Le rapport détourné ou les non-dits du scandale Petro Caribe

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2002
Une seconde partie, plus significative, du rapport sur la gestion des fonds de Petro Caribe pour que le voile se lève sur les contours de l’indigence haïtienne, révélant les ombres épaisses d’une ramifiante escroquerie au pouvoir depuis 2011

De l‘indigence à la résilience !

Une fois de plus, Haïti est projetée dans la lumière des évènements internationaux par l’enfumage d’un foisonnant fumier qui génère par récurrence les flammes d’une sourde précarité et d’une permanente instabilité. Le feuilleton Petro Caribe vient confirmer un certain postulat de l’indigence. Entendez par là un cycle destructeur, porté tantôt par des ondes cycloniques, tantôt par des ondes sismiques et constamment par des ondes politiques. Un cycle chaotique, exploité à profit par les élites locales pour leur succès économique et par les acteurs internationaux pour l’expérimentation de leurs projets douteux portés par une expertise sinon rompue à l’escroquerie du moins frappée d’obsolescence. Ainsi, dans une impuissance totale, plus de onze millions d’âmes subissent la violence d’un ordre de choses qui, pour déshumanisant qu’il soit ne conduit pas à la révolte qu’on devait attendre dans des conditions normales de dignité, d’engagement citoyenne véritable et de conscience politique. Toujours disponible grâce à ses légions nombreuses et insoupçonnées, l’internationale humanitaire, par compassion expiatoire, lisez pour se donner bonne conscience, s’active à panser les plaies de cette indigence à défaut de penser le changement qui les cicatrisera. Ainsi, au commencement était l’indigence ; puis l’indigence a été détournée pour être célébrée comme une résilience. Et tout cela dans l’oubli de l’opinion médiatique internationale et le mépris de la conscience universelle.

Du rapport de détournement à l’onde de choc de l’escroquerie

Il a fallu que la Cour Supérieure des Comptes et des Contentieux Administratifs (CSCCA), suprême tribunal administratif haïtien, publie, en cette fin du mois de mai, une seconde partie, plus significative, du rapport sur la gestion des fonds de Petro Caribe pour que le voile se lève sur les contours de l’indigence haïtienne, révélant les ombres épaisses d’une ramifiante escroquerie au pouvoir depuis 2011.

Ainsi, soudain, dans un clair-obscur médiatique, alors même que les pays réunis au sein du sacrosaint Core Group apportaient leur soutien infaillible au pouvoir en place, les médias internationaux, d’habitude circonspects, quand il s’agit de dire la vérité, découvrent que la réalité du pouvoir en Haïti est aux mains de redoutables escrocs. Hélas, ces médias, dans leur aveuglément, avaient refusé de voir les tours de passe électoraux mis en œuvre pour transformer l’état de droit en un état de passe-droit. Jamais ces médias n’avaient cru utile d’informer les populations de leur pays sur le rôle de leurs ambassades respectives dans ce qui a été conçu, pensé et programmé comme espace juridico-politique légal pour assurer l’impunité aux trafiquants de toute espèce, aux criminels génocidaires en puissance, aux délinquants et aux gangsters à col blanc dévoués à la cause de l’escroquerie internationale.

la réalité du pouvoir en Haïti est aux mains de redoutables escrocs.

Empressons-nous de rappeler que c’est le séisme dévastateur du 12 janvier 2010 qui a créé le contexte permettant à un puissant secteur de la communauté internationale d’imposer aux Haïtiens cette escroquerie politique dénommée Parti Haïtien Têt Kale (PHTK). On ne peut non plus oublier que c’est par l’entremise de l’onde cyclonique Matthew que cette escroquerie a été renouvelée et reconduite au pouvoir en 2016. De sorte qu’on peut intelligemment se demander quel est le lien entre ces ondes sismiques et cycloniques exploitées ou générées pour le succès des ondes politiques médiocres.

Toutes choses étant égale, on retient que c’est dans la détresse des perturbations naturelles que prennent forme les perturbations politiques. Ainsi est né le banditisme légal en Haïti. Ainsi, le PHTK, parti politique essentiellement gangstérisé, mais ayant de puissants alliés économiques et diplomatiques, a été reconduit au pouvoir en 2017, par l’entremise de Jovenel Moise, qui a été choisi comme homme de paille et de banane pour jouer le figurant politique derrière lequel s’active un réseau d’accointances économiques mafieuses. Malgré un bilan humain, institutionnel, économique et social chaotique, laissé par son prédécesseur Michel Martelly en 2015 ; malgré un volumineux rapport de l’Unité Centrale de Renseignement Économique et Financier (UCREF) en 2016, malgré un autre rapport de l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC) l’épinglant comme bénéficiaire de prêts douteux ayant entrainé la faillite d’une Banque d’État (la Banque Populaire Haïtienne), Jovenel Moïse n’a pas moins reçu l’appui de tout le secteur privé haïtien et le soutien du corps diplomatique représenté par les Etats Unis, la France, le Canada, l’Allemagne et le Brésil agissant en CORE GROUP ; c’est-à-dire, comme le vrai centre du pouvoir en Haïti

