Le feuilleton kenyan en Haïti (2)

(2e partie)

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Le Kenya ne va pas envoyer en Haïti des policiers « agents de la circulation » comme certaines rumeurs le laissent entendre sur les réseaux sociaux, mais des Forces armées spécialisées bien entraînées qui n’en sont pas à leur première mission ».

Pour le chef d’Etat dominicain, la paternité d’une intervention étrangère en Haïti devrait lui revenir puisqu’il était le premier, longtemps avant les dirigeants haïtiens, à solliciter cette force militaire étrangère. Un crédit, en effet, qu’on ne peut pas lui refuser dans la mesure où depuis toujours, Luis Abinader militait pour une occupation étrangère d’Haïti afin de pouvoir contenir, avant la fermeture unilatérale de la frontière pour faire suite au conflit relatif à la construction d’un canal du côté haïtien sur la rivière Massacre, l’afflux des haïtiens qui se déversent chaque jour sur le territoire de la République dominicaine.

Si les dominicains cherchent à s’approprier l’arrivée des « policiers kenyans » d’après la terminologie officielle, bien que depuis la Résolution 2699 du Conseil de sécurité du 2 octobre 2023, les langues commencent à se délier de part et d’autre du Continent pour dire la vérité comme l’a proclamé haut et fort Nelson Koech, un parlementaire kenyan « Le Kenya ne va pas envoyer en Haïti des policiers « agents de la circulation » comme certaines rumeurs le laissent entendre sur les réseaux sociaux, mais des Forces armées spécialisées bien entraînées qui n’en sont pas à leur première mission ».

De toute façon, les américains ne se cachaient plus pour laisser comprendre qui les a aidés à convaincre les autorités kenyanes à se décharger du fardeau de leader dans ce dossier militaire même si ce sont eux qui vont porter l’effort « de guerre » de cette intervention militaire et occupation sur le plan financier. En effet, d’après les calculs du Sous-Secrétaire américain Chargé du Bureau des affaires internationales, de stupéfiants et d’application de la loi, Todd Robinson, ce déploiement de la force internationale effectué sous la conduite du Kenya est estimé annuellement à entre 200 et 400 millions de dollars américains. Le journal Miami Herald du 4 août 2023 qui a rapporté la déclaration du Todd Robinson, affirme que celui-ci prévient que les Etats-Unis n’entendent pas payer, seuls, l’adition. D’autres pays y compris Haïti devraient mettre la main à la poche pour financer le coût de cette mission.

« Le Kenya ne va pas envoyer en Haïti des policiers ” agents de la circulation ” comme certaines rumeurs le laissent entendre sur les réseaux sociaux, mais des Forces armées spécialisées bien entraînées qui n’en sont pas à leur première mission ».

Selon le Sous-Secrétaire américain « Les États-Unis allaient faire « passer le chapeau ». Car il n’y a aucun moyen de facturer directement les pays, puisqu’il ne s’agit pas d’une véritable mission de maintien de la paix de l’ONU. Il appartiendra au pays chef de file, aux Haïtiens et à l’ONU de déterminer à quoi cela va ressembler. Qu’est-ce qui sera nécessaire ? Combien de forces supplémentaires, au-delà de celles qui pourraient être engagées par un pays chef de file, seront nécessaires ? Et comment veulent-ils que cela se présente ? Nous ne voulons rien exclure de tout cela ». Le mardi 1er août 2023, le gouvernement américain, à travers son ministre des Affaires Etrangères, ne s’était pas contenté de remercier le gouvernement du Kenya pour son accord. Dans une intervention faite à la presse, le chef du Département d’Etat, Antony Blinken a déclaré : « Les États-Unis félicitent le gouvernement du Kenya d’avoir répondu à l’appel d’Haïti et d’avoir envisagé d’être le pays chef de file d’une force multinationale en Haïti pour aider à lutter contre l’insécurité causée par la violence des gangs.

Les États-Unis sont impatients de travailler avec les partenaires d’Haïti pour faire avancer ce processus, notamment, par le biais d’une Résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies autorisant la présence d’une force multinationale en Haïti. Notre soutien au peuple haïtien reste inébranlable. Les États-Unis appellent les parties prenantes haïtiennes à prendre des mesures urgentes pour élargir le consensus politique et restaurer l’ordre démocratique, conformément à la Charte démocratique interaméricaine » a dit Blinken avant de rajouter « Nous réaffirmons notre gratitude à la Communauté des Caraïbes (CARICOM), à son groupe d’éminentes personnalités et à l’Organisation des États américains (OEA), par l’intermédiaire de son groupe de travail sur Haïti présidé par Trinité-et-Tobago, pour le soutien vital qu’ils apportent à ces efforts ».

