Le charme secret de Jean-Charles et le sourire heureux de Martine

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Jean-Charles Moïse, le sénateur ensorceleur

En créole nous disons couramment : fò w konn la pou al la. En ‘‘bon français’’ je dirais volontiers, juste pour tordre le cou à la langue française et m’amuser : il faut savoir là pour aller là. Ce ‘‘la’’ n’est pas accessible au premier venu. Parfois, il faut savoir comment s’insinuer dans les interstices des rapports humains pour atteindre ce ‘‘la’’. J’ai ma façon à moi de faire pour accéder à ce ‘‘la’’- là. J’en ai l’habitude. J’ai ma technique de faufilage, et surtout ne comptez pas sur moi pour partager avec vous des secrets de haut niveau.

Depuis ce moment inattendu où, lors des funérailles de Jovenel, Jean-Charles Moïse, Pitit Desalin de son nom politique, s’est penché aux oreilles d’une veuve en principe éplorée et a pu la porter à irradier de joie à travers un grand sourire de bonheur – d’aucuns parlent plutôt de fou rire – tout le monde se pose la question : mais qu’est-ce que l’ex-sénateur du Nord a bien pu dire à Martine pour déclencher cette exaltation ?       On prétend que seulement madame et le secret charmeur savent ce qui a été dit entre eux. Mais justement, il faut savoir la pour aller la. Jean-Charles en réalité avait préparé son speech sourirogène. Et comme nous deux sommes des nordistes (moi par mon père et ma grand-mère paternelle), un jeu d’osmose s’est opéré, des interstices de rapports humains (et géographiques) m’ont permis d’accéder au la jean-charlier. Alors, men sa l te di Martine.

Martine, la veuve ensorcelée

« Chère madame, veuve éplorée, Jovenel est tombé mais vous voilà debout, brave Marie-Jeanne, ferme, forte et héroïque. Vous vous êtes relevée d’un immense chagrin, d’une profonde douleur, prête à lever un défi historique, prête à prendre la relève d’un homme traîtreusement assassiné, prête à assumer un destin plus grand même que celui de Jovenel. Allons grande dame de la patrie dessalinienne ! Le jour de gloire est déjà à votre portée.

Contrairement à un grand intellectuel du pays je vous dirai sous le sceau du secret épidermique : la classe n’est rien, la couleur est tout. Vous et moi sommes les fils authentiques d’Afrique. Nous sommes unis par notre couleur, celle de la grande majorité refoulée dans l’arrière-pays depuis le magnicide du 17 octobre. Les descendants des Pétion et Boyer nous ont barrés la route depuis 1806. Mais je vois en vous une femme déterminée, capable de franchir tous les obstacles placés sur la route des ti zòrèy par les tèt swa.

Vous êtes une femme vaillante, que dis-je, une fanm vanyan, une femme martyre ; une femme toutbon, que dis-je, une femme tout de bon ; une femme courageuse, que dis-je encore, une femme djanm. Un destin vous appelle et vous attend, un destin hors du commun vous fait des yeux doux ; un destin jovenellien vous réserve un deuxième anneau nuptial, celui qui vous ouvrira les portes de la présidence.

Tout le monde le réclame : madame La Lime, Michele Sison, Washington, le Département d’État, le Pentagone, le président Biden, même le perdant Trump, le président Macron et même sa nourrice Brigitte Marie-Claude Trogneux, le Premier ministre Trudeau, le président Bolsonaro, l’ONU, l’OEA, Luis Almagro lui-même-même, l’Union européenne, bref, tous les ardents défenseurs de la démocratie, de la paix, des droits de l’homme (et de la femme) ; les protecteurs de la veuve et de l’orphelin.

C’est tout partout qu’on cite votre nom, qu’on réclame justice pour votre mari, qu’on vous imagine le fer de lance d’une nouvelle donne à imprimer au pays. Tout le monde vous réclame et vous acclame comme un seul homme, mais surtout comme une seule femme, que dis-je, comme la seule femme en mesure de prendre en main le destin de Jovenel, un grand destin fauché par les ti wouj tèt swa.

Pour paraphraser le grand musicien Nemours Jean-Baptiste, de regrettée mémoire : ‘‘lelit ak lamas di konsa se ansanm Martine yo vle’’. À entendre s’élever les voix du peuple du nord-Ouest, du Nord-Est, de Milot, du bas Artibonite (et aussi du haut Artibonite), voyez comme vous êtes toujours sou konpa. Sous le konpa ou sur le konpa, on n’entend qu’un seul refrain de type nemouriste-jean-baptiste : depi w konn make pa, se madan Jovenel nou vle.

Vous êtes une femme d’ordre et de méthode. Vous l’avez prouvé en négociant de façon heureuse le renouvellement des cartes d’identification électorale. Vous êtes une femme brillante, pleine de sang-froid, déterminée, passionnée, généreuse, solide, courageuse, assise sur votre ‘‘bloc de glace’’, un bloc inébranlable, incassable et même infondable, je veux dire, qui ne fondra pas.

Vous êtes aujourd’hui la chair et le sang de Jovenel devenus la chair et le sang des masses, des descendants authentiques de l’Afrique, à la peau noire, aux petites oreilles que les oligarques formés d’un ramassis de ‘‘grimo’’ tèt siro alliés à des descendants de bwèt nan do ont tenu à l’écart de l’avoir, du savoir et du pouvoir, depuis le règne de ce vilain Boyer aux ordres de Charles X et de la France. Foutre !

Vous avez la carrure politique, l’allure et la stature d’un vrai leader, le profil d’une femme de poigne, l’étoffe et le port altier d’un vrai chef d’État, la cadence d’une femme naturellement imbue de bonne gouvernance, le regard magnétique, le sens de la diversité, une énergie rassemblante, une flamme convaincante, bref toutes les qualités déterminantes pour être notre souveraine.

De votre ‘‘petite chaise basse’’ de deuil et de douleur, la communauté internationale hissera une ‘‘Moïse’’ au pinacle de la présidence. Près de vous, au sommet de cette apothéose, je me vois bien votre dévoué et fidèle Premier ministre. Et après votre mandat, vous ferez de moi le ‘‘troisième’’ Moïse président…

L’Éternel est grand, la gloire nous attend. »

[Et c’est là que Martine a eu son franc sourire].

10 août 2021

 

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