Les calomnies contre la nation haïtienne relèvent d’une colonialité raciste induite

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Haïti, ni en tant qu'État ni en tant que peuple, ne nous a envahis avant, et encore moins maintenant. C'est un mensonge imposé depuis près de deux siècles par les classes dominantes dominicaines

Le texte qui suit fait honneur à la rigueur d’analyse, à l’honnêteté intellectuelle de l’auteur et à sa belle solidarité militante avec Haïti. Le peuple haïtien lui en sait gré. Toutefois, il y a été relevé une importante erreur, sans doute involontaire, qu’il a fallu souligner à l’attention du lectorat. En effet, Narciso Conde écrit que « … lorsqu’en 1804 les esclaves noirs de la partie occidentale de cette merveilleuse île, avec le soutien armé du Libérateur Simón Bolívar, ont proclamé la première indépendance de Notre Amérique, ils ont fondé la République d’Haïti ». Historiquement, ce n’est assurément pas correct. C’est plutôt l’inverse qui est arrivé. C’est Haïti qui a accordé une aide substantielle d’abord à Miranda (par Dessalines) ; ensuite, à deux reprises, à Bolívar** (par Pétion).

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L’île des Caraïbes habitée par les peuples haïtien et dominicain dans deux républiques prétendument « indépendantes », aux souverainetés largement fictives, a été à l’origine divisée par deux empires colonisateurs, l’espagnol et le français, après la conquête de ses territoires et l’extermination de ses peuples d’origine.

Cette division a été et est toujours maintenue dans la nouvelle ère néocoloniale sous la direction des États-Unis, y compris la période actuelle caractérisée par le déclin rapace et agressif du Colosse du Nord.

Les luttes pour l’indépendance et la libération des deux peuples sont très originales et peu connues au niveau continental et mondial, chargées d’épisodes héroïques, de victoires, de revers et de contradictions provoquées ; la plupart d’entre eux couverts par un manteau de mensonges, de demi-vérités et de distorsions de leur confluence et de leurs divergences.

Haïti a été la première à devenir une République indépendante (1804) dans la partie occidentale de l’île dominée par la France et à réaliser une émancipation sociale de courte durée et d’une valeur historique extraordinaire, ce que les puissances impérialistes occidentales n’ont jamais pardonné. Son peuple noir et asservi a été le premier à mener une révolution anticoloniale et anti-esclavagiste en Amérique à travers la défaite de l’empire français ; avec la vertu d’étendre cette conquête transcendante à toute l’île.

« Le processus qui a conduit à cette abolition – souligne l’historienne Quisqueya Lora H. – est d’une grande particularité car il a été directement promu par la République d’Haïti, qui à peine 18 ans auparavant était devenue la première république noire du monde, le résultat de la seule révolution esclavagiste triomphante. Alors que sur d’autres côtes américaines l’abolition fut un processus lent, fruit de négociations et d’accords entre esclavagistes et autorités, monarchistes ou républicaines, à Saint-Domingue ce fut un acte fulgurant à partir de l’unification de l’île sous Haïti en février 1822 ». (LA CONQUÊTE OUBLIÉE, Caribes 19 Numéro 3 • Août-Décembre 2020).

La révolution haïtienne et ses forces combattantes ont donc été déterminantes pour la libération de la partie orientale occupé par les Espagnols et l’abolition de l’esclavage dans toute l’île, un processus qui fut également de courte durée, car la formation d’une identité nationale

propre à l’est de l’île tendait à la séparer d’Haïti et à constituer une autre République indépendante, tandis que les forces impérialistes luttaient pour son annexion ou sa néo-colonisation, ainsi que pour étendre les formes de surexploitation, d’oppression, d’exclusion et de discrimination en vigueur de longue date…

La fondation de la République dominicaine (1844) et sa première indépendance mouvementée ont pris les caractéristiques de la séparation d’Haïti au milieu de luttes constantes contre les forces impériales espagnoles et l’impérialisme américain naissant qui cherchait à l’assujettir à nouveau ; d’abord contre l’annexion à l’Espagne une fois consommée et ensuite contre le néocolonialisme nord-américain, les deux options promues par le “côté traître et patricide”, comme l’a caractérisé notre héros Juan Pablo Duarte.

Dans la lutte pour la séparation d’Haïti – motivée en partie par les influences culturelles de deux puissances colonisatrices différentes, le développement de cultures différentes, de langues différentes, de croyances religieuses et de phénotypes humains relativement différenciés (l’un majoritairement noir et l’autre mulâtre) – les annexionnistes pro-espagnols se sont liés aux e indépendantistes, libéraux et radicaux.

L’annexion à l’Espagne n’a pas tardé à se produire, forçant une lutte héroïque pour la restauration de la République indépendante, qui au fil des ans a été considérablement démolie jusqu’à ce que notre pays devienne une néo-colonie des États-Unis.

