Les Bahamas, là où tout s’est joué !

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La rencontre à Nassau, dans les Bahamas des chefs d’Etat et de gouvernement de la Caribbean Community (CARICOM) avec la participation du Président de la République dominicaine, Luis Abinader, et surtout de Kamala Harris, le N° 2 de la Maison Blanche.

Si deux ans après l’assassinat du Président Jovenel Moïse, les acteurs y compris la Communauté internationale sont toujours à la recherche d’une sortie de crise, le moins que l’on puisse dire, le cas Haïti suscite encore un certain intérêt tout au moins de la curiosité pour la plupart des Etats de la région. Le mois de juin  2023 a été sans conteste, le mois où ce pays s’était retrouvé au centre des débats dans différents Forums ou Sommets à la recherche de solutions. De l’ONU à l’OEA en passant par la CARICOM, la crise haïtienne était dans toutes les sauces toujours avec une seule interrogation : comment mettre fin à la Transition qui perdure sans aucune perspective de fin ? Mais, il n’y a pas que les institutions internationales ou régionales qui donnent l’impression de s’intéresser à ce qui se passe à Port-au-Prince où un Premier ministre de facto, Ariel Henry, dit « Roi Henry », totalement dépassé par les évènements tente de convaincre ses adversaires politiques de le rejoindre dans une aventure qui paraît sans  lendemain.

Quelques semaines auparavant, un mouvement populaire dit « Opération Bwa Kale » s’était déclenché contre l’insécurité par la population de la capitale afin de pousser les autorités de la Transition à faire le nécessaire contre les groupes armés qui sèment la terreur dans la région métropolitaine. L’écho du mouvement citoyen et populaire étant arrivé jusqu’aux oreilles des « amis » d’Haïti à l’ONU à New-York et à l’OEA à Washington, les avait poussés à réagir sur le phénomène. Outre les déclarations condamnant les actes commis par la population sur les gangs, la Communauté internationale était contrainte de réagir en proposant des rencontres çà et là avec les acteurs haïtiens dans l’espoir qu’ils trouvent un consensus pour mettre fin à la crise politique qui favorise ce genre de débordement qu’il s’agisse de l’agissement dans les gangs au sein de la société ou de la réponse que semblent apporter les citoyens compte tenu de l’impuissance des autorités à établir un climat de paix et de sérénité dans le pays.

Tout d’abord, certains acteurs politiques haïtiens et de la Société civile étaient convoqués à Washington, si l’on peut le dire, pour faire un compte-rendu détaillé et précis sur la situation sociopolitique des derniers mois. Au Département d’Etat (Affaire Etrangères) et à la Maison Blanche, les Haïtiens – Magali Comeau Denis (Accord Montana) et Pierre Esperance (RNDDH) – ont démontré une situation critique et laissaient entendre que le pays était au bord de la guerre civile avec cette « Opération Bwa Kale » s’il n’y a aucune intervention de la Communauté internationale ou si elle n’assume pas ses responsabilités. En clair, soit elle chasse Ariel Henry et ses alliés du pouvoir, soit elle contraint celui-ci et ses amis à faire un partage équitable du pouvoir, en acceptant un Exécutif bicéphale. Le gouvernement, pour sa part, dont la longévité ne dépend que de la bonne volonté de Washington, était encouragé à poursuivre sa quête auprès des partenaires des Etats-Unis, entre autres, les petits Etats des Caraïbes, pour l’envoi de cette fameuse force militaire internationale qu’il a sollicité depuis le mois d’octobre 2022.

Mme Maria Isabel Salvador, cheffe du Bureau Intégré des Nations-Unies en Haïti (BINUH)

De l’ONU à l’OEA, le Chancelier haïtien, Jean Victor Généus, fait un prosélytisme sans précédent afin de forcer la main à ces institutions de monter cette opération militaire que le gouvernement espère tant et ce, quel que soit le pays qui en prendra le leadership puisque  Washington et Ottawa refusent d’assumer cette responsabilité. D’où diverses déclarations de soutien qu’on a pu observer au cours du début du mois de juin de la part de la Représentante du Secrétaire général de l’ONU en Haïti, Mme Maria Isabel Salvador, qui est aussi cheffe du Bureau Intégré des Nations-Unies en Haïti (BINUH) qui croit que Ariel Henry est un moindre mal dans la mesure où il a été nommé par le feu Président Jovenel Moïse quelques heures avant son assassinat et que, en face de lui, les oppositions ne représentent pas un front uni sur la Transition. Dans cette situation confuse, deux Forums régionaux ayant eu lieu à une semaine d’intervalle dans les Antilles l’ont été expressément sur Haïti.

