Interview de David Oxygène du MOLEGHAF à Haïti Liberté

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Oxygène David, secrétaire général du MOLEGHAF, interviewé lors d'une manifestation à Port-au-Prince en janvier 2015. Photo: Kim Ives/Haïti Liberté

(English)

La semaine dernière, des hommes armés non identifiés ont blessé Domini Resain, directeur de la mobilisation du Mouvement national pour la liberté et l’égalité des Haïtiens pour la fraternité (MOLEGHAF), au siège de l’organisation dans le quartier Fort National de Port-au-Prince.

Haïti Liberté a interviewé le secrétaire général du MOLEGHAF, Oxygène David, sur l’attaque et, plus largement, sur la situation politique actuelle d’Haïti et les perspectives de la lutte de libération nationale.


Haïti Liberté  (HL) : Pouvez-vous nous dire ce qu’il est advenu du militant du MOLEGHAF Domini Resain la semaine dernière ?

Oxygène David (OD) : Notre camarade du MOLEGHAF, Domini Resain, a été pris pour cible, et il faut comprendre pourquoi. Il était en réunion de planification avec trois autres camarades le mercredi 24 août au quartier général du MOLEGHAF à Fort National pour préparer une manifestation.

Domini Resain, surnommé « Dodo », est chargé des mobilisations pour le MOLEGHAF. Soudain, il a reçu trois balles : une balle dans son bras gauche, une dans sa cuisse gauche et une dans son tibia gauche.

Pourquoi a-t-il été attaqué ? La première raison est que le camarade Domini Resain est un fer de lance de la mobilisation nationale actuelle. C’est un jeune homme déterminé à construire une nouvelle société.

Domini Resain est le directeur de la mobilisation de l’organisation de quartier Fort National MOLEGHAF. Il a été blessé par balle la semaine dernière.

Il faut expliquer qu’il y a deux types de mobilisation qui se passent ces derniers jours en Haïti. Il y a une mobilisation organisée par les partis politiques traditionnels, mais ces mobilisations n’ont pas de message sur la lutte des classes ; ils ne soulèvent pas les revendications et les aspirations des masses. Par conséquent, l’État réactionnaire déploie rarement la force de son appareil répressif pour écraser ces mobilisations, car ils n’ont pas de message anti-impérialiste, qui effraie l’État ou qui soulève le peuple. Le plus souvent, ces manifestations organisées par des politiciens réactionnaires et traditionnels se contentent de défiler d’un point A à un point B, sans aucun problème. Ces manifestations ont généralement des revendications très limitées, telles que la condamnation du PHTK (le parti au pouvoir des têtes chauves haïtiennes) ou autres.

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D’autre part, il y a les mobilisations populaires, avec des organisations progressistes ou révolutionnaires qui sont à l’avant-garde dans leurs quartiers populaires ou leurs zones rurales.

Ces mobilisations populaires s’unissent autour de revendications telles que la démission du Premier ministre de facto Ariel Henry, Mme. Helen La Lime du BINUH [le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti] devrait partir, et que le groupe CORE [les ambassadeurs alignés avec les États-Unis] devrait quitter le pays et se retirer des affaires haïtiennes.

Les organisations populaires disent que des élections libres et justes ne peuvent pas être organisées sous Ariel Henry, sous la surveillance de l’impérialisme américain et de toutes ses institutions financières capitalistes.

Ces organisations descendent dans la rue avec un message de lutte des classes, disant non à la faim, à la pauvreté, à l’exploitation, et ce message en fait une cible de l’État réactionnaire et des lumpen agents qu’il a cooptés.

Ainsi, Domini Resain est l’un des camarades qui a un tel message. Donc la troisième version du PHTK, menée par Ariel Henry, avec tous ses alliés comme le SDP [Secteur Démocratique et Populaire], [le parti social-démocrate] Fusion, et d’autres qui collaborent et gagnent de l’argent au Palais National, ainsi que leurs gangs dans certaines zones contrôlées. Ils complotent pour assassiner des militants révolutionnaires progressistes avec un message radical.

A l’hôpital, Domini Resain après avoir été pansé après l’attaque.

Voilà pourquoi Domini “Dodo” Resain a été abattu à trois reprises le 24 août par l’État pourri et réactionnaire. Notre camarade essaie maintenant de se remettre de ses graves blessures, car nous ne pouvons pas battre en retraite maintenant. Nous sommes allés très loin dans cette lutte pour vaincre ce régime sanglant dirigé par Ariel Henry et ses alliés.

HL : Comment voyez-vous les forces populaires avancer dans cette conjoncture politique ?

OD : La conjoncture se caractérise par plusieurs choses. Premièrement, nous avons un État fasciste qui pratique la répression et l’élimination des dirigeants. A cela s’ajoute le soutien qu’il reçoit du SDP, autrefois parti de l’opposition dans la rue mais désormais au Palais national.

