La pandémie, c’est le capitalisme !

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 Je n’écris pas depuis la Bolivie, mais depuis un territoire que l’on appelle l’incertitude.

 

J‘écris de la dernière place dans la queue pour obtenir la vaccination coloniale, qui dans de nombreux pays sera appliquée comme une dose de salut gouvernemental et comme un nouveau contrat sanitaire octroyé par le capitalisme à travers les États pour survivre.

J’écris à partir de la conscience acquise dans un pot commun, dans un petit mouvement, dans une lutte qui n’a cessé de dessiner des cartes de sortie, de localisation et de rencontre.

J’écris à partir d’une marche de travailleuses du sexe en pandémie qui affirment que la répression policière est pire que le risque de tomber malade et la peur de mourir.

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J’écris alors que, contre ma volonté, je me prépare à parler sur un écran froid que je voudrais réchauffer jusqu’à ce qu’il explose.

Je n’écris pas avec certitude, mais avec des doutes, des questions, des intuitions et des tâtonnements.

Je n’ai pas renoncé à sentir ce monde pandémique sans gants, et bien que j’aie accepté l’invitation à écrire, je suis consciente que tout ce que je dis risque de devenir soudainement une déclaration ridicule, obsolète, naïve ou de perdre sa cohérence comme s’il s’agissait de glace fondue.

En même temps, je pourrais m’accrocher à un ton prophétique fataliste, biblique ou rédemptionniste et m’attendre aux applaudissements des cœurs paumés qui, dans les rues, marchent  comme des zombies à la recherche désespérée de voix prophétiques.

La pandémie est un fait politique, non pas parce qu’elle est inventée, inexistante ou qu’elle a été produite artificiellement en laboratoire. La pandémie est un fait politique car elle modifie tous les rapports sociaux à l’échelle mondiale et il est donc légitime et urgent d’y réfléchir et d’en débattre politiquement.

La pandémie est un fait politique car elle est présentée comme la conséquence d’un modèle capitaliste mondial qui passe de sa version écocidaire à sa version suicidaire. Elle ouvre, ou plutôt met en évidence, la relation systémique entre écocide et suicide.

Soumission grégaire

La pandémie a mis en place un lexique standardisé au niveau planétaire, uniforme et étendu dans tous les pays. Elle sert à réorienter la vie sociale vers une société disciplinaire.

Mot à mot, la vie est mise au carré pour la réduire à la peur, à la surveillance légitimée de l’État sur toute notre vie, à la dissolution des formes de collaboration et d’organisation non étatiques. Les seules formes de collaboration qui ont été revalorisées ont été réduites à une sorte de paternalisme social sans pouvoir de politisation. L’amputation du désir est l’une de ses constantes.

Toutes ces opérations politiques se font à travers le langage de la pandémie comme un instrument pour nommer et donner un contenu à ce qui se passe. Nous ne remettons pas en cause les mesures de protection, la nécessité de les prendre ou l’incongruité de beaucoup d’entre elles, mais la manière de nommer l’univers entier de la pandémie.

Je ne parle pas de significations cachées : elles sont explicites et leur effet destructeur tient à leur répétition envahissante, au fait que les dirigeants et les organisations internationales en sont les porte-parole incontestables et que la population, en général, fonctionne comme une caisse de résonnance.

C’est un langage que l’on finit par utiliser pour se comprendre en quelques mots. Avec son caractère global sans nuances et avec son utilisation irréfléchie sans marge pour questionner les significations, il fonctionne en fascisant les relations sociales.

Une fois de plus, comme si souvent dans l’histoire, le droit de nommer des faits est utilisé comme une arme pour programmer leur contenu social.

C’est dans les termes avec lesquels les faits sont baptisés que réside leur contenu idéologique central. Ce n’est pas un contenu idéologique qui fonctionne comme une théorie à accepter, à débattre ou à repenser. C’est un contenu idéologique qui fonctionne comme un sens fixe irréfutable et une réalité directe, qui a un effet de thérapie de conditionnement comportemental.

Lexique pandémique

J’ai trouvé une trentaine de termes qui constituent l’épine dorsale du lexique et sa fonction de conditionnement comportemental collectif. Toutefois, je vais proposer d’en examiner quelques-uns seulement, pour des raisons de place :

Biosécurité : Ensemble de mesures visant à faire face au danger mortel de contagion. Nous devrions remplacer le mot « sécurité » par « vulnérabilité » et le suffixe « bio » par « nécro ». Nous sommes vulnérables à un danger omniprésent, invisible et incontrôlable. S’il y a une chose qui n’est pas sûre, c’est bien la vie. Nous ne pouvons pas parler de biosécurité alors qu’un tel terme désigne en réalité le nécrodanger ou la biovulnérabilité.

