D’abord, il faut préciser qu’il est impossible de comprendre le kidnapping/coup d’Etat du 29 février 2004 sans remonter aux origines de la formation sociale haïtienne issue du système esclavagiste mis en place par l’occident, et de la contradiction sociale née de la révolution haïtienne qui a mis fin à ce système. Car l’assassinat du principal leader de la révolution haïtienne, Jean Jacques Dessalines, père fondateur de la nation, a été le triomphe d’une contre-révolution.
En effet, une fois la révolution de 1804 réalisée, cette contradiction était clairement exprimée en fonction de cette réalité historique suivante : Dessalines voulait l’appropriation collective des terres via l’Etat, afin de les exploiter dans le cadre de la grande propriété collective pour produire des richesses au profit de tous, car la terre à l’époque était la principale source de richesse. Malheureusement, cette vision sociale émancipatrice était contraire à l’agenda de la fraction mulâtre de l’oligarchie haïtienne. Par conséquent, ils ont tué Dessalines et transformer l’Etat haïtien en un instrument de guerre contre les masses, en l’utilisant pour distribuer des terres sous formes de ‘’grands dons’’ à une petite minorité rapace et aux grands généraux, ensuite élaborer un code rural criminel, rappelant les conditions de travail du temps de l’esclavage, forçant les paysans à travailler dans le cadre d’un système de métayage basé sur ‘’de mwatye’’. Et les propriétaires, souvent absentéistes, ne se sont fait aucune exigence d’accompagnement technique et financier à l’égard de ces paysans dont ils exploitent leurs forces de travail.
Ce système de pillage, n’ayant aucun souci pour le développement de l’économie nationale, a été initié et maintenu par les chefs d’Etat contre-révolutionnaires Alexandre Pétion et Jean Pierre Boyer, entretenu par ses successeurs, renforcé et consolidé par l’occupation américaine d’Haïti datant depuis plus d’un siècle.
les masses rurales sont dans une situation de lutte permanente face aux ennemis historiques du pays
Mais le peuple haïtien, se trouvant confronté à ce système inhumain, n’a jamais cessé de se battre aux côtés de leurs avant-gardes, attachées à l’idéal révolutionnaire du père de la nation. Ainsi, les masses rurales sont dans une situation de lutte permanente face aux ennemis historiques du pays. Cela se manifeste à plusieurs phases de l’histoire nationale : le mouvement de la commune de Grand-anse avec Jean Baptiste Goman (après l’assassinat de Dessalines), le mouvement des piquets avec Jean Jacques Acaau (crise de 1843), le mouvement des cacos avec Charlemagne Péralte et Benoit Batraville (lutte armée contre l’occupation américaine), et tant d’autres encore, jusqu’au mouvement lavalas.
Et à chaque phase de révoltes populaires contre ce système de pillage, l’État haïtien transformé en un outil de guerre contre les masses depuis l’assassinat de Dessalines, utilise toujours la répression sauvage. Par exemple, Acaau, Charlemagne Péralte et Benoit Batraville ont tous été assassinés dans des moments de répressions sanglantes et massives. Et à chaque tentative de changement visant à une transformation de l’Etat au profit de l’intérêt général, on court le risque d’être victime d’un coup d’État. Voilà le contexte socio-historique dans lequel le mouvement lavalas a pris naissance. Ainsi, parler du kidnapping/coup d’Etat du 29 février 2004, c’est se trouver dans cette dynamique historique. Car le mouvement lavalas est l’actualisation politique des revendications populaires qui ont été formulées après l’assassinat de Dessalines. C’est ce qui explique d’ailleurs, l’acharnement de l’impérialisme raciste de l’occident, de l’oligarchie économique, des médias dominants et de certaines franges de la petite bourgeoisie réactionnaire contre le mouvement lavalas.
Car, eux, ils voulaient un régime duvaliériste sans Duvalier, avec une apparence démocratique et une rhétorique de la modernité pour camoufler le caractère répressif, sauvage, d’exclusion et d’exploitation criminelle du système social haïtien. Alors que Jean Bertrand Aristide se mettait à l’écoute du peuple, de ses revendications socio-économiques remettant en question la base matérielle de la structure sociale inégalitaire du pays.
Résultat : à chaque fois que le mouvement lavalas triomphe à travers les urnes et pose les bases que cela nécessite pour transformer l’Etat en un outil de changement social, les forces rétrogrades du pays, avec le soutien des puissances occidentales, lui ont donné un coup d’Etat avec la complicité des Etats Unis par le biais des Nation-Unis.
