Le feuilleton kenyan en Haïti (5)

(5e partie)

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Le président William Ruto et le Premier ministre haïtien Ariel Henry ont assisté à New York, aux États-Unis, à la signature de l'accord à la mission d’occupation militaire kenyane

Pour l’histoire, voici le texte qui a été rédigé et publié scellant ainsi les relations diplomatiques entre la République d’Haïti et la République du Kenya:

« Désireux de promouvoir et de renforcer les liens d’amitié et de coopération entre les deux pays pour le bénéfice mutuel des peuples de la République d’Haïti et de la République du Kenya et dans la poursuite des intérêts communs. Guidé par les principes et objectifs de la Charte des Nations Unies, du Droit international et des Traités, en particulier en ce qui concerne la promotion de la paix et de la sécurité internationales, l’égalité entre les États. La souveraineté nationale, l’indépendance, l’intégrité territoriale et la non-ingérence dans les affaires intérieures d’autres États et en vertu de la Convention de Vienne sur les Relations Diplomatiques du 18 avril 1961 et la Convention de Vienne sur les Relations Consulaires du 24 avril 1963. Ont décidé d’établir des relations diplomatiques, à compter de la date de signature du présent Communiqué conjoint et ont accepté d’échanger des Ambassadeurs à l’issue des processus établis par les voies diplomatiques. En foi de quoi, les Représentants soussignés, autorisés par leurs Gouvernements respectifs, ont signé le présent Communiqué conjoint en deux exemplaires originaux en français et en anglais, les deux textes faisant également foi. »

Après les actes, les deux parties se sont congratulés et chacune, en portant un toast, a souligné l’importance de cette relation sans oublier de revenir sur le sujet qui les a rapprochés. Du côté kenyan, le Président William Ruto appelle à une approche globale dans les relations avec Haïti, affirmant que si son pays prend le leadership de la force multinationale en Haïti cela inclut « des considérations politiques, sécuritaires et de développement afin de remédier efficacement à la situation en Haïti. Selon le dirigeant kenyan, « le Kenya ferait sa part en dirigeant une mission multinationale de soutien à la sécurité, dotée de ressources suffisantes et efficace, en Haïti. »

Pour sa part, le Premier ministre Ariel Henry a réaffirmé que « Haïti avait besoin de tout le soutien nécessaire pour relever les immenses défis auxquels le pays est confronté. Le peuple haïtien attend avec impatience l’élimination des bandes criminelles qui sèment la terreur au pays depuis 2021. » Après cet échange de bons procédés, c’est à la Tribune des Nations-Unies que les choses allaient se passer concrètement pour les deux pays. Si Ariel Henry devait attendre vendredi pour intervenir, le jeudi 21 septembre, les Etats membres de l’ONU ont assisté à un vrai plaidoyer du Président William Ruto en faveur d’Haïti. Se montrant déterminé, combattif, le dirigeant kenyan se faisait historien afin de sensibiliser la Communauté internationale à se décider sur le sort d’Haïti. Ça y est ! Il est décidé à prendre sa part, toute sa part, dans la conduite des opérations en Haïti. Il n’attend que le vote du Conseil de sécurité dont il sollicite l’accord pour mobiliser les hommes et l’intendance. Et William Ruto, depuis son Pupitre de l’ONU, lance ce message « Les cris de nos frères et sœurs, les premiers à avoir gagné leur combat pour la liberté face à la tyrannie coloniale, sont arrivés jusqu’à nos oreilles et nos cœurs. 

La Secrétaire d’Etat-Adjointe chargée des Affaires politiques au Département d’Etat américain, Victoria Nuland

Un peuple fier mais humilié qui aujourd’hui souffre immensément, héritage amer de l’esclavage, du colonialisme, du sabotage et de l’abandon. Haïti est un test de solidarité et d’action collective pour la Communauté internationale, test auquel elle a échoué jusqu’à présent. Ne rien faire face à cet isolement, cette négligence et cette trahison historique est hors de question. J’appelle le Conseil de sécurité à approuver une Résolution détaillant les contours de cette mission de soutien. Cette mission devrait s’inscrire dans une stratégie plus large. Stratégie qui inclut aide humanitaire, soutien des moyens de subsistance, réformes et processus politiques menés par les Haïtiens dans l’objectif d’organiser des élections libres et justes dans un calendrier raisonnable ». Après ce cri du cœur du chef de l’Etat du Kenya, on pouvait penser qu’il ne resterait plus de place pour tergiverser sur le sort d’Haïti.