Distanciation sociale et isolement : ce ne sont pas les deux mètres dont nous avons besoin pour éviter la contagion, mais ce sont le contenu de l’aiguisement de l’enfermement en soi, du sauve-qui-peut loin de « l’autre », qui est dangereux par excellence. Nous sommes tou·tes devenus l’ « autre » de l’ « autre », faisant du langage pandémique un instrument de dissolution du collectif. Ce qui a aussi œuvré à la fascisation sociale c’est l’accent mis sur le petit groupe familial -la « bulle »- comme votre seul univers de responsabilité et de sens, en utilisant le pronom possessif inoffensif « les tiens »  encore et toujours.

Quarantaine : terme transporté de la peste noire du Moyen-Âge au monde contemporain comme indicateur qu’au 21e siècle – après plusieurs révolutions technologiques – les mesures sociales de soins sont les mêmes qu’il y a plusieurs siècles et portent le même nom. À qui sert la technologie alors ? Pourquoi ne disposons-nous pas d’autres outils contemporains que ceux du Moyen-Âge pour faire face à une pandémie ?

Couvre-feu, confinement : ce ne sont pas les seuls termes qui font partie du lexique de la pandémie et qui, dans cette partie du monde, ont représenté les dictatures militaires qui sont dans notre mémoire vivante. N’aurions-nous pas pu utiliser d’autres mots qui ne sont pas chargés de mémoire dictatoriale, ou est-ce que leur charge dictatoriale était et reste socialement utile pour réinstaller le pouvoir absolu de l’État sur la population ?

Activités essentielles : La reclassification des activités sociales avec le qualificatif d’ « essentielles », en laissant de côté toutes celles qui appartiennent à l’univers de l’affection, du désir, de la créativité et en réduisant les personnes au monde du travail a, dans le langage pandémique, un effet chirurgical d’amputation. La seule notion valable de la vie est celle de « travail ». Le simple fait de remplacer « essentiel » par « fonctionnel » donnerait un sens différent à la vie quotidienne.

Télétravail : déplacement du lieu de travail vers le domicile, transformant le travail en un produit qui est payé comme un produit et non comme une activité qui est mesurée en un nombre d’heures déterminé. C’est ce que l’on appelle dans cette partie du monde – que ce soit au Honduras, au Mexique ou au Brésil – la « maquila » et le « travail à la pièce », où l’on est payé pour le travail effectué et non pour les heures de production. La maquila – instrument néolibéral par excellence – utilisée par les grandes transnationales, notamment dans l’industrie textile – a été transférée dans de grands secteurs de travail avec la pandémie et a reçu un nom euphémique. Imaginez le résultat si on rebaptisait le télétravail maquila pandémique ou en exploitation à domicile !

L’objectif de ce texte étant de proposer des défis, voici le premier : dresser une liste complète du lexique de la pandémie, donner à chaque terme sa signification réelle et renommer le phénomène que le terme entend nommer. C’est pour nous réveiller, pour aiguiser notre créativité et pour respirer la rébellion. Les matériaux sophistiqués nécessaires sont un crayon et un morceau de papier et si vous le faites entre ami·es, le résultat sera amusant et explosif.

Contrat sanitaire mondial

Avant de recevoir le vaccin, il est urgent de savoir ce que l’on reçoit, non pour proposer la désobéissance ou la non-vaccination, mais pour ne pas accepter passivement la vaccination comme quelqu’un qui reçoit la marque au fer du bétail. Nous devons également débattre de son sens politique sur le plan idéologique.

La vaccination n’est pas une solution, quoique fassent les gouvernements du monde entier pour chercher à la présenter comme telle.

La vaccination est une solution partielle pour la transition vers un nouvel ordre qui n’a pas encore de nom. C’est une mesure de survie qui laisse intact le questionnement structurel systémique que cette pandémie doit impliquer pour l’ensemble de l’Humanité.

La queue de vaccination est un diagramme des hiérarchies globales à caractère colonial sans métaphore, mais de manière directe. L’ordre de priorité est l’ordre de la capacité de paiement.