Le pacte écono-diplomatique indigent

Jamais dans l’histoire récente d’Haïti, un président, dont le parti politique, ayant de si lourds déficits démocratiques, n’a reçu de si puissants soutiens diplomatiques exprimés publiquement. Jamais un pouvoir n’a reçu autant d’aide financière des bailleurs de fonds internationaux et bénéficié de l’expertise technique des agences internationales. Et pourtant, il s’agit d’un régime dont les officiels et les proches, les militants et les sympathisants sont épinglés en cascade dans des faits de détournement de fonds publics, de blanchiment d’argent, de trafics d’armes et de stupéfiants, de criminalité à grande échelle, de crimes de droit commun, et de massacres sur la population civile, de crimes économiques au préjudice de la société et de la population, de kidnapping et de viols, pour ne citer que ces délits connus.

Pourquoi le bilan est-il si désastreux, pourquoi le socle institutionnel est-il si dysfonctionnel?

Mais au-delà de ce soutien qui révèle une mutation diplomatique indigente, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi, malgré ce soutien inconditionnel de la communauté internationale, il n’y a que rafistolage, défaillance, misère, précarité et insignifiance totale en Haïti alors que de l’autre côté de l’île, on sent un dynamisme social qui donne des ailes aux classes moyennes ? Pourquoi le bilan est-il si désastreux, pourquoi le socle institutionnel est-il si dysfonctionnel malgré une kyrielle de projets financés par des ONG qui s’attaquent à tous les chantiers du sous-développement et du renforcement institutionnel – du moins si l’on en croit les rapports d’évaluation embellis à souhait ?

Partant de ce contexte, on se demande si le vrai but de l’aide internationale à Haïti n’est pas d’affaiblir le leadership national haïtien pour que l’assistance et l’expertise internationales s’imposent comme une évidence à maintenir et à perpétuer. On eut dit qu’il s’est noué en haut lieu un pacte indigent conçu par une sainte alliance de forces obscures pour que le leadership politique soit laissé aux mains d’une racaille politique qui doit conduire la population vers son extermination.

Haïti est l’otage d’un groupe de familles étrangères qui se sont constituées à la fois hommes d’affaires et consuls honoraires de pays étrangers. C’est une nébuleuse au cœur de toutes les stratégies mafieuses et comme telle, elle a besoin d’un bras politique criminel et corrompu. C’est pourquoi le PHTK séduit autant les milieux d’affaires et diplomatiques en Haïti. Il est le cheval de Troie qui peut permettre la balkanisation ou la Rwandatisation d’Haïti. C’est un vrai projet d’extinction de la population haïtienne qui est en œuvre. Sans exagération, on peut dire qu’Haïti est en train d’être « Gaza-isée ». Le processus est si bien entamé que certains observateurs voient dans la précarité immense qui règne en Haïti une mutation indigente des classes moyennes en « Crasses Prolétariennes ». C’est cette classification qui conditionne l’adaptation des élites culturelles et des forces de la société civile à cette déshumanisation. C’est elle qui pousse la population à accepter le statu quo sans aucune révolte collective. C’est elle qui dicte les réflexes de survie et de renoncement à la dignité. C’est elle qui pousse à fuir vers d’autres ailleurs en quête de cieux moins étouffants à défaut d’être plus cléments.

Trouver la pertinence derrière l’évidence

Mais si tout pousse à déserter le territoire, si tout pousse à renoncer à la dignité, ce doit être pour une raison inavouable. Des lors, les échos retentissants dans la presse internationale du rapport de petro caribe, levant le voile sur la statue d’escroc de l’homme banane fait président, peuvent n’être qu’une distraction pour détourner de l’essentiel alors que se prépare sans doute la prochaine vraie crise qui permettra aux mêmes acteurs, dans les mêmes conditions, avec les mêmes projets douteux, de revenir comme les sauveurs.

En toute logique, si les médias internationaux faisaient un travail objectif sur Haïti, ils pousseraient les citoyens de leur pays à se demander pourquoi leurs ambassadeurs en Haïti appuient sans aucune retenue diplomatique des corrompus et des gangsters au pouvoir. S’ils agissaient pour la vérité, au nom du droit à l’information, ils inciteraient les citoyens et les parlements de leur pays à demander des comptes à leur gouvernement pour comprendre pourquoi malgré un appui diplomatique aussi soutenu, depuis des années, tout reste indigent dans ce pays martyrisé ?

Car on est en droit de se demander s’il n’y aurait pas un lien ténu entre le gangstérisme politique qui fleurit en Haïti et les soutiens diplomatiques de plus en plus indigents ? Et même que ce serait intelligent d’explorer le sens du lien : sont-ce les soutiens diplomatiques indigents qui structurent le gangstérisme ? Ou est-ce le gangstérisme qui, par lobbying interposé ou rétrocommissions diplomatiques sur les fonds publics détournés, influence les diplomates accrédités en Haïti ?