Cet État fasciste utilise la démocratie bourgeoise pour terroriser la population, qui continue d’être ravagée par la faim, l’inflation et le chômage. Les masses populaires mangent dans les tas d’ordures et ne peuvent pas acheter un seau d’eau potable.

Pendant ce temps, les impérialistes américains utilisent des tactiques dilatoires pour maintenir Ariel Henry au pouvoir afin qu’il puisse organiser de fausses élections, tout en gardant le contrôle des politiciens traditionnels. Le terrain politique est donc piégé.

Ariel Henry utilise la police et l’armée, ainsi que les paramilitaires, pour réprimer la résistance des masses.

Mais les masses se réveillent de leur profond sommeil pour descendre dans la rue dans des mobilisations géantes sans les partis politiques traditionnels.

Il y a donc une avant-garde populaire, progressiste, révolutionnaire qui s’oppose catégoriquement aux politiciens traditionnels, qui n’ont ni vision ni message de classe.

Ces partis politiques traditionnels ne défient pas les impérialistes, mais s’embrassent, collaborent et cohabitent avec eux, et écrasent ainsi les mouvements de la classe ouvrière, des quartiers populaires et des paysans, surtout des paysans sans terre, vivant sous le talon des grands propriétaires terriens (grandon).

Ainsi, tout en menant la terreur et la répression, les États-Unis, de concert avec le régime, tentent d’organiser des élections pour mettre un client au pouvoir afin de continuer à piller les richesses de la nation.

HL : Depuis que le MOLEGHAF a quitté l’alliance Montana Accord, d’autres groupes ont-ils suivi votre exemple, et quelle voie proposez-vous aux organisations populaires pour aller de l’avant ?

OD : La coalition de l’Accord du Montana est complètement anéantie. C’est fini en théorie et en pratique.

Rencontre du groupe Montana avec Kenneth Merten

La coalition du 30 Août ou Accord de Montana avait une théorie qui disait : « Ayons une solution haïtienne. » Cela n’a jamais existé. Il n’a jamais cherché une solution haïtienne. C’était un mensonge que les dirigeants ont transmis à la nation afin qu’ils puissent cohabiter avec leurs patrons, les impérialistes américains.

Tout cela est devenu clair alors qu’ils s’asseyaient fièrement avec [U.S. chargé d’affaires] Kenneth Merten, tenant des réunions à l’ambassade des États-Unis et même au Departement d’Etat des États-Unis, afin d’écraser le mouvement populaire.

Donc leur théorie est en faillite. Leur pratique aussi !

Leur pratique est la bureaucratie, qui n’a jamais donné de résultats. En bref, le groupe de l’Accord de Montana n’a jamais cru à la mobilisation de masse ni appelé à la mobilisation populaire ou au réveil des citoyens. Il n’a jamais essayé de faire lever la nation ! Ils sont simplement restés embourbés dans la procédure et la bureaucratie, à huis clos, écrivant ce que [la figure de proue de l’Accord] Magali Comeau Denis leur a demandé d’écrire. C’est fini. Il appartient au passé.

C’est pourquoi plusieurs autres organisations se sont également retirées de la coalition du Montana, car elle n’a aucune stratégie pour mener les masses à la victoire. Après le départ du MOLEGHAF de la coalition du Montana, le syndicat CNOH [Confédération nationale des travailleurs haïtiens] est parti et de nombreuses organisations populaires ne reconnaissent plus cet Accord.

Il n’y a donc plus d’accord de Montana, plus d’accord de PEN [des politiciens Youri Latortue et Joseph Lambert], plus d’accord Musseau [du premier ministre Ariel Henry et de ses alliés].

Bref, il n’y a qu’un seul accord fonctionnel : celui de se tenir aux côtés des masses populaires. Mais ce n’est pas un accord écrit. Cet accord est souscrit par l’action, dans la pratique. L’accord des masses populaires est signé par le soulèvement. « Soulevez-vous » est notre slogan, notre mot d’ordre. Se dresser contre quoi ? Contre la troisième version du PHTK, contre Ariel Henry, contre Madame La Lime, contre le BINUH, contre le groupe CORE, contre l’USAID, contre les politiques néolibérales, et contre l’impérialisme américain qui veut nous faire taire et nous imposer leur direction de tous nos institutions, pour voler nos ressources, détruire la nation et nous noyer dans l’exploitation et l’exclusion.

Le Montana n’a fait que freiner la mobilisation populaire. Ils ont une attitude attentiste, attendant que les impérialistes américains leur donnent le feu vert et facilitent le changement politique qu’ils souhaitent, ce qui est ridicule. Ainsi, l’Accord du Montana n’a fait que plonger les masses plus profondément dans l’exclusion, la pauvreté et la misère.

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