La nation haïtienne vient de perdre l´un des hommes les plus paradoxaux du panorama politique du pays: le président Jovenel Moïse a été assassiné, en sa résidence privée, par un commando le 7 juillet dernier. Sa mort issue des motifs obscurs et des circonstances peu nettes qui l´entourent a provoqué une immense vague d´indignation et de répulsion, tant de la part de ses nombreux détracteurs, que de ses sympathisants, et du peuple en général. Le sol d´Haïti a été souillé par des mercenaires étrangers, des Colombiens, à qui était confié l´objectif de liquider le président, mission qui a été pleinement accomplie. Les prétendus exécuteurs de cette sale besogne ont été vite appréhendés, et le pays ne se réveille toujours pas de ce crime affreux et ne cesse de s´interroger sur les auteurs intellectuels. Les funérailles officielles du président ont eu lieu et les investigations continuent. Si Haïti était complètement ignoré par la presse internationale depuis plus de deux ans, l´assassinat de Moïse et ses répercussions ont occupé les manchettes des principaux journaux au niveau mondial et font l´objet de multiples commentaires.
Je ne prétends en aucune manière élucider ou jeter un peu de lumière sur les multiples versions qui circulent autour de l´assassinat du président, ce serait une folie de ma part. Evidemment ça dépasse ma compétence, car je ne suis ni un politologue et encore moins le spécialiste d´un service d´intelligence, mais j´ose modestement exprimer mon opinion sur ce funeste évènement, parce que je n´arrive pas à rester indifférent à la mort prématurée et odieuse de cet homme, pour qui je n´éprouvais pas une grande sympathie, mais auquel, en dépit de tout, je n´aurais jamais souhaité un sort aussi brutal.
Élu en 2016 sous la bannière du PHTK, le parti de son prédécesseur à la présidence, Michel Martelly, impliqué dans la malversation des fonds Petro Caribe, prêt de 4 milliards de dollars octroyés par le gouvernement bolivarien à Haïti, Moïse était très impopulaire à son accession au pouvoir et le devint encore davantage durant les premières années de son mandat à cause de ses accointances avec la puissante classe économique formée par l´oligarchie bourgeoise. Les gens les plus avisés, quelques intellectuels de renom et perspicaces, affirment sans détours qu´il gouverna le pays comme un autocrate pendant plus d´un an moyennant des décrets-lois, en violation des principes constitutionnels et contribua à affaiblir les institutions avec la complicité flagrante et même l´assentiment de la communauté internationale. Son mandat présidentiel prit fin le 7 février passé, mais il resta accroché au pouvoir. Les nombreux et douteux meurtres commis durant sa présidence n´ont pas été investigués et son projet de référendum non prévu par la constitution haïtienne généra des suspicions et une grande méfiance à son endroit. La “Gangocratie”, un terme très à la mode ces jours-ci et qui se réfère à la prolifération de gangs, avec des intérêts antagoniques entre eux, qui divisent Port-au Prince, la capitale politique, économique et administrative du pays, la transformant en des zones d´influence à l´instar de la mafia, imposant leurs lois au moyen d´intimidations, d´enlèvements, de crimes divers etc… afin de fomenter l´angoisse, de créer et de maintenir la peur, fait partie de la vie courante des citoyens. On accuse Moïse de se servir d´eux pour terroriser la population.
Il n´est pas sans savoir que la campagne électorale de Jovenel a été financée par cette classe détentrice de toutes les richesses du pays depuis plus d´un siècle et que le chef d´État nageait dans la corruption, était pour le moins connaisseur des pratiques mafieuses de rigueur dans le pays et préférait faire la sourde oreille. Il est aussi l´un des suspects du détournement des fonds de Petro Caribe.
Si bien que les partenaires financiers de Moïse se situent dans l´oligarchie syro-libanaise et dans une frange de la bourgeoisie haïtienne, principaux défenseurs du statu quo obsolète et inique, [ce qui conduit à se demander]quelles sont les causes majeures de la “subite prise de conscience sociale¨ du mandataire qui provoqua son affrontement avec les nantis, de son “élan de patriotisme¨ pour emprunter une expression chère au Dr. Fils-Aimé?
Il n´existe pas un système ou des normes établies nous permettant de mesurer ou d´évaluer, numériquement parlant, l´évolution de la pensée d´un individu, parce que ce processus est subordonné à différentes variables, telles que l´intelligence, l´éducation, le milieu ambiant, les expériences vécues, les sentiments, etc…, ensemble de caractéristiques qui composent la personnalité. Ce qui veut dire que j´ignore quand, comment et où germa dans son esprit cette attitude revendicative et provocatrice, c`est-à-dire le point de départ de cette soudaine façon d´agir. Au point de prononcer des discours enflammés dénonçant de manière impétueuse les abus perpétuels, les irrégularités continues, les enrichissements illicites, produits de contrats juteux et fabuleux, de favoritismes, non respectés par quelques-uns des membres de cette oligarchie, avec laquelle Jovenel maintenait d´étroites relations et exécutait sans rouspéter les diktats.
Son comportement dans ses dernières apparitions publiques était de plus en plus incontrôlable et s´apparentait à celui d´un illuminé, d´un exalté, menaçant les puissantes familles qui gèrent depuis longtemps à leur guise l´économie du pays et sont jalouses de leurs différents privilèges. Comment pensait-il continuer à exercer son pouvoir et sortir indemne de cette situation, après avoir réalisé cette dangereuse pirouette ? II était devenu la cible à abattre, son revirement entre autres causes, sans nul doute, lui coûta la vie. Mais il pensait que ce n´était pas chose possible, puisqu´il représentait une “arête dans leur gorge”, selon ses propres propos. Il n´est pas risqué de dire que par sa naïveté, son ingénuité, il avait perdu le contact avec la réalité, il vivait sa propre réalité. Les raisons de sa “subite prise de conscience” peuvent être diverses: depuis une prise de conscience réelle, authentique, ce dont je doute fort, en passant par un désir ardent de gagner une certaine popularité, par exemple, jouant au nationaliste, ou d´avoir essuyé une flétrissure émotionnelle consécutive à une mésentente ou un sérieux désaccord, à une déception ou à une humiliation quelconque de la part de ses bailleurs de fonds, ce qui alimenterait en lui un esprit de dégoût y compris de vengeance à leur égard. Bref, une prise de conscience purement circonstancielle dans les deux derniers cas. Ce sont évidemment des élucubrations, des hypothèses, puisque n´ayant pas vécu dans l´entourage du chef de l´État, je ne dispose honnêtement pas de données suffisantes et fiables afin de pouvoir me prononcer de façon péremptoire sur le sujet.
Pays d´avant-garde dans la lutte contre l´esclavage et en faveur des droits humains, Haïti est devenu incontestablement un pays défaillant. Les politiciens véreux de différentes couleurs idéologiques, au lendemain de l´assassinat du président, continuent à s´entredéchirer en réclamant le pouvoir, tandis que le peuple gémit sous le poids de la misère, de la manifeste indifférence et de la corruption endémique des dirigeants pour sa propre survie. À quand le réveil de mon pays?
Séville (Espagne), le 11 Août 2021