’expression d’une réalité travestie et instrumentalisée.  Ce mépris s’explique par deux facteurs.

Le premier facteur est d’ordre sociologique. La rupture entre les élites et les citoyens isolés en villes de province, ou en zones rurales, est affirmée en Haïti, comme survivances de la colonisation esclavagiste. C’est la composante la plus essentielle de la population. Comme l’a montré Jean Casimir dans « Haïti et ses élites : l’interminable dialogue de sourds », « la société paysanne arrive à négocier d’importantes modifications dans la structure de l’Etat, jusqu’à conclure le XIXème siècle avec une proposition viable de structure politique. » Les travaux en sociologie renvoient aux clivages méprisants d’une différenciation structurée : citadins/paysans, « nègre-feuilles », « gros orteils »…

Le second facteur explicatif de ce mépris est l’instrumentalisation des normes juridiques. La constitution de 1987, puis confirmée par la Constitution de 1987, prolonge ce mépris, non pas parce qu’elle a institué des mécanismes de participation politique, mais encore a rendu incohérentes les pratiques des dispositions constitutionnelles avec les normes. En effet, la Constitution de 1987 a prévu la définition des « collectivités territoriales » en ajoutant la section communale, la commune et le département. Trois principes en ressortent : l’élection au suffrage universel, la définition du statut de la section communale, la répartition des pouvoirs entre le Conseil d’Administration des Sections communales et le maire. Le mépris s’accentue lorsque les gouvernements précédents décident de ne pas organiser des élections et quand ils l’ont réalisée, ces élections ont été une véritable mascarade. Le mépris se trouve renforcé lorsque le président de la République renonce au rôle de dirigeant transcendant, qui doit être animé d’un esprit rassembleur, non partisan.

La décision de ne pas rencontrer les populations, au centre-ville de Saint Louis du Sud, contrairement à ses prédécesseurs, notamment René Préval, attise un conflit déjà latent entre Zanglais, section communale, qui a des prétentions séparatistes, tentée souvent par le rapprochement avec Aquin. De plus, Zanglais est considérée comme un espace quasiment «  à part », toujours à la limite de la transgression des lois de la République, terreau du banditisme et de la répression : quelques uns prétendent répandre la terreur par leur attitude frondeuse et frauduleuse, notamment en période électorale. Zanglais se définit comme un lieu de non-droit où se multiplient, se fructifient les trafics de drogue, d’armes et autres. On annonce même que l’un des proches du député, arrêté en possession de marijuana, puis relâché, n’y est pas étranger ! Zanglais interpelle, Zanglais inquiète, Zanglais somme l’opinion publique de s’intéresser à elle : comment ne pas rappeler, dans une indifférence honteuse, l’assassinat de Bob (Robert) Anglade, cet entrepreneur infatigable, qui faisait honneur aux charmes du lieu ?

On est donc loin de cette recomposition arbitrée par le président de la République. Cet esprit républicain, c’est-à-dire, prêt à imposer au dessus de l’intérêt clanique l’intérêt général doit guider le président de la République, qui, espérons-le, décidera une nouvelle rencontre, cette fois, à Saint Louis du Sud, en coordination avec le Commandant Céide. Ce serait une décision de sagesse, de réhabilitation, d’incitation à la jeunesse, sevrée de l’exemplarité des élus dynamiques et honnêtes, dans leurs rapports à la politique et à la gestion des fonds publics. Jovenel Moïse dispose désormais de cette chance, mais il ne sait pas encore comment la fructifier.

 

Jacques NESI

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