Pourtant, le Canada qui entend jouer dans la cour des grands et tentant de se présenter comme l’allié fidèle des Etats-Etats dans le dossier tout en essayant de couvrir son échec à monter l’expédition avec des coups de sanctions contre les politiciens, hommes d’affaires et secteur bancaire haïtien, revient avec une nouvelle liste de sanctionnés : Jean-Marie Vorbe, de SOGENER, Carl Braun, l’un des fondateurs et dirigeant de la plus grande banque privée haïtienne (Unibank) et Marc Antoine Acra, industriel du textile comme pour faire diversion. Toujours à New-York, le jeudi 21 septembre 2023, Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, dans le cadre de l’Assemblée générale, a reçu son homologue haïtien, Ariel Henry, dans le très select Qatar Lounge à l’ONU. Visiblement à court d’argument sur un dossier qu’il ne maîtrise quasiment plus depuis que le Kenya apparaît mieux à même à répondre à l’appel des Etats-Unis, d’emblée le Premier ministre canadien ouvre la rencontre par cette annonce « Le Canada continue de s’engager à soutenir le peuple haïtien pendant cette période épouvantable. 

Nous fournissons de l’aide humanitaire, de l’aide à la Police nationale d’Haïti (PNH). On est en train de bâtir un consensus politique dans la région et à l’international. On a imposé des sanctions contre des élites qui contribuent à cette instabilité et cette crise. On a annoncé 100 millions de dollars d’aide à la PNH. Ce qui contribuera à la stabilisation de la situation sécuritaire. Aujourd’hui, je suis content d’annoncer qu’on va donner 80 millions de dollars de plus, pour de l’aide humanitaire et de l’aide à la sécurité ». En fait, à part les trois noms rajoutés sur la fameuse liste noire des sanctions, il n’y a rien de nouveau dans ce qu’a annoncé Justin Trudeau qui essaie de se rattraper dans un dossier dont il a perdu le contrôle. D’ailleurs, la réponse du chef de la Transition en Haïti ne laissant aucun doute sur ce que pense le dirigeant haïtien de l’attitude du chef du gouvernement canadien. Courtois, Ariel Henry y a répondu simplement : « Nous nous engageons à continuer le dialogue et voir comment on peut sortir le peuple de cette situation difficile qui a trop longtemps duré.

L’ambassadrice de l’USA aux Nations-Unies, Linda Thomas-Greenfield et le Secrétaire d’Etat américain Antony Blinken

C’est urgent de trouver une solution. Il en va de la vie des citoyens qui souffrent énormément au quotidien. Le Canada a déjà pris un certain nombre d’initiatives comme la réunion d’aujourd’hui. Nous espérons sortir de cette réunion avec quelque chose de concret qui pourra changer la vie des Haïtiens. » C’est une façon de dire que nous n’attendions rien d’Ottawa à part le support financier et quelques policiers de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Le vendredi 22 septembre 2023, c’était au tour du locataire de la Villa d’Accueil de monter à la Tribune de l’ONU. Dans son intervention, outre un plaidoyer général pour la paix et la problématique sanitaire et sécuritaire dans le monde, Ariel Henry est revenu à la charge et a réitéré sa demande du mois d’octobre 2022 relative à l’aide militaire internationale. Il a imploré le Conseil de sécurité de l’ONU à qui revient le vote d’une Résolution pour l’envoi d’une mission militaire dans un Etat membre ; il soutient également le leadership du Kenya pour conduire cette force multinationale dont les Etats-Unis et Equateur tentent de concocter un texte qui pourrait satisfaire la Russie et la Chine.

