Jovenel Moïse et Jean Henry Céant: un duo spécifique dans un régime politique spécifique !

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Jovenel Moise a convoqué pour ce mercredi 12 septembre 2018, à l'extraordinaire le corps législatif pour la ratification de la déclaration de politique générale du Premier ministre nommé le notaire Jean-Henry Céant

C’est la première fois que dans l’histoire du régime post-duvaliérien un Premier ministre, de surcroit chef de parti politique (« Renmen Ayiti »), Jean Henry Céant accepte de diriger avec un président de la République qui n’est pas de son camp politique.  Le cas est si peu courant dans notre histoire politique qu’il vaut la peine d’être souligné. Certains évacueront le sujet pour des raisons liées à l’opportunisme politique, et à la banalisation de délit de braconnage idéologique.

La déliquescence des valeurs est telle qu’aujourd’hui en Haïti, la conviction politique pour certains importe peu. Et pour preuve : la pléthore de cadres issus de partis politiques et de la société civile qui, au prix du renoncement à leur combat idéologique s’est fait humilier, tancer, agresser par Michel Martelly, personnage politique le plus répugnant, le plus atypique qu’enfante l’histoire politique des 20 dernières années. Désormais, l’adhésion à des idées, des attitudes situées à gauche du duvaliérisme avant 1986, et de l’armée après 1986, n’a plus de sens aujourd’hui. Fini le temps du militantisme rectiligne, du combattant vertueux de la dictature duvaliériste qui prenait ses précautions de ne pas se mettre dans le même panier que l’homme qui côtoya les tontons macoutes.

le couple Céant/Moïse serait-il en co-location ou en co- habitation ?

Le recours à des étiquettes partisanes, inspirées des cases pré-rangées à l’Occident n’est alors qu’une mascarade. Il en est de même du déploiement passionnel des Haïtiens pour les élections, ou de l’attachement viscéral à la constitution, qui est inscrite dans la lutte pour le pouvoir, non pas comme référent mobilisateur pour moderniser les règles du jeu politique, mais plutôt pour les détourner au profit de l’acteur et rendre inapplicables les meilleures dispositions constitutionnelles. Ce sont des attitudes qui instruisent le dossier haïtien en démocratie iconoclaste.

Observant le duo en formation Céant/Moïse, nous sommes en présence d’un cas spécifique souligné par le choix d’un premier ministre ancien adversaire politique aux dernières élections présidentielles, dans un contexte précis. En effet, le premier ministre n’est pas désigné à la suite des élections législatives remportées par le Chef de l’opposition au parlement. Le premier ministre n’est pas non plus le Chef de l’opposition partisane, qui aurait obtenu des gains politiques aux termes d’un combat mené sur tous les fronts contre le gouvernement Jack Guy Lafontant, empreint de nonchalance et d’impotence. Jean Henry Céant est plutôt choisi plus d’un mois après les évènements des 6,7, et 9 juillet, constitutifs d’une crise politique majeure. Celle-ci s’explique par une crise de confiance et d’impuissance d’un président qui se montre incapable d’honorer ses promesses, plus de dix -huit mois après avoir promis aux haïtiens de changer leur vie. Mais Jovenel Moïse ne mesure pas encore sa distance du précipice, bouffi de sa magnificence, se nourrissant de ses fantasmes de roi thaumaturge. ll ne prend pas assez de distance avec la réalité pour se rendre compte de l’échec de sa politique.

Accusant le déficit d’un dirigeant rationnel, il aurait fait appel à Jean Henry Céant pour lui apporter une bouée de sauvetage en cette période difficile de l’exercice de son mandat, par le soutien d’un gouvernement de coalition. La démocratie haïtienne aurait ainsi tiré substance de cette expérience politique qui s’annonce nouvelle. Mais, tel n’est pas le cas, ce serait oublier trop vite les talents de Jovenel Moïse ce mythomane, se prenant à son propre jeu, finissant par croire lui seul les promesses mirobolantes dont il se dit le principal inventeur. Et c’est par un acte contrit, contrarié, souffrant que Jovenel Moïse accepte de nommer JH Céant, comme s’il est soumis à une force qui lui est supérieure. Il ne faut pas s’étonner dans ces conditions, que le président de la République, qui dispose des ressources -les parlementaires du PKTK dont il a le contrôle, les ressources financières, l’appareil policier et administratif, la culture du chef -président en Haïti- n’ait pas pu les mobiliser en soutien à Jean Henry Céant en difficulté.

