Les gangs armés au temps du Coronavirus ! (2)

2e et dernière partie

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La Commission nationale de désarmement, démantèlement et réinsertion (CNDDR) dans une conférence de presse le 6 janvier 2020. Les membres de cette commission sont : Edwin Florexil, Innocent Joseph, Roodiny Jean-Baptiste, Abler Roudy Lalane, Jean Chenet Lucien, Greatz Marie Lydie Sironel Charles, Jean Rebel Dorcéna, Jude Jean Pierre et Frantz Toyo.

Tout au début de l’année 2020, le Président Jovenel Moïse avait pointé d’un doigt accusateur quelques hommes d’affaires qui seraient derrière les chefs de gangs qui mettent la capitale en coupe réglée. D’après lui, la violence et l’insécurité qui règnent dans certains quartiers de la capitale sont l’œuvre de mains invisibles et des bourgeois habitant sur les hauteurs de Port-au-Prince. C’est une déclaration totalement irresponsable et dangereuse dans la mesure où le chef de l’Etat n’a aucune preuve de ce qu’il avance. Bien sûr personne ne va dédouaner personne dans cette guerre. Mais, à raison gardée, quand on est aux responsabilités, l’on ne se contente point d’accuser, on agit, surtout quand on a tout l’appareil répressif de l’Etat à son service. En pleine lutte contre le Coronavirus, les autorités poursuivent dans la même ligne d’attaque qui consiste à apporter des critiques sur certains secteurs sans pour autant agir ni apporter aucune preuve.

Comme c’est le cas le 18 mars 2020 à La Saline lors d’une cérémonie durant laquelle certains chefs de gangs avaient décidé de restituer quelques armes en leur possession dont ils n’avaient plus besoin en vérité. Le chef de la Commission Nationale de Désarmement, Démantèlement et Réinsertion (CNDDR), Jean Rebel Dorcenat, n’a pas été avare en déclaration et en accusation contre des membres du secteur privé des affaires qui, selon lui, se cachent derrière des gangs armés afin d’occuper l’espace à d’autres fins. Selon le commissaire Jean Rebel Dorcenat de la Commission qui date du feu Président René Préval, réactivée par Jovenel Moise avec de nouveaux membres le lundi 11 mars 2019: « Derrière ce qui se fait à La Saline se cachent de grands intérêts. Des gens extrêmement dangereux, des bourgeois qui alimentent cette situation d’insécurité. Des patrons importants du secteur privé des affaires sont à la base de la situation d’insécurité qui prévaut dans le pays, notamment à La Saline. » Ce 18 mars 2020, la CNDDR avait récupéré quelques armes hors d’usage. Certainement des armes qui ont participé à des braquages et des meurtres qui n’ont jamais été élucidés. Mais, au nom de la paix civile, le gouvernement est prêt à tout, quitte à laisser des assassins en liberté prêts à recommencer. La paix serait à ce prix.

les quartiers de Grand-Ravine, La Saline, Martissant, Village-de-Dieu, Cité Plus, etc, ne sont pas prêts de baisser les armes

Mais on l’a constaté, malgré le bon sentiment de certains chefs de gangs dans une mouvance qui est plutôt plurielle, les quartiers de Grand-Ravine, La Saline, Martissant, Village-de-Dieu, Cité Plus, etc, ne sont pas prêts de baisser les armes et loin de là. Avec la pandémie de Covid-19 qui s’abat sur Haïti depuis le mois de mars et l’Etat d’urgence sanitaire décrété par le Président de la République Jovenel Moïse, la vie devient de plus en plus dure dans le pays. Moins de sortie dans les rues même si la population n’observe pas vraiment les consignes. Ainsi, les gangs de Cité-de-Dieu et certainement d’autres ont perpétué un vrai massacre gratuit entre samedi et dimanche de Pâques contre les habitants de Portail Léogane, Grand-Rue et Martissant. Plusieurs dizaines de blessés (30) et au moins six (6) morts. Ce massacre à l’aveugle serait, selon des survivants de la zone concernée, une opération punitive et de vengeance contre eux vu que ces « Soldats perdus » sont bloqués par les barrages mis en place par la police depuis quelque temps.

