Le Parlement haïtien : une institution non productive

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Le parlement haïtien

Au cours de ces dernières décennies, le parlement haïtien a été l’objet de critiques les plus acerbes venant de différentes couches de la société. Le fonctionnement et le véritable rôle du Pouvoir législatif font l’objet de grands débats. Dans les émissions radiodiffusées, télévisées et à travers les réseaux sociaux, des questions se posent sur l’utilité du parlement dans le développement socio-économique du pays, la construction et la consolidation de notre démocratie.

Certaines gens soutiennent que la Puissance législative n’a aucune importance dans la société. Il n’a rien apporté comme possible solution dans la gestion de la crise multidimensionnelle que traverse le pays. Dans la compréhension de cette catégorie de citoyens, il faut dissoudre le Parlement voire l’éliminer car il est budgétivore. L’assemblée législative coûte trop chère à la nation haïtienne. L’organe de légifération, soutiennent-ils, est source d’instabilité, de blocage institutionnel et, générateur de crise institutionnelle.

D’autres pensent, au contraire, que le Pouvoir législatif est d’une importance capitale pour la construction de notre État de droit démocratique. Il est le rempart même de notre système représentatif en ce sens qu’il permet d’éviter les tendances arbitraires du Pouvoir exécutif dans le cadre de la gouvernance socio-économique et politique. Sa protection et sa pérennisation sont nécessaires à la démocratie en soi, surtout la nôtre en phase de transition encore incertaine. Ses fonctions de contrôle, de légifération, de représentation et d’enquête sont vitales dans la quête d’un État serviteur. Elles faciliteraient la gestion rationnelle de la chose publique.

la non-productivité du Pouvoir législatif est liée à un ensemble de facteurs d’ordre structurel et conjoncturel

La fin du mandat du dernier tiers des Sénateurs ayant prêté serment le deuxième lundi de janvier 2017 a fait rebondir ce débat. C’est que les Députés de la 50ème législature autant que les Sénateurs sus-cités ont été totalement improductifs. Pour se défendre par rapport aux critiques acerbes venues de toutes parts dans la société, certains Sénateurs ont défilé dans les médias pour présenter leurs bilans à leurs mandants. C’est le cas par exemple de  Kedlaire AUGUSTIN du Nord-Ouest et de Patrice Pierre Paul DUMONT. Car, aux yeux de bon nombre de citoyens, les parlementaires du tiers sénat restant jouissaient des avantages étatiques et recevaient des chèques pour lesquels ils n’ont rien fourni en termes de travail législatif. Ils ne rendent aucun service à la communauté haïtienne et, sont donc perçus comme des inutiles et improductifs.

De toute évidence, les parlementaires haïtiens ne produisent pas une œuvre législative satisfaisante. La non-productivité de la Puissance législative dépend-elle totalement des parlementaires ? N’est-elle pas due à des causes structurelles et conjoncturelles que doivent résoudre les élites du pays ?

L’architecture institutionnelle du régime politique né de la constitution du 29 mars 1987

Voulant rompre avec notre passé sociopolitique marqué par des régimes de concentration de pouvoirs (1) notamment des régimes présidentialistes (2), autoritaires et totalitaristes, les constituants de 1987 ont institué un régime mixte(3) c’est-à-dire semi-parlementaire, semi-présidentiel à prédominance parlementaire. En clair, les relations fonctionnelles existant entre les Pouvoir exécutif et législatif sont inégalitaires, déséquilibrées. Selon l’ancien parlementaire haïtien Samuel MADISTIN, la constitution de 1987 substitue au présidentialisme traditionnel la toute-puissance parlementaire. (4) Cette situation crée un obstacle réel à la matérialisation du principe « check and balances » [ndlr. contrôle et contrepoids] inhérent au régime parlementaire rationnalisé, par exemple celui de l’Angleterre. Il s’agit d’éviter l’excès de pouvoir des parlementaires dans le processus du choix des gouvernements marqué souvent par le chantage et la corruption dans les affaires publiques. Les conséquences sont l’improductivité des législatures et l’agonie du contrôle de l’action gouvernementale. Le pouvoir ne peut pas arrêter les dérives de l’autre pouvoir dans notre ingénierie institutionnelle, contrairement à la logique de Montesquieu. Ainsi, le législateur a-t-il devant lui un boulevard dans le cadre de l’exercice de ses fonctions politiques.

