Le Sénat échappé des gongs !

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Les dix sénateurs, siégeant au Sénat n’ont jamais fait parler d’eux, depuis l’année 2020, à l’exception de leur Président Joseph Lambert

La transition politique qui date de 1986 en Haïti est un long fleuve tranquille. Tout le monde prend son temps. Chaque acteur s’attelle à son rythme à poursuivre l’œuvre de sa vie qui consiste à mettre en place un gouvernement définitif. C’est comme l’Académie française qui n’a toujours pas terminé le dictionnaire de la langue française que les immortels ont entamé pratiquement depuis sa création par Richelieu aux alentours des années 1600 (1634-1635). Pourtant, la vie de l’institution, de cette société savante, continue contre vents et marées. Pareil pour les organisations politiques et de la Société civile haïtienne, bon An mal An, quelle que soit la tendance politique qui est au pouvoir, personne ne s’inquiète de la lenteur et de la longévité de cette transition et de l’avancée des travaux. Les protagonistes n’ont qu’un but, un seul, jouir le plus longtemps possible de ce processus qui, au fil du temps, est devenu une institution. Les acteurs sont devenus des sédentaires au sein de la transition.

Ils y prennent goût. Alors, pas question de se hâter d’en sortir. Tout comme les académiciens du Quai Conti qui travaillent eux pour une bonne cause puisqu’ils œuvrent à la finesse et à la clarté d’une langue parlée par des millions d’habitants sur la planète, les acteurs politiques haïtiens et de la Société civile s’inventent eux des stratagèmes et des subterfuges pour se maintenir à la place où ils sont. Hors de question de faire évoluer la transition au risque de tout perdre. Surtout que pour certains, ce processus est une aubaine leur permettant de mener grand train de vie alors même que leur comportement et leurs agissements rendent le pays insolvable depuis plus de 35 ans. Qu’importe, l’essentiel c’est qu’ils ont la voix au chapitre. Ce sont eux qui imposent le rythme, le tempo. De la mauvaise gouvernance au « pays lock », ils sont partout. Et pour cause. Ils sont interchangeables.

Ils se relèvent et se passent à tour de rôle tantôt des responsabilités publiques (pouvoir) tantôt de la mobilisation populaire (opposition) en paralysant le système. Les acteurs politiques et les membres de la Société civile de ce pays sont les deux têtes d’une Chimère, cet animal mythologique mi chèvre mi lion qui dévorait ou détruisait tout autour de lui. Il n’y a pas d’autre comparatif pour évaluer ceux qui prétendent chercher des solutions à la crise politique trentenaire et à consolider la démocratie en Haïti depuis la promulgation de la Constitution de 1987. Plus de trois décennies plus tard, nous sommes en mesure de demander : qu’ont-ils fait pour sortir le pays de cette spirale d’étranglement ? Qu’ont-ils fait pour la jeunesse de ce pays qui, comme tous les jeunes du monde entier, ne rêvent que de liberté, de savoir, de connaissance et d’une vie décente ? Nous en sommes au point de départ. Pire, nous compilons les mêmes rhétoriques et employons les mêmes armes d’il y a trente ans. Le feuilleton, la semaine dernière, sur la fin du mandat des dix derniers sénateurs en a été l’exemple le plus parfait, le plus éloquent de cette mentalité, voire de cette culture du pire.

Joseph Lambert

Le plus surprenant est que même des personnes qu’on n’aurait jamais soupçonnées faire partie de ce qui est devenu une sorte de compétition dans la marche à reculons ont été, à l’étonnement de plus d’un, les chantres de cette politique sans lendemain. Alors même qu’on parle de « Transition de rupture », une métaphore qui laisse penser qu’enfin les acteurs ont pris conscience du mal qu’ils ont fait à ce pays, à ce peuple et décident pour de bon de sortir de la transition. Au contraire, certains se sont acharnés à aggraver davantage une crise politique qui, de jour en jour, apporte son lot de surprises. Cette polémique sur le départ ou pas le 10 janvier 2022 des dix sénateurs rescapés du dysfonctionnement de l’institution parlementaire depuis le 11 janvier 2020 n’aurait jamais dû l’être dans cette conjoncture en Haïti où la quasi-totalité, sinon, aucun des dirigeants des trois pouvoirs n’est légitime ou constitutionnel.

