L’énigme du Comité de médiation

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Helen La Lime Représentante du Secrétaire général de l’ONU en Haïti, cheffe du BINUH (Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti) et leader du Core Group

En Haïti, s’agissant de la politique, tout est cafouillage, non-dit, suspicion, enfin mystère. Depuis quelques temps, que ce soit en Haïti ou dans la diaspora, on entend ça et là parler d’un Comité de médiation qui serait à pied d’œuvre en vue de ramener les protagonistes de la Transition et de tous les Accords en circulation à la table de négociation. Aux Etats-Unis d’Amérique, tout particulièrement à Washington, c’est l’ambassadeur d’Haïti dans ce pays, Bocchit Edmond, qui envoie des courriers au Congrès américain annonçant fièrement qu’en Haïti il a été mis en place une Commission de médiation en sous-entendant que cette initiative est l’œuvre de son gouvernement. Sauf qu’à Port-au-Prince, les journalistes et observateurs politiques ont ou avaient le plus grand mal à identifier ces médiateurs. Dans les médias de la capitale, pas un jour sans qu’il n’y ait un responsable politique intervenant à titre « d’invité du jour » venir dire ce qu’il pense de cette Commission qu’on ne connaît que de nom.

Il aura fallu que l’affaire prenne une tournure mélodramatique pour qu’enfin les membres dudit Comité s’expriment publiquement, tout au moins, sortent de leur silence. Mais quel mystère ! Quelle affaire aurait dit le feu Me Constant D. Pongnon ! Pourquoi toute cette prudence, cette cachotterie et des fuites en avant sur un sujet concernant la vie de millions d’haïtiens ? Dans la mesure où ce Comité de médiateur, si comité il y a, ne va pas travailler pour lui-même mais pour l’ensemble de la population s’agissant de trouver une issue à une crise politique dans une Transition sans véritable agenda et surtout sans un vrai leader. Après que plusieurs acteurs politiques aient pu s’exprimer, donner leur avis, leur position personnelle ou la position de leurs partis sur ce qui constitue une énième Commission de sortie de crise, on a fini par comprendre qu’on n’est pas près de sortir du tunnel dans lequel la classe politique de ce pays nous enferme.

Mgr Ogé Beauvoir de Religions Pour la Paix-Haïti

Après avoir lu la note émise par le trio composant le Comité de médiation, on est en droit de se demander si ce Comité a été formé de manière consensuelle. C’est-à-dire, avec  l’accord de l’ensemble des protagonistes de la Transition de rupture et tous les principaux acteurs de la Société civile. C’est bien de cela dont il est question. Certains, d’ailleurs, commencent même à se demander si tout cela est sérieux. Selon la note signée de Mgr Ogé Beauvoir de Religions Pour la Paix-Haïti, de Laurent St Cyr du Secteur privé, Président de la Chambre du Commerce et d’Industrie d’Haïti (CCIH) et du Pr Jean-Robert Charles, Président de la Conférence des Recteurs, Présidents et Dirigeants d’universités et d’institutions d’enseignement supérieur haïtiennes (CORPUHA), ils ont été choisis ou désignés par différentes entités sociopolitiques afin de conduire une médiation. Cette louable mission leur aurait été confiée après une rencontre chargée de succès organisée par madame Helen La Lime qui n’est autre que la Représentante du Secrétaire général de l’ONU en Haïti, et surtout cheffe du BINUH (Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti) et leader du Core Group, sorte de Cartel d’ambassadeurs à Port-au-Prince.

On a constaté que cette note n’a pas été signée par les institutions dont relèvent ces trois personnalités. Or, en général, ce sont les organismes qui signent les communiqués annonçant que telle ou telle personnalité a été désignée pour être sa représentante au sein d’un Comité ou d’une institution quelconque. Tel n’est pas le cas cette fois. Est-ce un oubli, de la négligence ou ces trois médiateurs ont-ils été désignés à titre personnel comme cela arrive très souvent en Haïti ? Certes, les trois institutions n’ont pas démenti ni désavoué la présence de ces trois personnes au sein de ce Comité. Mais, tout le monde a vu et entendu comment ce procédé a suscité beaucoup de commentaires de la part de monsieur tout le monde et des responsables politiques. Cela soulève surtout beaucoup d’inquiétudes auprès de certains ne comprenant pas pourquoi ce ne sont pas les institutions auxquelles appartiennent ces personnes qui communiquent sur la présence et la mission de leurs membres.