Les Sénateurs Patrice Pierre Paul Dumont et Joseph Lambert.

La Puissance exécutive n’a aucun moyen de pression institutionnelle sur la Puissance législative. Elle ne peut pas dissoudre une législature qui constituerait un blocage au fonctionnement régulier des institutions pour convoquer de nouvelles élections législatives. Le Pouvoir exécutif se donne toutefois, par des pratiques franchement dictatoriales, le pouvoir d’asphyxier les parlementaires qui refusent de supporter les projets et les actes du gouvernement. Par des sanctions non-institutionnelles, l’institution gouvernante empêche certains représentants du peuple de bénéficier des projets, de certains privilèges (la subvention pour des fêtes patronales, de fin d’année…) de faciliter la nomination d’un cadre dans l’administration publique. En réponse aux agissements des représentants de l’exécutif, les parlementaires bloquent le déroulement des séances, infirment le quorum.

Bref, le comportement des parlementaires frustrés et l’étendue de leur pouvoir constituent un obstacle à la production législative. Les membres du Corps législatif désireux de travailler au profit du peuple, de voter des propositions de loi et des projets de loi subissent l’attitude destructrice et suicidaire de leurs collègues parlementaires.

La motivation antisociale de certains parlementaires

Nombreux sont les citoyens haïtiens qui reçoivent une socialisation égoïste, sectaire et individualiste. Ils ne pensent qu’à défendre leurs intérêts individuels au détriment de l’intérêt général. Au Parlement, ils se soucient très peu de légiférer pour donner à l’exécutif les outils juridiques et légaux nécessaires capables de faciliter l’amélioration des conditions socio-économiques du peuple à travers la mise en œuvre du programme des gouvernements. Pour ratifier la Politique Générale du Gouvernement, beaucoup de parlementaires réclament des directions générales, des ministères et d’autres avantages personnels. Pour légitimer leurs démarches, certains membres de la 50ème législature et des Sénateurs utilisaient l’expression « partage de responsabilité ». Une expression qui, selon plus d’un, cache les dérives de corruption qui constituent un obstacle au contrôle effectif de l’action gouvernementale. Ce faux partage de responsabilité mène donc les institutions à l’impasse. Il handicape sérieusement le développement intégral du pays.

En Haïti, faire de la politique consiste à recourir à la satisfaction des désirs personnels au mépris des besoins de la masse nécessiteuse. À ce propos, Kern DELINCE nous fait savoir que le désir d’être chef, la recherche de l’argent et les relations sociales sont entre autres des raisons motivant l’Homme haïtien à pratiquer la politique (5). Qu’on le souligne, celle-ci revêt une importance capitale dans l’ascension et la mobilité sociales des hommes et des femmes politiques. Elle est identifiée et exploitée comme l’unique activité de réussite socioéconomique. Les possibilités ou les canaux de réussite sociale ne sont pas diversifiés. L’Etat n’arrive pas à mettre en place une organisation sociale et économique capable de faciliter la réussite des citoyens qui voudraient utiliser d’autres secteurs d’activités autres que la politique. Les activités commerciales et économiques en Haïti sont monopolisées et oligopolisées. Elles sont contrôlées par un petit groupe dans le pays.

Ils sont légion, les citoyens s’intéressant à la pratique politique pour se tailler une place dans la société par la construction d’une santé économique et financière, avoir de l’argent et devenir chef. Très malheureusement, la politique ne se fait pas pour construire le pays et assurer le bien-être collectif du peuple. Par l’opération de ce qu’on pourrait appeler des actions politiques détournées, les hommes et les femmes politiques font de la politique pour satisfaire leurs besoins personnels et égoïstes. Sans projet de société, sans vision réelle et réaliste, les leaders politiques cherchent la voie du pouvoir. Pour y arriver et s’y maintenir, ils utilisent des slogans et, pratiquent généralement la violence et la persécution politique.