Dans tout autre pays au monde, longtemps il y aurait eu une guerre civile où des fractions chercheraient à prendre le pouvoir par la force dans la mesure où il n’y a aucun membre du pouvoir exécutif qui soit en poste ou en fonction par un consensus résultant d’un Accord politique. Le Premier ministre a.i, Ariel Henry, n’occupe la Primature que par simple lâcheté de son prédécesseur Claude Joseph qui ne peut expliquer à personne au nom de qui ou de quoi et surtout pourquoi il a accepté de passer la totalité des pouvoirs à quelqu’un qui n’était pas dans la hiérarchie du pouvoir. Cela restera un grand mystère. Car, à partir du jour de l’assassinat du Président Jovenel Moïse, il faut bien l’admettre, personne ne peut faire valoir quoi que ce soit sur le plan constitutionnel, encore moins sa qualité à diriger, sauf peut-être, et c’est là que le bât blesse, celui qui était officiellement Président du Sénat de la République au moment des faits, Joseph Lambert. Or, en dépit du bon sens et de la logique politique, les faiseurs de « roi » en Haïti ont décidé de procéder autrement.

Heureusement, le peuple haïtien, comme on l’a toujours dit, est l’un des peuples les plus pacifiques de la planète. Personne n’a levé le petit doigt pour contrecarrer la décision et l’arrogance des diplomates du Core Group. Aucun Etat du continent africain, de l’Amérique latine voire de l’Asie, n’aurait accepté ce comportement paternaliste, colonialiste et impérialiste de cette association d’ambassadeurs à Port-au-Prince.  Il n’y a qu’en Haïti, depuis la fin de la dictature des Duvalier, où l’on puisse voir ce genre d’ingérence flagrante, ce fait accompli que du reste tous les responsables politiques ont accepté. Joseph Lambert qui se présente régulièrement comme l’animal politique par excellence n’est, finalement, en dépit de ses calculs politiques à ce moment-là, qu’une brebis qui se laisse sacrifier sur l’autel de la transition sans dire un mot. Or, après la défaite de Claude Joseph sans combattre, en tant que Président du Sénat, malgré le dysfonctionnement caractérisé du Parlement, mais compte tenu de son onction électorale et de son titre de chef du pouvoir législatif même amputé, Joseph Lambert aurait pu et avait le devoir de tenir tête au Core Group en engageant un bras de fer avec la Communauté internationale pour revendiquer de manière officielle, sans tenir compte de la Constitution qui est d’ailleurs jusqu’à maintenant hors-jeu ou en veilleuse, de devenir Président provisoire de la République en place du chef de l’Etat assassiné.

Car, personne ne fera croire à la population, à des gens qui ont un minimum de compréhension des choses publiques que tout se passe aujourd’hui en Haïti en fonction de la Constitution. Ce serait une aberration de croire à cette approche et de le dire. Il n’y a aucune autorité légitime ni légale en Haïti depuis le 7 juillet 2021. La docilité et la capitulation du sénateur Joseph Lambert devant le Core Group après le magnicide de juillet 2021 a failli lui coûter non seulement son poste de sénateur mais a donné au pays Ariel Henry, un héritier de la 25e heure, un pouvoir que seul un pays comme Haïti peut offrir à un acteur venu de nulle part pour n’avoir été à aucun moment celui-là qui faisait partie ni de la solution à la crise durant la présidence de Jovenel Moïse ni de la transition qui était en discussion avant le meurtre.