Naturellement, le Canada qui n’a pas pu constituer un groupe ni trouver un leader pour mener la force multinationale à sa place, comme l’auraient voulu les Etats-Unis, a aussi répondu très favorablement à la proposition du Kenya. L’ambassadeur canadien à Port-au-Prince à ce moment, Sébastien Carrière, qui se prenait de plus en plus pour un ambassadeur américain dans ce pays, avait rapporté la position d’Ottawa après un « coup de gueule » de son Premier ministre Justin Trudeau contre les acteurs politiques haïtiens.

Todd Robinson, Sous-secrétaire américain Chargé du Bureau des affaires internationales, de stupéfiants et d’application de la loi

Il rapportait que « Le Canada accueille positivement l’annonce du Kenya. Nous sommes prêts à travailler avec le Kenya et tous les partenaires afin d’assurer le succès de l’imminente mission de reconnaissance et de tout déploiement éventuel subséquent sous mandat du CSNU (Conseil de Sécurité des Nations-Unies ». Une déclaration faite après que Justin Trudeau eut à déclarer à propos de la situation du pays « Ça fait trois décennies qu’on est là en Haïti à différents moments pour aider à contrer la violence, l’instabilité politique et une situation humanitaire épouvantable. On se retrouve quand même, maintenant, dans une situation qui est parmi les pires qu’on n’ait jamais vues malgré trente ans d’appuis et d’investissements. On est là pour mettre de la pression sur la classe politique en Haïti, qui n’est pas en train de prendre au sérieux la responsabilité qu’ils ont de faire des compromis et rétablir la sécurité. Le Canada va continuer de faire partie de la solution à côté des Haïtiens qui doivent être au cœur de toute solution qu’on met de l’avant… »

En Haïti, il y a eu beaucoup de réactions suite à l’annonce de Nairobi, la capitale du Kenya, de vouloir diriger la coalition armée qui devrait débarquer en Haïti. Si certains acteurs restent dubitatifs face à la capacité du Kenya de mener à bien cette force multinationale, d’autres sont carrément contre à l’image de l’ancien Premier ministre et ex-ministre des Affaires Etrangères, Claude Joseph. L’ancien chef de la diplomatie de Jovenel Moïse estime que le Kenya n’est pas en mesure de mener une telle mission en déclarant « Le Kenya, qui s’est dit prêt à diriger une force internationale en Haïti, est embourbé dans sa propre crise sociopolitique interne.

Les manifestations anti-gouvernementales protestant contre la vie chère sont violemment réprimées par la police. Une police qui n’est pas professionnelle dans son pays, peut-elle l’être ailleurs? » s’interroge Claude Joseph, chef de file du parti EDE (Les Engagés pour le Développement). En revanche, Me André Michel, Coordonnateur du parti SDP (Secteur Démocratique et Populaire) le principal soutien du Premier ministre Ariel Henry, voit là une occasion de mettre fin aux actes posés par les groupes armés et les gangs. « Le SDP accueille favorablement l’annonce de la volonté du Kenya de prendre le leadership de la force multinationale et d’envoyer 1000 policiers en Haïti. Le SDP invite les autres pays membres des Nations-Unies à emboîter le pas pour aider Haïti à traverser cette étape difficile. Le SDP réitère son support sans faille à la décision du gouvernement de solliciter une force internationale pour accompagner la PNH dans la lutte contre l’insécurité et le Kidnapping. Seule une force internationale pourra nous aider à libérer le Pays de l’enfer des gangs armés. Sans cette force internationale, la révision constitutionnelle et l’organisation des élections seront totalement hypothéquées.

Le SDP invite la population à faire bloc derrière l’initiative du Gouvernement de solliciter cette force internationale d’appui à la PNH » a posté sur son compte X (ex-twitter) le Coordonnateur du SDP, membre de l’Accord du 21 décembre. Pendant que d’autres acteurs politiques et de la Société civile haïtienne se positionnent tantôt contre tantôt pour que le Kenya prenne le leadership de la force multinationale, certains Etats membres de la CARICOM, bien avant l’organisme régional, avaient commencé à se rallier au Kenya pour compléter l’effectif. Il y a la Jamaïque qui se dit intéressée. « Dans l’état actuel des choses, l’engagement de la Jamaïque tient toujours. Nous ne pouvons certainement pas aller jusqu’aux 1000 soldats. Mais nous fournirons ce que nous pouvons », déclarait le Premier ministre Andrew Holness dans un journal local The Jamaica Gleaner du 3 août 2023.

