La présidence haïtienne ne parle pas d’amender la Constitution de 1987. Selon une source au Palais national, il n’a jamais été question de toucher un ou quelques articles de l’actuelle Constitution. C’est pourquoi on ne peut pas, selon ce proche du Président, accuser celui-ci de violer la Constitution de 1987. Selon cette source, Jovenel Moïse veut couper court à ce vieux débat d’amendement qui revient sans cesse, d’où d’ailleurs, le vocabulaire de nouvelle Constitution qui est utilisé et qu’il a imposé dans les discussions avec ses interlocuteurs.
Il ne parle plus de réforme constitutionnelle, trop floue, trop ambigüe pour la majorité des gens en Haïti. Il semble, en effet, que même l’ex-chef de gouvernement sous la présidence de Michel Martelly, Evans Paul (KP), n’a pas très bien compris la pensée du Président Jovenel Moïse « Je souhaite que le Président, dans son prochain discours, puisse dévoiler son idée sur la Constitution. Moi, j’ai mes idées sur la Constitution. Ce n’est pas la Constitution qui crée les problèmes, mais la Constitution est source d’une série de problèmes dans la gouvernance du pays. Mais en même temps, aucun individu, à lui seul, ne peut penser à s’y engager. Il ne peut pas procéder au changement de la Constitution dont il se porte le garant…» selon KP.
Ce qui est le plus surprenant dans les interventions du Président Moïse, c’est quand il rend la Constitution de 1987 responsable de la corruption dans le pays. Selon lui, cette « Constitution est un pacte de corruption signé entre plusieurs catégories de gens dans le pays », une petite phrase qui fait sortir Dr Georges Michel de ses gonds. « Le Président doit regarder autour de lui afin d’identifier la corruption et les corrupteurs. En ce qui le concerne, il n’est pas encore sorti de l’auberge, son nom est cité dans le rapport PetroCaribe. Qu’il aille doucement dans ses accusations contre les gens » a martelé celui qui se donne le rôle de gardien du Dogme. Ex-membre de l’Assemblée Nationale Constituante de 1987, Georges Michel est le plus actif, le plus connu et le plus médiatique des 57 Constituants de 1987.
En tant que l’un des pères de la Constitution, il ne laisse rien passer. Toujours à l’affût des moindres déclarations ou prises de position contre la Constitution, cet historien est un infatigable défenseur de la Constitution bien qu’il soit conscient des failles relevées çà et là dans ce qu’il considère comme l’œuvre de sa vie. L’ex-Constituant demeure persuadé que le chef de l’Etat est un « mythomane » qu’il faudra surveiller de près. Car, selon lui, Jovenel Moïse mijote un mauvais coup contre la population avec sa nouvelle Constitution « Le Président est un citoyen haïtien, il peut avoir ses propres opinions. Mais il n’a pas le droit de les imposer à la nation à travers un référendum arrangé et anticonstitutionnel », furieux que le Président puisse décider seul de ranger au rang d’accessoire historique sa Constitution dans un musée. Dr Michel soupçonne le Président Jovenel Moïse de vouloir monter un coup à la manière du feu Président Sténio Vincent qui, entre 1934 et 1935, fit soumettre une nouvelle Charte fondamentale au référendum juste pour rester au pouvoir cinq années de plus.
Il s’interroge d’ailleurs : « Je me demande si ce n’est pas la même chose que le Président Jovenel Moïse nous réserve » et de poursuivre avec cette phrase « Li mèt di sa l vle, bonjou l pa laverite ». Dr Georges Michel n’est pas le seul à ne pas avoir confiance dans ce que dit le Président de la République qui affirme qu’il ne sera pas le bénéficiaire de la nouvelle Constitution puisqu’il ne sera pas candidat à sa succession. Il y a, en effet, ses soutiens aux Etats-Unis, à l’OEA (Organisation des Etats Américains) et à l’ONU (Organisation des Nations Unies) qui, tout en étant favorables à la reforme constitutionnelle, auraient aimé que les élections, tout au moins, celles des législatives et locales s’organisent dès janvier 2021, c’est-à-dire avant le fameux référendum populaire sur la Constitution. Par crainte sans doute de se faire doubler par un Président Jovenel Moïse qui semble prendre goût voire obnubilé par l’ivresse du pouvoir en ayant concentré entre ses mains la totalité des centres de décisions politiques et institutionnelles.
