La construction de la délinquance à Jacmel

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Une « baz» par définition, est un regroupement de jeunes qui se réunissent quotidiennement sous un arbre, au bord de la rue, échangeant en commun nourriture, alcool, argent, domicile, moyens de déplacement, habillement, femmes, etc.

Si la jeunesse, de par sa force et sa volonté de changer, représente l’avenir d’une société, il n’en est pas moins vrai que tout ensemble, elle ne peut même pas se donner le luxe d’espérer cet avenir meilleur. Car certaine condition sociale choisie ou pas a déjà déterminé sa place dans l’évolution de l’histoire.

Ainsi, depuis quelque temps on assiste à un processus de «zonalisation» des villes qui laisse comprendre en soubassement quels enjeux y existeraient.  La ville de Jacmel en ce sens n’est pas exempte de ce processus qui fait de chaque quartier, rue, ou zone une tribu fermée sur elle-même dont sa rencontre avec un autre ouvre sur des scènes de violences parfois sanglantes. C’est pourquoi  nous tâchons ici de comprendre l’origine, les enjeux, et les conséquences de ce processus sur la vie quotidienne des jeunes à Jacmel.

Ces exclus, ces alcoolisés, enfin, ces marginalisés, pour la plus part des jeunes, s’autodétruisent pour aller terminer très tôt leurs vies paisiblement en cavale, en prison, ou au cimetière.

On a souvent présenté les Jacméliens comme des hommes différents des autres… Oui nous sommes vraiment différents ! Cette différence trouve son explication à notre avis dans la lecture comportementale du Jacmélien d’hier et de celui d’aujourd’hui dans leur vie quotidienne. Le premier est cet homme paisible, contraint de l’être, vivant dans la misère et l’humiliation, dépourvu de connaissances académiques, rétrograde et anti-progrès. Il est né pour être pauvre et justifie le fait que quelqu’un d’autre puisse utiliser sa situation de pauvreté pour s’enrichir. Car Dieu dans sa plénitude et sa bonté l’a choisi pour être ainsi.  Tandis que, le jacmélien d’aujourd’hui est cet homme préparé intellectuellement pour affronter le marché du travail avec un esprit meublé des grandes idées philosophiques, politiques, économiques, et culturelles du monde. C’est celui qui sait dire non au népotisme, au clientélisme, à la politisation de l’administration publique, aux idées arriérées et dépassées par le temps, á l’exclusion sociale sous toutes ses formes.  Ce dernier étant ouvert sur le monde voit l’avenir comme cette source inépuisable à laquelle chacun de l’espèce peut s’abreuver en toute liberté.

La «zonalisation» peut s’expliquer par le fait que certains jeunes ou groupes de jeunes issus des milieux ruraux se voient obligés de vivre dans des zones périphériques par rapport à la ville (Raquette, bas-de-la-ville, Portail Léogâne, Portail la Gosseline, Mayard, l’Amandou, etc.) parce que pour divers raisons, ils ne peuvent pas intégrer les structures sociales de la ville de Jacmel en raison de la rigidité des barrières sociales existantes. Étant victime de cette exclusion sociale en raison de leur origine sociale rurale, ils vont matérialiser le besoin d’affirmation sociale de leur existence. C’est la raison pour laquelle dans ces zones citées ci-dessus des groupes émergent, s’auto-organisent sous la dénomination de «Baz». Ainsi vont prendre naissance : baz pòtay, baz nan rakèt, baz anba lavil, baz pyesimityè, baz dèyè kreyak, baz ridlaravin, baz watapana, baz anbazanmán, baz lamandou, baz meyè, etc. Une « baz» par définition, est un regroupement de jeunes qui se réunissent quotidiennement sous un arbre, au bord de la rue, échangeant en commun nourriture, alcool, argent, domicile, moyens de déplacement, habillement, femmes, etc. Lors des élections, ils sont souvent utilisés par les politiciens comme «hommes de mains» pour appliquer les tactiques politiques du parti ou du candidat. Leur utilisation comme force politique a pour conséquence de renforcer depuis quelque temps ce besoin d’affirmation sociale.

C’est pourquoi, disposant de moyens politiques et économiques considérables, on a pu constater pendant les cinq dernières années à Jacmel l’affrontement entre «baz et baz» en pleine rue dessinant des scènes de violences physiques. Que dit la justice jacmélienne dans cette affaire ? Eh bien ! Compte tenu de la dépendance de la justice par rapport à la politique quand il s’agit de nommer ou de révoquer ; du fait que les «baz» et la justice ont été souvent mobilisés ensembles pour soutenir un même patron politique ; que la justice jacmélienne est à la fois juge et parti, alors la gestion de cette situation de conflits ouverts entre «baz et baz» à Jacmel est de nature complexe et difficile.

Aussi on a pu constater la mise en œuvre de stratégies efficaces de renforcement de ces conflits par tout un chacun. Les élites de la ville pour ainsi dire ont toujours manifesté ce désir très poussé de ne financer que les activités non-éducatives et non-instructives. Il est criant de voir partout où l’on passe que chaque rue de la ville possède environ deux bar-resto. Tous ceux-ci participent à l’augmentation continue de la demande de toutes substances alcoolisées et nocives pour une bonne santé physique et mentale. Ces exclus, ces alcoolisés, enfin, ces marginalisés, pour la plus part des jeunes, s’autodétruisent pour aller terminer très tôt leurs vies paisiblement en cavale, en prison, ou au cimetière.

Car on n’a jamais institué dans leurs lieux de résidence des établissements scolaires modernes, des centres de formation professionnelle et technique adaptés à leurs besoins, des centres de loisirs pour leur développement physique et mental. Parce que, sans leur consentement, quelqu’un a décidé qu’ils n’ont même pas le droit d’espérer un avenir meilleur et certain comme nous autres jeunes du pays.

Firson PIERRE
Etudiant en 4eme année en sociologie FASCH-UEH.

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