Cette absence de clarté a semé des suspicions et entache même la crédibilité de la mission que ces personnes sont censés remplir. Pour l’heure, si les trois médiateurs disent avoir rencontré beaucoup de monde, des acteurs politiques, avant de sortir leur premier communiqué annonçant leur mission, cela a quand même soulevé un début de polémique non pas sur les personnalités elles-mêmes, mais sur la manière dont cela s’est passé. D’après plusieurs leaders politiques : Himmler Rébu de GREH, Abel Descollines de CADOA (Collectif des anciens députés et alliés), Marie Denise Claude du Protocole d’Entente Nationale (PEN) etc, interrogés par Marie-Lucie Bonhomme Opont sur radio Vision 2000 au cours du mois d’avril à l’émission « Invité du jour », tous ont déploré et mis en cause la façon dont ces trois personnalités ont été choisies. Selon eux, le Premier ministre a.i, Ariel Henry, et ses amis veulent les mettre devant le fait accompli. D’une part, en faisant publier par son ambassadeur à Washington des notes annonçant qu’il a constitué une Commission de médiation alors même que la question était encore sur la table et loin d’être réglée.

Laurent St Cyr du Secteur privé, Président de la Chambre du Commerce et d’Industrie d’Haïti (CCIH)

D’autre part, leurs organisations respectives n’ont jamais donné le feu vert pour ces personnes dans la mesure où les discussions n’étaient pas arrêtées. D’après eux, le processus de mettre en place une Commission de médiation était, certes, en cours, mais jamais ils n’ont donné leur accord définitif sur le nombre de personnes devant constituer cette Commission. Ils insistent pour dire que ce n’est point ces personnalités qui posent problème, mais bien la modalité de désignation qui est en question. Trois, cinq ou sept membres, cela n’avait pas été tranché.  D’ailleurs, se demande le patron du GREH, qui les a choisis, sur quelle base et quelle est leur mission exacte ? Surtout, certains ne savaient pas que l’un des médiateurs désignés, Jean-Robert Charles, est un ami personnel du Premier ministre. Les deux hommes se connaissent depuis des lustres. Ils pratiquent la même religion. Ce sont des Adventistes du 7e jour, et fréquentent le même Temple tous les samedis. Pour le colonel Himmler Rebu, le processus était vicié dès le départ avec de tels procédés. Selon lui, un médiateur doit être quelqu’un dont la neutralité est au-dessus de tout soupçon.

Or, dans le cas du Président de la CORPUHA, Jean-Robert Charles, tel n’est pas le cas. Il craint que le frère Jean-Robert n’aille raconter tous les soirs les déroulés des discussions à son frère en Christ, Ariel. Du coup, le colonel qui intervenait le lundi 2 mai 2022 sur radio Vison 2000 crie au scandale et croit que ce Comité de médiation n’ira nulle part, en tout cas, selon lui, cela ne donnera rien qui puisse débloquer la crise. C’est une perte de temps, d’après le dirigeant de GREH, membre de PEN et très remonté contre le Premier ministre qui essaie de gagner du temps d’après lui. Par ailleurs, divers acteurs prennent le contrepied de la note stipulant que : « Le Comité de médiation, constitué de Religions pour la paix-Haïti, de la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Haïti (CCIH) et de la Conférence des Recteurs, Présidents et Dirigeants des universités et institutions d’enseignement supérieur haïtiennes (CORPUHA), suite à des pourparlers avec des représentants de partis politiques de différentes sensibilités et du gouvernement, informe la Communauté nationale et internationale qu’un processus de médiation est en cours, depuis le jeudi 28 avril 2022.