Depuis, Ariel Henry, chef du pouvoir exécutif par forfait ou faute de combattant, a entrepris, sous la pression de ses nouveaux et anciens amis politiques, à faire le ménage tout en plaçant à des postes clés ses partisans et les amis de ceux qui reconnaissent son autorité. Dans ce grand nettoyage purement politique, Joseph Lambert et ses 9 camarades du Sénat dont le mandat court jusqu’en 2023 ont failli être les victimes de la vindicte de certains leaders de l’ex-opposition dont le souci n’est point de trouver une entente pour sortir de la crise ensuite de la transition mais de marquer leur territoire et de prendre une revanche ridicule et inutile dont on cherche encore les raisons. Comprenant que la Primature et ceux qui détiennent par procuration le pouvoir exécutif veulent pour des raisons sauver leur peau, les dix sénateurs, sous l’impulsion d’un Joseph Lambert devenu soudain combatif, sont montés au créneau pour défendre bec et ongles le dernier pré-carré constitutionnel du pays qu’ils représentent : le Sénat de la République.

D’après certains, le mandat de ces dix sénateurs arrive à expiration cette année ou, par le fait qu’ils avaient cautionné le départ du 2e tiers du sénat en 2020, ils doivent être aussi victimes du coup de force du pouvoir en place. Tandis que pour d’autres et les premiers concernés en particulier, leur mandat se termine en réalité le 2e lundi de janvier 2023, soit six ans après leur élection de 2017. Dans un premier temps, le Premier ministre a.i était prêt à obéir aux conseils de ses alliés politiques surtout les plus radicaux. Et, comme toujours depuis 35 ans, un bras de fer était entamé entre les deux parties : la Primature et le Sénat sur cette question. Finalement, Ariel Henry qui a compris que ce ne serait pas forcément bénéfique pour lui d’ouvrir une autre crise, dans ce contexte où même son poste dans le cadre de cette transition n’est pas encore bien défini, a préféré faire machine arrière en choisissant de ne rien décider, c’est-à-dire en ne prenant aucune décision sur le dossier.

Il faut dire aussi que les dix sénateurs, à l’exception de leur Président Joseph Lambert, n’ont jamais fait parler d’eux depuis l’année 2020 et même après la mort du chef de l’Etat. Flairant le danger, tout à coup, ils s’étaient rendus compte qu’ils allaient être la proie d’un gouvernement qui n’est pas plus légitime qu’eux. Durant cette semaine de polémiques et de débats sur leur mandat, Joseph Lambert s’est donné un mal fou pour réveiller ses collègues de leur hibernation en les poussant à se présenter devant la presse pour défendre leur mandat, en mettant la pression sur Ariel Henry qui, au dernier moment, a su résister aux sirènes revanchardes des extrémistes qui l’accompagnent dans la poursuite de cette transition sans lendemain.

Ainsi, le lundi 10 janvier 2022, dans une déclaration à la nation faite depuis le siège du Sénat au Bicentenaire, Joseph Lambert, en tant que Président de l’institution parlementaire, avait pris la parole devant 7 sénateurs présents pour faire savoir que le Sénat doit rester le dernier rempart contre la dictature et que lui et ses collègues comptent garder leur mandat obtenu de leurs électeurs, suite aux scrutins de 2017, jusqu’au deuxième lundi de janvier 2023. Enfin, le mardi 11 janvier 2022, il a été réélu pour un nouveau mandat en compagnie du sénateur Kedlaire Augustin comme vice-Président et Ralph Féthière comme Questeur ou trésorier du Sénat de la République. Une manœuvre qui a sauvé de justesse les 9 sénateurs du couperet de l’homme qui en sait peut-être trop sur l’assassinat du Président Jovenel Moïse compte tenu des révélations de certains présumés complices arrêtés ces derniers jours à l’étranger. Ainsi débute un nouvel épisode dans ce long feuilleton qu’est cette transition à laquelle la population commence à assister malgré elle sans aucun espoir de voir la fin de la série.

 

C.C

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