Jovenel Moïse, en marche vers la dictature

Le président haïtien Jovenel Moïse a de plus en plus les coudées franches pour donner libre cours à ses penchants autocratiques

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Le président haïtien Jovenel Moïse a de plus en plus les coudées franches pour donner libre cours à ses penchants autocratiques.

Depuis la fin du règne des Duvalier, en 1986, Haïti est déchirée par la lutte qui oppose ceux qui souhaitent un véritable changement aux tenants du statu quo. Cette dynamique a généré plusieurs épisodes sombres, un bain de sang qui a entaché la première tentative d’élections libres, en novembre 1987, jusqu’aux coups d’État militaires qui ont renversé Jean-Bertrand Aristide, en 1991 et en 2004.

Le tremblement de terre de 2010 a par ailleurs permis à la « communauté internationale[1] » de jouer un rôle plus direct dans l’orientation de la gouvernance du pays, avec l’appui d’une bonne partie de l’élite économique. C’était le début d’un « capitalisme du désastre », appuyé par une « stratégie de choc » profitant de la crise pour mettre en œuvre des projets controversés, sans rapport avec les besoins réels de la population. Après avoir pris le contrôle de la reconstruction, ladite « communauté internationale » a pu peser de tout son poids pour la tenue d’élections à la fin de 2010, en dépit des traces encore fraîches du séisme et d’une épidémie de choléra provoquée par des soldats de la mission des Nations unies. Dirigée par les États-Unis, elle interviendra de plus dans le processus électoral pour faciliter l’arrivée au pouvoir d’un candidat néo-duvaliériste, Michel Martelly.

Le gouvernement de Martelly est néanmoins parvenu à assurer l’arrivée au pouvoir de son poulain, Jovenel Moïse, lors des élections de 2016

Malgré une forte augmentation des dépenses d’investissement de l’État, la situation économique s’est détériorée sous la gestion de Martelly, signe que l’État a trop dépensé, de façon irrationnelle, sans transparence et sans mécanismes de contrôle, accentuant ainsi la perception de corruption [2]. Le gouvernement de Martelly est néanmoins parvenu à assurer l’arrivée au pouvoir de son poulain, Jovenel Moïse, lors des élections de 2016. La dégringolade économique s’accéléra avec l’arrivée de ce dernier et des scandales de corruption entourant le programme d’aide vénézuélien Petrocaribe ont vite fait d’éclabousser le régime Martelly et la personne de Moïse, jugé avoir été au cœur d’un stratagème de détournement de fonds. Dès juillet 2018, le pays fut secoué par toute une série de manifestations pour réclamer justice. Malgré la gravité de cette crise, qui dure toujours et qui a paralysé le pays durant de longs mois, l’incapacité du pouvoir à établir un dialogue avec la population est frappante, au point de se demander si elle n’est pas sciemment entretenue.

Par exemple, en mars 2018, Jovenel Moïse a lancé des États généraux sectoriels afin d’aboutir à l’adoption d’un « Pacte pour la stabilité et le progrès économique et social du pays ». Or, le président n’a même pas pris la peine d’accuser réception du rapport qui en découla. En octobre 2018, il a torpillé lui-même le travail de la Commission présidentielle de facilitation du dialogue peu après sa mise en place. En décembre 2018, c’est au nouveau premier ministre, Jean-Henry Céant, que sera confié « le mandat de consulter tous les secteurs de la vie nationale dans le cadre d’un dialogue visant à aboutir à un pacte de gouvernabilité ». En janvier 2019, le président Moïse a confié un mandat quasiment identique à un de ses proches. Au début du mois d’avril 2019, il a demandé à l’ONU de jouer le rôle d’observateur dans « un dialogue constructif et inclusif entre tous les acteurs de la vie nationale ». Toutes les pseudo-tentatives de dialogue avec les autres pouvoirs et l’opposition se déroulèrent selon un schéma similaire : le président disait une chose, mais agissait de façon contraire.

le président Moïse agit plus ouvertement en autocrate, d’autant qu’il jouit du soutien des États-Unis

Le Parlement étant devenu caduc en janvier 2020, après le report sine die des élections législatives qui devaient se tenir en novembre 2019, le président Moïse agit plus ouvertement en autocrate, d’autant qu’il jouit du soutien des États-Unis (en raison notamment de son appui à leur position face au Venezuela). Gouvernant désormais par décret, il se donne le droit d’engager l’État haïtien sans contrôle aucun dans la signature d’accords internationaux et d’accords de passation de marchés publics. Déjà connu pour utiliser l’appareil judiciaire comme instrument de répression, pour son recours à des mercenaires étrangers et pour la collusion de certains de ses proches avec des bandes armées, il détourne maintenant la mission de l’armée en lui confiant des tâches de police. Ce qui a provoqué au moins un affrontement avec morts et blessés entre ces deux corps.

Dans ce contexte, la tenue des élections législatives pourrait perpétuer ce pouvoir dictatorial, d’autant que la mise en place d’un nouveau système d’émission de cartes d’identité – entaché de forts soupçons de corruption et de népotisme – pourrait donner un plus grand contrôle au gouvernement sur les listes électorales [3]. Cet élément ne figure cependant pas dans les priorités du nouveau premier ministre nommé lui aussi par décret : c’est plutôt une demande formelle de l’Ambassade américaine.

Et c’est dans cette situation que le pays doit maintenant affronter la pandémie qui répand la terreur.

Notes

[1] Soit par ses organismes officiels comme l’ONU ou l’OEA, soit par des structures informelles comme « le groupe des pays amis d’Haïti » ou encore le « Core Group ».
[2] Voir Patrick Junior Sylvain, « Bilan économique désastreux du président Martelly, hypothéquant l’avenir de près de 11 d’Haïtiens, et perspectives pour 2016 », Atelier des médias, RFI, 14 janvier 2016 [en ligne]
[3] Voir Snayder Pierre Louis, « Pourquoi le dossier DERMALOG est un vaste scandale ? », Ayibo Post, 19 septembre 2019 [en ligne].

*L’auteur est sociologue

Relations no 808
mai-juin 2020

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