Des rencontres ont déjà eu lieu avec de nombreux partis et regroupements politiques, en présence de représentants d’organisations de la Société civile, de plusieurs départements géographiques, jouant le rôle d’observateurs. Jusqu’ici, nous avons constaté que cette démarche répond à un réel besoin de dialogue et de concertation, à un désir d’entente et de dépassement, en vue de sortir le pays de cette crise politique qui a trop longtemps duré et de cette violence aveugle qui terrorise la population et menace l’existence même de la nation haïtienne. Nous invitons tous les secteurs de la vie nationale à appuyer ce processus de dialogue, essentiel à l’établissement d’un climat de sécurité et d’apaisement au sein de la population et au développement économique et social du pays. » Cette fameuse note signée des trois membres du Comité, Mgr Ogé Beauvoir, Laurent St Cyr et Jean Robert Charles vient de semer davantage la confusion.

Pr Jean-Robert Charles, Président de la Conférence des Recteurs, Présidents et Dirigeants d’universités et d’institutions d’enseignement supérieur haïtiennes (CORPUHA)

Puisque, d’après certains participants, ce n’est pas tout à fait la vérité. D’après eux, la rencontre dont ont fait mention les trois signataires, c’est une idée de madame Helen La Lime qui tentait un ultime coup de poker afin d’aider Ariel Henry à débloquer la situation. Selon plusieurs témoins à la réunion de la cheffe du Core Group, à aucun moment les participants  n’avaient déclaré qu’ils étaient présents au nom de leurs Accords respectifs ou de leurs organisations sociopolitiques. Tous disaient qu’ils y participaient à titre personnel. Mais, selon ces témoins, il y avait beaucoup de monde y compris Jean-Robert Charles, Laurent St Cyr et pasteur Clément Joseph. C’est de là, disent-ils, que vient l’idée de Commission de médiation. Ils confirment aussi que l’initiative ne vient pas nécessairement d’Ariel Henry.

Ce jour-là, outre ces trois membres des organisations : Religions Pour la Paix-Haïti, CORPUHA et CCIH qui ont donné naissance à ce Comité de médiateur dont certains disent qu’il est mort-né et qu’il finira comme les mille et une autres Commissions du même genre, étaient présents chez madame Helen La Lime : Liné Balthazar de PHTK, signataire de l’Accord du 11 septembre ; Josué Pierre-Louis, Secrétaire général du Palais national ; Marie Denise Claude et Antoine Odon Bien-Aimé, signataires du Consensus politique PEN-Montana. La présence aussi d’autres anciens parlementaires et autres Secteurs de la Société civile est à signaler comme l’ancien sénateur Jean Renel Sénatus ; l’ancien député Jerry Tardieu, Président du parti En Avant ; Magalie Georges, signataire de l’Accord de Montana et le syndicaliste Me Bonal Fatal. Comme on peut le constater, il y avait tout et son contraire à cette rencontre. Donc, ce n’est pas étonnant qu’il y ait autant de mésentente, désistement, retournement, jubilation et à la fin cacophonie.

D’où ce Comité de médiateur qui est là et bien là mais que personne ne veut assumer qu’elle a contribué à son existence et accepté sa présence. Pourtant, dans un communiqué de presse en date du 28 avril 2022, les dirigeants de l’organisation politique SOLID (Solidarite pou Demokrasi ak Developman) ont dit : « nous avons appris qu’une équipe de médiateurs constituée de Mgr Ogé Beauvoir, M. St-Cyr Laurent (Président de la Chambre de Commerce de l’Ouest) et Dr Jean-Robert Charles s’est entretenue le 28 avril 2022 avec Dr Evallière Beauplan, Dr Kelly C. Bastien, Dr Ernso Casimir, Dr Frantz Toyo, M. Wilkenson Bruna, Prof. Juste Jean Henri Charles et M. Lydent Garnier. Tenant compte des récentes expériences, les responsables de SOLID exigent, dans le cadre de ce dialogue, un document interdisant les protagonistes de laisser la table de discussion sans parvenir à une entente. SOLID encourage les acteurs à répondre positivement à l’invitation et à participer activement aux pourparlers en vue d’enrayer une fois pour toute cette insécurité caractérisée par les cas d’enlèvement à répétition qui prévalent sur le territoire. Les dirigeants de SOLID se disent convaincus que le dialogue demeure la seule issue ». Bref, le même Cirque continue pendant que le pays aussi continue à se désagréger.

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