Le 4 du même mois, on avait appris que Kingston ne pourrait aligner que 200 hommes dans le contingent. On se souvient que le gouvernement jamaïcain avait été approché par le Canada après que celui-ci ait décliné la proposition des Etats-Unis. La Jamaïque tentait même un temps de monter cette force avec le concours de la CARICOM mais ce fut un échec. Par contre, le gouvernement bahaméen lui est beaucoup plus précis. Nassau voit là l’opportunité de répondre positivement aux vœux des autorités kenyanes estimant que ce leadership du Kenya dans cette affaire est une occasion d’être au « Côté des personnes d’ascendance africaine et de la diaspora d’Afrique dans le monde entier ». En effet, d’après les dirigeants bahaméens « Les Bahamas se sont engagés à envoyer 150 personnes pour soutenir la force multinationale une fois qu’elle aura été autorisée par le Conseil de sécurité des Nations-Unies. Les Bahamas se réjouissaient de coopérer avec les partenaires de l’hémisphère, y compris les États-Unis et le Canada » soulignent-ils dans un Communiqué émanant du Ministère bahaméen des Affaires Etrangères.

Depuis le début, la Russie et la Chine ont toujours manifesté non pas leur refus mais leur réticence à donner un chèque en blanc au gouvernement américain pour envoyer un corps expéditionnaire en Haïti.

Dans cette histoire, personne n’est dupe et le Premier ministre des Bahamas, Philip Brave Davis, le fait savoir sans se cacher en disant être prêt à coopérer avec les partenaires de l’hémisphère américain en citant nommément les Etats-Unis et le Canada. C’est une façon de dire que ce sont ces deux Etats qui se cachent derrière le Kenya dans cette opération de maintien de l’ordre sous l’ombrelle des Nations-Unies. Dans ce feuilleton kenyan, après l’appel de l’Organisation des Etats Américains (OEA) à approuver le déploiement d’une force multinationale en Haïti par le Conseil de sécurité de l’ONU, finalement, la CARICOM a émis une note en date du 4 août 2023 appelant elle aussi les membres du Conseil de sécurité à répondre favorablement aux vœux du gouvernement haïtien qui en a fait la demande et celui des Etats-Unis qui devaient présenter une Résolution autorisant le Kenya à mener la mission. « La Communauté des Caraïbes (CARICOM) se félicite de la décision prise par les gouvernements des Bahamas (150 hommes) et de la Jamaïque (200 hommes) de se joindre au Kenya (1000 hommes) pour contribuer à une force multinationale en Haïti afin d’aider cette Nation à relever ses défis de sécurité.

La Communauté des Caraïbes espère que la mise en place de la force multinationale sera pleinement approuvée par le Conseil de sécurité des Nations-Unies, comme preuve de l’engagement de la Communauté internationale à améliorer les conditions de sécurité et humanitaires du peuple haïtien et à soutenir le rétablissement de la loi et de l’ordre. La CARICOM réitère son engagement à poursuivre ses efforts de collaboration avec le Gouvernement haïtien et toutes les parties prenantes pour trouver une solution dirigée par les Haïtiens au sort auquel leur Nation est confrontée », conclut la note. En effet, la chance pour  Washington d’obtenir le vote des Russes et des Chinois était loin d’être acquise. Depuis le début, la Russie et la Chine ont toujours manifesté non pas leur refus mais leur réticence à donner un chèque en blanc au gouvernement américain pour envoyer un corps expéditionnaire en Haïti.

Malgré la demande officielle des autorités de la Transition à Port-au-Prince et le soutien sans réserve du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, ces deux membres permanents du Conseil de sécurité sur les cinq que compte cet organisme ont toujours fait savoir qu’il leur faudra des garanties que cela ne se transformerait pas en une force d’occupation permanente américaine en Haïti. Surtout, ces deux Etats sont soutenus dans leur ligne de défense par une série d’organisations politiques, d’acteurs et de personnalités de la Société civile haïtienne qui ont toujours manifesté leur opposition catégorique à toute forme d’intervention militaire en Haïti pour résoudre la crise. D’où la crainte des Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne, les trois autres membres permanents qui soutiennent la demande de Port-au-Prince et accueillent à bras ouvert l’offre du gouvernement de Kenya de prendre la tête de l’expédition. Toutefois, Washington avait confiance et croyait en ses chances de passer à travers les mailles du filet du Conseil de sécurité de l’ONU.

(A suivre)

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