Sauf que, celui de Kingston, pour des raisons de lourde publicité médiatique, a quasiment éclipsé celui organisé les 8 et 9 juin 2023 à Nassau, dans les Bahamas en présence, pourtant, de la Vice-Présidente des Etats-Unis, Kamala Harris, ce qui est une première d’ailleurs. Si le Sommet de la CARICOM à la Jamaïque, sur lequel nous reviendrons bien sûr dans les chroniques suivantes, a eu autant de succès en Haïti sur le plan médiatique, il s’explique tout simplement par la participation de la quasi-totalité de la classe politique et de la Société civile du pays. Or, la rencontre des chefs d’Etat et de gouvernement de la Caribbean Community (CARICOM) avec la participation du Président de la République dominicaine, Luis Abinader, et surtout de Kamala Harris, le N° 2 de la Maison Blanche, qui a précédé celle de la Jamaïque revêt une importance de tout premier ordre. Et pour cause. C’est de cette rencontre que dépend en grande partie la survie économique et diplomatique du gouvernement de la Transition. Et c’est de là que Kamala Harris comptait convaincre les chefs d’Etat et de gouvernement antillais à suivre Washington et Ottawa dans l’aventure militaire qu’ils préparent en commun pour Haïti.

D’ailleurs, ce qu’on pouvait comprendre facilement vu l’empressement du locataire de la Primature de s’y rendre alors qu’il hésitait, contraint même par ses Tuteurs de faire le voyage de Kingston pour aller rencontrer les autres leaders haïtiens. Comme l’a souligné fort bien l’ex-sénateur et chef du parti LAPEH, Jean Hector Anacacis, le jeudi 8 juin 2023 sur les antennes de la radio Magik9 : « Ariel Henry a tout fait pour boycotter le Sommet de la Jamaïque. Une campagne de propagande a été enclenchée sur les réseaux sociaux pour déconseiller aux acteurs de s’y rendre. Ariel Henry et ses alliés avaient des appréhensions sur l’initiative. Le PM avait envisagé de passer quelques heures au Sommet avant de s’envoler vers la Suisse. Quelqu’un du Département d’Etat américain lui a clairement fait savoir que, ce faisant, il risquait de rester en Suisse, c’est-à-dire en exil, sans pouvoir revenir en Haïti. On l’a obligé à assister au Sommet durant les 3 jours », a confirmé l’ancien parlementaire.

En effet, toutes les vraies décisions qui pourraient favoriser une intervention militaire en Haïti résidaient à ce Sommet des Bahamas où la Maison Blanche entendait convaincre ses amis de la CARICOM qui ont toujours été fort réticents à l’envoi en Haïti d’une force militaire internationale. En envoyant la Vice-Présidente Kamala Harris assister en personne à cette rencontre à Nassau, la Maison Blanche voulait envoyer un message fort et clair à ses partenaires et aux homologues d’Haïti à la CARICOM qui continuent de faire obstacle à l’intervention étrangère en Haïti. Lors de ce Forum à Nassau, les Etats-Unis ont joué deux cartes, à l’intention des Haïtiens. En premier lieu, celle économique qui consiste à faire miroiter l’arrivée de près de 54 millions de dollars supplémentaires à Port-au-Prince par l’entremise de son agence USAID, chargée de gérer cette somme à travers des projets humanitaires. Dans un communiqué, Kamala Harris a laissé entendre que « Les États-Unis, par l’intermédiaire de l’Agence Américaine pour le Développement International (USAID), fournissent 53,7 millions de dollars supplémentaires au peuple haïtien en réponse à la crise humanitaire du pays. 

Ce nouveau financement permettra aux Haïtiens vulnérables de bénéficier d’un soutien urgent, notamment d’une aide alimentaire vitale et d’autres formes d’assistance humanitaire, alors que 4,9 millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë. En outre, ces fonds permettront de prendre en charge les survivants de violences sexistes et d’assurer l’accès à l’eau potable et aux soins de santé.  L’USAID a également l’intention de fournir 10,5 millions de dollars supplémentaires en aide au développement pour renforcer la résilience et la productivité dans les secteurs de l’agriculture et de l’élevage en Haïti. L’Administration soutient fermement l’extension du programme de préférences commerciales HOPE/HELP pour Haïti. En cette période critique, il est important que les producteurs et les investisseurs en Haïti, ceux avec qui ils font des affaires, et les travailleurs dont ils dépendent aient la certitude de la poursuite ininterrompue du programme HOPE/HELP.» 

L’ex-sénateur et chef du parti LAPEH, Jean Hector Anacacis

Et en second lieu, les Américains voulaient démontrer aux acteurs haïtiens et à ses autres partenaires que l’intervention  militaire en Haïti se fera d’une façon ou une autre, avec ou sans leur participation quitte à aller chercher des militaires en Afrique, comme le Rwanda du Président Paul Kagame l’a confirmé. Sous couvert d’augmentation de l’aide américaine dans les Caraïbes en général pour combattre le trafic des armes à feu, Kamala Harris, habilement, est revenue sur la problématique sur laquelle l’Administration  Baden/Harris ne cesse de se casser les dents. D’après la Vice-Présidente des USA, son Administration soutient l’« Unité d’enquête sur la criminalité transnationale en Haïti (TCIU) dans le cadre d’efforts globaux au sein de la région des Caraïbes dont la sécurité est mise en danger par des armes provenant des USA. Le Département d’État soutiendra la collaboration du HSI (Homeland Security Investigations) avec la Police nationale d’Haïti (PNH) pour développer une TCIU, afin de faciliter les enquêtes et les poursuites des crimes transnationaux, y compris ceux qui ont un lien avec les États-Unis. 