Ce vendredi 22 septembre 2023, beaucoup d’initiatives ont été entreprises à New-York au cours de l’Assemblée générale des Nations-Unies sur le dossier haïtien afin de sortir de ce feuilleton interminable dont le Kenya en devient le personnage central sans pour autant avoir ni la capacité militaire ni les moyens financiers pour faire quoi que ce soit sans le soutien de Washington et l’accord d’un certain nombre de pays amis alliés des Etats-Unis. Ainsi,  pendant que certains discourent dans les différentes chambres de l’ONU, une réunion pour la création d’une Mission Multinationale de soutien à la sécurité en Haïti (MSSH) était organisée sous l’auspice des Etats-Unis par le Secrétaire d’Etat Antony Blinken. Rejoints par l’ambassadrice de l’USA aux Nations-Unies, Linda Thomas-Greenfield, plusieurs pays ont pris part à cette énième rencontre sur cette thématique haïtienne. En présence des trois premiers pays concernés, Etats-Unis, Haïti et Kenya, près de trente autres Etats ont participé à cette réunion comme en témoigne cette liste comprenant des représentants : d’Antigua-et-Barbuda, d’Argentine, des Bahamas, de la Barbade, de Beyrouth, du Belize, du Canada, de la CARICOM, du Chili, de la Colombie, de la Côte d’Ivoire, de la Dominique, de la République dominicaine, de l’Équateur, de l’UE, de l’Allemagne, de la France, de la Guyana, de la Jamaïque, du Japon, d’Italie, du Mexique, de l’OEA, du Paraguay, du Pérou, de Sainte-Lucie, d’Espagne, de Suriname, de Trinité-et-Tobago, du Royaume-Uni et d’Uruguay. Le but de cette rencontre pour Washington, fédérer tous ces pays dans ce qu’il appelle : Mission Multinationale de soutien à la sécurité en Haïti (MSSH), une nouvelle appellation pour mieux noyer le poisson aux yeux des Russes et des Chinois et les autres Etats plus sceptiques sur une opération militaire proprement dite.

Dans ce dossier, comme on peut le voir, la Maison Blanche ne parle plus de force militaire multinationale robuste mais de mission multinationale. Ce qui, sur le fond, revient au même. C’est le vocabulaire qui change. En réalité, l’objectif reste le même. Lors de la réunion organisée sous l’obédience des américains, ces derniers ont profité pour rassurer leurs hôtes que tout ou presque sera pris en charge par Washington. D’après Anthony Blinken, le patron du Département d’Etat américain (ministère des Affaires Etrangères), les Etats-Unis fourniraient : la Communication, le Renseignement militaire, la logistique, le transport aérien des troupes, le soutien médical sans oublier la coquette somme de 100 millions de dollars dès que le Conseil de sécurité aura approuvé la « Mission Multinationale de soutien à la sécurité en Haïti », en somme l’intervention militaire conduite par le Kenya désigné par Washington. Rappelons que cette déclaration a été faite en présence du Premier ministre Ariel Henry et du ministre des Affaires Etrangères kenyan, Alfred Nganga Mutua qui, entretemps, a été muté au Ministère de la Culture.

Mais, à en croire la Secrétaire d’Etat-Adjointe chargée des Affaires politiques au Département d’Etat américain, Victoria Nuland, c’est environ 200 millions de dollars que les Etats-Unis entendent mettre tout de suite sur la table pour démarrer l’opération, dans la mesure où 100 millions viendraient des caisses du Pentagone (Ministère de la Défense) et 100 millions du budget fédéral après l’accord du Congrès. Et la Maison Blanche ne compte pas s’arrêter là, puisque, selon Victoria Nuland, Washington entend mettre à contribution tous ses alliés.  « Pour cette mission nous passerons également le chapeau au niveau international, et nous espérons que beaucoup de nos partenaires seront prêts à intensifier leurs efforts » déclarait la Secrétaire d’Etat-Adjointe. La Représentante en Haïti du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, et cheffe du Bureau Intégré des Nations-Unies en Haïti (BINUH), Mme Maria Isabel Salvador, qui a pris part à la fameuse réunion était toute heureuse et aux anges à la sortie. Cette fois-ci, elle y croit. Si elle avait refusé de donner une date précise, elle espérait tout même que ce serait le plus rapidement. Elle osait même dire que ce serait dans une semaine. Rappelons, qu’on était le vendredi 22 septembre 2023.

« Cette réunion a permis aux pays qui s’intéressent à Haïti d’échanger sur les besoins de cette mission multinationale de support à la sécurité en Haïti. Il y a eu des échanges assez forts et clairs sur la décision que le Conseil de sécurité devra prendre, on espère, la semaine prochaine, au sujet de l’autorisation pour cette mission. Le processus traîne parce qu’il s’agit de négociations. Il faut négocier entre les pays sur le texte, son contenu, etc. C’est pour cela que ça traîne. Mais la majorité des pays qui ont pris part à la réunion de ce vendredi veulent appuyer la résolution. Il appartient maintenant au Conseil de sécurité de décider. Je ne peux pas donner de date. On l’avait fait avant, et deux fois. Mais les pays prennent du temps avant de décider. On a parlé de la semaine prochaine mais je ne peux pas dire quel jour », avançait Maria Isabel Salvador la cheftaine du BINUH restant très optimiste.

(A suivre)

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