Moïse se montre amène envers son premier ministre. Pour celui-ci, c’est la croix et la bannière depuis sa nomination :  un parlement tatillon qui exige l’instruction des pièces des ministres -en violation de la Constitution de 1987-, des ministres détenteurs de la double nationalité, l’emprise de Michel Martelly sur la composition du cabinet ministériel, des ministres en flagrant délit de fraude fiscale obligeant la direction générale des contributions à  ouvrir ses guichets toute la nuit du jeudi 6 septembre en cours, la fin de la session parlementaire et le départ  lundi 10 Septembre , en vacances des parlementaires jusqu’en janvier prochain, six ministres du gouvernement honni imposés à Céant, et des hauts fonctionnaires  recyclés s’enlisant traitreusement  dans le marigot PHTK infesté de crocodiles dont le vagissement terroriserait le notaire.

Il suffit de lire les trajectoires des nouveaux membres du cabinet ministériel, entre autres le ministre de l’économie et des finances, le ministre de la planification, le ministre des affaires étrangères, le Ministre de la culture…pour confirmer l’hégémonie mickiste. Ainsi la question à se poser : le couple Céant/Moïse serait-il en co-location ou en co- habitation ? Ni l’un , ni l’autre. En effet, le premier renvoie à un accord de gouvernement entre plusieurs partis politiques adhérant à des règles, portant un projet politique, une vision. Tandis que la cohabitation correspond à une situation de coopération entre un président de la République et un Premier ministre appartenant à une majorité parlementaire qui lui est politiquement opposée.

Jean Henry Céant

C’est plutôt un duel post-électoral, qui se transforme en duo politique imposé par les circonstances. Et les haïtiens se montrent peu regardants quant aux trajectoires des deux hommes Céant et Moïse, circonspects avant que cette expérience n’arrive, réservés quant aux résultats de cette symbiose, hardis aux heures d’attentisme et d’échecs annoncés, ne sont pas résignés à l’approche du duel des mauvais jours s’attendant à des crises résultant de cette collaboration nouvelle.

Avant  la ratification du premier ministre Jean Henry Céant, l’opinion publique semble accorder un a priori favorable à ce nouvel attelage Moïse/ Céant pour deux raisons: la trajectoire de Jean Henry Céant. Ancien candidat aux dernières élections présidentielles, proche des catégories populaires, de la « Famille Lavalas » et de son leader, il aurait les atouts au sein d’un gouvernement de coalition, d’insérer dans la politique libérale et brutale de Jovenel Moise une dose d’empathie aux souffrances des masses deshumanisées  par les tribus prédatrices. Nul ne s’est gardé d’exprimer sa curiosité quant aux résultats de cette “petite alternance ” au cœur du pouvoir “mickiste”.

            La deuxième raison: le mickisme a cette faculté d’adaptation de trouver en lui les ressorts de son maintien, de son renouvellement en puisant ailleurs les ressources qui lui sont nécessaires. A titre d’exemple, Michel Martelly s’était résigné à se séparer de son servant d’artillerie Laurent Lamothe pour introduire en son sein Evans Paul, incarnation de cette gauche militante dont il n’a aucun scrupule aujourd’hui à se débarrasser. (Suivre ses déclarations à l’émission Intérêt Public de Radio Kiskeya animée par Liliane Pierre Paul du 26 Août 2018) Mais l’opinion publique est prudente.

Une expérience qui ne constituera pas un bouleversement marquant du système politique

L’attachement prudent que les haïtiens “manifestent d’emblée à l’expérience” risque de “masquer son caractère extraordinaire”. L’expérience qui s’annonce mérite d’être analysée. Elle ne constituera pas  certes, un  bouleversement marquant du système politique, construit sur la base de la constitution de 1987, mais elle est porteuse d’enseignements de nature à alimenter notre compréhension du système politique.