Jovenel Moïse sait que les choses ne seront pas faciles pour lui faute d’un consensus politique avec l’opposition et la Société civile sur la reforme de la Constitution
En Haïti, depuis la fin des mandats des Maires il y a quelques mois, il se trouve que Jovenel Moïse est le seul qui peut se prévaloir du titre de dirigeant élu en Haïti sans compter les quelques sénateurs rescapés du Parlement mais dont tout le monde oublie l’existence. Un Sénat, d’ailleurs, qui vit son dernier instant institutionnel à en croire les déclarations de Louis Naud Pierre, membre du Comité Consultatif Indépendant, selon lesquelles « La suppression du Sénat dans la nouvelle Constitution constitue une proposition d’un groupe de spécialistes qui analysent le document soulignant « le Sénat n’a aucune justification politique » puisque les députés et les sénateurs proviennent du même électorat ». Une posture qui fait peur aux soutiens du Président à l’OEA, à Washington et à l’ONU d’où quelques pressions amicales lui demandant de combler au plus vite le vide parlementaire qu’il a créé depuis bientôt deux ans afin de rendre plus lisible son intention politique. Mais, restant le maitre de l’horloge comme nous l’avions écrit depuis quelques mois, Jovenel Moïse est le seul à pouvoir décider du calendrier des échéances électorales qui l’arrangera.
Bien que l’ancien Premier ministre et allié du pouvoir, Evans Paul (KP), trouve qu’il va trop vite avec son projet de nouvelle Constitution, « Le chef de l’Etat est trop pressé » dit-il avant de rajouter « Nous ne pouvons pas mener une opération de ce genre sans les élites du pays. La première mobilisation ne doit pas seulement consister en la rédaction d’un texte, il faut rencontrer des gens qui ne sont pas d’accord avec Jovenel Moïse qui assure la gestion de sa fin de mandat. Il devait laisser la place à d’autres personnes pour l’aider à débroussailler le terrain. Aucun homme politique, ici dans le pays, ne peut dire que certaines parties de la Constitution ne nécessitent pas un amendement, peu importe sa chapelle politique. Qu’il soit issu de Lavalas, de l’OPL, de la Fusion…Nous sommes tous d’accord qu’il y a des choses à corriger, mais nous ne voulons pas nous mettre d’accord sur la manière d’y procéder », a avancé Evans Paul dans l’émission « Haïti sa kap kwit » sur la chaine Canal 20.
Pour le moment, l’occupant du Palais national a un seul but, réussir son opération constitutionnelle puisqu’il a déjà la quasi certitude qu’il restera au pouvoir jusqu’en 2022 vu l’état de délabrement de l’opposition qui s’englue dans des querelles internes au moment où elle devrait être fin prêt pour la transition. Le Président peut beau tweeter qu’il s’est entretenu avec les membres du CEP et que les discussions se sont portées sur la machine électorale et les futures élections. C’est la moindre des choses. En vérité, c’est le texte constitutionnel qui est en cours de rédaction qu’il attend en vue de le soumettre à l’approbation de la population. Une chose est sûre, aucun autre scrutin ne sera organisé avant que la nouvelle Constitution que le Comité Consultatif Indépendant de cinq membres conduit par l’ancien Président provisoire de la République Me Boniface Alexandre ne soit prête avec la garantie que le pays passera d’un régime « Parlementaire » à outrance qu’on connaît depuis 1987 à un régime « Présidentiel fort », ce qui changera radicalement le fonctionnement de nos institutions.
«Qu’il soit issu de Lavalas, de l’OPL, de la Fusion…Nous sommes tous d’accord qu’il y a des choses à corriger, mais nous ne voulons pas nous mettre d’accord sur la manière d’y procéder »
En tout cas, l’opinion commence à avoir une idée de ce qui sortirait du projet constitutionnel, car Louis Naud Pierre a encore donné quelques pistes « Les membres du Comité Consultatif Indépendant sont favorables à un régime présidentiel combiné avec une seule branche législative représentée par la Chambre basse. Un régime présidentiel qui implique une nouvelle architecture politique dans laquelle le Premier ministre disparaît au profit d’un vice Président nommé par le Chef de l’État » déclare ce membre du Comité. Certes, Jovenel Moïse sait que les choses ne seront pas faciles pour lui faute d’un consensus politique avec l’opposition et la Société civile sur la reforme de la Constitution et aussi faute d’avoir un Premier ministre assez dynamique capable de l’aider à apporter cette croix vers le Golgotha. Mais, il croit pouvoir profiter de la division au sein de l’opposition pour passer une fois encore avec la bienveillance de ses amis de l’OEA, l’ONU et surtout de la nouvelle Administration américaine qui entrera en fonction le 20 janvier 2021 à Washington pour imposer sa nouvelle Constitution.
Même si de l’avis de son allié Evans Paul, il serait mieux pour lui de se faire plus discret en s’effaçant un peu du podium : « Jovenel Moïse ne s’aménage pas de place pour jouer son rôle d’arbitre. Il est trop présent au-devant de la scène. Il essaie de gérer trop de détails » a remarqué KP. (A suivre)
C.C