Le rapport détourné

En vérité, on ne doit pas perdre de vue qu’affirmer que le président haïtien est au cœur d’une stratégie de détournements de fonds signifie qu’il a bénéficié en haut lieu d’expertise bancaire, d’expertise en gestion de projets, d’expertise en dissimulation ou de transferts de fonds vers l’étranger (peut être bien la valise diplomatique), bref de tout l’appui de réseaux financiers locaux et internationaux qui sont contrôlés par le secteur privé haïtien et qui sont passés au crible par les ambassades depuis l’adoption de la loi « de-risking »* sur les risques financiers relatifs au financement du terrorisme.

le rapport de la CSCCA confirme l’implication de Jovenel Moise dans le détournement de centaines de millions de dollars

Ainsi, les acteurs du secteur privé haïtien qui ont porté et financé le projet politique « Nèg Bannann lan » et les stratèges diplomatiques étrangers qui ont cautionné qu’un inculpé soit investi comme garant de la bonne marche des institutions d’un pays en voie de construction démocratique sont les vrais concepteurs et les vrais architectes de la corruption et de l’instabilité en Haïti. En ce sens, le rapport de la CSCCA, confirmant l’implication de Jovenel Moise dans le détournement de centaines de millions de dollars, pour instructif qu’il soit, peut n’être qu’un rapport détourné. Lisez un rapport tronqué qui cherche à imputer à une victime consentante toute l’infamie de ce crime économique, alors qu’elle n’a été qu’un prête nom aux mains de l’escroquerie nationale et internationale constituée en forces de l’ombre.

Ceci étant dit, au-delà du rapport de Petro Caribe, le plus grand problème d’Haïti n’est pas Jovenel Moïse, mais le secteur privé des affaires et les diplomates étrangers qui l’ont fabriqué à partir de rien pour en faire un monstre hideux. Un monstre au service d’une économie haïtienne exclusivement basée sur la corruption. Un monstre qui assure la bonne marche des institutions d’un État de passe-droit. Un monstre qui assure la gouvernance d’une administration publique pensée, conçue et programmée pour voler, dilapider et détourner. Un monstre qui offre de juteuses affaires à une administration privée qui produit les services pour une économie du crime et de la corruption.

L’espace stratégique haïtien est délimité par les axes de trois piliers qui forment un triptyque indigent : un système politique clochardisé et gangstérisé comme bras institutionnel d’une économie criminalisée sous protection d’une diplomatie pervertie et de plus en plus dépouillée de valeurs.

L’éthique comme ultime thérapie pour éviter l’extinction

Voici l’affreuse réalité haïtienne à transformer. Elle demande intelligence éthique, compétence technique et technologique, engagement sincère et solidarité collective. Elle exige courage et assumation de la solitude pour brandir la vérité comme dernier rempart contre l’indignité. Dans ce gouffre où se trouve Haïti, il faut que de plus en plus de voix s’élèvent pour oser dire ce qui dérange les puissants. La vérité a besoin du relais des acteurs qui évoluent sur d’autres espaces géographiques et sur d’autres théâtres de la vie pour qu’elle passe du statut d’étincelle qui scintille au faisceau qui éclaire. Il faut que dans une solidarité éthique, il se forme une communauté agissant pour le bien. Elle doit, par-delà les distances, laisser réfléchir les reflets de la vérité qui éclatent autour d’elle pour la porter plus loin, là où les autres agonisent dans l’obscurité.

Haiti doit se dire que l’Éthique reste le défi majeur pour un peuple qui veut se défaire de l’emprise de la corruption.

Bien qu’au fond du gouffre, Haïti ne doit pas céder à la panique. Elle ne doit pas chercher à fuir ni se réduire au silence. Elle doit s’armer d’insolence pour amorcer la rupture en cessant de célébrer le vice, la malice et la fourberie comme marqueurs d’intelligence et de réussite. Elle doit se dire que l’Éthique reste le défi majeur pour un peuple qui veut se défaire de l’emprise de la corruption et que la solidarité reste le ferment à nourrir pour construire la reliance capable de conduire à la récupération de sa souveraineté. Elle doit s’éloigner des lieux de profonde opacité pour se rapprocher des régions illuminées par la Transparence. Elle doit s’assumer et devenir plus Responsable que jamais dans la prise en main de son destin. Elle doit privilégier l’Intégrité et l’Engagement pour que la Redevabilité soit la nouvelle norme et le marqueur d’une régénérescence à faire luire. C’est seulement en s’offrant les moyens de penser ses stratégies de manière autonome qu’elle trouvera l’étincelle et l’intelligence pour construire patiemment l’ÉTRIER qui permettra d’assurer la remontée du gouffre. Puissent les voix médiatiques non indigentes donner écho à cette tribune !

Le grand soir, 12 juin 2019

Ndlr.                                                                                                                          *« de-risking ». Phénomène par lequel une banque commerciale haïtienne qui perd une correspondante comme [la] Bank of America [cela] ne peut plus faire des transactions sur l’extérieur. Il est mondial et s’intensifie. («Banque, blanchiment, terrorisme, Haïti doit agir», Le Nouvelliste, Port-au-Prince, 18 juillet 2016)

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