Quand un président de la République décide de nommer un ancien candidat qui était son adversaire aux élections, sommes-nous en présence d’un duel qui assure un chambardement «qui le réduirait à un phénomène banal”? La nouvelle République née de la Constitution de 1987 pose les bases d’un régime parlementaire. Deux éléments fondamentaux le caractérisent : la possibilité pour l’une des deux chambres du Parlement de renverser le gouvernement et la responsabilité du gouvernement devant le Parlement.  La République post- duvaliérienne est d’essence parlementaire, un changement dicté par les dérives de la monarchie présidentielle de Duvalier, puisque la dernière constitution duvaliérienne a eu l’ambition de prévoir son autoreproduction par la possibilité du président de la République de désigner son successeur. La majorité des députés au parlement forme alors le gouvernement et destitue des premiers ministres: en 2008 le renvoi de Jacques Edouard Alexis par un vote de 16 sénateurs, et du 29 au 30 Octobre 2009, Michèle Pierre-Louis a été remerciée par 18 sénateurs issus de la plateforme présidentielle Lespwa. 

Premier ministre Rosny Smarth

L’amendement constitutionnel conduit avec tant de couardise et de mépris par René Préval n’a pas remis en question ces deux critères de définition du régime parlementaire. On peut citer à titre d’exemple le cas du Premier ministre Rosny Smarth issu du parti majoritaire au Parlement en 1995. Aujourd’hui encore, le parlement est maitre du jeu à double titre: d’une part, depuis René Préval, la pénétration des modes de corruption des parlementaires soucieux de se faire élire et de nourrir leur clientèle, agents actifs de la “politique du ventre”, dans le choix et la ratification du premier ministre, renforce les pouvoirs du parlement. Plus les partis politiques sont faibles quant à leur capacité à exercer une forte emprise sur leurs élus au Parlement, plus les marges de manœuvre d’un président de la République sont étroites. D’autre part, le parlement adopte une stratégie de grignotage du champ de pouvoir présidentiel. A chaque nouvelle législature, on voit apparaitre de nouveaux ilots de pouvoir qui constituent la crête nourrie d’un parlementarisme gourmand. Non content d’instruire le dossier du premier ministre, le Sénat s’autoproclame le droit de valider le choix des membres du cabinet ministériel. Et le silence du président de la République doublé de la faiblesse du premier ministre crée une confusion au profit des parlementaires. Ils deviennent des artisans d’une République anarchique qui ne recule devant rien pour affaiblir l’Exécutif. Le pouvoir législatif construit son influence dans des logiques d’affrontement avec le pouvoir Exécutif, saisi par l’obsession d’un présidentialisme fort, renforcé par le suffrage universel direct, malgré la faible légitimité du président de la République. Dans ce contexte, aucune majorité n’est stable au parlement.  Et le président de la République a toujours le denier mot. Dans ce contexte, risquerions-nous à dire que nous sommes en régime parlementaire. Le président de la République exerce sa prééminence sur le premier Ministre et les parlementaires du président de la République souhaitent que ce dernier exerce son pouvoir de façon discrétionnaire.

Le régime étouffé par le présidentialisme

En Haïti, le régime parlementaire est étouffé par le présidentialisme jaloux des prérogatives du Parlement qu’il cherche à neutraliser. Le 16 décembre 1990, Jean-Bertrand Aristide est élu président de la République, mais il n’avait pas de parti politique. Grand renégat, il tourne vite le dos au FNCD (Front National de Changement pour la démocratie) qui l’a porté au pouvoir, et qualifie FNCD de “chapeau légal”, il choisit René Préval, premier ministre, issu de son propre chapeau, un premier ministre qui n’est pas issu de la majorité parlementaire.

Le coup d’Etat contre Jean-Bertrand Aristide  en 1991 par l’armée le conduisait à désigner Robert Malval comme premier ministre. Mais le président de la République n’a jamais été à des moments difficiles un appui pour son premier ministre, il a multiplié des initiatives pour affaiblir son premier ministre et lui assurer la preuve, à toutes occasions que c’est lui le Chef, appliquant le mot du Général De Gaulle. « L’autorité indivisible  est confiée toute entière  au Président  par le peuple qui l’a élu, qu’il n’en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne soit conférée et maintenue par lui. » (Général de Gaulle, Conférence de presse du 31 janvier 1964)

            Les différents intermèdes connus depuis 1987, par exemple, la nomination de Jean-Jacques Honorat, de Marc Bazin dans un contexte d’alliance entre les parlementaires et l’armée, la nomination de Claudette Werleigh en 1994, la nomination de Smarck Michel en 1994 au retour de Jean Bertrand Aristide, montrent que la République haïtienne fait un apprentissage tout  à fait spécifique du régime parlementaire. Qui ne se rappelle pas les nuisances créées par Jean-Bertrand Aristide à son premier ministre Smarck Michel? Un premier ministre  qui a souhaité se montrer respectueux de l’accord de Paris, prévoyait la privatisation des entreprises publiques et le désengagement de l’Etat de toute activité de production et de vente de biens et services. Aristide a même renoncé à organiser le “conseil des ministres”, jetant le premier ministre en pâture aux manifestants des organisations populaires.