Quelque chose de similaire s’est produit en Haïti, avec l’aide des États-Unis, de la France et du Canada, sous hégémonie américaine.

Bref, nous sommes devenus deux pays interpellés à plusieurs reprises par les États-Unis et drastiquement recolonisés, touchés par une séparation brutale empoisonnée par le racisme et le chauvinisme aberrant stimulés par la colonialité et ses agents politiques et sociaux.

L’idéologie pro-colonialiste, imprégnée de racisme, a perduré dans l’est de l’île au-delà de l’abolition officielle de l’esclavage, également entravée par la précarité des moyens d’existence des affranchis et le poids de la culture de la soumission et de la dépendance quant à leur façon de penser et de vivre ; et ce, malgré l’apport incommensurable de l’apport libertaire de la révolution haïtienne à la lutte pour l’égalité et l’unification de l’île avec un état basé fondamentalement sur l’alliance démocratique entre les noirs et les mulâtres.

Haïti : le faux envahisseur

Dans notre République dominicaine, le parti politique, la classe dirigeante, ses médias, ses intellectuels, ses fonctionnaires, son système éducatif, ses chefs militaires et policiers… ils passent leur temps à parler d’Haïti comme d’un pays « envahisseur » ; confondant migrer avec “envahir” ; ignorant au passage que si c’était l’aune pour mesurer un tel phénomène économique et social, nous, Dominicains, envahirions New York, Boston, Porto Rico, Madrid, dans l’espoir de conquérir l’Alaska.

L’ironie vaut comme une réponse au fait que chaque jour depuis le pouvoir constitué ils nous prêchent qu’un État qu’ils qualifient d’être « en faillite », sans armée, est intervenu, avec une police entraînée par les États-Unis et un peuple dramatiquement appauvri, continue de nous « envahir », libérant ainsi de toute culpabilité les puissances coloniales et l’impérialisme moderne qui ont écrasé leur souveraineté et la nôtre.

Les Caraïbes et l’île à l’envers. Le mensonge présenté dans un costume de vérité. Et comme il n’y a pas d’armes ni d’armée en jeu, ils ont réussi à inventer une « invasion pacifique » fictive par un peuple noir stigmatisé, cherchant à étouffer une souveraineté inexistante ; autrefois décimé par de véritables hordes coloniales et néocoloniales royales, chargées d’imposer la « suprématie blanche » au rythme d’interventions, esclavage et semi-esclavage, y compris l’esclavage salarié sous ses formes les plus cruelles, dans les deux parties de l’île.

Un mensonge spectaculaire et pervers, qui répété des millions de fois a réussi à tromper une partie importante de la société dominicaine, découle d’une autre invention calomnieuse au statut de voyou et au pouvoir polluant : la soi-disant « invasion haïtienne » de la République dominicaine, à une époque alors inexistante, en1822.

Une construction idéologique, née il y a 182 ans de la colonialité raciste, lorsqu’en 1804 les esclaves noirs de la partie occidentale de cette merveilleuse île, avec le soutien armé du Libérateur Simón Bolívar, ont proclamé la première indépendance de Notre Amérique, ils ont fondé la République d’Haïti, ont vaincu le joug français, aboli l’esclavage, cristallisé une révolution sociale anticoloniale et anti-esclavagiste, et décidé de contribuer à libérer les habitants de la partie orientale de l’île du colonialisme et de l’esclavage imposés par l’empire espagnol jusqu’à l’atteindre en 1822 après plus de 300 ans de colonialisme et d’esclavage.

On a appelé et on appelle encore “Invasion” un exploit libérateur, produit de l’exploit triomphant à l’ouest de l’île, qui proclama d’une seule traite dans sa partie orientale l’abolition de l’esclavage le 9 février 1822, après l’exploit qui consistait à vaincre l’occupation coloniale espagnole; et le surnom péjoratif perdure à ce jour, tellement, tellement… qu’avec le néo-colonialisme américain et le néolibéralisme privatisant, il nourrit le régime Abinader et toute la gestion institutionnelle du pays et de son système de partis qui dégage une embarrassante bouffée néo-fasciste.

Le mensonge et le silence ont prédominé sur la vérité historique.

Le mensonge prévalait, tandis que le poids hégémonique des élites pro-coloniales et pro-impérialistes imposait le silence et cachait, génération après génération, la valeur que représente l’épopée haïtienne commencée en 1804 et étendue à la lutte pour l’égalité et la vraie démocratie de toute l’île en 1822.

Haïti, ni en tant qu’État ni en tant que peuple, ne nous a envahis avant, et encore moins maintenant. C’est un mensonge imposé depuis près de deux siècles, qui a gravement affecté notre identité en tant que peuple noir et mulâtre.

