Jamaïca Jamaïca : l’histoire d’une décolonisation par la musique

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Par Eva Sauphie

Jusqu’au 13 août, à la Philharmonie de Paris, se tient l’exposition Jamaïca Jamaïca. Un parcours qui passe en revue l’évolution musicale et politique de l’île de la Jamaïque.

Si l’Afrique est à l’honneur sur le site industriel de la Villette depuis mars avec le festival 100% Afriques, la Caraïbe n’est pas en reste. Après l’exposition Great Black Music hébergée à la Cité de la musique en 2014, qui retraçait dans ses grandes lignes l’histoire de la musique pop africaine et africaine-américaine du XXe siècle, c’est au tour de la musique venue de la Jamaïque de faire l’objet d’une auscultation : du mento, « le calypso jamaïcain » – genre qui prend ses racines dans l’héritage de l’esclavage –  au dancehall, en passant bien sûr par le ska et le reggae emmenés par la première superstar issue du tiers-monde, Bob Marley.

A travers un parcours chronologique, l’exposition montre comment la musique jamaïcaine, trop souvent stigmatisée, fait elle aussi partie intégrante de l’histoire des musiques noires. Et surtout, comment elle a d’abord participé à porter le mouvement de décolonisation dans le contexte de l’indépendance de la Jamaïque en 1962 impulsé par un élan tiers-mondiste et de militantisme panafricaniste. Puis, comment la musique jamaïcaine est devenue l’étendard d’une fierté noire, militante et spirituelle, via le mouvement Rastafari.

Une partie du circuit retrace ainsi les destins de l’empereur éthiopien Halie Selassie, le « Dieu noir » du rastafarisme, et de Marcus Garvey, père fondateur du nationalisme noir et figure du panafricanisme.

Bien plus qu’une promenade didactique sur fond de frise chronologique, Jamaïca Jamaïca propose avant tout une expérience sonore et visuelle. Que serait l’histoire de la musique jamaïcaine sans la culture des sound system et du street art ?

La scénographie offre ainsi au public une immersion dans les rues de Kingston aux murs émaillés d’affiches de concerts peintes à la main. Danny Coxson, « mural artist » issu de Trechtown – quartier brûlant qui a également vu naître les Wailers – a été invité à retranscrire l’identité urbaine de la capitale jamaïcaine.

Tandis que, plongé dans la pénombre, casque sur les oreilles ou simplement conduit par la musique environnante, le visiteur est amené à vivre l’expérience des Dj sets en quasi hypnose devant une vidéo, quand il n’est pas en interaction directe avec le matériel mis à sa disposition. Des enceintes d’époque taillées pour les sound system sont érigées ici et là, et un atelier « Dub it youself » permet aux bidouilleurs du son de créer leur propre playlist à coups d’effets sonores revival.

Si on regrette une fin de parcours sans transition un peu bâclée, passant de la mort de Bob Marley – enterrant avec lui la conscience politique – au twerk, Jamaïca Jamaïca a le mérite de présenter l’influence de la culture jamaïcaine sur la musique à travers le son, la mode (mention spéciale aux photos de Beth Lesser), et le graphisme… Et recèle quelques pépites, à l’instar de la guitare M16 de Peter Tosh en forme de fusil-mitrailleur, parmi d’autres instruments originaux.

Jeune Afrique 10 avril 2017

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