Le manque d’organisation des partis politiques dans notre démocratie

Force est d’admettre que les partis politiques ne sont pas structurés dans la société haïtienne. Ils accusent une faiblesse organisationnelle et structurelle inimaginable. Selon le sociologue haïtien Alain GILLES, les partis politiques ont de sérieux problèmes liés à leur « financement et la question de  positionnement idéologique (6)». C’est pourquoi, ils ne peuvent pas contribuer à la construction de notre démocratie. Nombreuses sont les organisations politiques qui n’ont pas  d’existence durable. Elles sont provisoires et de nature électoraliste. A ce propos, le professeur Laennec HURBON soutient l’idée  selon laquelle l’institutionnalisation des partis politiques est la condition obligatoire pour qu’ils participent au processus démocratique en Haïti.(7) Ils sont dans l’incapacité constante de se propulser au pouvoir. Observé la difficulté des structures politiques à prendre le pouvoir politique et en assurer sa gestion rationnelle, le Dr Eddy Anold JEAN confirme ainsi : « En Haïti, les partis sont incapables de prendre le pouvoir et s’y maintenir (8) ». Les dirigeants du parti se soucient très peu de son organisation, de son efficience et de sa pérennité. Dans notre société, les organisations politiques se font généralement remarquer sur la scène politique uniquement en période électorale et n’accomplissent pas leurs missions de socialisation politique. Les membres des groupements et des regroupements politiques n’ont aucun attachement idéologique aux partis. Car ils ne reçoivent pas des formations relatives à l’idéologie et au projet de société de la structure politique à laquelle ils appartiennent.

Les motivations politiciennes qui sont à la base de la création des partis et le manque de moyens financiers constituent un obstacle majeur à l’accomplissement des missions socioéconomiques visant le relèvement du niveau de vie de la population. Ainsi, le rapport entre le peuple et le parti n’est pas établi. Ce qui fait que celui-ci n’a pas d’ancrage populaire. Pour participer aux élections, les leaders des structures politiques choisissent généralement des candidats qui n’ont jamais été membres de l’organisation. Des gens n’ayant aucune idée de l’État, de gouvernance sociopolitique. Dans ce cas, il n’y a même pas lieu de parler de culture et de discipline de partis pour ces citoyens choisis pour être éventuellement des représentants du peuple. Cette situation traduit notre façon de faire de la politique en Haïti. C’est peut-être la compréhension de Hérold JEAN-FRANCOIS lorsqu’il soutient que la politique se fait en dehors des partis politiques dans notre pays après la chute du régime des Duvalier (9).  Sans culture politique démocratique, sans la connaissance des missions de l’Etat et du Parlement, arrivés à l’assemblée législative avec des motivations personnelles et égoïstes, les parlementaires affaiblissent l’institution parlementaire. Leur participation aux séances est conditionnée. Ils votent pour bénéficier de petits avantages (argent, voiture, motocyclette, visas…). Ainsi, les partis politiques n’ont aucun contrôle sur les parlementaires élus sous leur bannière. Ceux-ci agissent suivant leurs intérêts personnels au mépris des intérêts supérieurs de la société.

Les parlementaires haïtiens ne produisent pas une œuvre législative satisfaisante.

Dans la Loi No 10 du jeudi 16 janvier 2014 sur les partis politiques, il est dit que « le mandat appartient au parti nonobstant les dispositions constitutionnelles ». (10) Cette disposition légale est-elle d’application ? À ma connaissance, la réponse à cette question est négative. Pendant la transition démocratique haïtienne, plus particulièrement après la publication de ce texte règlementaire mentionné plus haut, combien de partis politiques ont la possibilité de contrôler le va et vient institutionnel de leurs membres au Pouvoir législatif ? À ma connaissance limitée, aucune structure politique n’arrive à le faire. Pour tout dire, que la loi de 2014 sur les partis politiques n’est pas appliquée. Elle est en déphasage effectif avec la culture politique (11) des élus et la réalité sociopolitique dans laquelle nous vivons. Donc, pensons au processus de resocialisation des citoyens haïtiens par la mise en branle des institutions de socialisation : la famille, l’école, l’église, la presse, le vodou et d’autres cercles sociaux pour construire un nouvel Etat.