La vengeance contre les Noirs qui ont donné cet exemple de rébellion et de création de liberté et d’égalité a été si cruelle qu’elle les a obligés à émigrer pieds nus avec leur misère sur le dos ; et même d’accepter, pour survivre, sur leur propre territoire dominicain, là où ils vivent,    de nouvelles formes de l’esclavage qu’auparavant ils s’étaient proposés d’abolir, lorsqu’ils avaient entamé dans Notre Amérique le chemin inachevé vers l’indépendance et la libération sociale.

Luis Abinader

En ce qui concerne la relation avec notre pays, qui est l’un des destinataires de leur dramatique processus migratoire, la réédition de ces modalités d’esclavage ou de semi-esclavage s’est étendue avec le recrutement de braceros (ouvriers) haïtiens pour la coupe de la canne à sucre, et elle s’étend jusqu’à aujourd’hui, sans contrat et non seulement dans l’industrie sucrière, mais aussi dans les plantations de café et de riz, ainsi que dans le secteur de la construction et dans de nombreuses variantes de l’économie informelle.

Le trafic d’êtres humains depuis Haïti se poursuit, désormais sans contrats intergouvernementaux, médiatisé par le commerce frontalier dirigé par des chefs militaires, des hommes d’affaires sans scrupules, des propriétaires terriens, des constructeurs et des politiciens corrompus ; débordant vers de multiples formes de survie imprégnées d’inhumanité.

L’exploitation, la surexploitation, le déni des droits de toutes sortes, les mauvais traitements, les persécutions et les abus policiers et militaires, l’inégalité de traitement… acquièrent le caractère de normes et coutumes dominantes ; des abus et des cruautés dont des centaines de milliers de leurs descendants nés ici ne sont pas exempts ; récemment condamnés à l’apatridie, à la condition d’immigrants sans papiers sans nationalité, par un arrêt de la Cour constitutionnelle qui refuse la nationalité et la citoyenneté dominicaine à tous ceux nés après 1929 (178-13) ; arrêt clairement inspiré de la législation et des coutumes racistes de l’époque coloniale et de l’oppression des esclaves.

Dans le même ordre d’idées – mais pas avec autant de méchanceté, de haine et de tels niveaux de discrimination – les formes semi-esclavagistes d’exploitation et d’abus de pouvoir, de discrimination – continuent d’être reproduites contre la population dominicaine noire et mulâtre, les femmes et les enfants.

Cela est particulièrement vrai pour une grande partie de la société qui vit dans des conditions d’extrême pauvreté et d’exclusion, démontrant ainsi les énormes dégâts engendrés par le recyclage – aidés par la dissimulation de la valeur des luttes historiques, la culture de l’inégalité et le déni des droits et des besoins de l’homme, et par une idéologie raciste et patriarcale – supposée, assumée et internalisée par les acteurs économiques et sociaux, des formations socio-économiques imprégnées de déshumanisation et basées fondamentalement sur le profit et l’accumulation de richesses, comme c’est le cas dans le capitalisme.

Je conclus en attirant l’attention sur ce paragraphe de l’article de Quisqueya Lora H.*** -cité ci-dessus- nous sommant de redécouvrir notre passé d’esclave et de reconnaître l’immense valeur de cette conquête cachée :

« Le racisme constitue l’un des héritages les plus durables du colonialisme. La République dominicaine doit redécouvrir son passé d’esclave, comprendre ce que cela signifiait, la richesse de ce passé, mais aussi le fardeau qu’il nous a laissé. Se souvenir et célébrer que le 9 février 1822, l’esclavage et les distinctions officielles fondées sur la couleur de la peau ont été abolis d’un seul coup, pourrait être un début. Cet événement transcendantal, peut-être la dernière conquête de la Révolution haïtienne, nous invite à prendre conscience des nombreuses manières dont les hommes et les femmes dominicains ont lutté pour leur liberté, leurs droits et leur identité ». (Ouvrage cit. LA CONQUÊTE OUBL

C’est la meilleure façon de comprendre pleinement notre présent et de forger un avenir de bonheur et de fraternité entre les deux peuples, qui, même accablés par de multiples épreuves et souffrances, aiment et font preuve de joie, vainquant, comme dirait Hugo Tolentino Dipp dans son LUPERÓN, « pas à pas et douleur par douleur », la tristesse que tentent de leur imposer leurs bourreaux.

Notes

*Narciso Isa Conde. Militant politique marxiste, leader et essayiste dominicain.

**Cf. Haití y la gloria de Bolívar, Jorge Mier Hoffman. In Pregón bolivariano.

***Dr. Quisquya Lora H. Grande spécialiste de l’abolition de l’esclavage en République dominicaine.

Apporea 20 février 2022

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