La TCIU se concentrera sur des crimes tels que la contrebande d’armes à feu et de munitions, le trafic d’êtres humains et les activités des gangs transnationaux » (…) Cette déclaration a été faite après sa rencontre avec le Premier ministre Ariel Henry qui, une fois de retour à Port-au-Prince le vendredi 9 juin, a fièrement annoncé qu’il a réitéré auprès de la Communauté internationale sa demande de l’envoi d’une force armée spécialisée en Haïti. En Conférence de presse depuis l’aéroport Toussaint Louverture, le chef du pouvoir de la Transition a informé qu’« Avec l’aval du gouvernement, du Haut Conseil de la Transition et après concertation avec certains partenaires, j’ai adressé une correspondance au Secrétaire général des Nations Unies pour réitérer notre demande produite en octobre dernier ».

De quoi s’agit-il ? Il s’agit tout simplement de cette fameuse lettre datant du mois d’octobre  portant sur la Résolution prise en Conseil des ministres l’autorisant à « Solliciter et obtenir des partenaires Internationaux d’Haïti un support effectif, par le déploiement immédiat d’une force armée spécialisée, en quantité suffisante, pour stopper, sur toute l’étendue du territoire, la crise humanitaire causée entre autres, par l’insécurité résultant des actions criminelles des gangs armés et de leurs commanditaires. » Est-ce vraiment un hasard que ce soit de retour de sa rencontre avec la Vice-Présidente des Etats-Unis que l’occupant de la Villa d’Accueil revient sur un dossier dont on ne parlait pratiquement plus en Haïti ? Pas vraiment. A part un vieux routier de la politique haïtienne et aussi ancien Sénateur de la République, Jean Hector Anacacis, personne d’autre au sein de la classe politique n’a relevé cette coïncidence troublante. Selon cet ancien parlementaire qui en connaît un rayon par son expérience d’ancien Conseiller écouté du feu Président René Préval, « La rencontre du Premier ministre, Ariel Henry, avec la Vice-Présidente des Etats-Unis, Kamala Harris, n’est pas anodine. Le timing de l’annonce par madame Harris d’une force spéciale contre le trafic des armes, en amont du Sommet de la Jamaïque, est aussi à prendre en considération. Malheureusement, les acteurs manquent de souplesse et de stratégie politique, et n’ont pas pu déceler cette priorité de madame Harris. Cette question n’a même pas été mise sur la table. 

Le déploiement d’une Mission internationale de sécurité en Haïti est l’unique objectif de l’international, notamment les États-Unis. Je peux vous assurer qu’avec ou sans l’approbation des acteurs haïtiens, cette force viendra quand même en Haïti. Pour ce faire, il est probable qu’on provoque le chaos, qu’on s’attaque à des ambassades ou à des étrangers, afin de justifier la nécessité de l’envoi d’une telle force » prévient Anacacis. La rencontre des chefs d’Etats et de gouvernement de la CARICOM aux Bahamas quelques jours avant le grand rassemblement sous la présidence de trois anciens Premier ministres de la CARICOM : Kenny Anthony, Perry Christie et Bruce Golding, respectivement de Sainte-Lucie, des Bahamas et de la Jamaïque et cette fois-ci avec tous les antagonistes du dossier de la crise haïtienne a été plus conséquente en matière de décisions et de menaces pour la souveraineté haïtienne.

En Jamaïque, les organisateurs n’étaient pas ceux que l’on croyait. Si la CARICOM était bien celui sur qui les projecteurs étaient fixés, les vrais organisateurs que sont en réalité les Etats-Unis d’Amérique et le Canada qui ont participé aux débats pour la forme, en fin de compte, ne s’attendaient pas à grand-chose. Ces deux pays leaders dans le dossier haïtien voulaient juste tenter un dernier coup de poker avec l’ensemble des acteurs et entités parties prenantes de la crise et de la Transition. Ils entendaient forcer, sans grand espoir d’ailleurs, les uns à rejoindre la position des autres sur un hypothétique Accord commun sans grand intérêt pour Washington qui a déjà, en réalité, fait son opinion sur la façon dont cette Transition va se terminer. En conclusion, c’est aux Bahamas que tout s’est joué, la Jamaïque n’était qu’un grand show room juste pour distraire l’opinion publique.

 

C.C

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