Le CEP du 22 septembre, quel symbole!

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Le Président Jovenel Moïse ne trouve pas meilleure date pour procéder au Palais national à l’installation de son CEP que le 22 septembre 2020.

Le Président Jovenel Moïse ne craint pas les symboles. Bien au contraire ! Sinon, jamais il n’aurait choisi la date du 22 septembre pour donner l’investiture aux neuf membres du nouveau Conseil Electoral Provisoire (CEP). En Haïti, grands et petits se souviennent et savent ce à quoi correspond cette date dans l’histoire contemporaine haïtienne. Politiquement c’est un symbole. Et quel symbole ! Peu d’hommes ou femmes politiques dans ce pays, sauf évidemment les partisans de l’ancien régime et encore, accepteraient aujourd’hui de faire coïncider un événement politique à la date du 22 septembre tant elle est synonyme de souffrance, de morts, de blessures, de disparations et d’exil durant plus d’un quart de siècle. 22 septembre en Haïti demeurera un souvenir insupportable pour des dizaines, des centaines voire des milliers de victimes innocentes de la dictature de la famille Duvalier, François et Jean-Claude.

Qui ne se souvient pas des légions de VSN (Volontaires de la Sécurité Nationale), les tristement célèbres Tontons Macoutes, semant la mort à volonté sur l’ensemble du territoire haïtien au nom de leur fondateur et protecteur, le tyran Dr François Duvalier ? Nul n’est besoin d’être historien ou spécialiste des choses politiques d’Haïti pour connaître l’ampleur des dégâts et des exactions commis par ces bandes de fanatiques qui ne reculèrent devant rien pour accomplir leurs œuvres au nom du pouvoir duvalierien qui s’était proclamé à vie par un referendum populaire malicieusement organisé, justement, un 22 septembre 1961 après avoir été élu 4 ans auparavant un 22 septembre 1957.  Bref, la date du 22 septembre en Haïti tout le monde connaît. Pourtant, c’est cette date que le Président Jovenel Moïse a choisie pour installer les 9 nouveaux membres du CEP qui, le moins que l’on puisse dire, est loin de faire l’unanimité dans la société. Nommés le vendredi 18 septembre 2020 dans les conditions qu’on sait, les nouveaux membres de l’organisme électoral ont été rejetés par l’ensemble de la classe politique y compris d’ailleurs par les acteurs de la Société civile pour vice de forme. Le plus surprenant dans ce front du refus est que même le parti PHTK d’où est issu le chef de l’Etat conteste la manière dont ce CEP a été formé.

Line Balthazar du parti PHTK d’où est issu le chef de l’Etat conteste la manière dont ce CEP a été formé.

Selon son Président, Line Balthazar, il faut un organisme électoral de consensus afin de parvenir à l’organisation des élections générales dans le pays. Or, si même le propre parti du Président Moïse conteste la méthode et la manière dont il a procédé pour la mise en place de cette institution, celui-ci reste droit dans ses bottes et continue de foncer tête droite dans une aventure que tout le monde croit vouée à l’échec.  Après le tollé et le choc provoqués dans tous les milieux par la publication de la liste de ces citoyens pour la plupart contestés par le propre secteur d’où ils seraient venus, certains espéraient que le locataire du Palais national allait tout au moins prendre le temps de relancer les Pourparlers avec les Secteurs habituels pour remédier à la situation plus que chaotique qu’a provoqué son initiative solitaire.

Ils en seront pour leurs frais. Insensible aux critiques et au mouvement de contestation qui se fait jour dans le pays, le Président Jovenel Moïse agit comme un Monarque qui semble ignorer les contestations. Il fonce à la manière d’un Souverain dont seules les paroles et les actes comptent dans le royaume.  Pour couronner le tout, comme s’il prenait goût à la provocation car personne ne peut croire qu’il s’agit d’une erreur ou d’ignorance historique, le Président Jovenel Moïse ne trouve pas meilleure date pour procéder au Palais national à l’installation de son CEP que le 22 septembre 2020. Personne ne voulait croire que le pouvoir avait arrêté cette date pour la cérémonie. Même dans les milieux du corps diplomatique, pourtant grand, pour ne pas dire le seul vrai soutien du chef de l’Etat dans ses décisions très risquées, la nouvelle passait mal. Mais, le Président semble pousser des ailes surtout après être rassuré et encouragé à poursuivre le processus de la mise en place du CEP par les autorités américaines. Il fait même du zèle. Et pour cause.

Dans ces encouragements, il voit une sorte de bénédiction de l’Oncle Sam qui lui sert de bouclier contre ses détracteurs et l’opposition en général qui, après le coup de semonce, commencent à relever la tête en annonçant des mobilisations populaires afin de faire échec à ce projet fou qu’est le referendum populaire devant approuver sa nouvelle Constitution. Ainsi, la date du 22 septembre, la date fétiche des Duvalier, était bien celle prévue pour porter aux fonts baptismaux les neuf membres du CEP que le Président peine à présenter à la nation. Prévues dans la matinée du mardi 22 septembre 2020, il était environ 16 heures lorsque les cérémonies ont commencé avec l’entrée en scène d’un Jovenel Moïse tout de même sur la défensive peut-être avec l’absence des principaux diplomates occidentaux qui, même s’ils cautionnent les initiatives et l’activisme d’un Président totalement isolé, auraient préféré que leur protégé choisisse une date moins porteuse de symbole que celle du 22 septembre. Mais, Jovenel Moïse veut profiter de l’instant présent.