À son tour, dans chaque société, l’ordre de vaccination représente en interne le même schéma de hiérarchies sociales : plus on est à la périphérie, plus le vaccin arrivera tard ou jamais.

Dans ces terres, ils commencent par le personnel de santé parce qu’ils en ont besoin, mais celui-ci est suivi par les militaires et les policiers, les curés et les évêques, les députés et les ministres. Et s’ils n’avaient pas besoin du personnel de santé, celui-ci serait également le dernier à le recevoir.

Les vaccins sont la matérialisation des pouvoirs supra-étatiques qui dirigent le monde.

Ce n’est pas l’Organisation mondiale de la santé qui organise la distribution équitable des vaccins, mais ce sont les entreprises qui – accumulant des gains impossibles à concevoir – organisent l’ordre de fourniture des vaccins.

Et ne pensez pas que parce que nous sommes pauvres, nous payons moins : nous payons le même prix ou un prix plus élevé pour recevoir des doses plus petites, et les gouvernements les reçoivent à genoux comme une grande conquête, prêts à signer en petits caractères tout ce qu’il faut.

Les gouvernements, à leur tour, administrent les vaccins comme une injection intramusculaire gouvernementale, un geste dont vous devriez être reconnaissant sans vous plaindre.

Les publicités pour la vaccination qui sont développées dans des contextes nationaux par les gouvernements vous font penser que ce que vous obtenez est une faveur du gouvernement.

Les montants que l’achat de vaccins suppose pour de nombreux États dépassent les investissements dans la santé ou sont comparables à ceux-ci.

Les vaccins bouffent les budgets de santé, si bien qu’une fois la tempête passée, les hôpitaux et les salles d’opération sont tout aussi miteux qu’avant.

Les vaccins représentent également la privatisation des connaissances, car les centres de recherche qui ont les millions que représente la recherche dans le domaine de la biologie ou de la médecine ne se trouvent pas dans les universités publiques ou même dans les sociétés capitalistes impériales, mais directement dans les entreprises qui aspirent les cerveaux des universités.

Thématiser et débattre de ces questions autour de la vaccination mondiale est qualifié de suspect car face au vaccin, ce que nous devons faire, c’est signer passivement un contrat de santé unilatéral comme celui que les banques proposent quand on s’endette ou comme celui que l’État bolivien exige des travailleuses du sexe pour leur donner la permission de travailler.

C’est ce contrat sanitaire et son caractère explicite qui peuvent contenir les luttes qui auront un sens à l’avenir.

Obsolescence politique

Les gouvernements bénéficient de l’administration des États, mais ils ne gouvernent pas : ce sont des administrateurs secondaires d’un ordre colonial-patriarcal-extractiviste. Ce fait tangible aujourd’hui réoriente radicalement nos luttes et nos horizons.

La différenciation classique gauche-droite pour interpréter le champ politique est devenue obsolète : la fascisation, par exemple, dans le lexique a englobé les deux.

Nous sommes dans la transition du régime néolibéral au régime néolibéral de marque fasciste et la gauche ne le visualise même pas car si les catégories d’analyse et d’organisation sociale que la gauche nous proposait étaient déjà dépassées, aujourd’hui elles sont devenues obsolètes.

Les gouvernements dits « de gauche » sont aussi des gouvernements incapables de proposer un autre horizon que celui imposé par le néolibéralisme. Ce fait n’est en aucun cas la fin de la politique, mais la naissance d’une nouvelle politique. Une nouvelle politique qui n’a ni avant-garde, ni sauveurs, ni chefs et qui exige de nous tou·tes une forte dose de créativité.

Ce n’est pas de force dont nous avons besoin, mais de la conscience de notre vulnérabilité.

Les sujets sociaux sont dilués par la fatigue, le manque d’idées, le deuil, l’incapacité ou l’impossibilité de réagir, tandis que d’autres personnes dépossédées se reconstituent en tant que sujets sociaux avec une capacité d’interpellation : ceux qui se tournent vers les animaux pour se réintégrer en tant qu’animaux, ou ceux qui produisent de la santé, de la nourriture ou de la justice avec leur collectivité sont ceux qui n’ont pas été paralysés par la peur.

Tout se passe à grande vitesse même si le temps s’est arrêté.
La vitesse des changements est la vitesse d’une profonde métamorphose.
L’interpréter au risque de se tromper est notre pari.

 

Lavaca.org13 février 2021
Traduit par  Fausto Giudice 

Tlaxcala

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