L’incivisme et le manque de formation des parlementaires

En Haïti, nous sommes confrontés à un sérieux problème de « compétence politique (12)». Pire, de nombreux parlementaires n’ont même pas le minimum académique pour participer aux débats contradictoires sur des sujets souvent complexes. Ils sont majoritaires ceux qui n’ont aucune idée de la gestion des affaires de l’État. Ils ne connaissent même pas le rôle du Parlement dans une démocratie. Pour la grande majorité, les membres du Corps législatif n’ont rien comme information et formation relatives au fonctionnement de l’Etat et à l’activité politique. Ils sont dépourvus de toute expérience politique et institutionnelle.

Inutile de mentionner les notions de bonne gouvernance, de bien commun, de planification, de loi de règlement, d’allocation rationnelle des ressources, d’aménagement du territoire… Et parmi les plus capables, l’improvisation est considérée comme l’élément fondamental qui conduit leurs actions politiques et administratives. A ce sujet, l’auteur Levelt DORCILE avance l’idée que « l’improvisation a continué à faire son parcours jusqu’à hisser à la magistrature suprême de l’Etat le citoyen René Garcia PREVAL déjà très mal vu et apprécié comme Premier Ministre » (13). La gestion des affaires publiques est caractérisée par le tâtonnement, l’absence de gestion rationnelle et de planification. La Puissance législative, un pouvoir dans l’Etat, n’est pas exempte de cette situation de gouvernance improvisée.

Comment demander à un citoyen-élu Député ou Sénateur qui ne connait pas l’État, spécialement le rôle et le fonctionnement du Pouvoir législatif, de travailler à la réussite d’une législature au bénéfice de la population?

Comment peut-on s’attendre à un bilan législatif satisfaisant des parlementaires dont le principal souci est d’arriver au pouvoir de l’Etat afin de s’enrichir rapidement au détriment des intérêts supérieurs des membres du corps social en particulier leur mandant ? Sans compétence académique et politique, sans culture et discipline de partis, sans ces vertus politiques et morales qui sont la solidarité (14), la sensibilité et l’empathie, comment exiger des résultats aux parlementaires ?

Comment espérer un bilan législatif dans un parlement dont les membres n’ont aucun sens du service public et du bien public, aucun amour pour Haïti, aucun sentiment d’appartenance au pays ?

Mes amis(es), mes concitoyens (nes) haïtiens (nes), arrêtez, arrêtez de demander le bilan à ces genres de parlementaire ! La réflexion essentielle à présent doit porter sur le «  que faire ? » pour éviter ce drame aux générations futures. Il faut aussi arrêter de critiquer à tort et à travers certains parlementaires ayant eu la volonté d’aider le pays à sortir du marasme pendant leur passage au Parlement. Mais, ils n’ont pas pu le faire à cause des obstacles structurels et conjoncturels. Ils n’arrivent pas à le faire en raison des situations indépendantes de leur volonté. Qu’on se le rappelle bien, le pouvoir du parlement est un pouvoir d’assemblée. Et cette assemblée est éminemment politique et politicienne.

Le manque d’encadrement de l’État aux parlementaires

D’aucuns pensent que l’efficacité du travail parlementaire dépend des compétences académique et politique du mandataire. Elle est aussi fonction de la connaissance du représentant de l’histoire du pays, de la réalité socioéconomique du peuple, des dossiers étatiques.  En plus, il faut ajouter sa volonté et sa culture du sens du bien commun qui vont le pousser à travailler pour le bien-être de la collectivité qui l’a choisi à travers les urnes. Or, nos représentants au Parlement sont généralement des gens qui n’ont pas de compétences académiques nécessaires leur permettant d’être parlementaire. Ils ne possèdent pas de capacité politique devant faciliter leur bonne compréhension de l’Etat. Ainsi, ils sont incapables de produire des œuvres législatives au bénéfice de la population haïtienne. Les membres du Corps législatif qui ne paient pas de consultants avec les frais que l’État met à leur disposition sont majoritaires. Ils préfèrent empocher la totalité de la somme au profit de leurs familles et leurs petits copains. L’État haïtien dépense des millions qui ne sont pas profitables aux membres de la société. C’est un grand manque à gagner pour le pays. Maintenant, la question qu’on doit se poser pour opérer une rupture avec ces mauvaises pratiques est « que faire »?