Ainsi, pour essayer de percer ou sortir du blocage, les bandits avaient décidé de monter une opération dont le but était de tuer le maximum d’innocents possibles afin de faire une grande pression psychologique sur le pouvoir pour le pousser à lever le blocus policier du Bicentenaire. Ce carnage avait soulevé l’indignation de plus d’un et semé aussi l’effroi au bas de la ville de Port-au-Prince sans compter la peur qui y règne. C’était d’ailleurs le but.  Après ce massacre, le ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, Lucmane Délille, a menacé sans conviction les auteurs « Le gouvernement ne va pas tolérer cette situation. N ap di mesye teworis yo bat chen an tann mèt li » a-t-il déclaré. Des paroles mille fois entendues de la part des autorités qui peinent à se faire entendre et surtout qui n’effraient personne. Le ministre qui croit impressionner les bandes armées avec sa rhétorique « Un jour viendra où l’on n’entendra plus parler de ces gens.»

« La police a l’instruction formelle de stopper ces bandits s’ils sont pris en flagrant délit. À la guerre comme à la guerre. Ces gens n’ont plus leur place dans la société. Ce sont des moustiques, des microbes sociaux, nous les écraserons à coup sûr. Nous allons les repousser. Ils nous ont fait pleurer, nous allons les faire pleurer aussi. Nous allons les poursuivre jusqu’aux portes de l’enfer. » Sauf que, une semaine après ces déclarations martiales de Lucmane Délille, un autre gang de Cité Plus dénommé Baz Pilat a fait un carton une nouvelle fois sur la population de la zone dans un affrontement avec leurs grands rivaux de Grand-Ravine et de Village-de-Dieu. Bilan de cet énième affrontement : plusieurs maisons incendiées ; plusieurs blessés et au moins un mort. « J’habite à Fontamara. J’emprunte cette route tous les matins pour aller travailler. Ce que j’ai vu ce lundi matin était inédit. Il y avait des jets de pierres et des tirs à l’arme automatique. Les gens couraient dans tous les sens ». Le gang armé de Baz Pilate refuse de céder la 4e avenue aux gangs de Village-de-Dieu et de Grand-Ravine.

Ces derniers sèment la pagaille dans la zone pour protester contre leur isolement. Depuis plus d’un mois, la police a placé plusieurs séparateurs dans des rues menant au Bicentenaire. Les bandits se sentent asphyxiés » rapporte un témoin au Le Nouvelliste du 20 avril 2020. Huit jours après, Baz Pilat et ceux de Grand-Ravine ont remis çà. Ils se sont affrontés au cours du week-end du 30 avril dans la 3e circonscription de Port-au-Prince avec une sauvagerie inouïe. Bilant des combats : au moins 11 morts et des dizaines d’autres victimes par balles et autres armes létales. Des gens ont été décapités aux couteaux et les membranes réparties sur la chaussée dans le quartier du Bicentenaire. Une horreur suivie d’une exhibition d’armes de guerre sans doute pris à l’ « ennemi » pendant les combats. Mais, comme toujours, il n’y a aucune cohérence dans la gestion de ce fléau de la part des autorités. Trois jours après les déclarations flamboyantes des autorités judiciaires à l’encontre des bandits, en pleine gestion des premières victimes de Coronavirus, c’est le Premier ministre Jouthe Joseph qui a surpris tout le monde lors d’une conférence de presse le mercredi 15 avril 2020 au CIPC (Centre d’Information Permanente sur le Coronavirus).

Après avoir fait le point sur la situation et porté quelques corrections aux dires du chef de l’Etat à propos de la pandémie, le locataire de la Primature a soudain réchauffé la salle quand il a annoncé qu’il est en contact permanent avec … les chefs de gangs de Village-de-Dieu. Ceux-là mêmes qui ont, trois jours plus tôt, semé le deuil au centre-ville de Port-au-Prince. Selon Jouthe Joseph, il a eu de fréquentes conversations téléphoniques avec l’ensemble des gangs du pays. Calmement, le chef du gouvernement a annoncé que «Tous les bandits dans le pays m’ont appelé depuis que je suis Premier ministre. Je leur ai parlé. Je ne suis pas de connivence avec eux. Mais en tant que père de famille, en tant que Premier ministre d’un Président qui n’a rien à voir avec la violence, je ne peux perdre une seule vie dans le pays. Qu’il soit un bandit, qu’il soit un citoyen paisible. Je parle à tout le monde. »