Ce vingt-et-unième siècle est son siècle à lui. Il ne veut pas le rater. Rien ne sera de trop pour écraser ses ennemis ou ses adversaires politiques qui, finalement, croient que le Président creuse sa propre tombe politique. Les leaders de l’opposition plurielle, en effet, demeurent persuadés que le Président Jovenel Moïse ne pourrait sortir indemne de cette galère dans laquelle il s’enfonce jour après jour avec son projet de reforme constitutionnelle avec un organisme électoral sans crédit, sans légitimité, anticonstitutionnel et enfin contesté par l’ensemble de la Société civile organisée. Depuis l’instauration du Conseil Electoral Permanent(CEP) dans la Constitution de 1987 amendée en 2011, à chaque fois qu’un CEP provisoire devait être installé, il devrait impérativement sinon constitutionnellement prêter serment devant les magistrats de la Cour de cassation pour valider leur pouvoir. Il se trouve qu’en ce jour du 22 septembre 2020, la règle n’a pas été respectée.

Dans la panique, les invités du Palais national qui attendaient l’arrivée des membres du CEP faisaient signe de s’inquiéter de la tournure de la situation quand ils ont appris que la Cour n’était pas en mesure d’accueillir les nouveaux Conseillers électoraux.

Les juges de la plus haute juridiction haïtienne, sous pression de l’opposition et d’une cohorte de secteurs de la Société civile dont la Fédération des Barreaux d’Haïti (FBH) vent débout depuis le meurtre du Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Barreau de Port-au-Prince, Me Monferrier Dorval, se sont divisés sur la formation du CEP contesté par les principaux acteurs du pays. Ces honorables juges de la Cour de cassation n’ont pas pu se mettre d’accord sur une « différence d’opinion » disait le vice-Président de la Cour, Me Jean-Claude Théogène. Du coup, le quorum n’a pas pu être atteint ce jour-là et les neuf membres du CEP, après leur investiture au Palais national, sont partis bredouilles chez eux. La nouvelle a fait sensation et le tour la capitale : la Cour de cassation refuse d’accueillir le CEP de Jovenel pour prêter le serment constitutionnel. Les chefs de l’opposition, entretemps, crient victoire. Les magistrats ont accepté leur requête pour une banale histoire de quorum.

Le CEP du Président Jovenel Moïse bute donc sur un premier obstacle de taille. Tout le monde croyait que l’affaire était pliée. Dans la panique, les invités du Palais national qui attendaient l’arrivée des membres du CEP qui devraient en principe se rendre à la Cour de cassation juste en face de la présidence haïtienne au Champ de Mars, faisaient signe de s’inquiéter de la tournure de la situation quand ils ont appris que la Cour n’était pas en mesure d’accueillir les nouveaux Conseillers électoraux. La presse et les invités pensaient que la cérémonie d’investiture du CEP qui devrait précéder celle de la Cour de cassation allait être annulée. Mais, c’est mal connaître la détermination de Jovenel Moïse qui ne veut rien lâcher dans ce dossier d’élections et de referendum. Après quelques hésitations, l’équipe du Palais reprenant ses esprits se montrait plus combative que jamais. On court dans tous les sens. Finalement, elle annonce l’arrivée imminente non seulement des neuf membres du CEP au Palais national mais aussi du chef de l’Etat pour la cérémonie d’intronisation. Il est déjà 15h50. Le chapiteau préfabriqué installé dans les jardins du Palais national ne tarde pas à accueillir le couple présidentiel, le chef du gouvernement, Jouthe Joseph, et ses ministres, les hauts dignitaires civiles et militaires de la République et quelques diplomates de second ordre avec, naturellement, tous les membres du CEP solidaires et unis dans le désespoir derrière le Président de la République. Comme si de rien n’était, on pouvait commencer.

La cérémonie d’installation des Conseillers électoraux est ouverte. Sans un mot sur la décision des magistrats de la Cour de cassation qui ne peuvent recevoir les nouveaux Conseillers électoraux, le Président Moïse s’est livré à un exercice presque surréaliste ce 22 septembre 2020 devant un parterre d’invités qui comprend que le « Roi est nu », c’est-à-dire que certaines institutions commencent à le lâcher dans ses dérives anticonstitutionnelles. Somme toute, le Monarque ne s’avoue pas vaincu. Il propose : « La mission du CEP est clairement définie dans l’arrêté qui lui a donné naissance. Nous nous engageons à vous donner les moyens pour accomplir cette mission qui consiste à permettre aux citoyens de participer librement aux décisions politiques par leur vote » dit-il. Il promet : « Je prends l’engagement solennel en présence de tous ceux qui m’écoutent et qui me regardent que l’exécutif ne va pas s’immiscer dans les décisions du Conseil électoral ». Il menace : « l’intolérance et le culte de la pensée unique violent ces règles et principes démocratiques. Je demande donc aux autorités judiciaires de prendre acte de toutes les déclarations incendiaires et les menaces publiques proférées à l’endroit des membres du Conseil électoral sur les réseaux sociaux, par voie de presse et autres.