Ainsi l’ONU a imposé à la république l’accord de siège Nation-Unis-Haïti permettant la présence illégale des casques bleus de la MINUSTAH sur le sol Haïtien, à la suite du coup d’État du 29 février 2004 donnant lieu au kidnapping du président démocratiquement élu à l’époque, Jean Bertrand Aristide, leader du mouvement lavalas. Et les Nations-Unis, outre le fait de profiter de ce coup d’État pour renforcer sa mainmise sur Haïti, tout en occasionnant le démantèlement du processus démocratique qui était en cours, ont introduit dans le pays une épidémie mortelle qui a augmenté terriblement la misère du peuple Haïtien, dans le contexte du tremblement de terre dévastateur du 12 janvier 2010.
Certaines personnes connues comme étant des progressistes, peut-être par manque de clairvoyance politique, ont été manipulées. Malheureusement c’est aujourd’hui qu’elles s’en sont rendu compte. Car, elles ont maintenant le regret de constater que les prétendus dénonciateurs d’hier restent inconditionnellement attachés au régime PHTK, malgré un taux d’inflation de 23.4% ; l’instabilité monétaire ; plus de 70% de la population active sont au chômage ; l’insécurité alimentaire s’abat sur plus de 4 millions de nos compatriotes ; certaines écoles restent fermées à cause des violences liées à une insécurité d’Etat caractérisée par le kidnapping contre rançon ; les hôpitaux publics sont privés de tout ; environ 500 000 armes à feu illégales sont en circulation et des ventes de munition sans contrôle étatique ; la corruption et le détournement des fonds publics ; le démantèlement des institutions démocratiques ; des dirigeants illégitimes issus d’élections frauduleuses sont contestés massivement par le peuple ; des répressions politiques caractérisées notamment par le massacre contre les civils des quartiers populaires ayant des opinions politiques différentes de celle du régime de facto PHTK; l’impunité, l’instrumentalisation et la vassalisation de la justice ; Jovenel Moise fait une instrumentalisation politique de la Police Nationale d’Haïti (PNH) pour se maintenir au pouvoir, alors que son mandat constitutionnel est expiré depuis le 7 février 2021, selon l’article 134-2 de la Constitution ; la gouvernance par décret de Jovenel Moise et la création de l’Agence Nationale d’Intelligence (ANI) pour espionner et persécuter ses adversaires politiques ; et surtout la volonté criminelle de Jovenel Moise de changer la constitution haïtienne, alors que la constitution interdit le referendum.
Bref, en dépit du fait que ces indicateurs macro-économiques, politiques et sociaux montrent la décomposition de la société haïtienne, les Etats-Unis, les Nations-Unies, l’oligarchie économique et certains médias qui ont réalisé le coup d’État de 2004, sous prétexte qu’il y a eu des dérives, continuent de supporter le pouvoir de facto corrompu, obscurantiste, sanguinaire et antinational de Jovenel Moïse qui décide de prolonger son mandat par la répression sauvage et en violation de l’article 134-3 de la Constitution.
Andy Apaid, vient de recevoir gracieusement du la pouvoir phtk, la colossale somme de 18 millions de gourdes et 8600 hectares de terres cultivables
Et pour atteindre la phase finale de cette décomposition sociale, l’oligarque corrompu Andy Apaid, principal leader du mouvement réactionnaire GNBiste qui bernait une frange importante de la petite bourgeoisie réactionnaire avec un slogan de ‘’nouveau contrat social’’ lorsqu’il organisait le kidnapping/coup d’Etat sanglant du 29 février 2004 avec les Etats Unis, vient de recevoir gracieusement du pouvoir de facto corrompu et sanguinaire du PHTK, la colossale somme de 18 millions de gourdes et 8600 hectares de terres cultivables, dans le cadre d’un soi-disant projet de zone franche agro-industrielle, l’habilitant à prendre la possession de Savane-Diane qui s’étale sur ces 3 communes appartenant à 3 départements : Saint Michel de l’Attalaye ( Artibonite), Maïssade ( Plateau central), Pignon et Dondon (Nord), selon l’arrêté du 8 février 2021. Et ceci, au grand mépris de l’ensemble des petits paysans qui vivent actuellement sur ces terres.
Au regard de cette situation d’injustice sociale, nous pensons que la seule façon digne de commémorer les 17 ans du coup d’Etat du 29 février 2004, c’est d’accompagner le peuple haïtien dans son combat de construire un leadership autonome et progressiste capable de faire rupture avec la vision rentière de l’oligarchie économique, de rompre avec les rapports de domination vis-à-vis de l’international impérialiste raciste, notamment les Etats-Unis, afin de capoter le pouvoir de facto sanguinaire du PHTK et de prendre le pouvoir d’Etat pour transformer l’Etat Haïtien en un Etat ayant la vocation d’imposer la justice sociale pour le bien-être de tous et de toutes.
Mario JOSEPH, avocat
Responsable du Bureau des Avocats Internationaux (BAI)