« Dans le domaine économique, les élites se comportent comme des anciens colons. Ceux-ci tenaient Saint-Domingue… pour une terre de passage où ils ne séjournaient que le temps d’une fortune rapide »

A cette interrogation, le sociologue-Dr Guichard DORE nous permet de proposer un élément de réponse. Pour éviter aux parlementaires d’utiliser les ressources financières et matérielles de la Puissance publique à leurs fins personnelles, il est nécessaire de mettre en place un service permanent dénommé : « Corps d’assistants parlementaires ». Par la création de ce service, l’État doit créer un fonds et, procéder au recrutement des licenciés, des gens ayant fait des études de maitrise et de doctorat dans tous les domaines de la connaissance (Science Politique, Economie, Droit, Histoire, Sociologie, Psychologie, Anthropologie …).  Ces employés ou fonctionnaires de l’État en particulier du Pouvoir législatif auront pour mission d’accompagner les parlementaires dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions politiques et administratives. Car un bon parlementaire, c’est-à-dire, un représentant qui se respecte doit savoir qu’il est limité et, n’a pas assez de temps pour effectuer des recherches relatives à ses fonctions de représentation, d’enquête, de contrôle et de légifération.

L’attitude suicidaire et antipatriotique de certains membres du secteur privé des affaires

Dans la non-productivité du Parlement, l’attitude du secteur privé des affaires est non négligeable. Sont majoritaires en Haïti les hommes et les femmes d’affaires qui utilisent leur pouvoir économique et leur influence dans le système pour contraindre certains parlementaires à défendre leurs intérêts économiques et commerciaux au niveau l’assemblée législative en échange des avantages économiques et financiers au profit exclusif des représentants du peuple. Par cette attitude égoïste, sectaire, les gens du secteur économique ne contribuent pas au développement socio-économique et politique du pays. Guidés voire influencés par les pratiques économiques de la société colonisée, dépendante, les membres de la bourgeoise haïtienne considèrent la terre haïtienne comme un espace de transit.

Observant le comportement de certains membres de l’élite économique haïtienne, le professeur Jean Abner CHARLES a écrit : « Dans le domaine économique, les élites se comportent comme des anciens colons. Ceux-ci tenaient Saint-Domingue, observe Charles Frostin, pour une terre de passage où ils ne séjournaient que le temps d’une fortune rapide.  C’est cette mentalité de rapines qui caractérise les couches de notre société, en particulier les élites dirigeantes (15)». Il faut le souligner, ce comportement ou cette façon de considérer Haïti est aussi chez bon nombre de citoyens de notre classe politique. Leurs motivations primordiales ne sont autres que l’enrichissement rapide au détriment de la masse  nécessiteuse des villes et des campagnes végétant dans la misère la plus abjecte. Ils développent une relation avec l’Etat et la population fondée sur l’exploitation non pas sur le développement et le progrès social.

En tout état de cause, la réflexion précédente nous permet d’affirmer provisoirement que la non-productivité du Pouvoir législatif est liée à un ensemble de facteurs d’ordre structurel et conjoncturel. Est dangereuse  toute entreprise tendant à attribuer totalement la responsabilité aux parlementaires. Oui, ceux-ci sont en partie responsables du dysfonctionnement institutionnel, de la paralysie des institutions républicaines. Car, ils utilisent le chantage comme méthode de lutte politique pour bénéficier des postes de Ministres et de Directions générales dans le gouvernement. Ils pratiquent la corruption administrative dans le cadre de la gestion de la chose publique. Les représentants de la population recourent plutôt à la satisfaction de leurs désirs personnels au lieu de défendre la cause du peuple.

Les véritables causes du dysfonctionnement constant du Parlement, source de sa non-productivité, doivent être recherchées dans la structure organisationnelle de notre société héritée du modèle de gouvernance coloniale. Laquelle société est fondée sur l’exclusion, l’égoïsme non socialisé, la violence désorganisée, non contrôlée, la division…Pour montrer combien il existe la division entre les membres de notre Corps social après notre indépendance en 1804, le professeur Rémy ZAMOR a écrit que « l’Haïti de 1804 est le prolongement de  Saint-Domingue. Elle en est forcément l’héritière » (16). Il n’y a aucun doute là-dessus. Le comportement de bon nombre de citoyens haïtiens n’est pas totalement différent de ceux de l’ancien régime. Notre socialisation politique est fondée sur l’égoïsme, l’individualisme conception opposée à tout projet de société à caractère collectif. Ils sont nombreux, nos citoyens de la classe politique haïtienne n’ayant pas de culture et de discipline de partis, de culture du bien commun et de culture politique démocratique. La résolution du problème de notre société passe par la resocialisation de l’Homme haïtien,  une réforme constitutionnelle redéfinissant l’ingénierie institutionnelle de l’Etat, la réorganisation des partis politiques, la relance de l’économie nationale, la définition d’un plan de sécurité nationale etc.