C’est la consternation et la surprise pour tout le monde. Le Premier ministre fait part des doléances des gangs comme ceux de : 5 Segonn, Izo, de Village-de-Dieu, Cité Plus, etc. qui lui demandent d’enlever les séparateurs mis en place par la police pour contenir les déplacements meurtriers des ces bandits. Pour être crédible dans ses annonces, il a décroché son téléphone pour laisser entendre ses conversations douteuses avec des interlocuteurs qui devraient être sous les verrous pour assassinats, viols et autres méfaits : «Je suis le PM de tout le monde. Izo, 5 Secondes, Manno nous nous parlerons ce soir. Je vous ai déjà mis en contact avec le CNDDR pour remettre les armes. C’est à ce moment que je vais enlever les séparateurs qui vous donnent, selon ce que vous m’avez dit, beaucoup de problèmes. » Si le Premier Ministre se défend d’être complaisant avec les gangs « Nous ne sommes pas de connivence avec eux » dit-il, la proximité est pour le moins curieuse. En fait, personne ne sait depuis quand l’ancien ministre de l’Economie et des Finances est en relation avec ces gangs.

La hiérarchie policière était-elle au courant de ces contacts qu’entretient le Premier ministre avec les gangs ?

Depuis quand ces gens sont-ils devenus ses interlocuteurs, voire ses amis, dans la mesure où cela ne fait pas longtemps qu’il est devenu Premier ministre. En contradiction la plus flagrante avec son ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, Lucmane Dellile et son (Procureur) Commissaire du gouvernement, Me Jacques Lafontant qui, eux, veulent mettre hors d’état de nuire ceux qu’ils appellent des terroristes. Or, le Premier ministre, lui, ne se cache point de mener conversation en privée avec ces hors la loi selon lui dans l’intérêt général. On est presque perdu dans cette gestion de l’insécurité et de la violence dans ce pays. Alors que la police de tout le pays et des bataillons de la police spécialisée campent en permanence devant ces « No man’s land » surveillant la moindre fenêtre de tir pour abattre ou la moindre opportunité pour appréhender ces malfrats, le Président du Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN), donc le Premier ministre, lui, tient une liaison dangereuse constante et assidue avec ces délinquants recherchés par la justice. Alors, l’opinion publique ne comprend plus rien. Il y a de quoi faire perdre son latin même à ceux qui sont plus aux faits de la vie politique et de la gestion publique.

La hiérarchie policière était-elle au courant de ces contacts qu’entretient le Premier ministre avec les gangs et depuis quand ils sont en relation ? Ce genre de relation ambigüe entre autorités gouvernementales et bandits recherchés par les forces de l’ordre est qualifié par Pierre Espérance, le Directeur exécutif du RNDDH (Réseau National de Défense des Droits Humains) d’« Insécurité d’État. » On sait aussi que les autorités, entre autres le ministre de la Justice et de la Sécurité Publique avaient lancé un ultimatum de 72 heures à la population ou aux familles de Village-de-Dieu de quitter ce bidonville avant que les forces de l’ordre n’interviennent contre les bandits. Sauf que la réalité est là. Cela fait bientôt deux mois qu’a expiré cet ultimatum il n’y a jamais eu offensive contre personne et aucun chef de gang n’a été inquiété. D’ailleurs, le samedi 16 mai 2020 ce sont les gangs du bas Delmas qui ont fait parler d’eux. Les bandes armées de Delmas 2 et du quartier de Mayard se sont affrontés de manière violente et ont prolongé leur combat sanglant jusqu’à Delmas 4 et 6.

L’ancien policier Djimy Chérisier dit « Barbecue » devenu l’un des plus puissants chefs de gang à Port-au-Prince serait à l’origine de cette nouvelle attaque meurtrière qui a fait plusieurs blessées et au moins 4 morts. En tout cas, la confusion et les intérêts politiques dans ce fléau d’insécurité et de violence sur la population font très mauvais genre et empêcheraient certainement aux gouvernements en place et aux pouvoirs publics en général de voir le bout du tunnel. Et, comme on peut le constater, ce n’est pas la pandémie de la Covid-19 avec ses conséquences terribles sur la population qui empêche les gangs, les groupes armés et autres criminels de continuer leurs forfaits contre de paisibles citoyens.

(Fin)

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