Et René Préval a tout fait pour empêcher le premier ministre  Rosny Smarth de l’OPL de gouverner, ‘’il s’efforce en deux fois, d’annuler le fonctionnement du premier ministre issu de la majorité parlementaire de l’Organisation du peuple en lutte.’’ Pour résister à la volonté de René Préval d’imposer des sénateurs mal élus, Rosny Smarth choisit de démissionner. “Le président restera un an et demi sans premier ministre. Peu après soit en décembre 1998, écrit Laennec Hurbon, la majorité parlementaire choisit Jacques Edouard Alexis comme premier ministre. Le président Préval se démène pour que le Parlement soit déclaré caduc. L’ex premier ministre Rosny Smarth en 2013 expliquera par la suite que Préval avait trouvé ‘les arguties légales pour fermer la Chambre” au moment où le nouveau Premier ministre devait présenter sa politique générale. Ainsi, l’Exécutif fonctionnera sans Parlement.”( (Dir.) Laënnec Hurbon, « Les partis politiques dans la construction de la démocratie en Haïti », IDA,2014, p.124)

Michèle Pierre-Louis

En 2009, les présidents de la République ne sont pas sans influence sur le parlement, sur la formation des groupes et même des Commissions. L’endogamie du parlement et de l’Exécutif rabaisse le parlement à ses fonctions de chambre d’enregistrement du président de la République. Le fait majoritaire, qui est la clef de voute du système parlementaire, vole en éclats. Et c’est le président de la République qui recompose sa majorité au gré de ses caprices, de ses intérêts. En dehors du droit constitutionnel classique, le président de la République se moque d’avoir la majorité au parlement. Des exemples sont convaincants : en 2006, « Préval s’attelle à démanteler les partis en cooptant plusieurs membres importants et à ignorer les commissions parlementaires en  créant ses propres commissions présidentielles » (Ibid,L . Hurbon, p.124)

C’est le même René Préval qui fort de sa majorité à sa botte, en 2009 encourage le vote de non confiance de son premier ministre Michèle Pierre-Louis. En 2012, Joseph Michel Martelly élu avec peu de parlementaires a pu forger une majorité “qu’il finit par acquérir à la Chambre des députés semble fonctionner comme le prolongement de l’Exécutif. “(Ibid,p.124). Autant d’exemples qui montrent le caractère radical de la démocratie qui se fonde sur des résistances à la transformation des antagonismes en consensus.

L’influence de Jovenel Moise sur le parlement reste sournoise, après la démission de son premier ministre Jacky Lafontant. Le PHTK n’étant pas majoritaire au parlement, il revient donc à Jean Henry Céant  de reconstruire cette majorité, avec le soutien de Jovenel Moïse. En outre, JH Céant a échoué dans sa tentative de former un gouvernement de coalition, en rupture avec les pratiques kleptocratiques du « mickisme ». Or, Jovenel Moïse joue le double jeu, souffle le chaud, le froid, encourage la rébellion des parlementaires, ne souhaiterait pas un vote confiance de Céant, à analyser son silence, ses ambivalences. Comment convaincre alors ces parlementaires gourmands de voter en faveur de JH Céant ? Cette mission est périlleuse, d’une part par la tendance des parlementaires à la marchandisation du vote, de l’autre par les pesanteurs des pratiques de corruption. Me. Céant annonce d’ailleurs sa démission, quoique démentie plus tard, si les parlementaires exigent le maintien d’Aviol Fleurant au ministère de la planification, habitué à faire preuve de générosité envers ses « petits patrons », engagés dans leur réélection en 2019.En attendant la ratification de Jean Henry Céant, entourée d’incertitudes et de chausse-trappes, nous allons vers “une étrange configuration” qui ne relève ni du type présidentiel ni du type parlementaire. Dans les deux cas, la démocratie haïtienne aura-t-elle grandi ?

Jacques NESI

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