Ené  VAL, Juriste-Politologue
Mastérand en Droit Public et Science Politique
Co-présentateur de l’émission Haïti Débat à la Radio Scoop FM, 107.7


Notes

[1] – Voir Terence BALL et al. Idéologies, Idéal démocratique et régimes politiques, Québec, Editions du renouveau pédagogique, 2005, page 468-470 pour distinguer un régime autoritaire et un régime totalitaire.

2 – Il est important de ne pas confondre un régime présidentiel avec un régime présidentialiste. Voir, à ce sujet, David ALCAUD et al. in Dictionnaire de Sciences Politiques, 2ème édition, Paris, Sirey, 2010, page 369.

3– Voir Mirlande MANIGAT. Traité de Droit Constitutionnel Haïtien, Port-au-Prince, Presses de l’Imprimeur II, 2000. Dans la préface de cet ouvrage, le politologue historien Leslie François MANIGAT fait une analyse judicieuse de la nature et de l’origine du régime politique né de la constitution du 29 mars 1987

4– Samuel, MADISTIN. Coopération et développement : le rôle du pouvoir législatif dans le fonctionnement moderne de l’Etat, Port-au-Prince, Presse de l’imprimeur II, 2001, page 69.

5-  Voir  Kern, DELINCE. Les forces politiques en Haïti, Paris, Editions Karthala, 1993

6 – Alain, GILLES. Pourquoi tant de partis politiques ? Et à quoi sont-ils utiles ?, in le Nouvelliste du 16 Janvier 2015.

7– Laennec,  HURBON (sous la direction de), Les partis politiques dans la construction de la démocratie en Haïti, Port-au-Prince,  Mediacom, 2014, page 9.

8 – Dr Eddy Anold JEAN. Haïti : Les Obstacles à la Démocratie (Le fonctionnement politique en Haïti), Port-au-Prince, Editions Haïti Demain, 2011, Page 35.

9– Hérold, JEAN-FRANCOIS. Haïti, autrement, Port-au-Prince, Presses de l’Imprimeur, 2005, page 37.

10– L’article 24-1 de la Loi No 10 du jeudi 16 janvier 2014 portant formation, fonctionnement et financement des Partis Politiques.

11– Notre refus constant de mettre en place certaines institutions essentielles pour la démocratie notamment le Conseil Electoral Permanent, le Conseil Constitutionnel et la violation constante de la constitution de 1987, des lois prouve combien la majorité des citoyens n’a pas une « culture politique de participation » inhérente tout Etat démocratique.

12 – J’utilise l’expression “compétence politique ” par opposition à la « compétence académique » pour décrire la réalité de certains citoyens arrivant au plus haut sommet de l’État (pouvoirs exécutif et législatif) sans avoir de connaissances liées au fonctionnement et à la gestion de la puissance publique.

13 – Levelt, DORCILE. Démocratie en Haïti : les défis-les exigences, Port-au-Prince, Editions presses de l’imprimeur S.A, 2015, Page 30.

14– Voir André, COMTE-SPONVILLE. Présentations de la Philosophie, Paris, Editions Albin Michel S.A, Août 2014, page 35 pour avoir plus de détails relatifs à la définition du concept « solidarité », considéré comme vertu politique.

15 – Jean Abner, CHARLES. La formation Sociale Haïtienne au XIXème siècle, Port-au-Prince, Collection Procédure, page 34.

16 – Rémy, ZAMOR. Histoire d’Haïti (1804-1888), fin du gouvernement de Salomon, Port-au-Prince, Imprimerie Le Natal, 1992, page 14.

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