Il est inacceptable de cautionner pareils comportements en 2020 », disait le Président Jovenel Moïse. Enfin, il attaque : « Je demande au ministre de la Justice et aux autorités policières de garantir la sécurité de tous les membres du CEP. On ne peut pas promouvoir la démocratie dans l’intolérance, l’intimidation et la violence aveugle. Vouloir s’en prendre à des citoyens manifestant la volonté de mettre leur compétence et leur savoir au service de leur pays est condamnable » assène le locataire du Palais national. Pourtant, malgré ce discours teinté de bonne volonté d’une part et d’intimidation d’autre part, on sent que le chef de l’Exécutif est sur ses gardes. Il sait que l’opposition ne va pas s’arrêter en si bon chemin après avoir obtenu des juges de la Cour de cassation d’ajourner la séance de prestation de serment des Conseillers. Du fait que les membres du CEP n’ont pu se rendre à la Cour de cassation, ils n’ont toujours pas pu prendre possession de leurs bureaux au siège de l’institution à Pétion-Ville. Plus d’une semaine après, c’est l’inquiétude du côté du pouvoir contraint d’attendre que la « différence d’opinion » entre les magistrats soit atténuée. Jusqu’à ce mardi 29 septembre, au moment d’écrire cette Tribune, la Cour de cassation n’avait toujours pas fixé une date pour recevoir les Conseillers électoraux du 22 septembre.

Pour ne rien arranger dans cette histoire, quelques jours après la nomination des neuf membres du CEP et leur investiture, un Conseiller du Président Jovenel Moïse, Guichard Doré, a provoqué une vaste polémique sur cette nomination qui serait, selon l’opposition, illégale et anticonstitutionnelle. Selon Guichard Doré, cette histoire de prêter le serment constitutionnel devant les juges de la Cour de cassation est un malentendu historique qui se poursuit encore aujourd’hui. Selon lui, il y a une mésinterprétation de l’article 194.2 de la Constitution qui parle de prestation de serment des membres du CEP devant les juges de la Cour de cassation. Le CEP dont a fait mention la Constitution de 1987 amendée est en réalité le Conseil Electoral Permanent non pas ces Conseils électoraux provisoires qui se renouvellent après chaque processus électoral. Enfin, d’après Doré, les Conseillers électoraux du 22 septembre peuvent parfaitement entrer en fonction dès leur investiture par le Président de la République. Que dit finalement ce fameux article 194.2 ? Il se lit comme suit : Avant d’entrer en fonction, les membres du Conseil Electoral Permanent prêteront le serment suivant devant la Cour de cassation : « Je jure de respecter la Constitution et les dispositions de la Loi Électorale et de m’acquitter de ma tâche avec dignité, indépendance, impartialité et patriotisme. » Art 194.2. Même si les déclarations de Guichard Doré sont assez surprenantes et provoquent de vifs débats dans les milieux intéressés tout en laissant perplexes d’autres, surtout dans ce contexte politique, il ne reste pas moins que certains constitutionnalistes partagent cet argument.

Ils estiment, en effet, que les Constituants de 1987 ne pouvaient pas imaginer que plus de trente années après la promulgation de la Constitution qui institue un Conseil Electoral Permanent le pays évoluerait toujours avec un CEP provisoire. Selon ces constitutionnalistes, en effet, sur ce point, le Conseiller du chef de l’Etat a raison de toucher cet aspect de l’article 194.2 de la Constitution et son argument mérite qu’on s’y attarde sans aucun esprit partisan. En tout cas, on sait aussi qu’il y a des traditions et coutumes qui ont force de loi. La preuve, cela fait plus de huit jours que le CEP du 22 septembre a été investi par le Président Jovenel Moïse. Par le fait qu’ils n’ont pas encore eu la bénédiction des juges de la Cour de cassation, les Conseillers n’ont pas osé passer outre cette tradition qui symboliserait leur illégalité dans la fonction et viendrait matérialiser l’inconstitutionnalité de la décision du chef de l’Etat. Courageux, mais non téméraires comme a voulu l’être le Président Jovenel Moïse qui les a investis dans leur fonction sans tenir compte de ce « malentendu historique » dont a parlé Guichard Doré. Au moment d’écrire cette Tribune, les neuf Conseillers se morfondent chez eux en rongeant leurs freins sans savoir quand ils seront invités par le Président de la Cour de cassation à venir prononcer leur vœu de respecter la Constitution alors qu’ils sont appelés, ironie de l’histoire, à organiser un referendum populaire justement pour la jeter à la poubelle de l’histoire en la remplaçant par une autre taillée sur mesure et conçue selon les vœux du chef du Pouvoir Exécutif.

C.C

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